Le Siècle de Louis XIV/Édition Garnier/Chapitre 02

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Le Siècle de Louis XIV
Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 14, Histoire (4) (p. 159-175).


CHAPITRE II.

DES ÉTATS DE L’EUROPE AVANT LOUIS XIV.


Il y avait déjà longtemps qu’on pouvait regarder l’Europe chrétienne (à la Russie près) comme une espèce de grande république partagée en plusieurs États, les uns monarchiques, les autres mixtes ; ceux-ci aristocratiques, ceux-là populaires, mais tous correspondants les uns avec les autres ; tous ayant un même fond de religion, quoique divisés en plusieurs sectes ; tous ayant les mêmes principes de droit public et de politique, inconnus dans les autres parties du monde. C’est par ces principes que les nations européanes ne font point esclaves leurs prisonniers, qu’elles respectent les ambassadeurs de leurs ennemis, qu’elles conviennent ensemble de la prééminence et de quelques droits de certains princes, comme de l’empereur, des rois, et des autres moindres potentats, et qu’elles s’accordent surtout dans la sage politique de tenir entre elles, autant qu’elles peuvent, une balance égale de pouvoir, employant sans cesse les négociations, même au milieu de la guerre, et entretenant les unes chez les autres des ambassadeurs ou des espions moins honorables, qui peuvent avertir toutes les cours des desseins d’une seule, donner à la fois l’alarme à l’Europe, et garantir les plus faibles des invasions que le plus fort est toujours prêt d’entreprendre.

Depuis Charles-Quint la balance penchait du côté de la maison d’Autriche. Cette maison puissante était, vers l’an 1630, maîtresse de l’Espagne, du Portugal, et des trésors de l’Amérique ; les Pays-Bas, le Milanais, le royaume de Naples, la Bohême, la Hongrie, l’Allemagne même (si on peut le dire), étaient devenus son patrimoine ; et si tant d’États avaient été réunis sous un seul chef de cette maison, il est à croire que l’Europe lui aurait enfin été asservie.


DE L’ALLEMAGNE.


L’empire d’Allemagne est le plus puissant voisin qu’ait la France : il est d’une plus grande étendue ; moins riche peut-être en argent, mais plus fécond en hommes robustes et patients dans le travail. La nation allemande est gouvernée, peu s’en faut, comme l’était la France sous les premiers rois Capétiens, qui étaient des chefs, souvent mal obéis, de plusieurs grands vassaux et d’un grand nombre de petits. Aujourd’hui soixante villes libres, et qu’on nomme impériales, environ autant de souverains séculiers, près de quarante princes ecclésiastiques, soit abbés, soit évêques, neuf électeurs, parmi lesquels on peut compter aujourd’hui quatre rois[1], enfin l’empereur, chef de tous ces potentats, composent ce grand corps germanique, que le flegme allemand a fait subsister jusqu’à nos jours, avec presque autant d’ordre qu’il y avait autrefois de confusion dans le gouvernement français.

Chaque membre de l’empire a ses droits, ses privilèges, ses obligations ; et la connaissance difficile de tant de lois, souvent contestées, fait ce que l’on appelle en Allemagne l’étude du droit public, pour laquelle la nation germanique est si renommée.

L’empereur, par lui-même, ne serait guère à la vérité plus puissant ni plus riche qu’un doge de Venise. Vous savez que l’Allemagne, partagée en villes et en principautés, ne laisse au chef de tant d’États que la prééminence avec d’extrêmes honneurs, sans domaines, sans argent, et par conséquent sans pouvoir.

Il ne possède pas, à titre d’empereur, un seul village. Cependant cette dignité, souvent aussi vaine que suprême, était devenue si puissante entre les mains des Autrichiens qu’on a craint souvent qu’ils ne convertissent en monarchie absolue cette république de princes.

Deux partis divisaient alors, et partagent encore aujourd’hui l’Europe chrétienne, et surtout l’Allemagne.

Le premier est celui des catholiques, plus ou moins soumis au pape ; le second est celui des ennemis de la domination spirituelle et temporelle du pape et des prélats catholiques. Nous appelons ceux de ce parti du nom général de protestants, quoiqu’ils soient divisés en luthériens, calvinistes, et autres, qui se haïssent entre eux presque autant qu’ils haïssent Rome.

En Allemagne, la Saxe, une partie du Brandebourg, le Palatinat, une partie de la Bohême, de la Hongrie, les États de la maison de Brunsvick, le Virtemberg, la Hesse, suivent la religion luthérienne, qu’on nomme évangélique. Toutes les villes libres impériales ont embrassé cette secte, qui a semblé plus convenable que la religion catholique à des peuples jaloux de leur liberté.

Les calvinistes, répandus parmi les luthériens, qui sont les plus forts, ne font qu’un parti médiocre ; les catholiques composent le reste de l’empire, et, ayant à leur tête la maison d’Autriche, ils étaient sans doute les plus puissants.

Non-seulement l’Allemagne, mais tous les États chrétiens, saignaient encore des plaies qu’ils avaient reçues de tant de guerres de religion, fureur particulière aux chrétiens, ignorée des idolâtres, et suite malheureuse de l’esprit dogmatique introduit depuis si longtemps dans toutes les conditions. Il y a peu de points de controverse qui n’aient causé une guerre civile, et les nations étrangères (peut-être notre postérité) ne pourront un jour comprendre que nos pères se soient égorgés mutuellement, pendant tant d’années, en prêchant la patience.

Je vous ai déjà fait voir comment Ferdinand II[2] fut près de changer l’aristocratie allemande en une monarchie absolue, et comment il fut sur le point d’être détrôné par Gustave-Adolphe. Son fils, Ferdinand III, qui hérita de sa politique, et fit comme lui la guerre de son cabinet, régna pendant la minorité de Louis XIV.

L’Allemagne n’était point alors aussi florissante qu’elle l’est devenue depuis : le luxe y était inconnu, et les commodités de la vie étaient encore très-rares chez les plus grands seigneurs. Elles n’y ont été portées que vers l’an 1686 par les réfugiés français qui allèrent y établir leurs manufactures. Ce pays fertile et peuplé manquait de commerce et d’argent ; la gravité des mœurs et la lenteur particulière aux Allemands les privaient de ces plaisirs et de ces arts agréables que la sagacité italienne cultivait depuis tant d’années, et que l’industrie française commençait dès lors à perfectionner. Les Allemands, riches chez eux, étaient pauvres ailleurs ; et cette pauvreté, jointe à la difficulté de réunir en peu de temps sous les mêmes étendards tant de peuples différents, les mettait à peu près, comme aujourd’hui, dans l’impossibilité de porter et de soutenir longtemps la guerre chez leurs voisins. Aussi c’est presque toujours dans l’empire que les Français ont fait la guerre contre les empereurs. La différence du gouvernement et du génie paraît rendre les Français plus propres pour l’attaque, et les Allemands pour la défense.


DE L’ESPAGNE.


L’Espagne, gouvernée par la branche aînée de la maison d’Autriche, avait imprimé, après la mort de Charles-Quint, plus de terreur que la nation germanique. Les rois d’Espagne étaient incomparablement plus absolus et plus riches. Les mines du Mexique et du Potosi semblaient leur fournir de quoi acheter la liberté de l’Europe. Vous avez vu ce projet de la monarchie, ou plutôt de la supériorité universelle sur notre continent chrétien, commencé par Charles-Quint, et soutenu par Philippe II.

La grandeur espagnole ne fut plus, sous Philippe III, qu’un vaste corps sans substance, qui avait plus de réputation que de force.

Philippe IV, héritier de la faiblesse de son père, perdit le Portugal par sa négligence, le Roussillon par la faiblesse de ses armes, et la Catalogne par l’abus du despotisme. De tels rois ne pouvaient être longtemps heureux dans leurs guerres contre la France. S’ils obtenaient quelques avantages par les divisions et les fautes de leurs ennemis, ils en perdaient le fruit par leur incapacité. De plus ils commandaient à des peuples que leurs privilèges mettaient en droit de mal servir : les Castillans avaient la prérogative de ne point combattre hors de leur patrie ; les Aragonais disputaient sans cesse leur liberté contre le conseil royal ; et les Catalans, qui regardaient leurs rois comme leurs ennemis, ne leur permettaient pas même de lever des milices dans leurs provinces.

L’Espagne cependant, réunie avec l’empire, mettait un poids redoutable dans la balance de l’Europe.


DU PORTUGAL.


Le Portugal redevenait alors un royaume. Jean, duc de Bragance, prince qui passait pour faible, avait arraché cette province à un roi plus faible que lui. Les Portugais cultivaient par nécessité le commerce, que l’Espagne négligeait par fierté ; ils venaient de se liguer avec la France et la Hollande, en 1641, contre l’Espagne. Cette révolution du Portugal valut à la France plus que n’eussent fait les plus signalées victoires. Le ministère français, qui n’avait contribué en rien à cet événement, en retira sans peine le plus grand avantage qu’on puisse avoir contre son ennemi, celui de le voir attaqué par une puissance irréconciliable.

Le Portugal, secouant le joug de l’Espagne, étendant son commerce et augmentant sa puissance, rappelle ici l’idée de la Hollande, qui jouissait des mêmes avantages d’une manière bien différente.


DES PROVINCES-UNIES.


Ce petit État des sept Provinces-Unies, pays fertile en pâturages, mais stérile en grains, malsain, et presque submergé par la mer, était, depuis environ un demi-siècle, un exemple presque unique sur la terre de ce que peuvent l’amour de la liberté et le travail infatigable. Ces peuples pauvres, peu nombreux, bien moins aguerris que les moindres milices espagnoles, et qui n’étaient comptés encore pour rien dans l’Europe, résistèrent à toutes les forces de leur maître et de leur tyran, Philippe II, éludèrent les desseins de plusieurs princes, qui voulaient les secourir pour les asservir, et fondèrent une puissance que nous avons vue balancer le pouvoir de l’Espagne même. Le désespoir qu’inspire la tyrannie les avait d’abord armés : la liberté avait élevé leur courage, et les princes de la maison d’Orange en avaient fait d’excellents soldats. À peine vainqueurs de leurs maîtres, ils établirent une forme de gouvernement qui conserve, autant qu’il est possible, l’égalité, le droit le plus naturel des hommes[3].

Cet État, d’une espèce si nouvelle, était, depuis sa fondation, attaché intimement à la France : l’intérêt les réunissait ; ils avaient les mêmes ennemis ; Henri le Grand et Louis XIII avaient été ses alliés et ses protecteurs.


DE L’ANGLETERRE.


L’Angleterre, beaucoup plus puissante, affectait la souveraineté des mers, et prétendait mettre une balance entre les dominations de l’Europe ; mais Charles Ier, qui régnait depuis 1625, loin de pouvoir soutenir le poids de cette balance, sentait le sceptre échapper déjà de sa main : il avait voulu rendre son pouvoir en Angleterre indépendant des lois, et changer la religion en Écosse. Trop opiniâtre pour se désister de ses desseins, et trop faible pour les exécuter, bon mari, bon maître, bon père, honnête homme, mais monarque mal conseillé, il s’engagea dans une guerre civile qui lui fit perdre enfin, comme nous l’avons déjà dit[4], le trône et la vie sur un échafaud, par une révolution presque inouïe.

Cette guerre civile, commencée dans la minorité de Louis XIV, empêcha pour un temps l’Angleterre d’entrer dans les intérêts de ses voisins : elle perdit sa considération avec son bonheur ; son commerce fut interrompu ; les autres nations la crurent ensevelie sous ses ruines, jusqu’au temps où elle devint tout à coup plus formidable que jamais sous la domination de Cromwell, qui l’assujettit en portant l’Évangile dans une main, l’épée dans l’autre, le masque de la religion sur le visage, et qui, dans son gouvernement, couvrit des qualités d’un grand roi tous les crimes d’un usurpateur.


DE ROME.


Cette balance que l’Angleterre s’était longtemps flattée de maintenir entre les rois par sa puissance, la cour de Rome essayait de la tenir par sa politique. L’Italie était divisée, comme aujourd’hui, en plusieurs souverainetés : celle que possède le pape est assez grande pour le rendre respectable comme prince, et trop petite pour le rendre redoutable. La nature du gouvernement ne sert pas à peupler son pays, qui d’ailleurs a peu d’argent et de commerce ; son autorité spirituelle, toujours un peu mêlée de temporel, est détruite et abhorrée dans la moitié de la chrétienté ; et si dans l’autre il est regardé comme un père, il a des enfants qui lui résistent quelquefois avec raison et avec succès. La maxime de la France est de le regarder comme une personne sacrée, mais entreprenante, à laquelle il faut baiser les pieds, et lier quelquefois les mains. On voit encore, dans tous les pays catholiques, les traces des pas que la cour de Rome a faits autrefois vers la monarchie universelle. Tous les princes de la religion catholique envoient au pape, à leur avènement, des ambassades qu’on nomme d’obédience. Chaque couronne a dans Rome un cardinal, qui prend le nom de protecteur. Le pape donne des bulles de tous les évêchés, et s’exprime dans ses bulles comme s’il conférait ces dignités de sa seule puissance. Tous les évêques italiens, espagnols, flamands, se nomment évêques par la permission divine, et par celle du saint-siège. Beaucoup de prélats français, vers l’an 1682, rejetèrent cette formule si inconnue aux premiers siècles ; et nous avons vu de nos jours, en 1754, un évêque (Stuart Fitz-James, évêque de Soissons) assez courageux pour l’omettre dans un mandement qui doit passer à la postérité ; mandement, ou plutôt instruction unique, dans laquelle il est dit expressément ce que nul pontife n’avait encore osé dire, que tous les hommes, et les infidèles mêmes, sont nos frères[5]

Enfin le pape a conservé, dans tous les États catholiques, des prérogatives qu’assurément il n’obtiendrait pas si le temps ne les lui avait pas données. Il n’y a point de royaume dans lequel il n’y ait beaucoup de bénéfices à sa nomination ; il reçoit en tribut les revenus de la première année des bénéfices consistoriaux.

Les religieux, dont les chefs résident à Rome, sont encore autant de sujets immédiats du pape, répandus dans tous les États. La coutume, qui fait tout, et qui est cause que le monde est gouverné par des abus comme par des lois, n’a pas toujours permis aux princes de remédier entièrement à un danger qui tient d’ailleurs à des choses regardées comme sacrées. Prêter serment à un autre qu’à son souverain est un crime de lèse-majesté dans un laïque ; c’est, dans le cloître, un acte de religion. La difficulté de savoir à quel point on doit obéir à ce souverain étranger, la facilité de se laisser séduire, le plaisir de secouer un joug naturel pour en prendre un qu’on se donne soi-même, l’esprit de trouble, le malheur des temps, n’ont que trop souvent porté des ordres entiers de religieux à servir Rome contre leur patrie.

L’esprit éclairé qui règne en France depuis un siècle, et qui s’est étendu dans presque toutes les conditions, a été le meilleur remède à cet abus. Les bons livres écrits sur cette matière sont de vrais services rendus aux rois et aux peuples, et un des grands changements qui se soient faits par ce moyen dans nos mœurs sous Louis XIV, c’est la persuasion dans laquelle les religieux commencent tous à être qu’ils sont sujets du roi avant que d’être serviteurs du pape. La juridiction, cette marque essentielle de la souveraineté, est encore demeurée au pontife romain. La France même, malgré toutes ses libertés de l’Église gallicane, souffre que l’on appelle au pape en dernier ressort dans quelques causes ecclésiastiques.

Si l’on veut dissoudre un mariage, épouser sa cousine ou sa nièce, se faire relever de ses vœux, c’est encore à Rome, et non à son évêque, qu’on s’adresse ; les grâces y sont taxées[6] et les particuliers de tous les états y achètent des dispenses à tout prix.

Ces avantages, regardés par beaucoup de personnes comme la suite des plus grands abus, et par d’autres comme les restes des droits les plus sacrés, sont toujours soutenus avec art. Rome ménage son crédit avec autant de politique que la république romaine en mit à conquérir la moitié du monde connu.

Jamais cour ne sut mieux se conduire selon les hommes et selon les temps. Les papes sont presque toujours des Italiens blanchis dans les affaires, sans passions qui les aveuglent ; leur conseil est composé de cardinaux qui leur ressemblent, et qui sont tous animés du même esprit. De ce conseil émanent des ordres qui vont jusqu’à la Chine et à l’Amérique : il embrasse en ce sens l’univers, et on a pu dire quelquefois ce qu’avait dit autrefois un étranger du sénat de Rome : « J’ai vu un consistoire de rois. » La plupart de nos écrivains se sont élevés avec raison contre l’ambition de cette cour ; mais je n’en vois point qui ait rendu assez de justice à sa prudence. Je ne sais si une autre nation eût pu conserver si longtemps dans l’Europe tant de prérogatives toujours combattues : toute autre cour les eût peut-être perdues, ou par sa fierté, ou par sa mollesse, ou par sa lenteur, ou par sa vivacité ; mais Rome, employant presque toujours à propos la fermeté et la souplesse, a conservé tout ce qu’elle a pu humainement garder. On la vit rampante sous Charles-Quint, terrible au roi de France Henri III, ennemie et amie tour à tour de Henri IV, adroite avec Louis XIII, opposée ouvertement à Louis XIV dans le temps qu’il fut à craindre, et souvent ennemie secrète des empereurs, dont elle se défiait plus que du sultan des Turcs.

Quelques droits, beaucoup de prétentions, de la politique et de la patience, voilà ce qui reste aujourd’hui à Rome de cette ancienne puissance qui, six siècles auparavant, avait voulu soumettre l’empire et l’Europe à la tiare.

Naples est un témoignage subsistant encore de ce droit que les papes surent prendre autrefois avec tant d’art et de grandeur, de créer et de donner des royaumes ; mais le roi d’Espagne, possesseur de cet État, ne laissait à la cour romaine que l’honneur et le danger d’avoir un vassal trop puissant.

Au reste, l’État du pape était dans une paix heureuse qui n’avait été altérée que par la petite guerre dont j’ai parlé entre les cardinaux Barberin, neveux du pape Urbain VIII, et le duc de Parme[7].


DU RESTE DE L’ITALIE.


Les autres provinces d’Italie écoutaient des intérêts divers. Venise craignait les Turcs et l’empereur ; elle défendait à peine ses États de terre ferme des prétentions de l’Allemagne et de l’invasion du Grand Seigneur. Ce n’était plus cette Venise autrefois la maîtresse du commerce du monde, qui, cent cinquante ans auparavant, avait excité la jalousie de tant de rois. La sagesse de son gouvernement subsistait ; mais son grand commerce anéanti lui ôtait presque toute sa force, et la ville de Venise était, par sa situation, incapable d’être domptée, et, par sa faiblesse, incapable de faire des conquêtes.

L’État de Florence jouissait de la tranquillité et de l’abondance sous le gouvernement des Médicis ; les lettres, les arts, et la politesse, que les Médicis avaient fait naître, florissaient encore. La Toscane alors était en Italie ce qu’Athènes avait été en Grèce.

La Savoie, déchirée par une guerre civile et par les troupes françaises et espagnoles, s’était enfin réunie tout entière en faveur de la France, et contribuait en Italie à l’affaiblissement de la puissance autrichienne.

Les Suisses conservaient, comme aujourd’hui, leur liberté, sans chercher à opprimer personne. Ils vendaient leurs troupes à leurs voisins plus riches qu’eux ; ils étaient pauvres ; ils ignoraient les sciences et tous les arts que le luxe a fait naître ; mais ils étaient sages et heureux[8].


DES ÉTATS DU NORD


Les nations du nord de l’Europe, la Pologne, la Suède, le Danemark, la Russie, étaient, comme les autres puissances, toujours en défiance ou en guerre entre elles. On voyait, comme aujourd’hui[9], dans la Pologne, les mœurs et le gouvernement des Goths et des Francs, un roi électif, des nobles partageant sa puissance, un peuple esclave, une faible infanterie, une cavalerie composée de nobles ; point de villes fortifiées ; presque point de commerce. Ces peuples étaient tantôt attaqués par les Suédois ou par les Moscovites, et tantôt par les Turcs. Les Suédois, nation plus libre encore par sa constitution, qui admet les paysans mêmes dans les états généraux, mais alors plus soumise à ses rois que la Pologne, furent victorieux presque partout. Le Danemark, autrefois formidable à la Suède, ne l’était plus à personne ; et sa véritable grandeur n’a commencé que sous ses deux rois Frédéric III et Frédéric IV[10]. La Moscovie n’était encore que barbare.


DES TURCS.


Les Turcs n’étaient pas ce qu’ils avaient été sous les Sélim, les Mahomet, et les Soliman : la mollesse corrompait le sérail, sans en bannir la cruauté. Les sultans étaient en même temps et les plus despotiques des souverains dans leur sérail, et les moins assurés de leur trône et de leur vie. Osman et Ibrahim venaient de mourir par le cordeau. Mustapha avait été deux fois déposé. L’empire turc, ébranlé par ces secousses, était encore attaqué par les Persans ; mais quand les Persans le laissaient respirer, et que les révolutions du sérail étaient finies, cet empire redevenait formidable à la chrétienté : car depuis l’embouchure du Borysthène jusqu’aux États de Venise, on voyait la Moscovie, la Hongrie, la Grèce, les îles, tour à tour en proie aux armes des Turcs, et, dès l’an 1644, ils faisaient constamment cette guerre de Candie si funeste aux chrétiens. Tels étaient la situation, les forces, et l’intérêt des principales nations européanes vers le temps de la mort du roi de France Louis XIII.


SITUATION DE LA FRANCE.


La France, alliée à la Suède, à la Hollande, à la Savoie, au Portugal, et ayant pour elle les vœux des autres peuples demeurés dans l’inaction, soutenait contre l’empire et l’Espagne une guerre ruineuse aux deux partis, et funeste à la maison d’Autriche. Cette guerre était semblable à toutes celles qui se font depuis tant de siècles entre les princes chrétiens, dans lesquelles des millions d’hommes sont sacrifiés et des provinces ravagées pour obtenir enfin quelques petites villes frontières dont la possession vaut rarement ce qu’a coûté la conquête.

Les généraux de Louis XIII avaient pris le Roussillon ; les Catalans venaient de se donner à la France, protectrice de la liberté qu’ils défendaient contre leurs rois ; mais ces succès n’avaient pas empêché que les ennemis n’eussent pris Corbie en 1636, et ne fussent venus jusqu’à Pontoise. La peur avait chassé de Paris la moitié de ses habitants ; et le cardinal de Richelieu, au milieu de ses vastes projets d’abaisser la puissance autrichienne, avait été réduit à taxer les portes cochères de Paris à fournir chacune un laquais pour aller à la guerre, et pour repousser les ennemis des portes de la capitale.

Les Français avaient donc fait beaucoup de mal aux Espagnols et aux Allemands, et n’en avaient pas moins essuyé.

FORCES DE LA FRANCE APRÈS LA MORT DE LOUIS XIII,
ET MŒURS DU TEMPS.

Les guerres avaient produit des généraux illustres, tels qu’un Gustave-Adolphe, un Valstein, un duc de Veimar, Piccolomini, Jean de Vert, le maréchal de Guébriant, les princes d’Orange, le comte d’Harcourt. Des ministres d’État ne s’étaient pas moins signalés. Le chancelier Oxenstiern, le comte duc d’Olivarès, mais surtout le cardinal de Richelieu, avaient attiré sur eux l’attention de l’Europe. Il n’y a aucun siècle qui n’ait eu des hommes d’État et de guerre célèbres ; la politique et les armes semblent malheureusement être les deux professions les plus naturelles à l’homme : il faut toujours ou négocier ou se battre. Le plus heureux passe pour le plus grand, et le public attribue souvent au mérite tous les succès de la fortune.

La guerre ne se faisait pas comme nous l’avons vu faire du temps de Louis XIV ; les armées n’étaient pas si nombreuses : aucun général, depuis le siège de Metz par Charles-Quint, ne s’était vu à la tête de cinquante mille hommes ; on assiégeait et on défendait les places avec moins de canons qu’aujourd’hui. L’art des fortifications était encore dans son enfance. Les piques et les arquebuses étaient en usage : on se servait beaucoup de l’épée, devenue inutile aujourd’hui. Il restait encore des anciennes lois des nations celle de déclarer la guerre par un héraut. Louis XIII fut le dernier qui observa cette coutume : il envoya un héraut d’armes à Bruxelles déclarer la guerre à l’Espagne en 1635.

Vous savez que rien n’était plus commun alors que de voir des prêtres commander des armées : le cardinal infant, le cardinal de Savoie, Richelieu, La Valette, Sourdis, archevêque de Bordeaux, le cardinal Théodore Trivulce, commandant de la cavalerie espagnole, avaient endossé la cuirasse, et fait la guerre eux-mêmes. Un évêque de Mende avait été souvent intendant d’armées. Les papes menacèrent quelquefois d’excommunication ces prêtres guerriers. Le pape Urbain VIII, fâché contre la France, fit dire au cardinal de La Valette qu’il le dépouillerait du cardinalat s’il ne quittait les armes ; mais, réuni avec la France, il le combla de bénédictions.

Les ambassadeurs, non moins ministres de paix que les ecclésiastiques, ne faisaient nulle difficulté de servir dans les armées des puissances alliées, auprès desquelles ils étaient employés. Charnacé, envoyé de France en Hollande, y commandait un régiment en 1637, et depuis même l’ambassadeur d’Estrades fut colonel à leur service.

La France n’avait en tout qu’environ quatre-vingt mille hommes effectifs sur pied. La marine, anéantie depuis des siècles, rétablie un peu par le cardinal de Richelieu, fut ruinée sous Mazarin. Louis XIII n’avait qu’environ quarante-cinq millions réels de revenu ordinaire ; mais l’argent était à vingt-six livres le marc : ces quarante-cinq millions revenaient à environ quatre vingt-cinq millions de notre temps, où la valeur arbitraire du marc d’argent monnayé est poussée jusqu’à quarante-neuf livres et demie, celle de l’argent fin, à cinquante-quatre livres dix-sept sous ; valeur que l’intérêt public et la justice demandent qui ne soit jamais changée[11].

Le commerce, généralement répandu aujourd’hui, était en très-peu de mains ; la police du royaume était entièrement négligée, preuve certaine d’une administration peu heureuse. Le cardinal de Richelieu, occupé de sa propre grandeur attachée à celle de l’État, avait commencé à rendre la France formidable au dehors, sans avoir encore pu la rendre bien florissante au dedans. Les grands chemins n’étaient ni réparés ni gardés ; les brigands les infestaient ; les rues de Paris, étroites, mal pavées, et couvertes d’immondices dégoûtantes, étaient remplies de voleurs. On voit, par les registres du parlement, que le guet de cette ville était réduit alors à quarante-cinq hommes mal payés, et qui même ne servaient pas.

Depuis la mort de François II, la France avait été toujours ou déchirée par des guerres civiles, ou troublée par des factions. Jamais le joug n’avait été porté d’une manière paisible et volontaire. Les seigneurs avaient été élevés dans les conspirations ; c’était l’art de la cour, comme celui de plaire au souverain l’a été depuis.

Cet esprit de discorde et de faction avait passé de la cour jusqu’aux moindres villes, et possédait toutes les communautés du royaume : on se disputait tout, parce qu’il n’y avait rien de réglé ; il n’y avait pas jusqu’aux paroisses de Paris qui n’en vinssent aux mains ; les processions se battaient les unes contre les autres pour l’honneur de leurs bannières. On avait vu souvent les chanoines de Notre-Dame aux prises avec ceux de la Sainte-Chapelle : le parlement et la chambre des comptes s’étaient battus pour le pas dans l’église de Notre-Dame, le jour que Louis XIII mit son royaume sous la protection de la Vierge Marie[12].

Presque toutes les communautés du royaume étaient armées ; presque tous les particuliers respiraient la fureur du duel. Cette barbarie gothique, autorisée autrefois par les rois mêmes, et devenue le caractère de la nation, contribuait encore, autant que les guerres civiles et étrangères, à dépeupler le pays. Ce n’est pas trop dire que, dans le cours de vingt années dont dix avaient été troublées par la guerre, il était mort plus de gentilshommes français de la main des Français mêmes que de celle des ennemis.

On ne dira rien ici de la manière dont les arts et les sciences étaient cultivés ; on trouvera cette partie de l’histoire de nos mœurs à sa place. On remarquera seulement que la nation française était plongée dans l’ignorance, sans excepter ceux qui croient n’être point peuple.

On consultait les astrologues, et on y croyait. Tous les Mémoires de ce temps-là, à commencer par l’Histoire du président de Thou, sont remplis de prédictions. Le grave et sévère duc de Sully rapporte sérieusement celles qui furent faites à Henri IV. Cette crédulité, la marque la plus infaillible de l’ignorance, était si accréditée qu’on eut soin de tenir un astrologue[13] caché près de la chambre de la reine Anne d’Autriche au moment de la naissance de Louis XIV.

Ce que l’on croira à peine, et ce qui est pourtant rapporté par l’abbé Vittorio Siri, auteur contemporain très-instruit, c’est que Louis XIII eut dès son enfance le surnom de Juste, parce qu’il était né sous le signe de la balance.

La même faiblesse, qui mettait en vogue cette chimère absurde de l’astrologie judiciaire, faisait croire aux possessions et aux sortilèges : on en faisait un peint de religion ; l’on ne voyait que des prêtres qui conjuraient des démons. Les tribunaux, composés de magistrats qui devaient être plus éclairés que le vulgaire, étaient occupés à juger des sorciers. On reprochera toujours à la mémoire du cardinal de Richelieu la mort de ce fameux curé de Loudun, Urbain Grandier[14], condamné au feu comme magicien par une commission du conseil. On s’indigne que le ministre et les juges aient eu la faiblesse de croire aux diables de Loudun, ou la barbarie d’avoir fait périr un innocent dans les flammes. On se souviendra avec étonnement jusqu’à la dernière postérité que la maréchale d’Ancre fut brûlée en place de Grève comme sorcière[15].

On voit encore, dans une copie de quelques registres du Châtelet, un procès commencé en 1610, au sujet d’un cheval qu’un maître industrieux avait dressé à peu près de la manière dont nous avons vu des exemples à la Foire ; on voulait faire brûler et le maître et le cheval[16].

En voilà assez pour faire connaître en général les mœurs et l’esprit du siècle qui précéda celui de Louis XIV.

Ce défaut de lumière dans tous les ordres de l’État fomentait chez les plus honnêtes gens des pratiques superstitieuses qui déshonoraient la religion. Les calvinistes, confondant avec le culte raisonnable des catholiques les abus qu’on faisait de ce culte, n’en étaient que plus affermis dans leur haine contre notre Église. Ils opposaient à nos superstitions populaires, souvent remplies de débauches, une dureté farouche et des mœurs féroces, caractère de presque tous les réformateurs : ainsi l’esprit de parti déchirait et avilissait la France, et l’esprit de société, qui rend aujourd’hui cette nation si célèbre et si aimable, était absolument inconnu. Point de maisons où les gens de mérite s’assemblassent pour se communiquer leurs lumières ; point d’académies, point de théâtres réguliers. Enfin les mœurs, les lois, les arts, la société, la religion, la paix, et la guerre, n’avaient rien de ce qu’on vit depuis dans le siècle appelé le siècle de Louis XIV.


  1. Il n’y a plus dans ce moment (Juillet 1782) que huit électeurs, les deux électorats de la maison de Bavière étant réunis ; et de ces huit électeurs trois sont rois. (K.) — Les diverses éditions données du vivant de Voltaire portent dans le texte : les unes, quatre rois, les autres, trois rois, selon que l’électeur de Saxe était ou n’était pas roi de Pologne. Les trois autres rois-électeurs étaient ceux de Bohême, de Prusse (Brandebourg), d’Angleterre (Hanovre). L’empire d’Allemagne n’existe plus, voyez tome XIII, page 614 (Annales de l’Empire), note 1.-Beaucoup d’autres États de l’Europe ont subi des changements par suite de la Révolution française.
  2. Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations. (Note de Voltaire.) — Voyez tome XIII pages 46-51, et dans les Annales de l’empire, pages 565-574 du même volume.
  3. Voyez sur la situation de la Hollande à l’époque de Louis XIV, Macaulay, History of England, tome II, pages 399 et suivantes.
  4. Tome XIII, pages 61 et suivantes, chapitres CLXXIX et CLXXX de l'Essai sur les Mœurs, et ci-dessus la note, page 159.
  5. Voyez, au Dictionnaire philosophique, l’article Tolérance, section IV.
  6. Voyez l’article Taxe, dans le Dictionnaire philosophique.
  7. Essai sur les Mœurs, chapitre clxxxv. (Note de Voltaire.)
  8. Vers le milieu du règne de Louis XIV, les sciences ont été cultivées en Suisse. Ce pays a produit depuis quatre grands géomètres du nom de Bernouilli, dont les deux premiers appartiennent au siècle passé, et le célèbre anatomiste Haller. C’est actuellement une des contrées de l’Europe où il y a le plus d’instruction, où les sciences physiques sont le plus répandues, et les arts utiles cultivés avec le plus de succès. La philosophie proprement dite, la science de la politique, y ont fait moins de progrès ; mais leur marche doit nécessairement être plus lente dans de petites républiques que dans les grandes monarchies. (K.)
  9. Voltaire écrivait en 1751. Depuis lors le sort de la Pologne a subi bien des changements. Après deux partages, l’un en 1772, l’autre en 1795, ce qu’on appelle aujourd’hui le royaume de Pologne est réuni à la Russie, mai 1830. (B.)
  10. Voyez page 9.
  11. Comme dans la suite il sera souvent question de cette opération sur les monnaies, et que M. de Voltaire n’en a discuté les effets dans aucun de ses ouvrages, on nous pardonnera d’entrer ici dans quelques détails.

    La livre numéraire n’est qu’une dénomination arbitraire qu’on emploie pour exprimer une certaine partie d’un marc d’argent. Cette proposition : le marc d’argent vaut cinquante livres, est l’équivalent de celle-ci : j’appelle livre la cinquantième partie du marc d’argent. Ainsi un édit qui prononcerait que le marc d’argent vaudrait cent livres ne ferait autre chose que déclarer que, dans la suite, on donnera dans les actes le nom de livre à la centième partie du marc d’argent, au lieu de donner ce nom à la cinquantième. Cette opération est donc absolument indifférente en elle-même ; mais elle ne l’est pas dans ses effets.

    Il est d’un usage général d’exprimer en livres la valeur de tous les engagements pécuniaires ; si donc on change cette dénomination de livre, et qu’au lieu d’exprimer la cinquantième partie d’un marc d’argent, par exemple, elle n’en exprime que la centième, tout débiteur, en payant le nombre de livres quu’il s’est engagé de payer, ne donnera réellement que la moitié de ce qu’il devait.

    Ainsi ce changement, purement grammatical, devient l’équivalent du retranchement de la moitié des dettes ou des obligations payables en argent.

    D’où il résulte pour un État qui ferait une opération semblable :

    1° Une réduction de la dette publique à la moitié de sa valeur, ce qui est faire une banqueroute à cinquante pour cent de perte ;

    2° Une diminution de moitié dans ce que l’État paye en gages, en appointements, en pensions, ce qui fait une économie de moitié sur les places inutiles ou jugées telles, et une diminution sur les places utiles et trop payées : car on sent que, pour les places utiles, une augmentation de gages devient une suite nécessaire de cette opération ;

    3° Une diminution aussi de moitié dans les impôts qui ont une évaluation fixe en argent : on les augmente proportionnellement dans la suite ; mais cette augmentation se fait moins promptement que le changement des monnaies. Souvent un gouvernement faible a profité de cette circonstance pour faire, dans la forme des impôts, des changements qu’il n’aurait osé tenter directement ;

    4° Une perte de moitié pour les particuliers créanciers d’autres particuliers : injustice qu’on leur fait sans aucun avantage pour l’État ;

    5° Un mouvement dans les prix des denrées, qui dérange le commerce, parce que les denrées ne peuvent pas doubler de prix sur-le-champ, ni aussi promptement que l’argent.

    Ainsi cette opération est une manière de faire une banqueroute, et de manquer à ses engagements, qui entraîne de plus avec elle une injustice envers un très-grand nombre de citoyens, même de ceux qui ne sont pas créanciers de l’État, une secousse dans le commerce, et du désordre dans la perception des impôts.

    Mais si, dans quelque État de l’Europe, on établissait un système plus raisonnable sur les monnaies que celui qui est adopté chez presque toutes les nations, et qu’on fût obligé, pour donner à ce système plus de perfection et de simplicité, de changer la valeur de la livre numéraire, alors on éviterait les inconvénients dont nous venons de parler, et on se mettrait à l’abri de toute injustice en déclarant que tout ce qui devait être payé en livres anciennes ne pourrait être acquitté qu’en payant, non le même nombre de livres nouvelles, mais un nombre de ces livres qui représenterait un égal poids d’argent.

    Voici maintenant en quoi nous croyons que devraient consister les changements dans les monnaies :

    1° à rapporter toutes les évaluations en monnaies à un certain poids d’un seul des deux métaux précieux, à l’argent, par exemple, et à ne fixer aucun rapport entre la valeur de ce métal et celle de l’autre, de l’or par exemple. En effet, toute différence entre la proportion fixée et celle du commerce est une source de profit pour quelques particuliers, et de perte pour les autres ;

    2° À changer les dénominations et les monnaies, de manière que chaque monnaie répondît à un nombre exact des divisions de la livre numéraire et du marc d’argent, et que les divisions de la livre numéraire et celles du marc d’argent eussent entre elles des rapports exprimés par des nombres entiers et ronds. L’usage contraire a concentré entre un petit nombre de personnes la connaissance de la valeur réelle des monnaies, et dans tout ce qui a rapport au commerce, toute obscurité, toute complication est un avantage accordé au petit nombre sur le plus grand. On pourrait joindre à l’empreinte, sur chaque monnaie, un nombre qui exprimerait son poids, et sur celles d’argent (voyez no 1), sa valeur numéraire ;

    3o à faire les monnaies d’un métal pur : 1o parce que c’est un moyen de faciliter la connaissance du rapport de leur valeur avec celui des monnaies étrangères, et de procurer à sa monnaie la préférence dans le commerce sur toutes les autres ; 2o parce que c’est le seul moyen de parvenir à l’uniformité du titre des monnaies entre les différentes nations, uniformité qui serait d’un grand avantage. L’uniformité, dans un seul État, s’établit par la loi ; elle ne peut s’établir entre plusieurs que lorsque la loi ne s’appuie que sur la nature, et ne fixe rien d’arbitraire ;

    4o À ne prendre de profit sur les monnaies que ce qui est nécessaire pour faire la dépense de leur fabrique. Cette fabrique a deux parties : les opérations nécessaires pour préparer le métal à un titre donné, et celles qui réduisent le métal en pièces de monnaie. Ainsi on rendrait, pour cent marcs d’argent en lingots, cent marcs d’argent monnayé, moins le prix de l’essai et celui de leur conversion en monnaie. On rendrait pour cent marcs d’argent allié à un centième quatre-vingt, dix-neuf marcs d’argent monnayé, moins les frais nécessaires pour l’affiner et le réduire ensuite en monnaie.

    Ces moyens très-simples auraient l’avantage de rendre si clair tout ce qui regarde le commerce des matières d’or et d’argent, et la monnaie, que les mauvaises lois sur ce commerce, et les opérations pernicieuses sur les monnaies, deviendraient absolument impossibles. (K.)

  12. Les lettres patentes sont du 10 février 1638 ; ce fut le 15 août, jour de la procession, qu’eut lieu la bataille entre le parlement et la cour des comptes. Voyez l’Histoire du Parlement, chap. liii : « Combats à coups de poing du parlement avec la chambre des comptes dans l’église de Notre-Dame. »
  13. Il s’appelait Morin ; voyez le chapitre xxvi.
  14. Voyez le paragraphe ix du Prix de la justice et de l’humanité.
  15. « Et que le conseiller Courtin, interrogeant cette femme infortunée, lui demanda de quel sortilège elle s’était servie pour gouverner l’esprit de Marie de Médicis, que la maréchale lui répondit : « Je me suis servie du pouvoir qu’ont les âmes fortes sur les esprits faibles » ; et qu’enfin cette réponse ne servit qu’à précipiter l’arrêt de sa mort.

     » On voit encore », etc. Variante de l’Essai sur le Siècle de Louis XIV, dont il est parlé dans l’Avertissement de Beuchot.

  16. « Accusés tous deux de sortilèges. Dans cette disette d’arts, de police, de raison, de tout ce qui fait fleurir un empire, il s’élevait de temps en temps des hommes de talent, et le gouvernement se signalait par des efforts qui rendaient la France redoutable. Mais ces hommes rares et ces efforts passagers, sous Charles VIII, sous François Ier, à la fin du règne de Henri le Grand, servaient à faire remarquer davantage la faiblesse générale.

    « Ce défaut de lumières », etc. Variante de l’Essai sur le Siècle de Louis XIV. (B.)