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Le Secret de la sagesse française/Chapitre 12

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Le Secret de la sagesse française
Chapitre XII
L’Ombre sur le mur
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Dans le tableau des vertus et des énergies françaises qui donne de si belles promesses d’avenir, il se trouve une ombre chargée de menaces : la baisse de la natalité.

Il ne faut pourtant pas qu’on dise un jour de la France comme de la jument de Roland : elle a toutes les qualités mais un seul défaut — elle est morte !

Depuis des dizaines d’années, tous ont eu leurs yeux fixés sur ce danger sans qu’on ait rien fait pour le conjurer. « L’association nationale pour l’accroissement de la population française » a donné ses avertissements et fait tout son possible pour attirer l’attention sur ce péril mortel, sans rencontrer le moindre appui de la part des pouvoirs publics. Maintenant, les dernières statistiques de 1921 sont tellement inquiétantes que force est à l’opinion de s’en émouvoir, et la presse est remplie de cris d’alarmes.

Le Matin publiait récemment quelques calculs éloquents :


En 1865, on comptait, pour 300.000 mariages, 1 million de naissances, ce qui donnait une proportion de 3,33 par union.

Pour le même nombre de mariages en 1913, on ne comptait plus que 745.000 naissances et la proportion des berceaux tombait à 2,48 par union.

En 1919, la démobilisation, ce besoin inné qui est dans la nature de combler les vides, des idylles retardées par « la guerre, la confiance en des temps meilleurs que nous vaudrait notre victoire, tout cela dans un regain de vitalité donnait lieu à 500.000 mariages et courbait, en 1920, les mères de France sur 834.000 bercelonnettes.

Si le chiffre était d’importance, la proportion était médiocre, puisqu’elle descendait ainsi à 1,66 par union.

Hélas, avec 1921, allait décroître brutalement et le chiffre ides mariages et le chiffre des naissances, et le rapport des naissances aux unions.

La statistique, science inexorable, Cassandre dont on ne saurait négliger les avis sans que le pays en meure, nous dit qu’en 1924, en tenant compte de la natalité décroissante depuis 1900 et ides pertes immenses de la plus affreuse des guerres, même si l’on admet comme stationnaire la proportion de 1,66, la France ne comptera plus, pour 275.000 mariages au maximum, que 456.000 naissances.

C’est donc, avec une mortalité normale, de 200.000 habitants que la France se dépeuplera chaque année.

Si 1924 apparaît redoutable pour le sort de notre pays, 1940 s’annonce catastrophique. Les 450.000 naissances que nous avons eu en moyenne pendant la guerre, ne nous donnent plus, suivant des chiffres consciencieusement déduits, que 160.000 mariages et 265.000 naissances : c’est le pays s’appauvrissant par an de 350.000 des siens.

39 millions de Français aujourd’hui, 35 millions en 1940, 31 millions en 1950 et, alors, la chute redoutable — en 1965, 25 millions — d’une population où seront en minorité les éléments de production et d’avenir.

Ayant cité ces chiffres, est-il nécessaire de les situer dans le cadre fatal où ils s’inscrivent : la décadence, la ruine, l’invasion ?

La Chambre qui, à cette heure, discute avec passion le statut militaire de Qa France, se souviendra-t-elle à temps que la sauvegarde de la natalité est encore la partie la plus essentielle de tout programme de défense nationale ?


Voilà les faits qui rendent aux allemands leur force et leur espérance. Je connais assez bien, par des voyageurs neutres, les raisonnements qu’on fait outre-Rhin. « Nous traversons actuellement une mauvaise passe, dit-on là-bas, mais notre confiance dans l’avenir est entière. Dans une vingtaine d’années, nous aurons une population double de celle de la France, et notre revanche se fera toute seule. »

Sans doute, ils voient l’avenir d’une façon trop favorable pour eux. On ne peut pas penser que l’Allemagne elle-même sera exempte de cette crise de natalité qui est la rançon d’une civilisation trop généralisée. D’autre part, rien ne prouve que la vision nette du danger restera totalement impuissante à faire remonter la pente aux français et, sinon à obtenir un excédent, du moins à enrayer la descente. Il ne faut pas admettre non plus à priori qu’une race est « perdue », historiquement et politiquement, parce qu’elle est moins nombreuse que ses voisins.

Dans l’empire qu’ils avaient fondé et qu’ils régirent durant plusieurs siècles, les Romains pur sang représentaient une infime minorité. Le peuple chinois, le plus nombreux de la terre, n’a presque aucune force nationale et se voit maintenant partagé entre les États de proie. Si le peuple français garde toute sa supériorité intellectuelle et son sentiment national, si la France sait se former une forte élite, une oligarchie politique à grandes vues, un esprit de devoir civique, elle pourra, malgré son nombre inférieur, rester la clef de voûte d’un équilibre européen qui assurerait sa sécurité. Sans visées impérialistes, elle aurait néanmoins les qualités nécessaires pour utiliser pleinement son propre empire des deux côtés de la Méditerranée. Depuis la conquête de César, la France a toujours su absorber et fondre harmonieusement en elle les diverses races fixées successivement sur son sol ; elle montrera la même faculté d’assimilation des éléments étrangers qui viendraient remplir les vides de sa population ; elle se trouverait ainsi aux dates fatidiques annoncées, en possession d’une force renouvelée ou accrue par les immigrations. Les États-Unis, agglomération des diverses races européennes, n’en forment pas moins une unité nationale très caractérisée. Il serait donc possible pour la France de s’ajouter un appoint de sang étranger qui, dans l’espace d’une génération, serait complètement assimilé.

Néanmoins, une pareille existence aurait quelque chose d’instable et d’artificiel, elle ne qualifierait pas suffisamment la France pour la mission qu’elle doit remplir dans le monde, mission qui exigerait une population nombreuse et homogène, ne fût-ce que pour gérer son immense empire colonial. Elle verrait se réduire son rayonnement intellectuel et celui de sa langue. En Suède, pour prendre un exemple, un fort mouvement se manifeste pour donner à l’étude du français une place plus importante dans l’enseignement. Les maîtres de la jeunesse y considèrent, en effet, que le français est nécessaire pour transmettre à celle-ci l’esprit de la tradition humaniste, qui devra contre-balancer l’abaissement du niveau intellectuel résultant de la culture utilitaire. On estime aussi nécessaire de rectifier, de cette manière, l’influence germanique qui menacerait de submerger la civilisation Scandinave. Ainsi, un suédois peut, par pur patriotisme suédois, souhaiter la grandeur de la France, nécessaire à l’indépendance culturelle comme à l’indépendance politique des petits peuples.

Quelles sont les causes de l’abaissement de la natalité française ? En premier lieu, le bien-être généralisé et l’esprit de famille excessif, qui veut assurer l’avenir des enfants et les faire monter de classe sociale. Ce même esprit qui raréfie la postérité règne de plus en plus dans les classes élevées d’Europe et d’Amérique. En France, la mentalité du petit monde est devenue, par la généralisation du bien-être et les facilités d’ascension, celui des classes élevées de toutes les nations. Aux États-Unis, la natalité est très faible, résultat évident du fait que l’ouvrier a une salle de bains. Les peuples les plus primitifs sont les plus prolifiques, de même que, dans l’échelle animale, les espèces qui pullulent sont les plus élémentaires. Les bandes de harengs emportent le prix sur ce point.

Il s’agit donc de remonter par réflexion et volonté une pente naturelle qui tend à détruire les espèces supérieures.

Les français se rendent compte maintenant des terribles douleurs auxquelles les a livrés leur natalité faible. On peut épiloguer sans fin sur les causes de la guerre : la raison profonde est la faiblesse de la natalité française. Jamais les allemands n’auraient osé attaquer la France si elle avait eu cinquante millions d’habitants. Ils ont osé le coup, non seulement dans le sentiment de leur supériorité numérique, mais surtout dans leur conviction de venir facilement à bout d’un peuple en « décadence ». Il se trouvait que ce qu’ils avaient pris pour un symptôme de l’affaiblissement de la volonté n’entamait en rien les qualités de résistance et d’énergie de la race, mais c’était cependant cette apparence de décadence qui allait attirer la foudre.

Il ne faudrait pas s’exposer une seconde fois à la même expérience quand, selon les lois physiques, le vide attirera le flot débordant des invasions.

La Troisième République, au cours de ces cinquante dernières années, a accompli une grande œuvre. Elle a donné à chaque citoyen ce juste sentiment de fierté et d’indépendance qui a fait sa résistance invincible, et contre lequel le coup de surprise de 1870 s’est cette fois brisé. Elle a donné au monde l’exemple bienfaisant d’une démocratie pour ainsi dire aristocratique, dans le meilleur sens du mot, j’entends par là : gardienne des nobles traditions d’art et de pensée. Elle a réalisé dans l’égalité sociale des classes un régime d’ordre et de stabilité qui fait d’elle, selon l’expression d’un homme d’État étranger, une terre ferme dans le marais européen. Elle a doté la France d’un immense empire colonial. Enfin, elle a vaincu. Une dernière tâche lui reste à accomplir, et peut-être la plus difficile : relever par tous les moyens la natalité.

Il faut que chaque père de famille français se pénètre de cette pensée : Si mon fils n’a pas de frère, il périra par le feu et par le fer ou il deviendra esclave.

On entend parfois ici, dans le peuple, ce raisonnement : Pourquoi avoir des enfants pour en faire de la chair à canon ? Ce n’est pas la peine. Il est nécessaire d’incruster en eux cette vérité qu’il faut avoir plusieurs enfants pour que le fils unique ne soit pas chair à canon.

Mais la propagande morale ne suffit pas ; il faut que l’intérêt immédiat agisse en même temps, que les pères et mères de nombreuses familles se voient récompensés.

Il appartient aux législateurs, aux sociologues, aux économistes de trouver les solutions pratiques de ce problème infiniment complexe. Donner des primes aux familles nombreuses ! Aucun budget au monde ne suffirait pour suivre l’admirable exemple de M. Cognacq, consacrant plusieurs millions de rente pour constituer des prix de 25.000 et de 10.000 francs. Mais il y a de multiples moyens de répandre les faveurs de l’État sous toutes les formes aux hommes qui accepteront le plus urgent des services publics, qui est d’élever des citoyens pour l’État. Il existe des innombrables petites situations très tentantes pour un brave homme qui se dirait : j’aurais cette retraite sur mes vieux jours grâce à mes cinq enfants.

On a proposé pour les parents, père et mère, le vote plural proportionnel au nombre de leurs enfants. Le célibataire n’aurait qu’une voix, une famille de cinq enfants en aurait 7, ainsi les familles nombreuses obligeraient les législateurs à s’occuper d’elles.

On a proposé de rechercher, dans la rédaction de toutes les lois, quelle serait la répercussion sur les familles nombreuses. On a calculé que des lois d’hygiène et de protection de l’enfance pourraient sauver chaque année cent mille enfants en bas âge.

Le récent congrès d’agriculture à Nancy a reconnu l’étroite corrélation qui existe entre la question agricole et celle de la natalité. Il a adopté, à l’unanimité, un vœu qui demande au gouvernement de soutenir et au Parlement d’examiner la proposition de loi ayant pour objet de faciliter l’ascension des travailleurs agricoles à l’exploitation et à la propriété, avec priorité pour les anciens combattants et pour les familles nombreuses.

Le vœu le plus important fut celui concernant la famille française :

« Le congrès de l’agriculture française, considérant la lamentable décroissance de la population française, émet le vœu : 1° que dans tous les départements, les conseils généraux et les municipalités profitent du concours que leur accorde l’État en ce cas pour allouer des primes de natalité au moins à partir du troisième enfant ; 2° que dans les pays de grande culture où le salariat est assez développé, dès caisses d’allocation familiale aux œuvres agricoles soient instituées sur des bases régionales d’assurances mutuelles et de syndicats ; 3° que ces créations soient facilitées, encouragées, par le ministre de l’agriculture, par les offices agricoles ; 4° que, par contre, toute loi rendant le sursalaire obligatoire soit rejetée jusqu’à nouvel ordre ; 5° que le gouvernement mette à son programme la lutte contre la dépopulation ; 6° qu’en conséquence, il se fasse le défenseur de la famille actuellement cruellement éprouvée par l’esprit d’individualisme contraire à la prospérité nationale ; 7° qu’il prenne toutes les mesures d’ordre financier, économique et social, notamment en matière successorale, pour que les familles, véritables cellules de la société, bénéficient d’allégements et jouissent de droits en proportion de leur vitalité ; 8° qu’enfin, le principe du vote familial soit substitué dans le plus bref délai à celui du vote individuel. »

Un autre vœu, concernant une réduction du service militaire, fut adopté avec les conclusions suivantes :

1° Les fils de familles nombreuses, dont 90 0/0 sont rurales, bénéficient, sous une forme ou une autre, de réductions sensibles de la durée du service à titre de compensation pour le surplus de charges qu’une famille nombreuse supporte ; 2° les jeunes gens qui prendront l’engagement de se consacrer à l’agriculture bénéficient également d’avantages réels en fait de service militaire, en raison de l’intérêt primordial que l’agriculture présente pour le pays ; 3° la mobilisation agricole sera étudiée et préparée au même titre que la mobilisation industrielle.

Il sera intéressant de voir si l’instinct de vitalité de la race est assez fort pour forcer le Parlement et les pouvoirs publics à s’occuper enfin de la question de la dépopulation, la plus importante entre toutes — la seule, suivant le mot du professeur Richet.

Si non, les théories dites démocratiques, qui posent comme but premier d’une société, « la plus grande somme de bien-être possible pour le plus grand nombre », se prouveraient, par le résultat, être des théories de mort. Ce serait donc alors que la seule formule de vie pour les nations serait une élite dirigeante conduisant des masses enfermées dans un étroit horizon et un labeur sans aises.

Mais je ne perds pas l’espoir que la France puisse guérir.

Sans prétendre à égaler la natalité des peuples les plus prolifiques, on peut avancer sans optimisme exagéré qu’une législation convenable ferait remonter la natalité dans une mesure notable. Surtout qu’on n’objecte pas l’inefficacité des lois. Les expériences d’autres pays ont amplement prouvé qu’elles sont opérantes.

La Suède était, au milieu du siècle dernier, ravagée par l’alcoolisme à un tel degré qu’il menaçait de ruiner complètement la race. Elle s’est guérie par une législation appropriée. C’est un pays petit de nombre, mais grand par son esprit civique. Ses institutions sociales peuvent servir de modèle aux plus puissantes nations. Elle a montré qu’un peuple peut se défendre contre ses propres défaillances. Et c’est cet exemple, donné par ma patrie, qui me confirme encore dans ma conviction que la France peut, si elle le veut, vaincre le mal intérieur qui menace ses glorieuses destinées.


Paris, avril 1922



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