Le Statuaire et la Statue de Jupiter

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Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinQuatrième partie : livres ix, x, xi (p. 29-32).

VI.

Le Statuaire & la Statuë de Jupiter.



Un bloc de marbre eſtoit ſi beau
Qu’un Statuaire en fit l’emplette.

Qu’en fera, dit-il, mon cizeau ?
Sera-t’il Dieu, table, ou cuvette ?

Il ſera Dieu : meſme je veux
Qu’il ait en ſa main un tonnerre.
Tremblez humains ; Faites des vœux ;
Voila le maiſtre de la terre.

L’artiſan exprima ſi bien
Le caractere de l’Idole,
Qu’on trouva qu’il ne manquoit rien
À Jupiter que la parole.

Meſme l’on dit que l’ouvrier
Eut à peine achevé l’image,
Qu’on le vid frémir le premier,
Et redouter ſon propre ouvrage.

À la foibleſſe du Sculpteur
Le Poëte autrefois n’en dut guere,

Des Dieux dont il fut l’inventeur
Craignant la haine & la colere.

Il eſtoit enfant en cecy :
Les enfans n’ont l’ame occupée
Que du continuel ſoucy
Qu’on ne fâche point leur poupée.

Le cœur ſuit aiſément l’eſprit :
De cette ſource eſt deſcenduë
L’erreur payenne qui ſe vid
Chez tant de peuples répanduë.

Ils embraſſoient violemment
Les intereſts de leur chimere.
Pigmalion devint amant
De la Venus dont il fut pere.

Chacun tourne en realitez
Autant qu’il peut ſes propres ſonges :

L’homme eſt de glace aux veritez,
Il eſt de feu pour les menſonges.