Le Système d’Aristote/Chapitre X

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Texte établi par Léon RobinFélix Alcan (p. 153-170).

DIXIÈME LEÇON


LE JUGEMENT

Les choses qui sont les objets de la pensée étant les mêmes pour tous les hommes, elles provoquent dans les âmes des représentations qui, en somme, sont partout les mêmes. Ces représentations sont traduites par les hommes au moyen des signes du langage, qui sont traduits à leur tour par ceux de l’écriture. Les signes du langage, à la différence des représentations, ne sont pas partout les mêmes, ils varient au moins avec chaque peuple, et cela se comprend, car le langage n’est pas un instrument naturel de la pensée et c’est par convention que les mots désignent les représentations[1]. Mais, si les langues diffèrent, elles ont pourtant toutes ceci de commun qu’elles sont chacune une traduction des états de la pensée. On peut donc s’aider des formes du langage comme d’un moyen extérieur pour trouver les divers états de la pensée. Or le langage présente avant tout deux aspects qui sautent aux yeux : on peut considérer en lui d’abord les mots pris un à un et sans lien, les noms et les verbes isolés les uns des autres, ἄνευ συμπλοκῆς comme disent les Catégories (2 déb. ; cf. 10, 13 b, 10} ; il y a d’autre part la liaison des mots entre eux et celle-ci constitue le discours. Corrélativement, il faut distinguer les pensées isolées et les pensées dans lesquelles il y a liaison, soit sous forme de réunion, soit sous forme de séparation[2]. Dans les pensées isolées, exemptes de composition et de division, nous reconnaissons les concepts, ou du moins le type essentiel et primordial des concepts. Les pensées dans lesquelles il y a de la composition et de la division sont, bien que le mot soit étranger à la langue d’Aristote, les jugements. Ainsi, tandis que le concept est essentiellement quelque chose d’un et de simple, le jugement est essentiellement quelque chose de multiple et complexe. Sans doute le jugement a aussi son unité et on ne peut songer à le définir exclusivement par son caractère de multiplicité et de complexité. Mais, d’une part, l’unité du jugement n’est pas naturelle, mais faite ; et, de l’autre, bien qu’elle puisse avoir un fondement dans la réalité, elle provient de l’esprit, elle est plus subjective que l’unité du concept[3]. Nous verrons tout à l’heure pourquoi la pensée discursive est plus subjective que l’intellect au sens étroit.

Commençons par considérer de plus près la composition et la division, qui sont le premier caractère du jugement. Platon avait dit que, pour constituer le discours, il faut au moins un nom et un verbe (Soph. 262 a). Au fond Aristote n’est pas d’un autre avis. Sans doute il dit dans la Poétique (20, 1457 a, 24) que tout discours ne se compose pas d’un nom et d’un verbe, par exemple la définition de l’homme[4]. Mais l’Hermêneia nous dit qu’un tel discours n’est pas celui qu’il faut, comme nous verrons, considérer dans une théorie du jugement, qu’il n’est pas un λόγος ἀποφαντικός[5]. Nous pouvons donc partir de ce point que, pour Aristote comme pour Platon, un jugement suppose l’assemblage d’un nom et d’un verbe. — Or que signifie un verbe ? Aristote est très frappé du fait que le verbe marque les temps ; cependant il ne fait pas de cela la fonction principale du verbe : la fonction principale du verbe est précisément d’indiquer la composition, de marquer que quelque chose est ajouté à quelque chose[6]. Le passage de l’Hermêneia où cette idée est exprimée, et dont il faut rapprocher un texte du De anima[7], nous fait faire un pas de plus, en nous montrant en quoi consiste la composition que marque le verbe, c’est celle de l’attribut avec le sujet. — Le jugement est donc multiple, en ce sens qu’il contient deux termes distincts, un sujet et un attribut. Tandis que dans le concept on ne saurait distinguer des parties, le jugement n’est ce qu’il est qu’à la condition de mettre, en présence deux choses séparées et de rapporter l’une à l’autre. Peu importe d’ailleurs que la discursivité de l’opération se marque par une composition ou par une division : on peut dire également que juger consiste à attribuer un prédicat à un sujet, et à discerner dans l’unité d’une notion qui les enveloppait tous les deux un sujet et un prédicat[8]. Ce qu’il faut retenir c’est la dualité de termes qui est toujours présente dans le jugement.

D’où vient cette multiplicité essentielle du jugement ? Pour répondre, commençons par considérer quelles sont les diverses sortes d’attributs que le jugement peut, selon Aristote, rapporter à un sujet. Il y a trois espèces d’attributs. Il y a d’abord le συμβεβηκὸς καθ’ αὑτό, l’attribut qu’un lien interne et nécessaire rattache au sujet. Mais cette sorte d’attribut se présente sous deux formes ; car ce peut être la notion du sujet qui renferme dans son contenu la notion de l’attribut ; et ce peut être au contraire la notion de l’attribut qui renferme dans son contenu la notion du sujet. Ainsi le sujet homme renferme dans son contenu l’attribut animal : et d’autre part les attributs pair, impair, droit, circulaire renferment dans leur contenu les sujets nombre ou ligne. Une troisième sorte d’attribut est celle qui n’est pas rattachée au sujet par un lien intrinsèque, et que désigne proprement le mot συμβεβηκὸς : telles sont pour l’animal la qualité d’être blanc ou la qualité d’être musicien[9]. Pour cette dernière sorte d’attribut il est évident qu’elle est en soi, dans l’ordre des choses et non pas seulement relativement à nous, πρὸς ἡμᾶς, séparable et parfois séparée de son sujet, que le lien, qui rattache l’attribut au sujet quand il y a lieu, est réel sans être interne ni intrinsèquement nécessaire. La multiplicité, dans un jugement comme « cet animal est blanc » ou « cet homme est musicien », a sa raison dans les choses, et, s’il y a quelque chose de surprenant dans les jugements accidentels, ce n’est pas qu’il y ait en eux de la multiplicité ; c’est qu’ils puissent recevoir de l’unité. Mais le cas des jugements constitués avec les deux premières sortes d’attributs est bien différent : ici l’attribut n’est pas en soi séparé ou séparable du sujet ; c’est la pensée qui sépare ce qui dans la réalité est uni. Pourquoi, maintenant, cette séparation dans la pensée ? C’est parce que la pensée qui juge n’est pas complètement, indépendante de la matière ; c’est parce que cette pensée est intermédiaire entre l’intelligible et le sensible. Nous aurons l’occasion de voir que la sensation, suivant Aristote, est, ou du moins veut être une intellection, mais qu’elle est astreinte à se produire en tel lieu, en tel temps et, en outre, dans des conditions qui impliquent contingence, qu’elle est donc bornée et coupée, non sans arbitraire, spatialement et temporellement, réduite à saisir des qualités isolées, quand même ce ne sont pas des qualités mutilées. De sorte que, si nous considérons le jugement comme s’exerçant sur les données de la sensation, il est immédiatement évident qu’il doit contenir de la multiplicité. Mais, si nous prenons les choses par l’extrémité inverse, si nous considérons le passage du concept au jugement, il nous faut bien admettre ici encore une réfraction de l’intelligible à travers la matière. Ce n’est plus par la sensation que l’influence brisante, dispersive et contingente de la matière s’exerce, mais c’est, comme nous le comprendrons mieux quand nous aurons étudié directement ces deux fonctions, par l’imagination et la mémoire. Ou, si l’on veut, c’est pour devenir objet d’imagination et de mémoire que le concept se fragmente, et c’est pour rester dans les parties les plus hautes et les plus intellectuelles de l’opération, qu’il se décompose logiquement. De toute façon le jugement implique, par suite de l’influence de la matière, une multiplicité empirique ou tendant à le devenir, alors même que les attributs à faire entrer dans le jugement sont des attributs par soi. C’est pourquoi Aristote a pu comparer l’œuvre du jugement à celle que, suivant Empédocle, la nature accomplit dans la production des êtres organisés : les êtres organisés ne sont pas sans unité, mais c’est une unité faite de pièces et de morceaux[10].

Comme nous avons étudié la multiplicité du jugement, étudions à présent son unité. On peut distinguer dans cette unité deux aspects : d’une part le fondement du rapport entre le sujet le prédicat dans les choses : d’autre part l’acte mental qui pose ce rapport. — À propos du rapport entre le sujet et le prédicat dans les choses, nous n’avons guère qu’à reprendre d’un autre point de vue ce que nous avons dit des diverses sortes d’attributs. Entre certains prédicats et leur sujet il y a, avons-nous dit, séparabilité en droit et, en fait, parfois séparation : l’union de ces sortes de prédicats avec leur sujet dans les choses ne peut donc être qu’une union de fait[11]. Lorsqu’il s’agit au contraire des attributs par soi, l’union du prédicat avec le sujet sera fondée sur la nature même des deux termes. Alors, dans l’un des deux cas qu’il faut distinguer ici, le sujet sera dit être contenu dans l’attribut ; dans l’autre cas, le plus fréquent et le plus typique, ce sera l’attribut qui sera contenu dans le sujet. Ce rapport s’exprime, non plus seulement par le verbe ὑπάρχειν avec le datif, appartenir à (expression qui s’applique même à l’attribut accidentel), mais, souvent du moins, par les expressions plus précises de ὑπάρχειν ἐν ou de ἐνυπάρχειν, être dans ou immanent à (Bonitz, Ind., 789 a, 12 et 257 a, 59). À ce propos faisons en passant une remarque importante : pour marquer l’attribution Aristote ne dit pas « Β est Α », mais « à Α, Β appartient, τῷ Α ὑπάρχει Β », ou « ἐν τῷ Α ὑπάρχει Β ». Or cette manière de s’exprimer indique qu’Aristote interprète le jugement en compréhension et non en extension. Quelque part qu’il fasse ailleurs à la quantité logique, et nous verrons que cette part est très grande, il est certain que, lorsqu’il s’agit de la proposition, Aristote n’a aucune velléité de recourir aux titres de classe, ni à des cercles qui représenteraient l’extension des termes. En somme donc le rapport, qui dans la réalité fonde l’unité du jugement, lorsqu’il ne s’agit pas d’un pur rapport de fait, est un rapport d’immanence de l’attribut dans la compréhension du sujet, ou inversement.

L’acte mental par lequel se fait pour nous l’unité du jugement est l’affirmation ou la négation. Aristote a dégagé de la manière la plus expresse cette caractéristique du jugement. Il commence par opposer les discours qui ne sont pas des jugements à ceux qui en sont, ou, comme il dit, les discours qui sont déclaratifs, ἀποφαντικοί, à ceux qui ne le sont pas. Ces derniers, par exemple les souhaits, sont à renvoyer à la rhétorique et à la poétique[12]. Ainsi un jugement pose ou déclare une attribution. Aristote ajoute ensuite que tout discours déclaratif, élémentaire ou réduit à ses plus simples éléments, est, soit une affirmation, soit une négation[13]. — Mais, si Aristote a bien vu que tout jugement est un acte d’affirmer ou de nier, il n’a pas aussi nettement aperçu quel est dans la proposition, expression du jugement, le signe qui traduit l’affirmation ou la négation ; autrement dit, il n’a pas dégagé avec toute la netteté désirable la copule et son rôle. Sans doute il admet la décomposition du verbe en attribut et copule, et il reconnaît qu’on peut dire indifféremment : ἄνθρωπος βαδίζει et ἄνθρωπος ἐστὶ βαδίζων[14]. Il y a même un passage de l’Hermêneia qui enseigne que le verbe être, considéré dans l’un de ses usages, n’exprime point un être qu’on puisse prendre en lui-même et à part des termes qu’il met en relation, attendu que sa fonction est d’indiquer la σύνθεσις[15]. On ne peut pas mieux définir, semble-t-il, l’être comme copule. Cependant il y a une contre-partie. Aristote admet bien la décomposition du jugement en sujet, attribut et copule ; mais il tient cette décomposition pour facultative, et il n’enseigne nulle part que tout jugement, sans exception, doit se ramener à ces trois éléments. De plus il se plaît à prendre, comme exemples de jugement, des jugements d’existence qu’il ne décompose pas : ἔστιν ἄνθρωπος (Herm. 10, 19 b, 15). Enfin il est certain que, dans le verbe ἐστι, le sens d’exister et celui qui appartient à la copule se confondent pour lui étrangement, au premier alinéa du chap. 10 de l’Hermêneia. Aristote dans ce passage distingue les jugements où il n’y a que deux éléments : ἔστιν ἄνθρωπος, et ceux où il y en a trois : ἔστι δίκαιος ἄνθρωπος. Mais ce dernier jugement paraît bien signifier : « il existe un homme juste ». Il est vrai qu’on passe peu après à ce jugement : πᾶς ἐστὶν ἄνθρωπος δίκαιος, où ἐστί ne peut plus signifier exister. Mais tout ce qu’on peut conclure de là c’est qu’Aristote mêle très confusément les deux sens du verbe être[16]. — Ainsi Aristote n’a pas bien vu comment l’acte d’affirmer ou de nier s’exprime dans le langage, et cela implique peut-être qu’il n’a pas eu une conscience aussi haute que possible de l’hétérogénéité de l’acte d’affirmer par rapport aux éléments qu’il assemble, c’est-à-dire en somme de l’indépendance du sujet pensant. Quoi qu’il en soit de cette nuance subtile, Aristote a su pourtant dégager, sinon l’expression de cet acte, du moins l’acte qui constitue essentiellement l’unité du jugement dans l’esprit.

De ce caractère du jugement, qu’il est une affirmation ou une négation, un dernier caractère découle qui achève de définir le jugement et de l’opposer à l’intuition, surtout à l’intuition intellectuelle. Une affirmation, c’est-à-dire la position d’un rapport entre un prédicat et un sujet, est vraie ou, aussi bien, fausse. Si l’idéal est de penser par intuition, par natures simples, sans multiplicité, c’est que dans cette pensée simple et non pas composée il n’y a pas place pour l’erreur. Au contraire l’affirmation, ou, si l’on veut, plus généralement la déclaration, l’ἀπόφανσις, étant l’unité d’une multiplicité, est sujette à faillir. Qu’est-ce que la vérité et l’erreur en effet ? Dire vrai, c’est dire que ce qui est est, et que ce qui n’est pas n’est pas[17]. En d’autres termes, la vérité c’est la conformité de la pensée avec les choses. Mais, lorsque la pensée porte sur une nature simple, comme elle ne peut pas saisir cette nature simple autrement que tout entière si elle la saisit, il est impossible que la pensée mette ici du sien ; elle est forcément conforme à la chose (Métaph. Θ, 10). Si au contraire la pensée porte sur un objet qui se divise en elle, il pourra se faire que la pensée ne rapproche pas les morceaux de l’objet comme ils sont unis dans l’objet. Toute pensée qui procède par affirmation et négation est donc sujette à l’erreur : elle n’atteindra la vérité que si elle reproduit dans les liaisons qu’elle établit les liaisons des choses. Mais il faut ajouter ici une contre-partie. Si la pensée composée, qui procède par affirmation et négation, est au-dessous de la pensée simple parce que l’affirmation et la négation ouvrent la porte à l’erreur, en revanche cette même pensée composée, qui affirme ou nie, est au-dessus de la pensée composée qui ne fait encore ni l’un ni l’autre. Cette dernière espèce de pensée est au-dessous de la vérité et de l’erreur. Le bouc-cerf est une pensée composée ; mais, si l’on n’y ajoute aucun verbe, cette pensée, à la différence d’un jugement, n’est ni vraie ni fausse[18]. Ce caractère de comporter l’erreur, mais aussi la vérité, achève de définir la place moyenne qu’occupe le jugement au-dessous de l’intellection et au-dessus de la sensation.

Après avoir essayé d’apercevoir quelque chose de la nature intime du jugement selon Aristote, il nous reste, nous plaçant désormais à un point de vue plus extérieur, à étudier les différentes sortes de propositions et les différentes sortes d’opérations qu’on peut faire sur elles. Toutefois nous écarterons, pour maintenant du moins, tout ce qui a trait à la modalité des propositions. Cette élimination faite, nous n’aurons en somme à parler des propositions qu’à deux points de vue : celui de la qualité et celui de la quantité.

Commençons par une remarque de vocabulaire. Nous avons observé plus haut qu’Aristote n’avait point de terme qui correspondît exactement à notre mot de jugement ; les mots de δόξα et d’ὑπόληψις (cf. Bonitz, Ind. 203 a, 14 ; 800 a, 56) eux-mêmes sont dans ce cas. Au contraire, pour désigner l’expression du jugement ou la proposition, Aristote est en possession de deux termes au moins : ἀπόφανσις et πρότασις. Mais ἀπόφανσις désigne la proposition en tant qu’elle est prise en elle-même. C’est le mot qu’emploie l’Hermêneia, quand elle ne se sert pas, ce qu’elle fait de préférence, de l’un ou de l’autre des termes qui désignent les deux divisions de l’ἀπόφανσις : ἀπόφασις et κατάφασις, affirmation et négation. L’usage du mot πρότασις est réservé aux Analytiques et aux Topiques, parce que ce mot désigne la proposition en tant qu’elle est destinée à servir de prémisse dans un syllogisme (Cf. Bonitz, Ind. 650 a, 36). En effet une πρότασις est un discours qui est mis en avant (προτεινόμενος) par celui qui veut préparer une conclusion. Sous cette réserve de la destination qu’elle doit recevoir, la proposition garde d’ailleurs toute l’étendue de son sens sous la désignation de πρότασις[19]. Comme les Analytiques et l’Hermêneia parlent tous les deux de la nature des propositions et des opérations qu’on peut faire sur elles, nous pouvons nous attendre à voir Aristote employer, sur le sujet qui va nous occuper, un double langage, sans que cette dualité d’expression empêche en rien l’unité des idées.

La brièveté avec laquelle Aristote procède dans les Premiers analytiques à l’étude de la proposition rend difficile de dire si Aristote commence par considérer la qualité ou la quantité des propositions (I, 2 déb.). Dans l’Hermêneia (ch. 6), la considération de la qualité vient la première, et tel est bien l’ordre rationnel. On sait que les logiciens ont appelé qualité des propositions, désignation étrangère à Aristote, le fait qu’une proposition est affirmative, négative, ou peut-être encore indéfinie. Or cette dénomination est moins arbitraire qu’on ne l’a pensé quelquefois. Il convient en effet de remarquer[20] que, lorsqu’on demande d’une chose quelle elle est, c’est sa nature ou son essence que l’on vise. Or, d’après ce que nous avons vu, l’affirmation ou la négation est bien, dans la doctrine d’Aristote, et sans doute en vérité, l’essence de la proposition. Ajoutons, pour insister sur cette idée, qu’il y aurait encore des propositions quand il n’y aurait pas de quantité logique, mais qu’il n’y en aurait plus s’il n’y avait plus d’affirmation et de négation. Ainsi c’est bien du point de vue de la qualité qu’il faut d’abord envisager la proposition. Aristote, à ce point de vue, admet deux sortes de propositions (Hermen. et Anal. pr., ll. citt.) : les affirmatives et les négatives, et il n’en admet que deux sortes. Il connaît bien les propositions formées à l’aide de ce qu’il appelle les noms indéfinis (ἀόριστον ὄνομα, cf. p. 140), comme οὐκ ἄνθρωπος (Herm. 2, 16 a, 30) : par exemple, ἔστιν οὐκ ἄνθρωπος et οὐκ ἔστιν οὐκ ἄνθρωπος (ib. 10, 19 b, 10 et 16). Mais il n’a pas eu l’idée de constituer avec ces noms indéfinis, pris comme sujets ou attributs, des jugements indéfinis, comme l’ont fait plus tard certains logiciens ; ainsi « l’âme est non mortelle », pour rappeler l’exemple de Kant. Les jugements indéfinis sont un contre-sens, puisqu’ils méconnaissent le rôle essentiel de la copule dans le jugement, en faisant porter la négation sur un terme et non sur la copule. En refusant d’admettre ce contre-sens, Aristote a montré qu’il avait, en fin de compte, mieux senti le rôle de la copule que ses explications ne permettaient de l’espérer.

Au point de vue de la quantité, désignation qui lui est aussi étrangère que la précédente, Aristote distingue quatre sortes de propositions, les universelles (αἱ προτάσεις καθόλου), les particulières (αἱ ἐν μέρει), les indéterminées (αἱ ἀδιόριστοι) (Pr. anal. I, 2 déb.) et les singulières[21]. Les indéterminées sont des propositions dont le sujet ne porte aucun signe, de quantité, ni πᾶς, ni οὐ πᾶς : par exemple « la science des contraires est une », ou « le plaisir n’est pas un bien » (Pr. anal. I, 1, 24 a, 17-22). Aristote traite les singulières comme des universelles, et les indéterminées comme des particulières, ainsi que nous aurons l’occasion de le constater tout à l’heure (Voy. Hermen. 7, 17 b, 26). — Cette manière de traiter les indéterminées met l’accent sur l’importance qu’Aristote attribue à la quantité logique. Nous avons vu qu’Aristote interprète les propositions en compréhension, en tant du moins qu’il s’agit de l’attribut. Il n’a donc aucune velléité de quantifier l’attribut, et nous verrons qu’il se garde de justifier la conversion des propositions par des règles telles que celles dont se sont avisés les logiciens du Moyen-Âge, à savoir que l’attribut des affirmatives est particulier et celui des négatives universel. Mais cela ne l’a pas empêché de faire jouer un grand rôle dans sa logique à la quantité des sujets et, par suite, des propositions. Si Aristote, dans sa logique, s’était placé à un point de vue exclusivement rationaliste, s’il avait voulu que les sujets des propositions fussent toujours des notions parfaitement définies, ainsi qu’il arrive dans les mathématiques, il aurait fait bon marché de la quantité logique et considéré la proposition indéterminée comme le vrai type de la proposition logique. On dit « le triangle vaut deux droits » ; on n’a que faire de dire « tous les triangles valent deux droits ». Il en est autrement quand on se place avec Aristote à un point de vue plus empirique. À ce point de vue il faut distinguer tous de quelques, et c’est même là une distinction capitale. Le signe « quelques » est la caractéristique d’une détermination empirique. Si nous disons en effet « quelques hommes sont blancs », c’est que notre sujet « hommes » n’est pas ici rigoureusement déterminé. Si nous déterminions rigoureusement ce sujet, nous pourrions dire « l’homme caucasique est blanc ». Mais une telle détermination n’est pas possible dans tous les cas ; elle ne l’est pas pour les cas où l’attribut est accidentel, c’est-à-dire encore pour les jugements qui n’ont pas et ne peuvent pas avoir d’autre fondement que l’expérience. Si donc il y a dans la connaissance une part pour l’expérience, et surtout une part non pas seulement provisoire, mais une part définitive, c’est-à-dire encore s’il y a de la contingence dans le monde, il faut que la logique tienne compte de la quantité des propositions, à moins qu’on ne veuille prétendre que la logique appliquée à une matière empirique ne peut rendre aucun service. Il faut donc donner raison à Aristote, mais pourtant sous cette réserve qu’il a peut-être confondu l’accessoire avec le principal et que la logique de pure compréhension, d’où serait exclue toute considération extensive, en un mot la logique portant exclusivement sur des concepts définis, pourrait bien être la logique normale et primordiale.

Sachant ce que c’est que la qualité et la quantité des propositions, nous pouvons arriver aux deux opérations qu’Aristote pratique sur les propositions, savoir l’opposition et la conversion.

Occupons-nous d’abord de l’opposition et commençons par l’opposition qui porte sur des universelles et sur des particulières. Aristote admet ici deux sortes d’opposition : celle des contradictoires, ἀντικεῖσθαι ἀντιφατικῶς ; et celle des contraires, ἀντικεῖσθαι ἐναντίως. L’opposition contradictoire est celle qui met en présence une affirmative universelle et une négative particulière : πᾶς ἄνθρωπος λευκός, οὐ πᾶς ἄνθρωπος λευκός (Hermen. 7, 17 b, 16). Si l’une est vraie, l’autre est nécessairement fausse et inversement (ibid., 9 déb.). L’opposition contraire est celle de deux universelles, l’une affirmative, l’autre négative : πᾶς ἄνθρωπος λευκός, οὐδεὶς ἄνθρωπος λευκός (ibid., 7, loc. cit.). Il est impossible qu’elles soient vraies toutes deux (ibid. 10, 20 a, 16. Mais Aristote remarque ailleurs qu’elles peuvent être fausses toutes deux (Pr. anal. II, 11, 62 a, 11 ad fin.). C’est certainement cette dernière propriété de deux universelles opposées par la qualité qui a fait donner par Aristote à leur opposition le nom de contrariété. En effet, il y a ici quelque chose qui rappelle ce qui se passe quelquefois dans l’opposition de termes contraires, savoir qu’entre ces deux termes il y a un terme moyen, par exemple entre le blanc et le noir. Une fois admis le rôle de la quantité dans les propositions, on voit qu’il y a une proposition moyenne entre les deux universelles opposées, et qu’un attribut qui n’appartient pas proprement au sujet peut lui appartenir pourtant par accident, de sorte qu’il est faux de dire que l’attribut en question appartienne toujours au sujet et également faux qu’il ne lui appartienne jamais. — Au reste Aristote n’a pas fait expressément l’analyse que nous venons d’essayer, et, d’une manière générale, on peut dire qu’il n’a rien fait pour démontrer l’opposition des propositions. Cependant, s’il est impossible de démontrer[22] que de deux contradictoires, l’une étant vraie, l’autre est fausse et réciproquement, il est en revanche facile de démontrer que deux contraires ne peuvent être vraies toutes deux, ou que deux subcontraires ne peuvent être fausses toutes deux, puisqu’on peut passer de la vérité d’une universelle à la vérité de la particulière et de la fausseté d’une particulière à celle de l’universelle, ce qui nous ramène au cas des contradictoires. Aristote, à la différence des logiciens du Moyen-Âge, a préféré s’en tenir entièrement à une vérification par des exemples. — Cette remarque faite, revenons aux diverses espèces d’opposition. Nous venons de parler incidemment des subcontraires. Aristote ne connaît pas le mot[23], mais il connaît la chose : il sait qu’on peut mettre en face l’une de l’autre deux particulières différentes de qualité, et il admet qu’elles peuvent être vraies toutes deux (Hermen. 10, 20 a, 19). Il ajoute d’ailleurs que ce ne sont point, en réalité et quant au fond, des propositions opposées, qu’elles le sont seulement dans le langage[24]. Reste l’opposition des singulières et celle des indéterminées. Aristote admet que les singulières opposées se comportent comme des contradictoires et que les indéterminées se comportent comme des particulières (Hermen. 7, 17 b, 26-34). — Pour ce qui est de la subalternation des propositions, qui n’est pas une opposition véritable quoi que semble en penser quelquefois la logique traditionnelle, Aristote, qui ne connaît pas ce nom de subalternes, n’a garde de compter ici une espèce d’opposition. Il professe d’ailleurs que l’universelle contient virtuellement la particulière, et il pense certainement que celle-ci se conclut de celle-là par syllogisme.

Pour en finir avec l’opposition des propositions, il n’y a plus qu’à rappeler l’exception célèbre qu’Aristote admet à la règle des contradictoires, lorsqu’il s’agit des propositions portant sur des futurs contingents (Hermen. ch. 9). Si un événement tel qu’une bataille navale est contingent, c’est-à-dire peut ou non se produire, de deux propositions comme celles-ci « il y aura demain, — il n’y aura pas demain une bataille navale », on ne peut pas dire que, si l’une est vraie, l’autre est fausse, ou réciproquement. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est qu’elles s’excluent indéterminément. À supposer vraie l’une quelconque des deux, l’autre est fausse, ou inversement. Mais on ne peut pas dire dès maintenant que l’une des deux déterminément, celle-ci plutôt que celle-là, soit vraie et rejette l’autre dans le faux. Car, à les bien considérer, ni l’une ni l’autre présentement n’est vraie ou fausse. Et en effet : « les discours sont vrais, dit Aristote rappelant sa définition de la vérité, en tant qu’ils se conforment aux choses[25] ». Lors donc qu’un événement n’existe pas encore, et qu’il n’existe même pas comme préformé dans sa cause puisqu’il est contingent, il est clair qu’aucun discours sur cet événement ne peut être ni vrai ni faux et qu’on ne peut pas dire que, tel discours opposé étant vrai, l’autre est faux ou inversement. La question de savoir s’il y a réellement des futurs contingents est tout autre ; mais, s’il y en a, la doctrine d’Aristote sur l’application du principe de contradiction à ces futurs est seule correcte et rationnelle[26].

La seconde opération sur les propositions est, selon Aristote, la conversion (ἀντιστροφή), par laquelle le sujet et l’attribut échangent leurs rôles (Bonitz, Ind., 67 a, 1). Bien qu’il y ait des sujets naturels et des attributs naturels[27], on peut pourtant, sans altérer la vérité, renverser l’ordre des deux termes, pourvu qu’on se conforme à certaines règles. Toute la théorie de la conversion, dans laquelle Aristote ne s’occupe d’ailleurs que des universelles et des particulières en laissant de côté les indéterminées et les singulières[28], est contenue dans un passage extrêmement dense et court des Premiers analytiques (I, 2, 25 a, 14-26). C’est ce passage qu’il s’agit de présenter sous une forme suffisamment développée[29]. Aristote commence par la conversion de l’universelle négative. La proposition Nul Β n’est Α se convertit en Nul Α n’est Β. Voici la démonstration d’Aristote. Si on nie que la converse soit Nul Α n’est Β, c’est-à-dire si l’on soutient que cette proposition est fausse, il faudra donc que la proposition vraie, la converse légitime, soit la contradictoire de Nul Α n’est Β, à savoir Quelque Α est Β. Appelons Tout Γ ce Quelque Α ; nous obtiendrons ainsi la proposition Tout Γ est Β. D’autre part, comme Tout Γ est Quelque Α, nous pouvons dire que Tout Γ est Α (c’est-à-dire quelque Α est Α). Nous pouvons donc constituer le syllogisme suivant[30] : Tout Γ est Α, Tout Γ est Β, donc Quelque Β est Α. Mais la conclusion de ce syllogisme est la contradictoire de la proposition à convertir Nul Β n’est Α ; la conclusion est donc fausse, et partant il faut que l’une des prémisses soit fausse. Or la prémisse Tout Γ est Α ne peut être fausse, puisque c’est au fond une proposition identique. La prémisse fausse est donc Tout Γ est Β. Mais cela revient à dire que la proposition Quelque Α est Β est fausse. Si elle l’est, la proposition Nul Α n’est Β, sa contradictoire, est donc vraie ; c. q. f. d. — À l’aide de la conversion de l’universelle négative, désormais acquise, Aristote démontre les deux autres conversions, celles de l’universelle et de la particulière affirmatives. L’universelle affirmative Tout Β est Α a pour converse Quelque Α est Β. Car, si Nul Α n’est Β, on aura par conversion Nul Β n’est Α. Or cette dernière proposition, par l’intermédiaire de la subalterne Quelque Β n’est pas Α, contredit la proposition à convertir. Donc la proposition Nul Α n’est Β est fausse et c’est sa contradictoire Quelque Α est Β ; c. q. f. d. — La particulière affirmative Quelque Β est Α a pour converse Quelque Α est Β. Sinon, en effet, la converse sera Nul Α n’est Β, laquelle, à son tour, a pour converse Nul Β n’est Α. Par suite, Quelque Β n’est pas Α ; ce qui contredit l’hypothèse, etc. — Quant à la conversion de la particulière négative, Aristote ne l’admet pas, et il se contente d’en montrer l’illégitimité par un exemple. Soit la proposition Quelque animal n’est pas homme ; il n’est pas nécessaire que Quelque homme ne soit pas animal ; cela n’est pas nécessaire, puisque dans l’espèce cela est faux et que Tout homme est animal. Aristote n’examine même pas le cas où l’on voudrait prendre pour converse Nul homme n’est animal : c’était inutile en effet, puisque, s’il est déjà faux que Quelque homme ne soit pas animal, il doit être plus faux encore que Nul homme ne soit animal. Bien entendu, Aristote ignore la conversion par contraposition et n’essaie pas de s’en servir pour convertir la particulière négative[31].

Nous verrons en étudiant le syllogisme quel inconvénient grave présente la manière dont Aristote démontre les conversions. Théophraste et Eudème, puis Alexandre, ont essayé d’en trouver une autre[32]. Selon Théophraste et Eudème, dire que la totalité de Β est séparée de la totalité de Α (Nul Β n’est Α), cela revient à dire que la totalité de Α est séparée de la totalité de Β, et par conséquent la converse est, sans difficulté, Nul Α n’est Β. Mais, ou bien Théophraste et Eudème se représentent les termes de la proposition par des cercles et font un appel à l’intuition, et alors ils n’apportent qu’un exemple et non une démonstration ; ou bien ils commettent une évidente pétition de principe. Alexandre a, semble-t-il, été beaucoup plus heureux. Si, dit-il, la converse de Nul Β n’est Α n’est pas Nul Α n’est Β, ce sera donc Quelque Α est Β. Mais, en partant de cette dernière proposition et de la proposition à convertir, nous obtenons le syllogisme suivant[33] : Nul Β n’est Α ; Quelque Α est Β ; donc Quelque Α n’est pas Α. La conclusion est absurde. Donc la prémisse Quelque Α est Β est fausse, et sa contradictoire Nul Α n’est Β est vraie ; c. q. f. d.

Indépendamment de la modalité, que nous avons réservée, la qualité et la quantité sont les seuls aspects de la proposition dont Aristote se soit occupé. Il n’a rien dit de ce que les logiciens postérieurs ont appelé la relation. Il ignore tout à fait la division des jugements en catégoriques, hypothétiques et disjonctifs. L’expression de πρότασις κατηγορική revient souvent chez lui, mais elle signifie proposition affirmative[34]. Sous la réserve qui a été faite, nous avons donc achevé l’étude du jugement selon Aristote.


  1. Voir Hermen. 1 déb. à 16 a, 11, et, sur le caractère conventionnel du langage, ibid. 2 déb. et 4, 17 a, 1 sq.
  2. Hermen., 1, 16 a, 13 sq. : τὰ μὲν οὖν ὀνόματα αὐτὰ καὶ τὰ ῥήματα ἔοικε τῷ ἄνευ συνθέσεως καὶ διαιρέσεως νοήματι…
  3. De An. III, 6, 430 b, 5 : τὸ δὲ ἓν ποιοῦν, τοῦτο ὁ νοῦς ἕκαστον, et Métaph. Ε, 4, 1027 b, 29 : ἐπεὶ δ’ ἡ συμπλοκή ἐστιν καὶ ἡ διαίρεσις ἐν διανοίᾳ ἀλλ’ οὐκ ἐν τοῖς πράγμασι…
  4. Par où il faut entendre, semble-t-il, le second terme de la définition : animal raisonnable mortel. Οὐ γὰρ ἅπας λόγος ἐκ ῥημάτων καὶ ὀνομάτων σύγκειται οἷον ὁ τοῦ ἀνθρώπου ὁρισμός, ἀλλ’ ἐνδέχεται ἄνευ ῥημάτων εἶναι λόγον.
  5. 5, 17 a, 11 : καὶ γὰρ ὁ τοῦ ἀνθρώπου, ἐὰν μὴ τὸ ἔστιν ἢ ἢ ἦν ἔσται ἤ τι τοιοῦτο προστεθῇ, οὔπω λόγος ἀποφαντικός.
  6. Hermen., 3 déb. : ῥῆμα δέ ἐστι τὸ προσσημαῖνον χρόνον, οὗ μέρος οὐδὲν σημαίνει χωρίς… οἷον ὑγίεια μὲν ὄνομα, τὸ δὲ ὑγιαίνει ῥῆμα· προσσημαίνει γὰρ τὸ νῦν ὑπάρχειν. Cf. De An. III, 6, 430 a, 30 : ce qui caractérise, par opposition à l’intuition infaillible du « impie, le mode de pensée qui comporte vérité et erreur (voir plus loin, p. 161), c’est essentiellement la σύνθεσις : ταῦτα κεχωρισμένα συντίθεται…· ἂν δὲ γενομένων ἢ ἐσομένων, τὸν χρόνον προσεννοῶν καὶ συντιθείς. Il convient de mettre l’accent sur les mots συντίθεται, συντιθείς. Cf. Poét. 20, 1457 a, 14-18.
  7. Hermen., loc. cit. (après χωρίς b, 10 sq.) : καὶ ἔστιν [sc. τὸ ῥῆμα] ἀεὶ τῶν καθ’ ἑτέρου λεγομένων σημεῖον…, οἷον τῶν καθ’ ὑποκειμένου ἢ ἐν ὑποκειμένῷ. De An. III, 6, 430 b, 26 : ἔστι δ’ ἡ μὲν φάσις τι κατά τινος, ὥσπερ ἡ ἀπόφασις, καὶ ἀληθὴς ἢ ψευδὴς πᾶσα…
  8. De An. III, 6, 430 b, 3 : ἐνδέχεται δὲ καὶ διαίρεσιν φάναι πάντα.
  9. An. post. I, 4, 73 a, 34-b, 5. Cf. Waitz, Organon II, 302-304. Voir aussi supra, p. 112 sq. et p. 119 sq.
  10. De An. III, 6, 430 a, 27 : σύνθεσίς τις ἤδη νοημάτων ὥσπερ ἓν ὄντων, καθάπερ Ἐμπεδοκλῆς ἔφη « ᾗ πολλῶν μὲν κόρσαι ἀναύχενες ἐβλάστησαν », ἔπειτα συντίθεσθαι τῇ φιλίᾳ, οὕτω καὶ ταῦτα κεχωρισμένα συντίθεται… Cf. p. 155, n. 1.
  11. C’est ce qu’Aristote exprime parfaitement dans la définition suivante du συμβεβηκός proprement dit, Métaph. Δ, 30 déb. : συμβεβηκὸς λέγεται ὃ ὑπάρχει μέν τινι καὶ ἀληθὲς εἰπεῖν, οὐ μέντοι οὔτ’ ἐξ ἀνάγκης οὔτ’ ἐπὶ τὸ πολύ… Cf. Bonitz, Ind., 714 a, 20.
  12. Hermen. 4, 17 a, 2 : ἀποφαντικὸς δὲ οὐ πᾶς [λόγος], ἀλλ’ ἐν ᾧ τὸ ἀληθεύειν ἢ ψεύδεσθαι ὑπάρχει. οὐκ ἐν ἅπασι δὲ ὑπάρχει, οἷον ἡ εὐχὴ λόγος μέν, ἀλλ’ οὔτε ἀληθὴς οὔτε ψευδής. οἱ μὲν οὖν ἄλλοι ἀφείσθωσαν· ῥητορικῆς γὰρ ἢ ποιητικῆς οἰκειοτέρα ἡ σκέψις· ὁ δὲ ἀποφαντικὸς τῆς νῦν θεωρίας. Il convient, bien entendu, pour le présent de réserver, dans ce texte, le caractère que possède ou ne possède pas le discours d’être précisément vrai ou faux, et d’être surtout attentif à l’acte mental de l’ἀπόφανσις.
  13. Ibid. 5 déb. : ἔστι δὲ εἷς πρῶτος λόγος ἀποφαντικὸς κατάφασις, εἶτα ἀπόφασις…
  14. Hermen. 12, 21 b, 9 : οὐδὲν γὰρ διαφέρει εἰπεῖν ἄνθρωπον βαδίζειν ἢ ἄνθρωπον βαδίζοντα εἶναι. De même, avec quelques autres exemples, Métaph. Δ, 7, 1017 a, 27-30. Cf. Phys. I, 2, 185 b, 27-30 (voir p. 130, n. 3).
  15. 3, 16 b, 22 : οὐδὲ γὰρ τὸ εἶναι ἢ μὴ εἶναι σημεῖόν ἐστι τοῦ πράγματος, οὐδ’ ἐὰν τὸ ὂν εἴπῃς καθ’ αὑτὸ ψιλόν. ἑαυτὸ μὲν γὰρ οὐδέν ἐστι, προσσημαίνει δὲ σύνθεσίν τινα, ἣν ἄνευ τῶν συγκειμένων οὐκ ἔστι νοῆσαι.
  16. Telle est l’opinion de Waitz (Org. I, 345, s. med. et sq.) dans son commentaire de ce passage assez obscur. Sur tout ceci, voir Zeller, p. 221, n. 2.
  17. Métaph. Γ, 7, 1011 b, 25 : δῆλον δὲ πρῶτον μὲν ὁρισαμένοις τί τὸ ἀληθὲς καὶ ψεῦδος. τὸ μὲν γὰρ λέγειν τὸ ὂν μὴ εἶναι ἢ τὸ μὴ ὂν εἶναι ψεῦδος, τὸ δὲ τὸ ὂν εἶναι καὶ τὸ μὴ ὂν μὴ εἶναι ἀληθές…
  18. Hermen. 1, s. fin. : καὶ γὰρ ὁ τραγέλαφος σημαίνει μέν τι, οὔπω δὲ ἀληθὲς ἢ ψεῦδος, ἐὰν μὴ τὸ εἶναι ἢ μὴ εἶναι προστεθῇ, ἢ ἁπλῶς ἢ κατὰ χρόνον.
  19. La preuve en est dans la définition que donnent de la πρότασις les Premiers analytiques, I, 1, 24 a, 16 : πρότασις μὲν οὖν ἐστὶ λόγος καταφατικὸς ἢ ἀποφατικός τινος κατά τινος. Cf. Waitz, Org. I, 368.
  20. Avec Trendelenburg, El. log. Ar.⁸, § 4, p. 59.
  21. Celles-ci, bien qu’employées dans les Analytiques, ne figurent dans une classification des propositions que dans l’Hermêneia, et encore assez indirectement : ce sont celles qui ont pour sujet des individus ; voir Hermen. 7, déb. à 17 b, 3.
  22. Car une prétendue démonstration, telle que celle de Rondelet, Théorie des propositions modales (Paris, 1861 ; cf. sa thèse latine de 4847), p. 141, démonstration fondée sur le principe de contradiction, est une évidente pétition de principe.
  23. C’est seulement dans Alexandre qu’on le trouve, An. pr. 45, 23, éd. Wallies (Comm. gr. II, 1) : ὅταν δὲ ὦσιν ἐπὶ μέρους ἀμφότεραι ἐναντίαι, ὑπεναντίαι καλοῦνται. Voir aussi Ammonius De interpret. 92, 21 ; 409, 49, éd. Busse (IV, 5) (Schol. 145 a, 15).
  24. Pr. anal. II, 15 s. in. : λέγω δ’ ἀντικειμένας εἶναι προτάσεις κατὰ μὲν τὴν λέξιν τέτταρας,… κατ’ ἀλήθειαν δὲ τρεῖς· τὸ γὰρ τινὶ τῷ οὐ τινὶ κατὰ τὴν λέξιν ἀντίκειται μόνον.
  25. Hermen. 9, 19 a, 33 : … ὁμοίως οἱ λόγοι ἀληθεῖς ὥσπερ τὰ πράγματα. Pour la définition de la vérité, voir supra, p. 160.
  26. On ne comprend pas que Zeller, p. 220, n. 3, trouve préférable la pauvreté dont s’étaient avisés les Académiciens (cf. Cicéron, De fato, 12, 27-28), qu’une des propositions déterminément est déjà vraie, savoir celle qui se trouvera réalisée fortuitement. La doctrine parfaitement fondée d’Aristote était une réponse aux Mégariques, qui croyaient trouver dans le principe de contradiction la base suffisante d’un fatalisme logique (cf. Zeller, ibid.).
  27. Cf. Trendelenburg, El. log. Ar.⁸, p. 68 (§ 8 déb.) : ce sont d’une part des choses singulières et qui ne peuvent être attributs, d’autre part les genres derniers (les catégories) qui, précisément parce qu’ils sont derniers, ne peuvent être sujet de quelque attribut plus général.
  28. Cf. Rondelet, op. cit., p. 108 sq.
  29. Ainsi que l’a fait Waitz, p. 374.
  30. C’est un syllogisme de la 3e figure, en dArAptI.
  31. Voir Logique de Port Royal (éd. Charles, 1869), p. 229, n. 3 : cette sorte de conversion consiste, comme on sait, à mettre un non devant chaque terme et à transposer les termes.
  32. Cf. Rondelet, op. cit., p. 155-157. Pour les opinions de Théophraste et d’Eudème, cf. Alexandre, An. pr. 31, 4-10, cf. 34, 13, éd. Wallies ; pour la démonstration propre d’Alexandre, ibid. 34, 15-20.
  33. Syllogisme de la 1re figure, en fErIO.
  34. Voir Trendelenburg, op. cit., p. 69.