Le Système d’Aristote/Chapitre IX

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Texte établi par Léon RobinFélix Alcan (p. 128-152).

NEUVIÈME LEÇON


L’OPPOSITION DES CONCEPTS

Il y a, pour une philosophie conceptuelle, deux méthodes suivant lesquelles les concepts peuvent s’enchaîner. La première est la méthode analytique, par laquelle on retrouve dans une notion les éléments qu’elle suppose. C’est de cette méthode qu’Aristote a été le premier théoricien rigoureux. L’autre méthode ne pouvait être découverte, ni surtout être mise en pleine lumière, avant que Kant eût défini l’analyse et la synthèse. Le principe de cette méthode, dont les successeurs de Kant se sont avisés, est l’opposition des concepts. Quelque forme particulière qu’elle revête, elle doit toujours, en effet, revenir à faire remarquer qu’un concept ne se sépare pas d’un concept opposé, et à réunir les deux opposés dans une synthèse. L’opposition des concepts constitue donc, pour une philosophie conceptuelle qui emploie la méthode synthétique, une question capitale. On comprend en outre qu’une philosophie, qui, sans en concevoir nettement l’idée, aurait eu quelque soupçon de la méthode synthétique, n’aurait pu manquer de pressentir en même temps l’importance du problème de l’opposition des concepts. Platon, avec sa méthode de division, si inadéquate d’ailleurs à la tâche qu’il lui assigne, a eu le soupçon dont nous parlons ; car la différence est un opposé du genre, l’espèce, une synthèse des deux, et, par conséquent, c’est sans surprise que nous rencontrons chez lui, sinon une théorie générale de l’opposition, du moins l’esquisse, déjà très ferme, d’une doctrine solide et circonspecte touchant cette sorte capitale d’opposition qui s’appelle la contradiction. La position d’Aristote est bien différente. Il ne connaît pas d’autre enchaînement rationnel entre les concepts que l’enchaînement analytique. La principale raison qu’il y ait de méditer sur l’opposition des concepts n’existait donc pas pour lui. Cependant on trouve chez lui une théorie de l’opposition des concepts, qui, malgré ses imperfections, est considérable et à laquelle l’esprit humain paraît s’être tenu jusqu’au temps de Kant. D’une part, en effet, les Scolastiques se sont contentés sans doute de fixer la doctrine d’Aristote dans des formules encore plus arrêtées que les siennes. On peut voir, par exemple dans le Lexicon de Signoriello[1], qu’Albert le Grand ne fait que résumer très nettement, mais aussi très littéralement, Aristote. D’autre part Hamilton, pour qui la philosophie post-kantienne n’existe pas, mais qui possède, hors de là, une connaissance extrêmement étendue de la littérature logique, ne signale rien qui dépasse les vues d’Aristote, et la doctrine qu’il fait sienne n’est, en somme, qu’un appauvrissement de celle d’Aristote ; c’est celle d’Aristote réduite aux exigences de la logique formelle[2].

Comment donc Aristote a-t-il été amené à spéculer assez sur l’opposition des concepts, pour en donner une théorie qui a si longtemps régné et dont certaines parties méritent de durer encore ? Les raisons qui appelaient l’attention d’Aristote sur l’opposition sont, semble-t-il, au nombre de trois. D’abord les contraires, qui jouent un grand rôle dans la physique des Anté-socratiques, n’en jouent pas un moins considérable dans celle d’Aristote. Tout changement, selon lui, va d’un opposé à un autre, et notamment d’un contraire à un contraire. Il fallait donc, pour fonder sa théorie du changement, qu’il définît les opposés, et qu’il déterminât les rapports possibles des opposés entre eux, et aussi, dans le cas où il y en a, avec les termes intermédiaires. En second lieu, quelles que soient, quand on y regarde de près, les incertitudes de la doctrine sur ce point, Aristote a bien reconnu que le passage de l’un à l’autre des opposés est un procédé de la pensée, qui ne saurait se confondre avec aucun autre et qu’on ne saurait laisser passer inaperçu. Par différentes formules il a très fréquemment indiqué que la pensée ne peut séparer les opposés et qu’ils sont l’objet d’une seule et même connaissance. Il ne dit pas seulement, considérant une espèce d’opposés : « la science des contraires est une », mais, d’une manière tout à fait générale : « c’est à une seule et même science qu’il appartient de spéculer sur les opposés[3] ». Enfin la troisième raison est sans doute la principale. Le problème de l’attribution a été, pour plusieurs des Sophistes et pour deux ou trois des petites Écoles socratiques, une question capitale, pour ne pas dire la question capitale. Platon en avait senti toute l’importance, bien que la solution lui en parût facile et que les négations d’Antisthène lui semblassent des pauvretés (Soph. 251 b). Aristote connaît le problème comme son maître. Il parle d’Antisthène, qui voulait qu’on énonçât chaque chose séparément sans lui rapporter d’autre attribut que son concept propre[4]. Il mentionne dans la Physique l’embarras des derniers prédécesseurs de Socrate, du sophiste Lycophron notamment, en face de l’attribution ; car ces philosophes redoutent d’être obligés, en l’admettant, de professer qu’une même chose est à la fois une et plusieurs[5]. Devant l’impossibilité de l’attribution, toute spéculation fût du même coup devenue impossible. Il fallait donc qu’Aristote, dût-il pour cela se contenter de renouveler à sa façon les arguments de Platon, fît voir que l’attribution est possible. Nous ne disons pas qu’il était obligé, ni encore moins qu’il ait réussi, à montrer sur quoi se fonde, dans ce qu’elle a de positif, toute attribution non tautologique. Nous disons seulement qu’il lui fallait établir que l’attribution n’est pas impossible. Or, comme il nous l’indique lui-même dans le passage de la Physique que nous avons cité, les difficultés élevées contre la possibilité de l’attribution venaient de l’Éléatisme. Dans l’Éléatisme, elles venaient de la manière dont Parménide avait compris la contradiction. L’être est, disait-il, et tout ce qui est en dehors de lui, à un titre quelconque et en quelque sens que ce soit, tout cela est une négation absolue de l’être. Pour faire voir que l’attribution n’est pas impossible, Aristote était donc forcé de déterminer le sens de l’opposition contradictoire, et par suite il était même conduit à réfléchir sur l’opposition en général. Voilà pour quelles raisons nous trouvons chez lui toute une théorie de l’opposition.

En l’absence du περὶ ἀντικειμένων, dont il ne nous reste que bien peu de chose, les deux textes principaux relativement à cette théorie sont les chap. 10 et 11 des Catégories et le chap. 4 du livre Ι de la Métaphysique. Aux chap. 10 et 11, les ne sont plus, il est vrai, que ce qu’on a appelé les Post-prédicaments, et nous avons vu (p. 27) que les Post-prédicaments ne sont pas une partie intégrante du traité des Catégories, tel qu’Aristote l’avait primitivement écrit ou conçu. Mais le morceau qui nous intéresse porte tout à fait la marque aristotélicienne, et, si par hasard il n’était pas d’Aristote lui-même, il faudrait qu’il fût de Théophraste ou d’Eudème. On peut l’employer sans scrupule.

Il y a, nous dit Aristote, quatre sortes d’opposition : celle des relatifs, celle des contraires, celle de la privation et de l’habitude, celle de l’affirmation et de la négation. Le double et la moitié sont opposés comme des relatifs ; le mal et le bien, comme des contraires ; la cécité et la vue comme la privation et l’habitude ; « il est assis », « il n’est pas assis », comme l’affirmation et la négation[6]. Ce dénombrement des oppositions est, chez Aristote, classique et définitif. Il y a quatre oppositions, comme il y a dix catégories. Il est vrai cependant que le chap. 10 du livre Δ de la Métaphysique mentionne deux oppositions de plus : savoir celle du point de départ et du terme de la génération et de la corruption (ἐξ ὧν καὶ, εἰς ἃ ἔσχατα αἱ γενέσεις καὶ φθοραί), puis celle d’un contraire extrême et d’un intermédiaire, par exemple du blanc et du jaune. Mais la première de ces deux sortes d’oppositions se ramène facilement à la contradiction et la seconde, à la contrariété[7].

Parcourons successivement les quatre sortes d’opposition. — Sur l’opposition des relatifs, prise en elle-même, Aristote est toujours excessivement bref, et le chapitre de cette sorte d’opposition ne prend quelque étendue que quand on y rapporte les développements, qu’Aristote consacre ailleurs à montrer que l’opposition des contraires et celle de l’habitude et de la privation ne se ramènent point à celle-là. Cette brièveté se comprend du reste, au point de vue d’Aristote. En effet un relatif n’est ce qu’il est que par son corrélatif. Tout relatif se dit de son corrélatif, ou comme étant pour son corrélatif, ou, en général, comme se référant de quelque manière que ce soit à son corrélatif. Le double est le double de la moitié ; la connaissance est la connaissance du connaissable ; le connaissable est connaissable pour la connaissance[8]. Mais, si un relatif n’est ce qu’il est que par référence à son opposé, il est clair que l’opposition des deux corrélatifs ne fait qu’un avec leur nature. Il n’y a pas besoin d’établir que les corrélatifs sont des opposés : ils sont tels évidemment et par définition.

Passons à l’opposition des contraires. Pas plus que l’opposition de l’habitude et de la privation, comme nous le verrons ci-après, l’opposition des contraires ne se confond avec l’opposition des relatifs. D’abord, les choses qui s’opposent comme des contraires n’ont pas leur essence dans le rapport qu’elles soutiennent l’une avec l’autre. On dit bien que l’une est le contraire de l’autre ; on ne dit pas que l’une est ce qu’elle est, de l’autre, ou par rapport à l’autre ; on dit, par exemple, que le bien est le contraire du mal, que le blanc est le contraire du noir ; on ne dit pas que le bien est le bien du mal, ni que le blanc est le blanc du noir, comme on disait que le double est le double de la moitié[9]. En second lieu, les corrélatifs sont ontologiquement simultanés[10]. Il en est tout différemment des contraires : ils peuvent être l’un sans l’autre, ou quelquefois même ils s’excluent réciproquement : si tous les êtres animés se portent bien, alors il n’y a pas de place pour la maladie ; si Socrate se porte bien, il est impossible qu’il soit simultanément malade (Cat. 11, 14 a, 7-14). Voilà comment l’opposition des contraires se distingue de celle des corrélatifs ; nous verrons prochainement comment elle se distingue de l’opposition contradictoire et de l’opposition de l’habitude avec la privation. — Pour aller au fond de la nature de l’opposition de contrariété, voyons comment il faut définir les contraires. La définition la plus vague qu’on puisse donner des contraires est celle qui est présentée comme traditionnelle dans l’Éthique à Nicomaque, III, 8, 1108 b, 33 : « On appelle contraires des termes qui sont éloignés l’un de l’autre au maximum » (τὰ δὲ πλεῖστον ἀπέχοντα ἀλλήλων ἐναντία ὁρίζονται). Cette définition très extérieure est d’accord avec cette idée que le premier type de la contrariété doit être cherché dans l’espace[11]. Mais il est clair que le caractère d’éloignement maximum ne suffit pas à définir les contraires ; car, comme dit la Métaphysique (1, 4, 1055 a, 6 ; p. 135, n. 5), il n’y a point de contrariété entre des choses qui sont trop diverses, trop étrangères l’une à l’autre pour être comparables, entre des ἀσύμβλητα. Il faut donc chercher quelque chose de commun entre les deux contraires. Ce quelque chose de commun peut être l’identité de sujet[12]. Mais l’identité de sujet se ramène, en vertu de la parenté de la matière et du genre, à l’identité de genre. C’est bien celle-ci qu’Aristote va finir par faire entrer dans la définition des contraires. Toutefois il y a chez lui sur ce point, au moins avant l’époque, sans doute tardive, à laquelle il écrit le livre Ι de la Métaphysique, beaucoup d’hésitation. Simplicius nous dit[13] que, dans le περὶ ἀντικειμένων, Aristote examinait et redressait une vieille définition des contraires, ainsi conçue : ὅσα ἐν τῷ γένει πλεῖστον ἀλλήλων διαφέροντα. Puisque la correction d’Aristote a consisté, selon la remarque du commentateur, à remplacer ἐν τῷ γένει par ἐν τῷ γένει, les mots ἐν τῷ αὐτῷ γένει ne pouvaient signifier que ceci : pour que deux termes, très éloignés l’un de l’autre, soient des contraires, il faut qu’ils diffèrent le plus possible quant au genre. Autrement dit, des genres peuvent être contraires l’un à l’autre, le seul élément commun nécessaire pour qu’il y ait contrariété consistant seulement en ce que les opposés doivent être des genres de l’être, et non pas des termes d’un autre ordre que les genres, par exemple des termes transcendentaux comme l’être et le néant. Et de fait, nous lisons dans les Catégories et dans le livre Δ de la Métaphysique que les contraires peuvent appartenir à des genres différents[14]. Mais déjà dans les Catégories[15] Aristote donne la définition précise avec ἐν τῷ αὐτῷ γένει, et il la présente même comme traditionnelle ou usuelle. Enfin, dans la Métaphysique (Ι, 4 déb.), il identifie la contrariété avec la « différence » maxima, et il fait voir que la différence maxima est, du même coup, la différence parfaite ou complète (τελεία διαφορά) ; car il n’y a rien dans le genre au-delà de ce qui y est au maximum de distance[16]. Il n’y a nul doute que la définition ici donnée soit l’expression de la pensée définitive d’Aristote. Non seulement cela résulte de la date du livre Ι de la Métaphysique et du caractère de maturité qu’il présente[17] ; cela résulte encore de ce qu’Aristote nous laisse voir la raison et la source de la définition dont il s’agit. Il définit les contraires en vue de la physique et en fonction de considérations physiques[18]. Ainsi les termes qui s’opposent comme contraires, ce sont les extrêmes d’un même genre : pair et impair, blanc et noir. Ce sont là du moins les termes primitivement constitutifs de l’opposition de contrariété. Car il y a des oppositions dérivées, mais elles se fondent toujours sur la primitive[19]. L’opposition du jaune et du gris se fonderait sur ce que les deux termes renferment (τῷ ἔχειν), l’un, plus de clair, et l’autre, plus de sombre. Une autre sorte d’opposition de contrariété dérivée est celle dont parlent les Catégories (10, 13 b, 12-15) : Socrate est en santé, Socrate est malade. En passant, signalons tout de suite que, à propos de l’habitude et de la privation, il faudra reconnaître aussi, au-dessous de l’opposition primitive, des oppositions dérivées (Cat. 10, 12 b, 1-5 et 13 b, 22 sq.).

Le sens de l’opposition de l’habitude et de la privation dépend naturellement de la définition de l’habitude et de la privation. Aristote, dans le chap. 22 du livre Δ de la Métaphysique (jusqu’à 1022 b, 29), et même par voie d’allusion dans le chap. 4 du livre Ι (1055 b, 4 sq.), distingue trois conceptions de la privation : ne pas posséder un attribut susceptible d’être possédé, mais sans que le sujet soit fait pour le posséder : c’est en ce sens que la plante est privée d’yeux ; — ne pas posséder un attribut qu’on est fait, soi ou son genre, pour posséder : c’est en ce sens que l’homme aveugle d’une part, la taupe d’autre part (car la taupe appartient au genre animal), sont privés de la vue ; — ne pas posséder un attribut au temps et sous toutes les conditions dans lesquels on est fait pour le posséder. Il est clair que c’est la définition la plus précise qu’il faut choisir comme représentant véritablement la nature de la privation selon Aristote. Le type de l’opposition de l’habitude et de la privation c’est la cécité et la vue, dans un sujet fait pour jouir de la vue et à l’époque où il doit en jouir. — Mais le point capital, à propos de cette opposition, c’est de la distinguer des trois autres sortes d’opposition.

Pour ce qui est de la distinction d’avec l’opposition des relatifs, elle peut être brièvement exposée. On dit « le double de la moitié », on ne dit pas « la cécité de la vue », et, quand même cette expression serait de mise, il est sûr que sa réciproque « la vue de la cécité » serait toujours inacceptable, tandis qu’on dit également bien « le double de la moitié », « la moitié du double » (Cat. 10, 12 b, 16-25).

La différence entre l’opposition de l’habitude et de la privation et l’opposition contradictoire est déjà un peu plus compliquée. En premier lieu, il faut dire que l’opposition de l’habitude avec la privation, même quand il s’agit d’une privation du premier type (la plante privée de la vue), se distingue de la contradiction en ce qu’elle est une contradiction déterminée, une contradiction dans laquelle on ne considère pas seulement un prédicat et sa négation, mais où le prédicat et sa négation sont pris en tant qu’ils se rapportent à un certain sujet. Tandis que l’opposition contradictoire : « est assis », « n’est pas assis » peut exprimer un simple fait, l’affirmation ou la négation d’un prédicat accidentel, l’opposition de la vue avec la cécité tourne autour d’un sujet (στέρησις δὲ καὶ ἕξις λέγεται μὲν περὶ ταὐτόν τι κτλ. Cat. 10, 12 a, 26-29) dont on considère les exigences, même impossibles. Cette opposition est une contradiction qui ne se sépare pas de la nature du sujet (συνειλημμένη τῷ δεκτικῷ). Lorsqu’on dit que la plante est privée de la vue, on n’exprime pas sans doute l’absence d’un attribut que la plante devrait posséder, mais (telle semble être du moins la pensée d’Aristote) on n’exprime pas non plus la simple absence de la vue dans la plante, on exprime que cette absence est une limitation, une impuissance de sa nature ; et une imperfection, voulue par la nature d’un sujet, reste cependant une imperfection. Lorsque la privation est prise dans son sens propre, il est bien plus évident encore que ce qui s’oppose à l’habitude, ce n’est pas une simple négation, mais une négation qui contrarie les exigences du sujet[20]. En second lieu, l’habitude et la privation ne s’opposent pas entre elles, quant à la vérité, de la même manière que l’affirmation et la négation. Prenons une opposition dérivée entre l’habitude et la privation : « Socrate voit », « Socrate est aveugle ». Si le sujet n’existe pas, alors les deux opposés sont faux l’un comme l’autre. Si le sujet existe, il n’est pas nécessaire en tout temps qu’il possède l’un ou l’autre des opposés ; car, quand Socrate n’est pas encore fait pour posséder la vue (c’est-à-dire sans doute quand Socrate est encore un embryon), il ne possède pas la vue et on ne peut pas dire non plus qu’il en est privé. Dans l’opposition contradictoire, si le sujet existe, il faut en tout temps qu’il possède l’un ou l’autre des opposés : Socrate est ou n’est pas malade. Si le sujet n’existe pas, l’un des deux opposés est faux, l’autre vrai ; car, lorsque Socrate n’existe pas, il est faux que Socrate soit malade (Cat. 10, 13 b, 20-35).

C’est de l’opposition de contrariété qu’il est le plus difficile de distinguer l’opposition de l’habitude avec la privation. Certains contraires n’admettent pas entre eux de terme moyen ; dans ce cas, en tout temps, il faut que l’un ou l’autre appartienne au sujet : tels, par exemple, la santé et la maladie, le pair et l’impair. Certains autres contraires admettent entre eux des termes moyens ; dans ce cas, il n’est nécessaire en aucun temps que l’un ou l’autre des deux appartienne au sujet : ainsi il n’est jamais nécessaire qu’un sujet soit chaud ou froid, noir ou blanc, car il peut être tiède, ou jaune. Il n’y a à cette règle qu’une exception : il peut se faire, en effet, que l’un de ces contraires qui admettent entre eux des termes moyens soit indéfectiblement caractéristique d’un certain sujet ; ainsi le feu est toujours chaud et la neige est toujours blanche. — Ces manières d’être des contraires ne se retrouvent pas dans l’habitude et la privation. Il n’est pas nécessaire en tout temps que l’habitude ou la privation appartienne au sujet : cela n’est nécessaire que dans le temps où le sujet doit jouir de l’habitude. Donc le cas de l’habitude et de la privation n’est pas le même que celui des contraires qui n’admettent pas entre eux de terme moyen. — Mais l’habitude et la privation ne se comportent pas non plus comme les contraires qui admettent des termes moyens ; car, lorsque le temps est arrivé où le sujet doit jouir de l’habitude, alors il n’y a pas de milieu : il faut qu’il ait l’habitude ou la privation. — Reste le cas où un contraire appartient nécessairement à son sujet à l’exclusion de l’autre contraire, comme la chaleur au feu : rien de pareil pour l’habitude et la privation, car c’est toujours la privation ou l’habitude, indéterminément, et non celle-ci plutôt que celle-là, qui doit appartenir au sujet (Cat. 10, 12 b, 26-13 a, 17). — D’autre part, le devenir peut aller indifféremment de l’un des contraires à l’autre, du froid au chaud comme du chaud au froid ; mais le devenir va de l’habitude à la privation, et jamais de la privation à l’habitude : de chauve ou ne devient pas chevelu, et, quand on a perdu ses dents, on ne les retrouve plus (ibid. 13 a, 18-36). Ainsi l’opposition de la privation avec l’habitude se distingue de l’opposition de contrariété. — Il est vrai que dans certains cas la privation et l’habitude admettent un terme moyen. Mais ce ne sont plus l’habitude et la privation proprement dites et telles que nous les avons considérées. C’est cette espèce particulière d’habitude et de privation qui se confond avec les contraires (Métaph. Ι, 4, 1055 b, 8-11) ; c’est cette espèce d’habitude et de privation dont le sujet et la notion ne sont pas bien précisés. Par exemple l’homme peut n’être ni bon ni méchant : le bien et le mal appartiennent à des genres différents, et Aristote pense sans doute que sous l’idée d’homme sont compris les enfants encore sans raison, aussi bien que les adultes (voir ibid. 1055 b, 20 — fin du chap.).

Nous arrivons enfin à l’opposition de contradiction. On a déjà vu que, pour donner un exemple de cette espèce d’opposition, Aristote a pris un verbe à la troisième personne de l’indicatif, sans négation d’une part, et, de l’autre, avec légation : κάθηται, οὐ κάθηται. Pour la définir, il dit que les termes en sont opposés comme l’affirmation et la négation : ὡς κατάφασις καὶ ἀπόφασις (Cat. 10, 13 a, 37). Et il insiste en disant que les autres oppositions ont lieu entre des termes, sans liaison, ἄνευ συμπλοκῆς, tandis que la contradiction, l’ἀντίφρασις, est l’opposition de deux liaisons de termes, disons de deux propositions ou de deux jugements (ibid. b, 10). Voilà du moins ce que l’opposition de contradiction est primitivement. C’est seulement par dérivation qu’il y a opposition entre les termes ou choses, qui sont sous le discours affirmatif et le discours négatif, c’est-à-dire entre les concepts dans lesquels on peut substantifier l’affirmation et la négation : ainsi entre καθῆσται et μὴ καθῆσται, qui substantifient κάθηται et où οὐ κάθηται[21]. Toutefois Aristote se montre très prudent dans l’extension qu’il fait de l’opposition contradictoire des propositions aux termes. S’il passe sans hésitation des indicatifs aux infinitifs, il est très réservé quand il s’agit de passer aux substantifs. Il n’opposerait pas comme contradictoires ἄνθρωπος et οὐκ ἄνθρωπος : on sait qu’il appelle cette dernière expression un ὄνομα ἀόριστον, une expression indéfinie (Hermen. 2, 16 a, 30 ; cf. p. 163), tant il est loin d’y voir une négation précise de ἄνθρωπος. Il faut reconnaître cependant[22] qu’il étend à des termes substantifs la qualification d’opposés contradictoires ; car, dans la Physique par exemple (V, 3, 227 a, 7-10), il désigne sous le nom d’ἀντίφρασις l’opposition des points de départ et d’arrivée de la génération et de la corruption, qui sont l’être et le non-être. — Mais primitivement l’opposition contradictoire reste celle de deux jugements. Aussi a-t-elle pour caractère propre et privilégié de séparer le vrai du faux, l’un ou l’autre des deux opposés contradictoires étant vrai et l’autre faux (Cat. 10, 13 b, 33-35). Comme les relatifs, les contraires, les habitudes et les privations sont des termes et non des discours, il est impossible qu’ils soient vrais ou faux (ibid. b, 3-12). Mais il y a plus : lorsque les contraires, lorsque l’habitude et la privation prennent dans des oppositions dérivées l’aspect de discours, ils ne participent pas pour cela au privilège des contradictoires. Nous avons déjà vu (p. 138) que l’un de ces deux opposés : « Socrate est bien portant », « Socrate est malade », ou de ces deux autres : « Socrate voit », « Socrate est aveugle » n’est pas nécessairement vrai, pendant que l’autre serait faux (ibid. b, 12-27).

Nous venons de parcourir les quatre sortes d’opposition et nous avons vu combien Aristote s’applique à les distinguer. Mais, s’il les distingue, il reconnaît aussi entre elles une parenté. Le lien de parenté n’est pas dégagé dans les deux chapitres des Catégories. Malgré cela, les quatre oppositions sont exposées dans un ordre assurément voulu et considéré comme rationnel. La contradiction ou l’opposition des relatifs n’est pas mise au milieu des deux autres, et celles-ci ne sont pas placées au commencement ou à la fin. On commence par l’opposition des relatifs, on passe à celle des contraires, de là à celle de l’habitude avec la privation, pour aboutir à celle des contradictoires. Dans le chap. 4 du livre Ι de la Métaphysique, cette classification hiérarchique, dont on aperçoit alors tout le sens, est remplacée par l’indication expresse d’une filiation. L’opposition la plus absolue est celle des contradictoires. Celle de l’habitude avec la privation est une limitation de la précédente. Limitée à son tour, l’opposition de l’habitude avec la privation devient l’opposition de contrariété. C’est donc au dernier rang qu’il faut placer l’opposition des relatifs, et, si telle est forcément sa place, c’est assurément, dans la pensée d’Aristote bien qu’il ne le dise pas, parce que cette opposition est celle qui contient le moins de négation[23]. Ainsi pour Aristote chaque sorte d’opposition n’est pas quelque chose d’isolé. À ses vues pénétrantes sur chacune des oppositions il a joint une vue d’ensemble, qui est complexe en même temps qu’elle est ample, puisque la liste des oppositions n’est pas seulement une collection, mais un système.

Il nous reste à reconnaître les défauts et à faire ressortir les mérites et la portée de cette théorie considérable. La partie la plus faible qu’elle présente est assurément celle qui concerne l’opposition de l’habitude avec la privation. Cette sorte d’opposition ne se distingue pas sans peine de la contradiction, ni surtout de la contrariété.

Occupons-nous d’abord du premier point. Sans doute on ne saurait, en principe, maintenir trop énergiquement le privilège qu’Aristote a si justement attribué à l’opposition contradictoire, de partager le vrai et le faux. Sans doute encore il est exact que, si le sujet n’existe pas, les deux opposés « Socrate voit », « Socrate est aveugle » sont faux tous les deux, ou plutôt peut-être ne sont ni vrais ni faux. Mais le privilège de l’opposition contradictoire s’étend-il assez loin pour qu’on puisse dire que, des deux contradictoires « Socrate est malade » et « Socrate n’est pas malade », la seconde est vraie et la première fausse, quand le sujet n’existe pas ? Il n’y a guère de raison pour faire ici un sort différent à l’opposition des contradictoires et à celle de l’habitude avec la privation. Dans l’espèce, aucune des deux propositions contradictoires n’est ni vraie ni fausse, et par conséquent il n’y a pas lieu de chercher ici à distinguer entre les deux sortes d’opposition. — Toutefois ce défaut serait véniel. En voici un autre qui paraît plus grave. On a fait remarquer[24] que la privation au premier sens (la privation de la vue pour la plante) ne se distingue pas de la négation et que, par conséquent, toute différence entre l’opposition de l’habitude avec la privation, et l’opposition contradictoire tombe. Sans doute Aristote entend que, même dans ce, cas, le sujet entre en ligne de compte, que la contradiction est ici συνειλημμένη τῷ δεκτικῷ. Cependant, en tant que la plante est prise comme plante et non comme un sujet vague, capable en principe de recevoir, ou au moins de demander, tous les attributs positifs, toutes les perfections, la plante n’exclut pas moins d’elle la vue, que l’être tout parfait, univers ou Dieu, exclut le néant. La plante comme plante, telle qu’Aristote la définit (ce qui possède une âme végétative et jamais une âme sensitive), ne peut rien avoir de commun avec la vue. Il est donc juste de dire que l’opposition de l’habitude et de la privation ne se distingue pas ici de la contradiction. Assurément on pourra remarquer après cela que la plante comme plante n’est qu’une abstraction, parce que la plante n’est pas un être complet et fait partie d’un ensemble. Mais personne ne voudrait soutenir, et Aristote soutiendrait moins que personne, qu’on n’a pas le droit de considérer, sous les réserves voulues, une abstraction comme un être complet et d’admettre que, en un sens, tout ce qui est en dehors de cette abstraction est, quant à elle, négation pure ou néant.

Il n’importe pas d’ailleurs extrêmement que la privation au premier sens se distingue mal de la négation ; car la vraie privation est la privation au troisième sens. Celle-là se distingue de la négation. Mais par malheur, quand la privation est prise au troisième sens, c’est de l’opposition de contrariété que l’opposition de l’habitude et de la privation ne se distingue plus. Remarquons d’abord que, lorsqu’Aristote veut distinguer la contrariété de la privation, son argument le plus clair est un argument extérieur ; il recourt à une considération physique : il dit que les contraires sont cette espèce d’habitude et de privation qui constituent les extrêmes du mouvement (Métaph. Ι, 4, 1055 b, 11-15). Nous retrouverons d’ailleurs ce point tout à l’heure sous un aspect plus particulier. En second lieu, il y a de l’inconséquence dans l’une des allégations qu’Aristote apporte pour distinguer la privation de la contrariété. Il allègue, comme on a vu (p. 139), qu’une contrariété, c’est une opposition de privation et d’habitude qui admettrait des termes moyens, car quelquefois les contraires admettent entre eux des termes moyens ; et il ajoute qu’il y a place pour des termes moyens quand le sujet de l’habitude et de la privation n’est pas défini (Ibid. b, 3 sq. et 20-26). Mais il y a méprise : une opposition d’habitude et de privation, dont le sujet est indéfini, ne saurait être une contrariété, puisque le sujet d’une contrariété est défini. — Voici des difficultés plus graves[25]. Selon Aristote, ceux des contraires qui n’admettent pas de termes moyens s’excluent l’un l’autre en tout temps, tandis que l’habitude et la privation s’excluent seulement en un temps déterminé, savoir dans le temps où le sujet doit jouir de l’habitude. Mais, quand ce temps n’est pas arrivé, il ne peut être question ni d’habitude ni de privation, de sorte que la différence, indiquée par Aristote entre les contraires sans terme moyen et l’opposition de l’habitude et de la privation, s’évanouit. En second lieu, Aristote avance que, dans le temps où le sujet doit normalement jouir de l’habitude, il faut que le sujet ait l’habitude ou en soit privé, sans terme moyen possible, tandis que certains contraires admettent des termes moyens. Mais il n’est pas exact qu’il n’y ait jamais de terme moyen entre l’habitude et la privation : entre la vue et la cécité par exemple, il y a tous les degrés de l’amaurose. Ajoutons qu’Aristote a eu tort d’affirmer que jamais une habitude ne peut appartenir indéfectiblement à un sujet, comme le chaud au feu ou le blanc à la neige. Ailleurs en effet (De an. III, 13, 435 b, 4), il professe qu’il y a une sensibilité que l’animal ne peut perdre sans mourir, savoir la sensibilité tactile. Enfin il est inexact que le devenir ne puisse aller que de l’habitude à la privation : Chrysippe, en face de certains cas où la vue, après une disparition momentanée, était restaurée au moyen d’une ponction (παρακέντησις), se demandait s’il fallait appeler aveugles, pendant leur maladie, les malades qu’on pouvait ainsi guérir[26] ; quand l’homme perd ses dents de lait, une seconde dentition vient remplacer celle qui disparaît, etc. La nature est plus complexe que ne le suppose la doctrine d’Aristote sur l’opposition d’habitude avec la privation. Nous pouvons remarquer en passant que, dans sa théorie de l’opposition, on saisit un des vices généraux de la philosophie conceptuelle, telle qu’il en use. Il entreprend d’appliquer aux choses les plus concrètes les concepts abstraits de sa théorie de l’opposition. Il ne songe pas qu’il faudrait commencer par analyser et définir les choses concrètes, et il met sur le même pied, comme exemples de contraires, avec le pair et l’impair, la santé et la maladie. — Quoi qu’il en soit d’ailleurs de cette remarque, il est certain que l’opposition de l’habitude avec la privation se distingue très mal de la contradiction et surtout de la contrariété. À vrai dire, il faut supprimer cette sorte d’opposition pour ne laisser subsister que l’opposition des relatifs, celle des contraires et celle des contradictoires.

Peut-être même faut-il supprimer une distinction de plus. Car il semble que les contraires se ramènent aux corrélatifs et que l’opposition de relation, prenant une importance qu’Aristote n’a pas soupçonnée, doit être regardée comme le type et l’élément fondamental de toute espèce d’opposition. Selon Aristote, on ne dit pas « la vue de la cécité », ni « le blanc du noir », tandis qu’on peut dire « le double de la moitié », ou réciproquement, et aussi « le connaissable pour la connaissance ». La différence vient, dans la pensée d’Aristote, de ce que les deux corrélatifs sont réels tous les deux, et l’un autant que l’autre, alors que l’un des contraires est négatif. Si l’on dresse, dit-il, une table de contraires, on s’aperçoit que l’une des colonnes ou séries d’opposés n’est que la privation de l’autre série : τῶν ἐναντίων ἡ ἑτέρα συστοιχία στέρησις (Métaph. Γ, 2, 1004 b, 27). Mais Aristote contredit ailleurs cette doctrine : dans le De generatione et corruptione (II, 2, 329 b, 24) il reconnaît au froid et au sec un pouvoir positif d’agir ; dans le De partibus animalium (II, 3, 649 a, 18) il convient que, dans certains cas, le froid est une nature et non une privation[27]. Du reste, c’est parce que les contraires sont réels tous les deux, que la contrariété ne se confond pas avec la contradiction. Si les deux contraires sont réels, les différences de langage invoquées par Aristote ne peuvent plus être de très grande conséquence. La preuve d’ailleurs qu’il ne faut pas s’y fier, c’est que certains opposés, qu’Aristote range parmi les contraires, se laissent appliquer les mêmes formes de langage que les corrélatifs. Aristote serait obligé de déployer beaucoup de subtilités peu solides pour nous empêcher de dire « le droit du gauche » et « le bas du haut ». — Cependant il s’en faut, aux yeux d’Aristote, que, pour ramener les contraires aux corrélatifs, ce soit assez d’avoir établi que la seconde série des contraires a, comme l’autre, de la réalité. Car cette réalité des seconds contraires, on peut soutenir qu’elle n’est pas analogue à celle des corrélatifs qui répondent aux relatifs. Un commentateur des Catégories qui se plaisait à faire des objections, Nicostrate[28], avait bien cru s’apercevoir que les contraires, comme les corrélatifs, s’introduisent l’un l’autre dans la pensée et que, dès lors, il n’y a plus entre les uns et les autres de différence radicale. À cela Simplicius répond que Nicostrate a confondu les contraires, en tant qu’il y a entre eux contrariété, avec la réalité qui est sous les contraires. Autrement dit, dans l’opinion de Simplicius, les contraires sont des corrélatifs quant à la forme, mais non quant à la matière, quant au contenu qui est sous cette forme[29]. Cette réponse de Simplicius nous apparaîtra comme l’expression fidèle de la pensée d’Aristote pour peu que nous nous reportions aux Catégories[30]. Mais, dans l’espèce, la pensée d’Aristote est peu conforme aux principes qui d’ordinaire la dirigent. En effet cette séparation de la contrariété et de son contenu rappelle les abstractions violentes dans lesquelles se complaisent les partisans de la logique formelle ou du formalisme kantien, et elle ouvre la porte aux difficultés qu’amènent après elles ces deux manières de voir. Pourquoi appliquer la forme de la contrariété au noir et au blanc, si rien ne prédestine le noir et le blanc à recevoir cette forme ? Il faut donc, en bonne doctrine aristotélicienne, comme aussi en vérité, que le noir et le blanc, et en général tous les contraires, soient jusqu’au fond imprégnés de contrariété, que le contenu de chacun deux ne se comprenne que par le contenu de son opposé. Si cette conclusion est juste, nous avons réussi cette fois à ramener, quant à son élément générique, la contrariété à la corrélation. — De là suivent des conséquences importantes. Il ne reste plus en présence que deux sortes d’opposition : la corrélation et la contradiction. Or, cela étant, la corrélation devient l’élément fondamental et partout présent de l’opposition. En effet ce rôle ne peut être joué par la contradiction ; car, si l’on prend en eux-mêmes des termes contradictoires, ils apparaissent comme entièrement isolés l’un de l’autre, et on ne comprend pas comment une pareille opposition est en même temps une liaison. Au contraire on comprend que, si c’est une loi fondamentale de la pensée que dépasser d’un corrélatif à l’autre, la pensée puisse épuiser progressivement toutes les corrélations, jusqu’à ce que cette loi expire enfin dans une dernière corrélation où l’un des corrélatifs est la négation pure et simple de l’autre. De cette façon l’idée d’Aristote se trouve conservée, que les oppositions forment un système : le système est seulement réduit à deux articles principaux. — L’opposition de corrélation peut et doit d’ailleurs se subdiviser autant que besoin est. Car cette opposition est infiniment plus souple et plus complexe qu’Aristote ne l’a cru. S’il est vrai, comme il l’a bien vu, que les corrélatifs ne sont que l’un par rapport à l’autre, il faut se garder de prendre dans un sens trop étroit la proposition, qu’il a d’ailleurs entourée lui-même de quelques restrictions prudentes, que les corrélatifs sont simultanés par nature (Cat. 7, 7 b, 15 ; cf. p. 133, n. 2). Cela ne peut pas signifier que les corrélatifs existent toujours dans le même temps, ni même qu’ils possèdent toujours autant de réalité l’un que l’autre. Aristote a bien soin de ne pas compter parmi les relatifs l’antérieur et le postérieur ; cependant il est clair que c’est là une séparation artificielle et qu’il n’y a d’avant et d’après que par corrélation. D’autre part des termes comme la cause et l’effet, et en général la conditionc et le conditionné, sont des corrélatifs, et cependant la relation même qui les lie signifie que l’un dépend de l’autre.

Il ne nous reste plus à examiner dans la théorie aristotélicienne de l’opposition que ce qui concerne l’opposition contradictoire. Sur ce point capital Aristote, avec l’aide de Platon il faut le reconnaître, s’est élevé à la vérité définitive. On doit seulement bien comprendre sa doctrine. Suivant une manière de voir encore très répandue et qu’on trouvera exposée par exemple dans la Logique de Renouvier[31], un terme contradictoire par rapport à un terme donné est simplement celui qui est autre. Il est vrai que Renouvier ajoute « sous un même rapport ». Mais cette addition, qui rend la formule à peu près juste, n’empêche pas la première base de cette formule d’être tout à fait vicieuse. Or, s’il fallait en croire Zeller, c’est sur une pareille base qu’Aristote aurait assis sa définition du contradictoire. « Si deux concepts diffèrent aussi complètement que possible, dit Zeller (p. 214), ils sont opposés à titre de contraires ; s’il se trouve simplement que l’un n’est pas ce qu’est l’autre (die blosse Verschiedenheit), ils sont opposés comme contradictoires ». — Autant dire qu’Aristote a défini la contradiction exactement de la même manière que Parménide. Car, pour Parménide, tout ce qui est, en quelque sens que ce soit, autre qu’une notion contredit cette notion : tout ce qui est autre que l’être est non-être, et par non-être il faut entendre quelque chose qui nie l’être, quelque chose qui le contredit. Platon reçoit de Parménide cette expression : le non-être, et il lui fait signifier, comme Parménide, tout ce qui est en dehors de l’être. Mais il a bien soin de distinguer, dans l’extension du non-être, un terme qui serait un opposé absolu de l’être, opposé absolu dont il ne s’occupe pas (Soph. 258 e, 258 a-b) ; il a bien soin de distinguer, parmi les genres qui sont à part les uns des autres, ceux qu’on ne pourrait réunir sans contradiction (ibid. 255 e, 252 d) et, à l’encontre des termes contradictoires ainsi dégagés, il fait ressortir les termes qui sont simplement autres. Il a donc été loin de confondre l’autre avec le contradictoire et de définir le second par le premier. Si, pour désigner l’opposé absolu de l’être, il emploie le mot ἐναντίον, c’est peut-être simplement que son vocabulaire est encore insuffisant et qu’il n’a pas de mot pour signifier le contradictoire en le distinguant du contraire. Quand même d’ailleurs il aurait pensé qu’un opposé absolu est un contraire, resterait toujours qu’il a mis tous ses soins à marquer une différence radicale entre ce qui s’oppose absolument à un terme donné et ce qui est seulement autre que ce terme. — Il eût été bien étrange qu’Aristote ne tînt pas compte d’indications si pénétrantes et si nettes. La vérité est qu’il les a mises à profit et qu’il a défini le contradictoire exactement dans le même esprit que son maître, sauf à employer un langage encore plus précis. D’abord, il évite toute confusion entre l’ἐναντίωσις et l’ἀντίφρασις. Entre autres preuves qui établissent cela, on en trouvera une particulièrement manifeste dans le fait que les mouvements proprement dits sont définis chez lui par la contrariété, tandis que la génération et la corruption sont définies par la contradiction. Mais nulle part Aristote n’apparaît mieux comme le continuateur magistral de la pensée de Platon sur la contradiction, que dans la manière dont il présente et dénomme cette sorte d’opposition. Certes il pouvait chercher la contradiction dans une opposition entre des termes. Pourtant il est sûr qu’il a trouvé le moyen d’être plus net, en procédant autrement. Le terme οὐκ ἄνθρωπος lui a semblé ambigu, comme à Platon le terme μὴ ὄν. C’est pourquoi il a placé le siège primitif de la contradiction dans les propositions et donné à ce genre d’opposition le nom qu’elle a conservé, sauf transcription, ἀντίφρασις. En disant que les contradictoires s’opposent comme l’affirmation et la négation, il faisait ressortir, d’une façon si forte qu’elle semblait rendre impossibles toutes les méprises, le fait que de deux contradictoires l’un est la négation absolue de l’autre. Une telle manière de présenter les contradictoires ne ressemble en rien, on en conviendra, à celle que Zeller a mise au compte d’Aristote, à une définition de la contradiction par l’altérité.

Cette définition, encore une fois, était précisément l’erreur et le danger qu’il fallait éviter à tout prix. — Que cette définition soit une erreur, c’est ce qui résulte indirectement de ses conséquences absurdes, de ce que nous appelons le danger de la définition, point sur lequel nous reviendrons tout à l’heure. On voit aussi, directement, qu’être autre qu’une certaine notion et nier cette notion, ce sont choses fort différentes. D’abord il y a, à côté d’une notion, pour ainsi dire, une foule d’autres notions qui jamais ne pourront lui être attribuées et qui cependant ne la nient pas et qu’elle ne nie pas. Tel est le cas des notions coordonnées et, par exemple, des différences en nombre quelconque qui, à un certain moment de la pensée, s’ajoutent simultanément à un même genre pour constituer autant d’espèces qu’il y a de différences. Ces différences sont autres les unes que les autres ; mais, si elles s’excluent, ce n’est pas comme l’affirmation et la négation. Prenons ensuite le cas de notions hiérarchisées. Les notions les moins complexes s’opposent aux plus complexes ; mais il n’y a pas entre elles de contradiction : il y en a si peu que les moins complexes entreront dans les plus complexes comme leurs éléments. À regarder les choses de ce point de vue, on voit qu’un terme contradictoire n’apparaîtra qu’au sommet, ou plutôt au-delà du sommet de la hiérarchie. Car, après avoir épuisé la série des affirmations, il ne restera plus que la négation, au delà de l’être, le néant, qu’on ne peut poser qu’en niant l’être, puisque le néant n’a point de contenu qui lui soit propre. Ainsi l’altérité et la contradiction ne s’identifient pas. Ce qui fait qu’on les confond trop souvent c’est que, par abstraction, toute notion, si incomplète qu’elle soit, peut se poser comme complète, et, à ce titre, faire considérer tout ce qui est autre qu’elle comme un néant par rapport à elle, comme quelque chose qui n’est conçu que par négation d’elle. Mais remarquons bien que c’est seulement en tant qu’on a fermé la notion, en tant qu’on en a fait un univers et un absolu, que ce qui est autre qu’elle est devenu une négation d’elle, quelque chose donc qu’il est désormais interdit d’affirmer d’elle : le cheval en tant que cheval ne court pas, et, s’il est entendu qu’on parle du cheval en tant que cheval, on se contredit en prononçant que le cheval court ; car le courir c’est, par rapport au cheval en tant que cheval, quelque chose qui est non-cheval, et rien de plus ni de moins. Mais, avant qu’on eût fermé la notion de cheval, le courir était, par rapport à elle, de l’autre, et non du contradictoire. Avec de l’autre on peut, en fermant une notion, faire du contradictoire : mais l’autre n’est pas, par lui-même, du contradictoire, et par conséquent il ne saurait servir à définir le contradictoire. — Arrivons au danger que présente une telle manière de définir le contradictoire.

Si une notion est contredite par tout ce qui est autre qu’elle, alors il est clair que toute attribution devient impossible. On peut dire qu’il y a trois sortes de jugement non tautologiques. Il y a d’abord le jugement analytique proprement dit, celui qui procède, non par une répétition, mais par une décomposition du sujet. Ensuite il est permis de distinguer deux espèces de jugements synthétiques. Les uns ajoutent au sujet un prédicat non compris dans l’essence du sujet, comme lorsqu’on dit : « le cheval court », « la maison est blanche ». Les autres prennent pour sujet, au lieu d’une notion définie, une ébauche de notion, une sorte d’x, un nom sans contenu, et ils poursuivent la constitution de la notion du sujet en enrichissant d’attributs nouveaux cette notion ébauchée. Aucune de ces trois sortes de jugement non tautologique n’est possible, si tout ce qui est autre est contradictoire. D’autre part, et plus évidemment encore s’il est possible, toute conciliation des contraires est impossible ; car le contraire est de l’autre et, pour ainsi dire, plus que de l’autre.

Avec la théorie d’Aristote, non seulement toute erreur est redressée, mais tous les dangers disparaissent. En ce qui touche à la conciliation des contraires, il y a peu de chose à dire : Aristote en fait disparaître l’impossibilité et c’est un grand point ; cependant on peut aller jusqu’à affirmer qu’il sait concilier les contraires régressivement dans le genre, et progressivement en composant avec les contraires extrêmes, tels que le noir et le blanc, des termes moyens comme les couleurs. — Relativement à l’attribution, il y aurait à dire beaucoup plus. On ne peut pas lui demander d’avoir connu la constitution progressive des essences par synthèse des attributs : c’était déjà beaucoup que d’avoir renversé une théorie de la contradiction qui aurait déclaré ou supposé une telle entreprise contradictoire et impossible. Quant aux jugements qui rapportent à un sujet un prédicat non essentiel, du moment que chaque notion n’était pas fermée et qu’il pouvait y avoir, grâce à cela, des relations de causalité entre les choses, on entrevoyait la possibilité de jugements tels que : « cette pierre est chaude ». Mais c’est surtout la possibilité des jugements analytiques, des jugements par décomposition, que la théorie aristotélicienne de la contradiction permettait de concevoir pleinement. Une fois que les genres se sont synthétiquement combinés, opération dont ni Platon ni Aristote n’expliquent, il est vrai, la partie positive, rien de plus légitime et de plus rationnel, dans la doctrine d’Aristote, que de défaire cette opération. Une essence n’est pas, au moins en règle générale, une unité absolue qu’on ne peut que mettre en équation avec elle-même. Il n’y a nulle contradiction à dire qu’un animal est une substance animée sensitive, ou que deux est 1 + 1. Si la communication des genres ne se construit pas a priori, elle se constate et s’analyse a posteriori.


  1. Signoriello, Lexicon peripateticum philosophico-theologicum, in quo scholasticorum distinctiones et effata praecipua explicantur (Éd. de 1881), p. 69 sq.
  2. Lectures on logic, Lect. XII, II 42, I, 213-216 (2e éd., Mansel et Veitch, 1866).
  3. τῶν ἐναντίων μία ou ἡ αὐτὴ ἐπιστήμη — μιᾶς ἐπιστήμης τὰντικείμενα θεωρῆσαι. Cf. Bonitz, Ind. 247 a, 43 et 64 a, 27.
  4. Métaph. Δ, 30, 1024 b, 32 : διὸ Ἀντισθένης ᾤετο εὐήθως, μηδὲν ἀξιῶν λέγεσθαι πλὴν τῷ οἰκείῳ λόγῳ ἓν ἐφ’ ἑνός… Cf. Η, 3, 1043 b, 23-28.
  5. Phys. I, 2, 185 b, 25 : ἐθορυβοῦντο δὲ καὶ οἱ ὕστεροι τῶν ἀρχαίων ὅπως μὴ ἅμα γένηται αὐτοῖς τὸ αὐτὸ ἓν καὶ πολλά. διὸ οἱ μὲν τὸ ἐστὶν ἀφεῖλον, ὥσπερ Λυκόφρων, οἱ δὲ τὴν λέξιν μετερρύθμιζον, ὅτι ὁ ἄνθρωπος οὐ λευκός ἐστιν ἀλλὰ λελεύκωται, οὐδὲ βαδίζων ἐστὶν ἀλλὰ βαδίζει, ἵνα μή ποτε τὸ ἐστὶ προσάπτοντες πολλὰ εἶναι ποιῶσι τὸ ἕν, ὡς μοναχῶς λεγομένου τοῦ ἑνὸς ἢ τοῦ ὄντος. Cf. Métaph. Η, 6, 1045 b, 7 sqq. et Bonitz, ad loc.
  6. Cat. 10, 11 b, 17 : λέγεται δὲ ἕτερον ἑτέρῳ ἀντικεῖσθαι τετραχῶς, ἢ ὡς τὰ πρός τι, ἢ ὡς τὰ ἐναντία, ἢ ὡς στέρησις καὶ ἕξις, ἢ ὡς κατάφασις καὶ ἀπόφασις. ἀντίκειται δὲ ἕκαστον τῶν τοιούτων, ὡς τύπῳ εἰπεῖν, ὡς μὲν τὰ πρός τι, οἷον τὸ διπλάσιον τῷ ἡμίσει, ὡς δὲ τὰ ἐναντία, οἷον τὸ κακὸν τῷ ἀγαθῷ, ὡς δὲ κατὰ στέρησιν καὶ ἕξιν, οἷον τυφλότης καὶ ὄψις, ὡς δὲ κατάφασις καὶ ἀπόφασις οἷον κάθηται — οὐ κάθηται.
  7. Cf. Bonitz, Métaph. II, ad loc., p. 247 ; et plus haut : « … tot esse genera [sc. oppositionum] tamquam certum et exploratum ponit pariter ac causarum vel categoriarum numerum »
  8. Cat. 10, 11 b, 24 : ὅσα μὲν οὖν ὡς τὰ πρός τι ἀντίκειται, αὐτὰ ἅπερ ἐστὶ τῶν ἀντικειμένων λέγεται ἢ ὁπωσοῦν ἄλλως πρὸς αὐτά, οἷον τὸ διπλάσιον, αὐτὸ ὅπερ ἐστίν διπλάσιον λέγεται· τινὸς γὰρ διπλάσιου. καὶ ἡ ἐπιστήμη δὲ τῷ ἐπιστητῷ ὡς τὰ πρός τι ἀντίκειται, καὶ λέγεταί γε ἡ ἐπιστήμη αὐτὸ ὅπερ ἐστὶ τοῦ ἐπιστητοῦ. καὶ τὸ ἐπιστητὸν δὲ αὐτὸ ὅπερ ἐστὶ πρὸς τὸ ἀντικείμενον λέγεται, τὴν ἐπιστήμην· τὸ γὰρ ἐπιστητὸν τινὶ λέγεται ἐπιστητὸν, τῇ ἐπιστήμῃ.
  9. Ibid. b, 32 : ὅσα οὖν ἀντίκειται ὡς τὰ πρός τι, αὐτὰ ἅπερ ἐστὶν ἑτέρων λέγεται ἢ ὁπωσδήποτε πρὸς ἄλληλα λέγεται. τὰ δὲ ὡς τὰ ἐναντία, αὐτὰ μὲν ἅπερ ἐστὶν οὐδαμῶς πρὸς ἄλληλα λέγεται, ἐναντία μέντοι ἀλλήλων λέγεται· οὔτε γὰρ τὸ ἀγαθὸν τοῦ κακοῦ λέγεται ἀγαθόν, ἀλλ’ ἐναντίον, οὔτε τὸ λευκὸν τοῦ μέλανος λευκόν, ἀλλ’ ἐναντίον.
  10. Ibid. 7, 7 b, 15 : δοκεῖ δὲ τὰ πρός τι ἅμα τῇ φύσει εἶναι… Cf. infra, p. 147.
  11. Cat. 6, 6 a, 12 : μάλιστα δὲ ἡ ἐναντιότης τοῦ ποσοῦ περὶ τὸν τόπον δοκεῖ ὑπάρχειν. τὸ γὰρ ἄνω τῷ κάτω ἐναντίον τιθέασι, τὴν πρὸς τὸ μέσον χώραν κάτω λέγοντες διὰ τὸ πλείστην τῷ μέσῳ διάστασιν πρὸς τὰ πέρατα τοῦ κόσμου εἶναι. ἐοίκασι δὲ καὶ τὸν τῶν ἄλλων ἐναντίων ὁρισμὸν ἀπὸ τούτων ἐπιφέρειν…
  12. Ibid. 11, 14 a, 15 : δῆλον δὲ ὅτι καὶ περὶ ταὐτὸν ἢ εἴδει ἢ γένει πέφυκε γίνεσθαι τὰ ἐναντία. νόσος μὲν γὰρ καὶ ὑγίεια ἐν σώματι ζῴου, λευκότης δὲ καὶ μελανία ἁπλῶς ἐν σώματι, δικαιοσύνη δὲ καὶ ἀδικία ἐν ψυχῇ ἀνθρώπου..
  13. Fr. 115 (Rose), 1497 b, 3-14 (de son commentaire des Catégories, 387, 21, 27, éd. Kalbfleisch). Sur le περὶ ἀντικειμένων, voir supra.
  14. Métaph. Δ, 10, 1018 a, 25 : ἐναντία λέγεται τά τε μὴ δυνατὰ ἅμα τῷ αὐτῷ παρεῖναι τῶν διαφερόντων κατὰ γένος, καὶ τὰ πλεῖστον διαφέροντα τῶν ἐν τῷ αὐτῷ γένει, καὶ τὰ πλεῖστον διαφέροντα τῶν ὑπὸ τὴν αὐτὴν δύναμιν [comme exemple de contraires de cet ordre, on pourrait citer la santé et la maladie], καὶ ὧν ἡ διαφορὰ μεγίστη ἢ ἁπλῶς ἢ κατὰ γένος ἢ κατ’ εἶδος. Cat. 11, 14 a, 19 : ἀνάγκη δὲ πάντα τὰ ἐναντία ἢ ἐν τῷ αὐτῷ γένει εἶναι ἢ ἐν τοῖς ἐναντίοις γένεσιν, ἢ αὐτὰ γένη εἶναι. λευκὸν μὲν γὰρ καὶ μέλαν ἐν τῷ αὐτῷ γένει (χρῶμα γὰρ αὐτῶν τὸ γένος), δικαιοσύνη δὲ καὶ ἀδικία ἐν τοῖς ἐναντίοις γένεσιν (τοῦ μὲν γὰρ ἀρετή, τοῦ δὲ κακία τὸ γένος)· ἀγαθὸν δὲ καὶ κακὸν οὐκ ἔστιν ἐν γένει, ἀλλ’ αὐτὰ τυγχάνει γένη τινῶν ὄντα.
  15. Cat. 6, 6 a, 17 (à la suite du texte cité p. 134, n. 1) : τὰ γὰρ πλεῖστον ἀλλήλων διεστηκότα τῶν ἐν τῷ αὐτῷ γένει ἐναντία ὁρίζονται.
  16. ἐπεὶ δὲ διαφέρειν ἐνδέχεται ἀλλήλων τὰ διαφέροντα πλεῖον καὶ ἔλαττον, ἔστι τις καὶ μεγίστη διαφορά, καὶ ταύτην λέγω ἐναντίωσιν. Cf. un peu plus bas, 1055 a, 10-16, la définition de la τελεία διαφορά.
  17. Voir Zeller, p. 215, milieu (n. 4 de la p. 214).
  18. Métaph. Ι, 4, 1055 a, 6 : τὰ μὲν γὰρ γένει διαφέροντα οὐκ ἔχει ὁδὸν εἰς ἄλληλα, ἀλλ’ ἀπέχει πλέον καὶ ἀσύμβλητα· τοῖς δ’ εἴδει διαφέρουσιν αἱ γενέσεις ἐκ τῶν ἐναντίων εἰσὶν ὡς ἐσχάτων… Cf. b, 11.
  19. Ibid., a, 35 : τὰ δ’ ἄλλα ἐναντία κατὰ ταῦτα λεχθήσεται, τὰ μὲν τῷ ἔχειν, τὰ δὲ τῷ ποιεῖν ἢ ποιητικὰ εἶναι, τὰ δὲ τῷ λήψεις εἶναι καὶ ἀποβολαὶ τούτων ἢ ἄλλων ἐναντίων.
  20. Métaph. I, 4, 1055 b, 3 : ἡ δὲ στέρησις ἀντίφασίς τίς ἐστιν· ἢ γὰρ τὸ ἀδύνατον ὅλως ἔχειν, ἢ ὃ ἂν πεφυκὸς ἔχειν μὴ ἔχῃ, ἐστέρηται ἢ ὅλως ἢ πὼς ἀφορισθέν· πολλαχῶς γὰρ ἤδη τοῦτο λέγομεν, ὥσπερ διῄρηται ἡμῖν ἐν ἄλλοις [allusion, soit à la διαίρεσις ou ἐκλογὴ τῶν ἐναντίων, à laquelle Aristote renvoie 3, 1054 a, 30 ou Γ, 2, 1004 a, 2, soit à Δ, 22 ; cette dernière référence est seule indiquée par Bonitz, Metaph., p. 433]. ὥστ’ ἐστὶν ἡ στέρησις ἀντίφασίς τις ἢ ἀδυναμία διορισθεῖσα ἢ συνειλημμένη τῷ δεκτικῷ
  21. Cat. 10, 12 b, 6 : οὐκ ἔστι δὲ οὐδὲ τὸ ὑπὸ τὴν ἀπόφασιν καὶ κατάφασιν ἀπόφασις καὶ κατάφασις· ἡ μὲν γὰρ κατάφασις λόγος ἐστὶ καταφατικὸς καὶ ἡ ἀπόφασις λόγος ἀποφατικός, τῶν δὲ ὑπὸ τὴν κατάφασιν ἢ ἀπόφασιν οὐδέν ἐστι λόγος. λέγεται δὲ καὶ ταῦτα ἀντικεῖσθαι ἀλλήλοις ὡς κατάφασις καὶ ἀπόφασις· καὶ γὰρ ἐπὶ τούτων ὁ τρόπος τῆς ἀντιθέσεως ὁ αὐτός. ὡς γάρ ποτε ἡ κατάφασις πρὸς τὴν ἀπόφασιν ἀντίκειται, οἷον τὸ κάθηται τῷ οὐ κάθηται, οὕτω καὶ τὸ ὑφ’ ἑκάτερον πρᾶγμα ἀντίκειται, τὸ καθῆσθαι τῷ μὴ καθῆσθαι.
  22. Avec Zeller, p. 216, n. 2.
  23. 1055 a, 38 ; b, 3 et 14 : εἰ δὴ ἀντίκειται μὲν ἀντίφασις καὶ στέρησις καὶ ἐναντιότης καὶ τὰ πρός τι, τούτων δὲ πρῶτον ἀντίφασις… ἡ δὲ στέρησις ἀντίφασίς τίς ἐστιν… δῆλον ὅτι ἡ μὲν ἐναντίωσις στέρησις ἂν τις εἴη πᾶσα, ἡ δὲ στέρησις ἴσως οὐ πᾶσα ἐναντιότης.
  24. Zeller, p. 216, n. 7, vers le commencement.
  25. Pour ce qui suit sur la contrariété et la privation, voir Zeller, p. 217 (n. 7 de la p. 216).
  26. Ap. Simplicius in Categ. 401, 7, éd. Kalbfleisch (Schol. 86 a, 30 : Arnim, Stoicorum veterum fragmenta II, n. 178).
  27. τὸ ψυχρὸν φύσις τις ἀλλ’ οὐ στέρησίς ἐστιν. Cf. Zeller, fin de la n. 7 de la p. 216 (p. 218).
  28. Sur ce personnage, voir le début du commentaire de Simplicius sur les Catégories, 1, 18 sqq., éd. Kalbfl. (passage traduit par Bouillet, les Ennéades de Plotin, III, 630).
  29. Ibid. 385, 4-12, K. (Schol. 82 b, 26).
  30. Voir 10, 11 b, 32-35, texte cité p. 133, n. 1.
  31. Essais de critique générale. 1er Essai. Traité de logique générale et de logique formelle, 2e éd., I, 248 en haut (I, p. 156, de la réimpression).