Le Système d’Aristote/Chapitre XIV

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Texte établi par Léon RobinFélix Alcan (p. 242-259).

QUATORZIÈME LEÇON


LES AXIOMES, LES DÉFINITIONS, L’INDUCTION

D’après ce que nous avons vu dans la leçon précédente, la science et la démonstration sont pour Aristote des termes à peu près coextensifs : c’est à peine si l’on peut parler d’une science qui ne serait pas démonstrative. Mais cela ne signifie pas que, pour établir la science, il n’y ait qu’à recourir à la démonstration seule, ou, autrement dit, que la science soit le seul mode de connaissance et qu’elle se suffise à elle-même. La vérité est, au contraire, que le domaine de la démonstration et de la science est, non seulement fini, mais encore borné, c’est-à-dire entouré par une autre espèce de connaissance où la démonstration et la science trouvent leur point de départ et leur terme. Si l’on ne pouvait connaître que ce qui est démontré, ou bien il faudrait démontrer circulairement la conséquence par son principe et le principe par sa conséquence, et cela en prenant le mot de démontrer dans le même sens la première fois et la seconde, ou bien il faudrait remonter à l’infini de principe en principe. Mais la démonstration circulaire, qui ne serait d’ailleurs possible qu’avec des propositions susceptibles de se réciproquer, s’abîmerait dans l’insignifiance de la tautologie, et la régression à l’infini équivaudrait à un aveu de l’impossibilité de la science (An. post. I, 3). La vérité est que la série des propositions par lesquelles s’établit la science est finie. En premier lieu, si nous voulons nous élever dans l’échelle des prédicats, nous aboutissons finalement à des genres derniers. Si, en second lieu, nous nous proposons inversement de descendre du plus général au plus particulier, nous aboutissons à des espèces dernières et aux individus. Enfin on ne saurait interposer entre un mineur, ou sujet, et un majeur, ou attribut, une infinité de moyens-termes ; car, si les attributs qu’un sujet possède par soi sont en nombre fini, le plus dérivé de tous ces attributs, médiatisé par tous les autres, ne l’est jamais que par un nombre fini de moyens {ibid. I, 19-22)[1]. Mais dire que la série des propositions par lesquelles on arrive aux conclusions dernières est finie, cela revient à professer qu’il y a un autre savoir que le démonstratif, puisque la démonstration suppose avant elle des points de départ et aboutit à des termes devant lesquels elle expire. — Cette connaissance, dans laquelle la science proprement dite plonge par ses deux extrémités, nous pouvons dire que c’est la connaissance immédiate. Ce nom de connaissance immédiate, si plein de signification chez Aristote, s’applique expressément aux pensées qui fournissent à la science ses points de départ. Implicitement il convient aussi aux pensées qui marquent le terme de la démonstration. Car les termes derniers, les ἔσχατα, synonymes des καθ’ ἕκαστα, sont, comme les termes primordiaux, étrangers à la discursion et, comme eux, relèvent de l’intellect, bien que, à la différence des termes primordiaux, ils tombent sous la sensation[2]. Nous verrons d’ailleurs à propos de l’induction, que les ἔσχατα sont principes à leur façon comme sources des principes. Il était donc juste de dire que la science est bornée de part et d’autre par la connaissance immédiate. — Aussi, après avoir étudié la notion de la science suivant Aristote, avons-nous à nous occuper aujourd’hui du savoir immédiat, en tant qu’il vient en aide à la science. De ce point de vue apparaît l’unité du triple objet de notre leçon : les axiomes, les définitions, l’induction.

Pour étudier les axiomes, nous commencerons par les distinguer de tout ce qui n’est pas eux, et notamment des définitions. Si, en essayant ensuite de pénétrer la nature des axiomes, nous sommes amenés à rapprocher ce que nous aurons d’abord séparé, nous tâcherons de ne pas tomber pour cela dans une contradiction.

Les principes immédiats, ou traités comme immédiats, dont partent les démonstrations sont de plusieurs espèces, et les axiomes constituent seulement l’une de ces espèces. Il y a d’abord les thèses (θέσεις) et les axiomes. — Les thèses se divisent en deux classes. D’une part en effet il faut compter sous le nom de thèses proprement dites les définitions, en tant qu’elles posent le sens d’un mot (τί σημαίνει). Ainsi envisagées, les définitions ne touchent pas à la question d’existence, elles n’affirment pas la réalité de leur objet. Par exemple définir l’unité, dire qu’on entend par unité l’indivisible dans l’ordre de la quantité estime chose ; affirmer que l’unité existe est autre chose. Que la définition, dans l’acception étroite que nous venons d’indiquer, doive être étrangère à toute question d’existence, c’est ce que l’on comprend sans peine, dès qu’on se reporte à la constitution même de la définition. En effet l’existence se pose par une proposition. Or, puisqu’une définition n’énonce pas une attribution, attendu que l’attribut n’y est qu’un équivalent du sujet, il ne saurait donc y avoir position d’existence dans la définition strictement dite (An. post. I, 2, 72 a, 14-24 et II, 3, 90 b, 34)[3]. Sans doute, les définitions ayant pour but d’atteindre le τί ἐστι, l’οὐσία, c’est-à-dire le réel, il ne se peut, en fin de compte, qu’une affirmation d’existence ne vienne pas s’adjoindre à la définition. On ne peut pas dire ce qu’est (τί ἐστι) le bouc-cerf, puisqu’il n’est rien : aussi la définition toute nominale qu’on en donne est-elle un acte imparfait, qui appelle un complément. Ce complément s’obtient, soit, lorsque le défini a une cause, en faisant entrer la cause dans la définition et, par cette cause, la réalité ; soit, lorsque le défini est quelque chose de premier, en ajoutant à la définition au sens étroit l’affirmation de l’existence de son objet, que cette existence se trouve alors affirmée purement et simplement, ou qu’on dispose, pour la rendre manifeste, de quelque procédé autre qu’un recours à une cause, puisque l’objet n’en a point. Ainsi le mathématicien, en même temps qu’il définit l’unité, pose l’existence de l’unité ; le physicien, en même temps qu’il définit le froid et le chaud, en proclame l’existence sur le témoignage de la sensation (An. post. II, 7, 92 b, 5-8 ; 9 ; I, 10, 76 b 16-19). Mais, lorsque la position de l’existence s’ajoute ainsi à celle de la signification du nom, nous nous trouvons en présence de la seconde classe des thèses, les hypothèses, dont le nom convient surtout lorsque l’existence du défini n’est pas pleinement évidente[4]. La proposition par laquelle débute l’arithméticien, énonçant ce qu’il entend par unité et qu’il y a des unités, est une ὑποθεσις[5]. Il faut compter aussi, à côté des ὑποθέσεις, les postulats (αἰτήματα) : un postulat en effet est une proposition démontrable qu’on se dispense de démontrer, ou bien, dans un sens plus précis et plus intéressant, c’est une proposition indémontrable que le maître demande au disciple de lui accorder, bien qu’il y répugne. C’est donc une proposition qui, comme l’ὑποθεσις, enveloppe attribution et existence (An. post. I, 10, 76 b, 27-34). — L’axiome s’oppose à l’αἴτημα en ce qu’il est conforme à l’opinion du disciple, et de l’ὑποθεσις en ce qu’il va jusqu’à l’imposer à l’esprit[6]. Il s’oppose aux thèses proprement dites ou définitions, d’abord en ce qu’il est impossible que celui qui doit apprendre quoi que ce soit ne le possède pas par devers lui, tandis que la définition peut venir du maître[7]. Ensuite, se rapprochant par là des ὑποθέσεις et des αἰτήματα, il s’oppose aux définitions en ce qu’il est une proposition enveloppant l’existence. En même temps que l’existence, les axiomes enveloppent bien une signification ; mais elle est si claire qu’il n’y a pas besoin de l’expliquer : il n’y a pas besoin par exemple d’expliquer le sens de l’axiome « Si de deux quantités égales on retranche des quantités égales, etc. » (An. post. I, 10, 76 b, 20). C’est donc bien le rapport d’existence qui est la partie maîtresse de l’axiome. De plus, les matériaux de chaque science se rangent sous trois chefs : le genre, ou la définition première qui est le sujet duquel (περὶ ὅ) il s’agit de démontrer quelque chose, les attributs par soi (τὰ ὑπάρχοντα καθ’ αὑτά ou encore τὰ πάθη καθ’ αὑτά, cf. p. 113, n. 3) qu’il s’agit de reconnaître au sujet dans la conclusion, enfin les axiomes d’après lesquels (ἐξ ὧν) s’enchaîne la démonstration. Or, lorsqu’Aristote, du second de ces chefs, relativement auquel tout ce que chaque science suppose est τί σημαίνει, distingue les deux autres chefs, savoir le genre premier et les axiomes, il dit que ce sont là, pour chaque science, ὅσα εἶναι τίθεται (An. post. I, 10, 76 b, 12). Mais il ne faut pas entendre par là, à propos des axiomes, qu’ils existent dans l’esprit ou même dans les choses. On doit entendre qu’ils expriment et posent de l’existence ; car autrement on ne comprendrait plus comment Aristote pourrait les rapprocher des ὑποθέσεις, dont la fonction est précisément de poser l’existence d’une θέσις, l’existence de l’unité par exemple.

Après avoir déterminé extérieurement la nature de l’axiome en le comparant avec les thèses, les hypothèses et les postulats, tâchons d’y pénétrer plus avant. Tandis que le genre sur lequel porte une science et les attributs, nécessaires mais dérivés, qu’il s’agit de rapporter démonstrativement à ce genre, sont pour chaque science des principes propres, les axiomes ont ce caractère capital d’être, au contraire, des principes communs à toutes les sciences : si bien que l’expression τὰ κοινά est synonyme du mot ἀξιώματα (An. post. I, 10, 76 a, 37 ; 11, 77 a, 26). Il faut même dire plus. Aristote ne donne pas de liste des axiomes, mais il les rattache tous, en un sens, au principe de contradiction (Métaph. Γ, 3, 1005 b, 11 ad fin.). S’il fallait prendre au pied de la lettre ce caractère de généralité des axiomes, et de généralité absolue du plus fondamental d’entre eux, les axiomes étant des propositions portant sur l’existence, il se trouverait que l’existence primordiale serait celle des plus hautes généralités. Mais il n’y a là qu’une apparence. En tant qu’il joue un rôle dans une science, un axiome se restreint aux limites du genre sur lequel porte cette science : il devient quelque chose de numérique ou de géométrique par exemple en arithmétique ou en géométrie. La généralité des axiomes n’est qu’une généralité d’analogie[8]. Cette formule nous apporte la lumière. Si la généralité des axiomes signifie seulement une identité de rapport entre les relations d’existence dans les différents genres de l’être, nous comprenons tout de suite que les axiomes n’ont pas leur fondement dans une universalité vide. C’est ce qu’Aristote enseigne très explicitement, en nous disant à quelle science il appartient de spéculer sur les axiomes. Si les axiomes étaient, au fond, des généralités vides, ils ne pourraient relever d’aucune science proprement dite, ils ne pourraient être étudiés et établis que par la dialectique (An. post. I, 11, 77 a, 29 ; Métaph. Β, 2, 996 b, 26 ; Γ, 2, 1001 b, 17). Or nous avons déjà eu occasion de voir (p. 234) que la dialectique ne concourt qu’indirectement à l’établissement du principe de contradiction. Avec la plus grande énergie Aristote affirme qu’il y a une science, une science portant sur un genre déterminé, qui étudie et fonde les axiomes. Cette science, c’est la science de l’être en tant qu’être, laquelle, au lieu d’avoir pour objet un universel, porte au contraire sur ce qu’il y a de moins général[9]. Nous ne ferons que commenter la pensée d’Aristote, en disant que les axiomes expriment au fond la relation de l’être en tant qu’être avec lui-même, ou, si l’on veut, la première et plus élémentaire propriété de l’être en tant qu’être. Après avoir paru très éloigné de la définition, prise du moins au sens strict, l’axiome se rapproche, presque jusqu’à l’identification, de la définition de l’être. Mais c’est que, dans la définition d’un pareil objet, la signification et l’existence sont, pour ne pas dire plus, beaucoup moins indépendantes l’une de l’autre que lorsqu’il s’agit d’un objet appartenant au monde.

Puisque les deux choses, tout en restant, bien entendu, assez distinctes pour être considérées chacune à part, sont plus voisines qu’on ne le croirait au premier abord, nous passons naturellement de la théorie des axiomes à celle des définitions. Nous considérerons les définitions surtout en tant qu’elles sont la source, ou l’une des deux sources, de la démonstration, et tel est bien leur principal rôle dans la pensée d’Aristote. Nous verrons cependant que les définitions sont aussi, en un sens[10], le but de la science. Car la définition exprime le concept, et le concept c’est l’essence, laquelle ne fait qu’un avec la raison d’être. Or le but de la science est bien d’arriver à dégager les raisons d’être de chaque chose. Peut-être toutefois vaut-il mieux dire que la définition est la science même en tant que la science se fait ; car la science, une fois faite, se compose plutôt d’un ensemble de conclusions, dans lesquelles un attribut est affirmé d’un sujet sans que la raison d’être de l’attribution puisse figurer dans ces conclusions. Ce qui est sûr, c’est qu’Aristote a très justement senti, sinon très nettement formulé, la parenté de la démonstration et de la définition. Il distingue d’abord fortement entre les deux choses. Il n’y a pas définition de tout ce dont il y a démonstration ; car on démontre des propositions négatives, des propositions particulières, des propositions exprimant des attributions de prédicats dérivés, tandis que la définition est toujours affirmative, universelle et a pour objet, au lieu des propriétés, l’essence. Inversement, il n’y a pas démonstration de tout ce dont il y a définition ; car nous n’ignorons pas que la démonstration part, au moins quelquefois, de définitions indémontrables (An. post. II, 3, jusqu’à 90 b, 27). Il faut même dire, d’une manière générale, qu’une définition ne comporte pas de démonstration. En effet définir c’est indiquer l’essence, et la démonstration suppose l’essence, au lieu d’y aboutir. Et ce à quoi la démonstration aboutit, c’est à l’établissement d’une propriété ; or les propriétés sont quelque chose de dérivé et ne figurent point directement dans l’essence, objet de la définition. De plus l’essence et la définition qui l’exprime ne sont pas au fond des affirmations, tandis que la démonstration établit l’existence d’un attribut dans un sujet (ibid. 90 b, 28, jusqu’à la fin du chap.). Enfin on peut aisément se rendre compte qu’il est impossible de constituer un syllogisme propre à donner comme conclusion une définition. Il s’agit, dans un syllogisme, de substituer le majeur au moyen comme attribut du mineur. Mais, si le majeur doit exprimer tout le contenu du mineur dans la définition soi-disant obtenue comme conclusion, il faut déjà que, dans la mineure, le moyen exprime aussi tout le contenu du mineur. La mineure et la conclusion ne feront donc qu’une seule et même proposition sous deux formes, ou, autrement dit, le majeur et le moyen ne seront que deux noms différents de l’essence du mineur (An. post. II, 4). — On peut traduire encore la pensée d’Aristote dans les termes suivants : le syllogisme trouve le majeur dans le contenu du mineur par l’intermédiaire du moyen ; du moment que c’est tout le contenu du mineur qu’il s’agit d’attribuer au mineur, il n’y a plus d’intermédiaire possible. On est, du commencement à la fin de l’opération, devant le contenu total du mineur, et, au lieu d’une marche analytique, on ne peut plus accomplir qu’une stagnation dans la tautologie. Ainsi la définition et la démonstration sont bien différentes l’une de l’autre, et les définitions ne se démontrent pas. — Il faut même ajouter qu’il n’y a pas de procédé discursif pour les établir. Nous savons déjà (cf. p. 174 sq.) que la division platonicienne est incapable de prouver une définition, puisqu’elle postule l’essence au lieu de la conclure (An. post. II, 5, jusqu’à 91 b, 27). Et, quant à l’induction, elle peut bien établir, en faisant valoir l’absence d’exemples contraires, que toujours tels caractères appartiennent à tel sujet ; mais c’est là établir un fait, une proposition d’existence et non pas l’essence, c’est-à-dire un rapport interne d’identité entre le sujet et l’attribut (An. post., II, 7, 92 a, 37-b, 1).

Cependant, si la définition est différente du raisonnement et ne peut être, à proprement parler, établie par le raisonnement, il faut reconnaître qu’elle peut, dans une certaine mesure, se démontrer et que, d’autre part, sa nature se rapproche singulièrement de celle de la démonstration. Aristote articule ici les cadres de sa doctrine avec la plus grande netteté. Il y a, nous dit-il, trois sortes de définitions : l’une est le discours indémontrable qui exprime l’essence ; la seconde est le syllogisme de l’essence et ne diffère de la démonstration que par la manière de se présenter ; la troisième est la conclusion de la démonstration de l’essence[11]. Pour commenter ces déclarations précises, il faut tout d’abord rappeler la distinction capitale entre les définitions premières et celles qui ne le sont pas. C’est cette distinction qu’établit la phrase par laquelle débute le petit chapitre 9 du IIe livre des Seconds analytiques, auquel nous avons déjà renvoyé (p. 245)[12]. Il est clair que les définitions premières ne peuvent être démontrées, puisqu’elles sont premières. D’autre part, elles ne peuvent pas être au fond des démonstrations, parce que les essences premières sont simples. Elles sont simples, car, si on pouvait distinguer des parties dans une essence première, elle ne serait plus première : ce seraient ses parties qui le seraient. Or nous savons que les natures simples ne se prêtent à aucune discursion. Mais les définitions dérivées se comportent tout autrement que les définitions premières. Sans doute, si l’on considère une définition dans son tout, elle est toujours, sous cet aspect, une sorte de nature simple, et c’est bien pour cela que, comme nous l’avons vu, on ne démontre jamais, à proprement parler, une définition quelconque. Pourtant une définition peut être composée et, en ce sens, dérivée. Elle est composée, dès qu’on peut y distinguer des parties, une forme et une matière. Dès lors on peut démontrer l’une de ses parties par l’autre, à savoir la matière par la forme. Telle est du moins la formule qu’emploient les commentateurs[13]. La formule traduit d’ailleurs exactement la pensée d’Aristote, comme nous pouvons le voir en nous reportant au livre Ζ de la Métaphysique : « Lorsqu’on cherche le pourquoi, on cherche toujours pourquoi telle chose est attribut de telle autre… Chercher pourquoi une chose est elle-même, ce n’est rien chercher… On peut vouloir chercher pourquoi l’homme est un animal de telle sorte :… c’est donc qu’on cherche pourquoi telle chose est attribut de telle autre… Par exemple : pourquoi tonne-t-il ? Cela veut dire : pourquoi se produit-il du bruit dans les nuages ? Car, de cette façon, ce qu’on cherche, c’est pourquoi telle chose s’attribue à une autre. On cherche encore pourquoi telles choses, à savoir des tuiles et des pierres, sont une maison. Il est donc évident que ce qu’on cherche, c’est la cause, c’est-à-dire, pour parler logiquement, la quiddité… il est donc clair qu’on cherche pourquoi la matière a telle forme ; par exemple, pourquoi ces matériaux sont-ils une maison ? La réponse est : parce que à ces matériaux appartient la quiddité de la maison… ainsi on cherche la cause de la matière et cette cause c’est la forme par laquelle la matière est quelque chose, je veux dire ici une maison[14] ». Ainsi, lorsqu’une essence n’est plus première, lorsqu’on peut y distinguer une matière et une forme, la matière de l’essence peut se démontrer par la forme. Or par là s’expliquent les deux dernières des trois sortes de définition que nous avons vu Aristote énumérer tout à l’heure. La troisième sorte de définition, nous disait-il, est la conclusion de la démonstration de l’essence. Le traité De l’âme (II, 2, 413 a, 16-20) nous fait comprendre ce dont il s’agit au moyen d’un exemple et d’une opposition. Si l’on demande ce que c’est que de carrer un rectangle à côtés inégaux, on pourra dire que c’est trouver un rectangle à côtés égaux équivalent au rectangle donné. C’est là une définition qui est en tout comparable à la conclusion d’un syllogisme ; car elle énonce un fait (ὅτι), un résultat, sans en donner la raison. Les meilleures définitions, les définitions complètes, ajoute Aristote, ne sont point ainsi constituées. Au fait elles ajoutent la raison : carrer, ce n’est pas seulement arriver au résultat que nous avons dit, c’est trouver une moyenne proportionnelle, d’où se déduit le résultat voulu. Dans ce dernier cas, la définition est-ce que nous avons vu Aristote appeler le syllogisme de l’essence, ne différant de la démonstration que par la manière de se présenter. Le syllogisme n’établit pas alors l’essence, chose impossible ; il rend l’essence manifeste en la présentant comme la cause de la conclusion, laquelle conclusion ne peut jamais être qu’une partie secondaire et subordonnée de l’essence[15]. On pourrait dire que la démonstration est la définition déployée et que la définition est la démonstration concentrée. Ce qui résulte de là, c’est que la définition des essences composées, lorsqu’elle est complètement formulée, est toujours génétique, et c’est cela même qu’exprime sous une forme logique la proposition connue que la définition se fait par le genre et la différence ; car le genre et la différence, c’est l’ensemble des conditions nécessaires et suffisantes du défini[16]. À son tour, cette nature génétique et hiérarchique de la définition fait comprendre comment la division platonicienne, qui était impuissante à prouver la définition, est la méthode propre à la découvrir (An. post. II, 5, 91 b, 28 jusqu’à la fin du chap.). Mais, malgré le caractère génétique de la définition des essences composées, malgré la parenté de la définition avec la démonstration lorsqu’il s’agit de ces essences, le dernier mot comme le premier de la théorie aristotélicienne de la définition, c’est que la définition, non seulement des essences simples, mais même des essences composées, ne se déduit pas, ne se dérive pas, qu’elle constitue, en d’autres termes, une connaissance immédiate.

C’était déjà le cas des axiomes. Nous allons voir que c’est aussi, en fin de compte, le cas des connaissances inductives.

Le rôle de l’induction dans la philosophie d’Aristote est bien connu. Tout enseignement et tout acte d’apprendre de nature discursive partent de connaissances antérieures. Pour le syllogisme notamment, il est manifeste qu’il part de certains principes. Mais selon Aristote il n’y a pas de principes innés. Il faut donc que ces connaissances universelles sur lesquelles s’appuie le syllogisme soient acquises. Elles sont acquises par l’induction. Celle-ci à son tour suppose d’ailleurs quelque chose avant elle, à savoir, dans la mesure du moins où elle s’en distingue, la sensation[17]. Ayant pour rôle de fournir l’universel, l’induction se définit naturellement pour Aristote le passage du particulier au général[18].

La doctrine sur l’induction présente deux points principaux qu’on ne peut pas du reste distinguer absolument : la théorie logique et, pour ainsi dire, le mécanisme de l’induction, puis l’interprétation approfondie de l’induction.

La théorie logique de l’induction est contenue dans un passage célèbre et difficile des Premiers Analytiques (II, 23). Nous allons d’abord le traduire, nous essayerons ensuite de l’expliquer : « L’induction et le syllogisme inductif, dit Aristote, consistent à conclure, en s’appuyant sur le second des extrêmes [le mineur], que l’autre extrême est attribut du moyen. Par exemple Β étant moyen entre Α et Γ, on montrera, en s’appuyant sur Γ, que Α appartient à Β. C’est ainsi en effet que nous constituons nos inductions. Supposons qu’on désigne par Α le fait de vivre longtemps, par Β celui d’être sans fiel, par Γ les êtres particuliers qui vivent longtemps, savoir : homme, cheval, mulet. Cela posé, Γ dans toute son extension possède l’attribut A, car tout animal sans fiel vit longtemps. Mais Γ, dans toute son extension, a aussi pour attribut Β, le fait d’être sans fiel. Si donc Γ se réciproque avec Β, ce moyen-terme n’ayant pas plus d’extension que Γ, il faut que Β possède l’attribut Α. Nous avons en effet montré antérieurement [22, 68 a, 21] que, si deux attributs appartiennent au même sujet et que cet extrême se réciproque avec l’un d’eux, celui des deux attributs qui, par la réciprocation, aura pris la place du sujet possédera l’autre attribut. Il faut ici penser Γ comme composé de tous les êtres particuliers à considérer, car l’induction doit se faire par le moyen d’eux tous. — Cette espèce de syllogisme sert à se procurer des propositions primordiales et immédiates. Là en effet où il y a un moyen-terme, le syllogisme s’appuie sur ce moyen-terme ; là où il n’y en a pas, le syllogisme se fait par induction. Et d’une certaine façon le syllogisme s’oppose à l’induction ; car la première sorte de syllogisme montre, en s’appuyant sur le moyen, que le premier des extrêmes appartient à l’autre extrême, tandis que l’induction montre à l’aide du mineur que l’autre extrême appartient au moyen. Dans l’ordre de la nature, le syllogisme qui s’appuie sur le moyen est plus primordial et plus connu, mais pour nous le syllogisme inductif est plus clair[19] ».

Ce passage a été l’objet d’explications laborieuses[20]. Voici celle que nous proposons. Pour nous les mots : Si donc Γ se réciproque avec Β… jusqu’à possédera l’autre attribut, équivalent à ceci : Γ se réciproquant avec Β, la mineure : Tous les animaux sans fiel sont l’homme, le cheval et le mulet s’ajoutera à la majeure qui était la conclusion du syllogisme déductif : l’homme, le cheval et le mulet vivent longtemps. — Or cette sorte de syllogisme est possible malgré la dénaturation qu’y subit le moyen, puisque nous avons vu que, d’une manière générale, si un sujet qui possède deux attributs se réciproque avec l’un d’eux, celui-ci possède le second de ces attributs. Cela posé, le sens du passage d’Aristote nous paraît être le suivant. Si nous nous supposons placés au point de vue de l’ordre de la nature, nous ferons ce syllogisme :

Tous les animaux sans fiel vivent longtemps ;

Or l’homme, le cheval et le mulet sont des animaux sans fiel ;

Donc l’homme, le cheval et le mulet vivent longtemps.

Soit : Β est Α, Γ est Β, Γ est Α. Le moyen, le fait que certains animaux sont sans fiel, est, comme dans tout syllogisme constitué conformément à l’ordre de la nature, la raison véritable de la conclusion. C’est lui qui prouve et explique que le majeur est l’attribut du mineur. Mais, quand il y a lieu d’induire, nous ne sommes pas en possession de l’ordre de la nature (An. post. I, 2, 71 b, 33 sqq. ; Phys. I, 1 déb.). L’induction est, comme le dit expressément Aristote à la fin de notre texte, une opération inverse et relative à nous : nous en trouverons donc l’expression syllogistique en renversant le syllogisme conforme à l’ordre de la nature ; de la conclusion nous ferons la majeure, puis, dans la mineure, nous ferons du moyen le mineur, tandis que le mineur, à son tour, deviendra le moyen. Ainsi nous montrerons à l’aide du mineur que le majeur est un attribut du moyen, ou du moins de ce qui est le moyen dans le syllogisme conforme à l’ordre de la nature. Mais, pour qu’il soit possible de mettre ainsi le mineur à la place du moyen, il faut que le moyen n’ait pas plus d’extension, car il pourra se réciproquer avec lui et il pourra recevoir pour attribut le majeur. Or pour cela il faut que le mineur embrasse tous les individus de la classe représentée par le moyen. En d’autres termes l’induction ne peut s’exprimer sous forme syllogistique que dans le cas où elle se fait par énumération complète. Voici donc comment se présente le syllogisme inductif :

L’homme, le cheval et le mulet vivent longtemps ;

Or tous les animaux sans fiel sont l’homme, le cheval et le mulet ;

Donc tous les animaux sans fiel vivent longtemps.

Soit : Γ est Α, Β est Γ, Β est Α. Il est clair que l’homme, le cheval et le mulet ne constituent pas un moyen-terme réel, conforme à l’ordre de la nature. Car, si nous demandons pourquoi les animaux sans fiel vivent longtemps, on répondra : précisément parce qu’ils sont sans fiel.

Pour compléter l’explication du texte d’Aristote, il ne nous reste plus qu’à nous demander ce qu’il pense de la valeur de son exemple, et surtout s’il croit véritablement avoir apporté une énumération complète des animaux sans fiel. La proposition que tous les animaux sans fiel vivent longtemps est véritablement une loi aux yeux d’Aristote. Le traité Des parties des animaux (IV, 2, 677 a, 15-b, 1) dit que l’absence de fiel peut être une cause, ou au moins un signe de longévité. Et on comprend en effet qu’il en soit ainsi dans la physiologie aristotélicienne. Le foie, si riche en vaisseaux sanguins, est, grâce à l’afflux du sang, doué d’une haute température et joue, par suite, un rôle considérable dans la digestion ou coction des aliments (cf. ibid., III, 7, 670 a, 20). Or la vésicule biliaire est destinée à recevoir les produits excrémentiels qui peuvent se dégager du foie et du sang qu’il contient. L’absence de cette vésicule, d’autant qu’elle coïncide avec une belle couleur et une saveur douce dans le tissu du foie, indique la pureté de cet organe. C’est pourquoi, conclut Aristote, certains des anciens ont eu raison de dire que les animaux sans fiel vivent plus longtemps, puisqu’on aperçoit que l’état d’un organe aussi important que le foie peut influer sur la vie de l’animal. — Pour ce qui est de l’énumération qui constitue le moyen du syllogisme inductif, c’est par fiction, on n’en peut douter, qu’Aristote l’a considérée comme complète. L’Histoire des animaux (II, 15, 506 a, 20) nous apprend qu’un certain nombre d’animaux (une espère de cerfs, les daims, les phoques, les dauphins, d’autres encore n’ont pas de fiel. Les mêmes observations sont répétées et accompagnées d’autres analogues dans le chapitre des Parties des animaux que nous avons cité (cf. IV, 2, 676 b, 20 sqq.). La présence et l’absence de fiel, y est-il dit, se rencontreraient l’une et l’autre dans un même genre et parfois dans la même espèce : c’est ainsi que certains hommes auraient un fiel, d’autres non.

La théorie de l’induction, que nous venons d’exposer d’après les Premiers analytiques, contient de précieuses indications, même sur la nature profonde de l’opération inductive, par exemple lorsqu’on nous dit que c’est une opération inverse, relative à nous, et dans laquelle il n’y a pas de moyen, ou du moins pas de moyen-terme véritable. Mais cette théorie est pourtant bien loin de résoudre tout le problème de l’induction. Puisqu’Aristote ne prend pas au sérieux la possibilité d’une énumération complète des faits qui tombent sous la loi, il reste à se demander comment il conçoit, dans la réalité de la vie logique de l’esprit, le passage du particulier à l’universel. Si vraiment Aristote a pris au pied de la lettre sa définition de l’induction, s’il s’agit pour lui littéralement d’un passage du particulier au général, il faut dire qu’il n’a pas résolu le problème, ou plutôt qu’il ne l’a même pas posé[21]. Mais, malgré l’apparence, le point de vue d’Aristote n’est pas celui de l’extension, ou du moins ce n’est pas, dans la théorie de l’induction, son principal point de vue. Nous avons déjà eu l’occasion d’indiquer (cf. p. 125 sq., 236 sqq.) que l’universel chez lui n’est pas seulement ce qui se dit de tous, que c’est encore, et surtout, le nécessaire. Si cela est, le vrai problème de l’induction consiste, pour lui, à apercevoir le nécessaire derrière le contingent, et il ne s’agit plus de passer de quelques-uns à tous. Le dernier mot d’Aristote sur l’induction est donc[22] dans le dernier chapitre si connu des Seconds analytiques et dans les passages analogues. Induire, c’est se servir de la sensation comme d’une intuition rationnelle : αὕτη δ’ ἐστὶ νοῦς, comme dit le VIe livre de la Morale à Nicomaque (12, 1143 b, 5). Dans un acte singulier, l’esprit saisit le nécessaire qui est aussi singulier, et l’universalité n’est qu’une propriété secondaire qui se déduit de la nécessité.

Cette solution des problèmes de l’induction et de l’origine des principes par une intuition de l’intellect dans la sensation est assurément trop facile. Peut-être imposée à Aristote par l’état rudimentaire des méthodes d’observation et d’expérience à son époque, elle l’a, en retour, encouragé à se contenter à peu de frais en matière d’expérience, non qu’il n’ait accumulé beaucoup de faits exacts et qu’il n’en ait même discuté quelques-uns avec sagacité ; mais, à côté de faits bien observés, il accueille souvent des observations étrangement fausses[23]. Il en eût été autrement, il aurait fait plus d’efforts pour avérer scrupuleusement les faits, s’il avait pensé que chaque fait compte comme un signe de la loi et que c’est par leur ensemble, par leur liaison, par le détail exact de leurs circonstances que les faits prouvent la loi. Mais quels qu’en soient les défauts à cet égard, il ne faut pas perdre de vue l’importance de la théorie de l’induction et de l’origine des principes, en tant qu’on rapproche cette théorie de l’ensemble de la philosophie aristotélicienne. En mettant à la base de la science le singulier, elle rapproche assez près l’une de l’autre l’ontologie, qui est individualiste, et la théorie de la connaissance. Sans doute il reste du Platonisme dans celle-ci. Il en reste peut-être moins qu’on ne le pense quelquefois.


  1. Voir Zeller, p. 234, n. 8 et p. 235.
  2. Éth. Nic VI, 9, 1142 a,  : … τοῦ ἐσχάτου, οὗ οὐκ ἔστιν ἐπιστήμη ἀλλ’ αἴσθησις… 12, 1143 a, 36 : καὶ γὰρ τῶν πρώτων ὅρων καὶ τῶν ἐσχάτων νοῦς ἐστὶ καὶ οὐ λόγος… Sur l’équivalence de τὰ καθ’ ἕκαστα et de τὰ ἔσχατα, cf. Bonitz, Ind. 289 b, 39-55.
  3. Cf. Thémistius, commentaire des An. post. p. 11, 1, éd. Spengel (bibl. Teubner) : καίτοι ἕπεται μὲν αὐτοῖς καὶ εἶναι τὸ πρᾶγμα οὗ λέγουσι τὸν ὁρισμόν, ἀλλ’ οὐ τοῦτο λέγουσι προηγουμένως, ἀλλὰ τοῦτο μὲν ὑπάρχειν συμβεβηκός, προηγουμένως δὲ τί ἐστι λέγουσι· τοὺς γὰρ ὁρισμοὺς μόνον ξυνιέναι δεῖ. διὸ καὶ ἀπορήσειεν ἄν τις, εἰ πρότασις ὅλως ὁ ὁρισμός· ἰσοδυναμεῖ γὰρ τῷ ὀνόματι καὶ ᾗπέρ φησιν Ἀριστοτέλης οὐ λαμβάνει τὸ εἶναι ἢ μὴ εἶναι.
  4. Ibid., 37, 6 : οὐ γὰρ ὑποτίθεται ὁ φυσικὸς εἶναί τι θερμὸν ἢ ψυχρόν, οὐδὲ ὁ ἰατρὸς εἶναί τι ἀνθρώπειον σῶμα, ἀλλ’ ὅ γε ἀριθμητικὸς ἀριθμὸν ὑποτίθεται καὶ μονάδα· οὐ γὰρ ὁμοίως ἐκφανὴς ἡ τούτων οὐσία.
  5. An. post. I, 2, 72 a, 18 : θέσεως δ’ ἡ μὲν ὁποτερονοῦν τῶν μορίων τῆς ἀντιφάσεως λαμβάνουσα, οἷον λέγω τὸ εἶναί τι ἢ τὸ μὴ εἶναί τι, ὑπόθεσις, ἡ δ’ ἄνευ, τούτου, ὁρισμός. 10, 76 b, 35 : οἱ μὲν οὖν ὅροι οὐκ εἰσὶν ὑποθέσεις (οὐδὲν γὰρ εἶναι ἢ μὴ λέγεται), ἀλλ’ ἐν ταῖς προτάσεσιν αἱ ὑποθέσεις, τοὺς δ’ ὅρους μόνον ξυνίεσθαι δεῖ· τοῦτο δ’ οὐχ ὑπόθεσις…
  6. Ibid. 10, 76 b, 23 : οὐκ ἔστι δ’ ὑπόθεσις οὐδ’ αἴτημα, ὃ ἀνάγκη εἶναι δι’ αὑτὸ καὶ δοκεῖν ἀνάγκη.
  7. Ibid. 2, 72 b, 14 : ἀμέσου δ’ ἀρχῆς συλλογιστικῆς θέσιν μὲν λέγω ἣν μὴ ἔστι δεῖξαι, μηδ’ ἀνάγκη ἔχειν τὸν μαθησόμενόν τι· ἣν δ’ ἀνάγκη ἔχειν τὸν ὁτιοῦν μαθησόμενον, ἀξίωμα· ἔστι γὰρ ἔνια τοιαῦτα· τοῦτο γὰρ μάλιστ’ ἐπὶ τοῖς τοιούτοις εἰώθαμεν ὄνομα λέγειν.
  8. Ibid. 10, 76 a, 38 : … κοινὰ δὲ κατ’ ἀναλογίαν, ἐπεὶ χρήσιμόν γε ὅσον ἐν τῷ ὑπὸ τὴν ἐπιστήμην γένει. ἴδια μὲν οἷον γραμμὴν εἶναι τοιανδὶ, καὶ τὸ εὐθύ, κοινὰ δὲ οἷον τὸ « ἴσα ἀπὸ ἴσων ἂν ἀφέλῃ, ὅτι ἴσα τὰ λοιπά ». ἰκανὸν δ’ ἕκαστον τούτων ὅσον ἐν τῷ γένει· ταὐτὸ γὰρ ποιήσει, κἂν μὴ κατὰ πάντων λάβῃ ἀλλ’ ἐπὶ μεγεθῶν μόνον, τῷ δ’ ἀριθμητικῷ ἐπ’ ἀριθμῶν.
  9. Métaph. Γ, 3, jusqu’à 1005 b, 11, notamment le début : λεκτέον δὲ πότερον μιᾶς ἢ ἑτέρας ἐπιστήμης περί τε τῶν ἐν τοῖς μαθήμασι καλουμένων ἀξιωμάτων καὶ περὶ τῆς οὐσίας. Et plus bas, a, 27 : ὥστ’ ἐπεὶ δῆλον ὅτι ᾗ ὄντα ὑπάρχει πᾶσι (τοῦτο γὰρ αὐτοῖς τὸ κοινόν̓), τοῦ περὶ τὸ ὂν ᾗ ὂν γνωρίζοντος καὶ περὶ τούτων ἐστὶν ἡ θεωρία.
  10. Comme le dit Zeller, p. 251.
  11. An. post. II, 41, 94 a, 11 : ἔστιν ἄρα ὁρισμὸς εἷς μὲν λόγος τοῦ τί ἐστιν ἀναπόδεικτος, εἷς δὲ συλλογισμὸς τοῦ τί ἐστι, πτώσει διαφέρων τῆς ἀποδείξεως, τρίτος δὲ τῆς τοῦ τί ἐστιν ἀποδείξεως συμπέρασμα.
  12. 93 b, 21 : ἔστι δὲ τῶν μὲν ἕτερόν τι αἴτιον, τῶν δ’ οὐκ ἔστιν. ὥστε δῆλον ὅτι καὶ τῶν τί ἐστι τὰ μὲν ἄμεσα καὶ ἀρχαί εἰσιν, ἃ καὶ εἶναι καὶ τί ἐστιν ὑποθέσθαι δεῖ ἢ ἄλλον τρόπον φανερὰ ποιῆσαι
  13. Voir Philopon, An. post. 366, 8 Wallies (XIII, 3 ; Schol. 245 a, 7) et les scholies réunies par Waitz, I, p. 58, ad 93 a, 4.
  14. 17, 1041 a, 10 : ζητεῖται δὲ τὸ διὰ τί αἰεὶ οὕτως, διὰ τί ἄλλο ἄλλῳ τινὶ ὑπάρχει ; … τὸ μὲν οὖν διὰ τί αὐτό ἐστιν αὐτό, οὐδέν ἐστι ζητεῖν… ζητήσειε δ’ ἄν τις διὰ τί ἅνθρωπός ἐστι ζῷον τοιονδί… τὶ ἄρα κατά τινος ζητεῖ διὰ τί ὑπάρχει… οἷον διὰ τί βροντᾷ ; διὰ τί ψόφος γίγνεται ἐν τοῖς νέφεσιν· ἄλλο γὰρ οὕτω κατ’ ἄλλου ἐστὶ τὸ ζητούμενον. καὶ διὰ τί ταδί, οἷον πλίνθοι καὶ λίθοι, οἰκία ἐστίν ; φανερὸν τοίνυν ὅτι ζητεῖ τὸ αἴτιον· τοῦτο δ’ ἐστὶ τὸ τί ἦν εἶναι, ὡς εἰπεῖν λογικῶς [phrase peut-être interpolée : c’est du moins l’opinion du Ps. Alex. 540, 38 Hd, 510, 13 Bz, suivie par Christ, mais la suite ne paraît pas justifier cette opinion]… δῆλον δὴ ὅτι τὴν ὕλην ζητεῖ διὰ τί ἐστιν· οἷον οἰκία ταδὶ διὰ τί ; ὅτι ὑπάρχει ὃ ἦν οἰκίᾳ εἶναι… ὥστε τὸ αἴτιον ζητεῖται τῆς ὕλης· τοῦτο δ’ ἐστὶ τὸ εἶδος [c’est à tort, semble-t-il, que Christ a mis ces derniers mots entre crochets, comme varia lectio de ceux qu’on trouve plus loin : τοῦτο δ’ ἡ οὐσία.] ᾧ τί ἐστιν· … Voy. aussi Η, 3, 1043 b, 28 et An. post. II, 8 jusqu’à 93 a, 13.
  15. An. post. II, 8, 93 b, 16 : … συλλογισμὸς μὲν τοῦ τί ἐστιν οὐ γίνεται οὐδ’ ἀπόδειξις…
  16. Voy. Zeller, p. 255 et les notes.
  17. An. post. I, 1 début et 18, 81 b, 5 ad fin. ; Éth. Nic. VI, 3, 1139 b, 26-31 ; Métaph. Α, 9, 992 b, 30-33.
  18. Top. I, 12, 105 a, 13 : … ἐπαγωγὴ δὲ ἡ ἀπὸ τῶν καθ’ ἕκαστον ἐπὶ τὰ καθόλου ἔφοδος.
  19. 68 b, 15 jusqu’à la fin du ch. : ἐπαγωγὴ μὲν οὖν ἐστι καὶ ὁ ἐξ ἐπαγωγῆς συλλογισμὸς τὸ διὰ τοῦ ἑτέρου θάτερον ἄκρον τῷ μέσῳ συλλογίσασθαι, οἷον εἰ τῶν ΑΓ μέσον τὸ Β, διὰ τοῦ Γ δεῖξαι τὸ Α τῷ Β ὑπάρχον. οὕτω γὰρ ποιούμεθα τὰς ἐπαγωγάς. οἷον ἔστω τὸ Α μακρόβιον, τὸ δ’ ἐφ’ ᾧ Β τὸ χολὴν μὴ ἔχον, ἐφ’ ᾧ δὲ Γ τὸ καθ’ ἕκαστον μακρόβιον, οἷον ἄνθρωπος καὶ ἵππος καὶ ἡμίονος. τῷ δὴ Γ ὅλῳ ὑπάρχει τὸ Α· πᾶν γὰρ τὸ Γ μακρόβιον, ἀλλὰ καὶ τὸ Β, τὸ μὴ ἔχειν χολήν, παντὶ ὑπάρχει τῷ Γ. εἰ οὖν ἀντιστρέφει τὸ Γ τῷ Β καὶ μὴ ὑπερτείνει τὸ μέσον, ἀνάγκη τὸ Α τῷ Β ὑπάρχειν. δέδεικται γὰρ πρότερον ὅτι ἂν δύο ἄττα τῷ αὐτῷ ὑπάρχῃ καὶ πρὸς θάτερον αὐτῶν ἀντιστρέφῃ τὸ ἄκρον. ὅτι τῷ ἀντιστρέφοντι καὶ θάτερον ὑπάρξει τῶν κατηγορουμένων. δεῖ δὲ νοεῖν τὸ Γ τὸ ἐξ ἁπάντων τῶν καθ’ ἕκαστον συγκείμενον· ἡ γὰρ ἐπαγωγὴ διὰ πάντων. — ἐστι δ’ ὁ τοιοῦτος συλλογισμὸς τῆς πρώτης καὶ ἀμέσου προτάσεως· ὧν μὲν γὰρ ἔστι μέσον, διὰ τοῦ μέσου ὁ συλλογισμός, ὧν δὲ μὴ ἔστι, δι’ ἐπαγωγῆς. καὶ τρόπον τινὰ ἀντίκειται ἡ ἐπαγωγὴ τῷ συλλογισμῷ· ὁ μὲν γὰρ διὰ τοῦ μέσου τὸ ἄκρον τῷ τρίτῳ δείκνυσιν, ἡ δὲ διὰ τοῦ τρίτου τὸ ἄκρον τῷ μέσῳ. φύσει μὲν οὖν πρότερος καὶ γνωριμώτερος ὁ διὰ τοῦ μέσου συλλογισμός, ἡμῖν δ’ ἐναργέστερος ὁ διὰ τῆς ἐπαγωγῆς.
  20. Par exemple, Hamilton, Lectures on logic, Append. VIII (II, 365-369).
  21. Tel est le reproche que lui adresse Zeller (p. 245), en l’adoucissant d’ailleurs par cette remarque que le problème n’a été nettement posé par personne avant Mill et que Mill n’a su le résoudre que par une contradiction.
  22. Comme l’a indiqué M. Lachelier, Fondement de l’induction p. 7 (de la 2e édition).
  23. Cf. Zeller, p. 245-251. On trouvera p. 248, n. 3 plusieurs exemples d’observations dont l’inexactitude est surprenante. C’est ainsi, le fait vaut ici d’être rappelé, qu’Aristote admet que certains hommes ont un fiel et que d’autres en sont dépourvus, De part. an. I, 2, 676 b, 31.