Le Système d’Aristote/Chapitre XV

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Texte établi par Léon RobinFélix Alcan (p. 260-279).

QUINZIÈME LEÇON


LES QUATRE CAUSES ; LE HASARD

Nous avons déjà vu que savoir, c’est d’une manière générale, connaître par la cause ou raison et que la cause ou raison d’un fait, c’est-à-dire de l’attribution d’un prédicat à un sujet, c’est ce qui médiatise cette attribution, c’est le moyen-terme du syllogisme démonstratif. Nous quittons maintenant la logique pour entrer dans la science proprement dite ou, pour mieux dire, dans la science des choses concrètes, puisqu’Aristote laisse de côté la science abstraite ou mathématique. Comme, dans la science des choses concrètes, c’est par la science de la nature que commence Aristote, nous passons de la logique a la physique. Or, au moment où nous accomplissons ce passage, le premier objet qui doive nous occuper c’est évidemment la théorie des causes ; car nous avons à compléter, à rendre plus concrète la détermination générale de la cause dont nous avons pu nous contenter en logique (p. 173). Nous étudierons donc aujourd’hui le déterminisme de la nature tel que le comprend Aristote, en étudiant aussi par conséquent la lacune que présente selon lui ce déterminisme, c’est-à-dire le hasard.

Le but que se propose la physique est, dit Aristote, de savoir (Phys. II, 3, 194 b, 17) ; en d’autres termes c’est une science théorétique et non, comme la morale, une science pratique. Or, puisque savoir c’est connaître par la cause première, c’est-à-dire immédiate, nous devons chercher les causes de la génération et de la corruption et, en général, de tout changement physique et par conséquent nous avons à voir quelle est la nature des causes et combien il faut compter d’espèces de causes (ibid., déb. du chap.). Aristote, comme on sait, compte quatre sortes de causes : la matière, la forme, le moteur, la fin (ibid.)[1]. Ces quatre sortes de causes se divisent en deux classes, les deux premières et les deux dernières se rangeant naturellement ensemble. Nous avons donc d’abord à nous occuper de la matière et de la forme. Après avoir cherché à les définir l’une et l’autre et à déterminer ce qu’est leur relation mutuelle, nous indiquerons quel est leur rôle, en tant qu’on les considère spécialement comme causes.

C’est en étudiant le problème du changement qu’Aristote a été amené à créer dans ce qu’ils ont de plus original les deux concepts de forme et surtout de matière[2]. C’est donc seulement quand nous exposerons la théorie du changement que nous pourrons comprendre tout à fait le sens de ces deux concepts. Mais nous pouvons dès maintenant indiquer en gros comment la forme et la matière sont requises par le changement ; et, d’autre part, nous pouvons nous rendre compte de ce que sont la forme et la matière à tous les autres points de vue. Nous insisterons d’abord sur la matière. — Le changement suppose en premier lieu une chose, un sujet qui change ; en d’autres termes, il faut, dans le changement, quelque chose qui soit indépendant de l’attribut qui disparaît et de celui qui apparaît. Si le changement se réduisait à la succession de deux états qui ne seraient les états de rien, à la succession du blanc, au noir par exemple, selon Aristote il n’y aurait plus de changement. En effet le changement ne se comprend que par une permanence qui s’y oppose, et, si l’on considère un changement en lui-même sans se reporter à un repère extérieur, sans sortir du phénomène individuel constitué par un passage donné du noir au blanc, il faut que la permanence requise réside dans ou sous ce phénomène même. Il y aura donc sous le changement quelque chose qui ne change pas. En second lieu, ce quelque chose qui a persisté sous le changement, et qui possédera l’attribut apporté par le changement comme il possédait l’autre attribut, n’est pourtant pas quelque chose qui reste indifférent sous le changement et n’en soit pas affecté. Il faut que l’attribut apporté par le changement convienne à la chose, c’est-à-dire, pour considérer ici cette relation de convenance sous son aspect négatif, il faut que l’attribut apporté par le changement fasse défaut dans la chose avant le changement, il faut que cet attribut soit une détermination qui manque à la chose. Ainsi la matière, dans le changement, est sujet et de plus sujet indéterminé. — Ces deux caractères de la matière, nous pouvons les lui retrouver par une analyse faite du point de vue statique. Considérons une chose artificielle qui ait de l’unité et, dans une certaine mesure du moins, constitue un être. Soit, par exemple, une statue. Nous apercevons facilement que cette chose est un composé (σύνολον). En effet la statue est limitée par des surfaces, dont la combinaison représente la figure d’un personnage, réel ou idéal. Mais, d’autre part, il y a sous ces surfaces quelque chose dont la statue est faite, de l’airain par exemple. Si nous enlevions ces surfaces une aune, la statue perdrait tout ce qui la détermine ; mais il resterait quelque chose qui lui sert de sujet et qui même, en un sens, pourrait paraître ce qu’il y a en elle de plus substantiel, puisque c’est ce qui persiste le plus obstinément sous les abstractions successives qu’on fait subir à la chose. Si, au lieu d’une chose artificielle, nous considérions maintenant une de ces substances sensibles véritables dont personne ne conteste l’existence (cf. Métaph. Λ, 1, 1069 a, 30), un animal, une plante, un corps simple tel que de l’eau ou du feu, nous pourrions répéter la même analyse. Nous pourrions toujours par la pensée regarder la chose comme composée des déterminations et de ce qui est déterminé, puis enlever les déterminations. Comme résidu de l’opération nous trouverions toujours, après avoir éliminé les déterminations dont l’ensemble est précisément ce qu’on appelle la forme, une chose indéterminée qui peut à sa façon prétendre, comme l’être composé ou comme la forme de cet être, au titre d’οὐσία. Cet indéterminé, c’est, encore une fois, la matière ; si bien qu’on peut définir la matière en disant que c’est ce qui par soi n’est ni qualité, ni quantité, ni aucune autre des déterminations de l’être[3]. — Nul caractère n’est plus apparent ni plus général dans la matière que cette indétermination. C’est en la définissant par lui qu’Aristote a pu généraliser, comme il l’a fait, l’idée de matière pour transporter cette idée du domaine du réel dans celui des abstraits, dire qu’il y a une matière intelligible (ὕλη νοητή) comme il y a une matière sensible, qu’il y a notamment une matière des choses mathématiques, à savoir l’étendue où se tracent et s’individualisent les figures et que, dans la définition, tandis que les différences sont formes, le genre est matière[4]. — Mais la matière n’est pas seulement le fond tout négatif sur lequel viennent se poser les déterminations. Il y a encore en elle quelque chose de relativement positif, bien que cela reste négatif encore si on le compare avec la forme. Pour assigner ce nouveau caractère, il faut que nous retournions encore au devenir. Si la détermination que le changement apporte à la matière était en elle, avant le changement, simplement quelque chose qu’elle ne possède pas, en entendant cette non-possession comme une négation absolue, alors, quand la détermination serait apportée à la matière, elle lui resterait étrangère. Pour que la matière se l’approprie, il faut, en quelque sorte, que la détermination ait été en elle avant d’y être. En d’autres termes, la matière c’est la puissance. On sait du reste qu’Aristote ne définit pas à proprement parler la puissance et qu’il se contente de dire qu’exister en acte, c’est exister autrement que ce que nous appelons exister en puissance ; après quoi il donne des exemples : tel, dit-il, un Hermès dans le bloc de bois d’où on le tirera, telle la moitié d’une ligne dans le tout, tel le savant qui spécule dans le savant qui ne spécule pas[5]. Mais il n’en est pas moins vrai que l’assimilation de la matière avec la puissance fait ressortir très clairement ce qu’il y a de relativement positif dans la matière, ce qu’il y a de positif, nous venons de l’indiquer. Que ce positif ne le soit que relativement, c’est ce qui ressort du fait que la puissance est inférieure à l’acte et de cet autre fait voisin, que la puissance est essentiellement ambiguë, capable d’être une certaine détermination et le contraire de celle-ci[6]. — En somme la matière est le sujet indéterminé et potentiel de toutes les déterminations.

Mais, pour nous faire une idée suffisante de la matière, il faut reprendre et commenter les trois caractères que nous avons dégagés, et peut-être même les compléter par un autre. Il est évident que les deux derniers, savoir l’indétermination et la virtualité sont des relatifs ; car il n’y a d’indéterminé que par rapport au déterminé, ni de puissance que par rapport à un acte ; et d’ailleurs il est certain que le devenir d’où ces caractères sont, en fin de compte, dégagés est quelque chose qui ressemble fort à une relation. Le cas du premier caractère est assez différent. La matière est un sujet : s’il faut prendre la formule au pied de la lettre, il va falloir faire d’elle quelque chose d’absolu. Nous verrons tout à l’heure si Aristote a pu se dispenser d’attribuer à la matière toute espèce de réalité substantielle. Quoi qu’il en soit, il est certain que, lorsqu’il appelle la matière un sujet (ὑποκείμενον), et même une οὐσία, il n’entend pourtant pas la mettre sur le même pied que les individus ou substances premières, ni, qui plus est, sur le même pied que les genres ou substances secondes. Dans le chapitre même de la Métaphysique (Ζ, 3) où il fait valoir le plus fortement les titres de la matière à passer pour un sujet, il ajoute tout de suite qu’il est impossible que la matière soit un sujet à la rigueur, et cela pour cette raison que la caractéristique universellement admise d’un sujet ou d’une substance, c’est d’exister seul et séparé, tandis que la matière a toujours besoin d’être rattachée à autre chose pour exister (1029 a, 26-30). Et ailleurs (Métaph. Λ, 3, 1070 a, 9), il dit que la matière n’apparaît comme une substance que par un prestige de l’imagination : τόδε τι οὐσα τῷ φαίνεσθαι. On ne peut pas mieux dire que la matière n’existe pas en soi. Il faut donc regarder la formule célèbre de la Physique (II, 2, 194 b, 9) comme exprimant le meilleur de la pensée d’Aristote sur la matière : τῶν πρός τι ἡ ὕλη. De cette formule suivent aussitôt des conséquences capitales au point de vue de l’être et à celui de la connaissance. Au point de vue de l’être, si la matière est quelque chose de relatif, un simple corrélatif de la forme, comme il y a certainement diverses sortes de formes, suivant les catégories, et aussi divers degrés de perfection dans chaque catégorie de formes et notamment dans les substances, il y a plusieurs espèces de matière, par exemple celle de la quantité, celle de la qualité, etc. et surtout il y a des matières de divers degrés. Comme ajoute la Physique, après l’énoncé de la formule qui vient de nous occuper : ἄλλῳ γὰρ εἴδει ἄλλη ὕλη. L’être animé capable d’intellection a pour matière l’être animé sensitif, celui-ci l’être animé végétatif et celui-ci, le mixte, le mixte enfin, l’élément[7]. On peut craindre un moment que quelque embarras commence au-dessous de ce dernier terme ; car, l’élément étant encore un composé de forme et de matière, il faut bien se mettre en présence de la matière de l’élément, de la matière première[8]. Toutefois cette matière première ne se présente jamais séparée d’une forme : un élément peut se transformer, comme nous le verrons plus tard, en un autre élément ; jamais on ne saurait descendre dans l’échelle de l’être au-dessous de l’élément[9]. Ainsi la matière, c’est bien toujours quelque chose qui est inférieur d’un degré à la forme dans l’échelle ontologique, sans qu’il soit possible de sortir de cette corrélation. Au point de vue de la connaissance, la matière, n’étant qu’un relatif, ne peut pas plus être connue par soi qu’elle n’était capable d’exister par soi. On ne saurait dire, en la montrant du doigt pour ainsi dire : voilà la matière. La matière n’est connue que par égalité de rapport ou analogie : ce que l’airain est à la statue, ce que le lit est au bois, voilà ce qu’est la matière par rapport à la substance, à l’être concret et réel[10].

Aristote paraît donc bien loin de voir dans la matière une chose, ni une notion en soi. Ajoutons même que, par cela que la matière est au-dessous de son corrélatif dans l’ordre de l’être et dans celui de la connaissance, elle n’est pas vraiment et à la rigueur un corrélatif de la forme. Aristote met les corrélatifs sur la même ligne ; la matière est donc plutôt peut-être un contraire qu’un corrélatif de la forme, un contraire figurant dans la table des contraires du côté des négations[11]. La matière est un moindre être et, à la limite, une négation. Pourtant Aristote, à d’autres égards, attribue à la matière, du moins implicitement, une réalité positive. Lorsqu’il invoque la matière comme apportant avec elle le hasard dans le monde[12], lorsqu’il fait d’elle la cause des erreurs de la nature et de la production des monstres (De gen. an. IV, 10, 778 a, 6-9), il y a moyen peut-être de ramener le pouvoir de la nature à un défaut, à une pure négation. Mais, d’autres fois, cette réduction devient impossible. Par exemple[13] la génération, et la différence des sexes qui en est la condition, sont quelque chose de positif au plus haut degré dans le système d’Aristote, puisque c’est par elles que se réalise l’éternité des espèces. Il est donc bien difficile d’admettre qu’il soit permis à Aristote d’expliquer par la matière, sans lui prêter une action positive, la production de la différence des sexes. — Mais surtout le point difficile est la théorie de l’individuation. L’individu est seul réel dans l’ontologie aristotélicienne. Or l’individu, lorsqu’il s’agit du moins de l’individu composé de forme et de matière, est individualisé par sa matière[14]. Voilà la matière qui devient source de réalité. Le sujet, la substance, ont bien l’air d’être au fond la matière. — Quoi qu’il en soit il n’y a là qu’une imperfection de la pensée d’Aristote. Ce n’est pas son intention délibérée et directe de faire de la matière une réalité véritable. Il ne pouvait pas vouloir lui conférer la réalité, non seulement parce que la théorie de la connaissance le force à mettre l’universel au-dessus du particulier, mais parce que, en laissant de côté toute la question de l’universel, son ontologie est en elle-même, après tout, conceptualiste ou idéaliste et que le concept, fût-il singulier, a pour essence d’être un autrement que par juxtaposition, unité qui fait l’être et qui précisément manqué à la matière. Car Aristote n’est pas loin, à certains moments, de définir la matière par un caractère que nous n’avons pas encore signalé, mais qui, tout au fond de sa pensée, a pour lui presque autant d’importance que pour les Platoniciens. Plotin, comme on sait, s’est plu à nommer la matière le multiple, πολλά. Or, dans le passage du livre Λ de la Métaphysique où nous l’avons vu (p. 265) déclarer que la substantialité de la matière n’est qu’un prestige de l’imagination, Aristote ajoute tout de suite que ce qui caractérise la matière et le sujet, c’est d’être un assemblage et de n’avoir pas d’unité naturelle : ὅσα γὰρ ἐστιν ἁφῇ καὶ μὴ συμφύσει, ὕλη καὶ ὑποκείμενον[15].

Après ce que nous venons de dire de la matière, nous sommes dispensés d’insister longuement sur la forme, puisque les deux choses sont corrélatives et que la science des opposés est une. Dans le changement, la forme est ce que la matière devient[16]. Au point de vue de l’analyse statique, la forme est le déterminé[17] et, dans les choses abstraites, elle est la différence[18]. Pour retourner au devenir, elle est l’acte[19]. Au point de vue de la connaissance, elle est le connaissable par soi[20]. Au point de vue de l’être, elle est ce qu’il y a de plus réel[21]. Enfin, si elle est ce qu’il y a de plus réel aux yeux d’Aristote, cela résulte en quelque sorte de la définition même de la philosophie conceptualiste. Tandis que la matière est le multiple, le dispersé, la forme est ce qui existe réellement parce que ce n’est point un assemblage de parties. En un mot la forme, qui est déjà quelque chose de l’esprit, est, comme une formule célèbre le dit de l’esprit, la quantité supprimée. Il va de soi qu’il y a une hiérarchie des formes et des actes, comme il y en a une des matières et des puissances[22].

À peu près édifiés sur les notions de la matière et de la forme, nous n’avons plus qu’à revenir à la théorie des causes et à considérer la matière et la forme dans leur rôle de causes, et cela tout d’abord en tant qu’elles sont causes sous leur dénomination propre et expresse de cause matérielle et de cause formelle[23]. La forme est cause, cela va sans dire, dans les choses abstraites avant tout. Dans les choses immobiles, c’est-à-dire mathématiques, nous dit Aristote, le pourquoi se ramène enfin à la quiddité et à la définition qui l’exprime ; on trouve en dernière analyse le pourquoi de telle propriété d’une figure dans la définition du droit ou du commensurable par exemple[24]. Mais il ne faudrait pas croire que la cause formelle, proprement et expressément dite, n’ait pas son rôle en physique. D’abord il y a, parmi les sciences physiques, des sciences qui se constituent au moyen de l’introduction d’une donnée concrète au milieu de relations mathématiques[25] : telles l’astronomie, l’optique, l’acoustique ou, comme dit Aristote, l’harmonique. L’exemple d’une explication par la cause formelle, qui se présente le premier à la pensée d’Aristote au chapitre 3 du IIe livre de la Physique, est justement emprunté à l’harmonique : l’octave s’explique par sa cause tonnelle, à savoir le rapport de 2 à 1. Mais, jusque dans les sciences les plus franchement physiques, la cause formelle, et cela sous son nom propre, a sa place. Il n’y a pas de doute que les définitions des éléments en physique, de l’animal en biologie, de l’âme en psychologie servent sans cesse de principes d’explication. — Quant à la cause matérielle, si elle peut par exception intervenir en mathématiques (An. post. II, 11, 94 a, 24), il est clair que c’est en physique surtout qu’on y fait appel. Aristote emprunte le plus souvent des exemples de cause matérielle au domaine de l’art, parce que c’est son procédé constant de comparer la nature avec l’art : c’est pour cela qu’il dit que la matière, c’est l’airain d’une statue, l’argent d’une tasse, le bois d’un lit : aussi bien eût-il pu dire que la matière des métaux est l’eau (Méteorol. IV, 10, 389 a, 7), que la matière des os, des tendons et des poils est la terre (De an. I, 5, 410 a, 30). Mais la cause matérielle, pour Aristote, ce n’est pas seulement les matériaux dont une chose est faite, bien qu’il aime à insister sur le caractère d’immanence que possède la matière plus encore que la forme et qui fait de cette espèce d’ἀρχή, plus encore que de la forme, un στοιχεῖον ; par cause matérielle Aristote entend aussi tout ce qui est condition nécessaire de l’apparition d’un produit de la nature, ce sans quoi la chose ne serait pas, οὗ οὐκ ἄνευ[26]. Cela étend singulièrement le champ de la cause matérielle. Aussi la retrouverons-nous dans ce qui suit.

La cause matérielle et la cause formelle proprement dites sont des causes immanentes, des éléments des choses et non des déterminants du devenir, et c’est pour cela que, après Aristote et dès les Stoïciens, ce sont les principes qu’on a le moins volontiers considérés comme des causes. Quant à lui, Aristote s’est bien gardé d’omettre ce qu’on a regardé après lui comme les causes par excellence, savoir les principes extérieurs à l’objet produit et qui en provoquent seulement la production. Mais, comme nous le verrons, ces principes extérieurs, loin d’être pour lui les causes par excellence, ne sont encore que la forme et, quand l’un d’eux s’oppose à l’autre comme plus formel, la forme et la matière[27]. Malgré la part considérable qu’Aristote fait au devenir, il obéit encore à la tendance du conceptualisme platonicien, qui était de ramener, comme on dirait dans le langage d’Aug. Comte, le dynamique au statique.

Les deux causes extérieures à l’objet ou au fait produit sont le moteur et la fin. — Il y a dans Aristote, au sujet de la cause motrice, un certain nombre de textes où on le voit approcher assez près de la notion de cause proprement dite ou mécanique, notion déjà dégagée en partie par Démocrite. Dans le traité de la Génération des animaux (V, 8, fin), Aristote parle de choses qui arrivent μὴ ἕνεκά του ἀλλ’ ἐξ ἀνάγκης καὶ διὰ τὴν αἰτίαν τὴν κινητικήν. Au livre Η de la Métaphysique (4, 1044 b, 9-12) il se demande quelles sont les causes en jeu dans la production d’une éclipse de lune. Il n’y a pas là de matière, il y a seulement un patient, la lune. Le phénomène n’a sans doute aucune fin. Pour l’expliquer, il n’y a qu’à chercher quelle est la cause qui fait disparaître la lumière à la surface de la lune. Cette cause, à savoir l’interposition de la terre, est une cause purement motrice (αἴτιον ὡς κινῆσαν). Nous trouvons aussi la cause proprement dite, assez bien mise à part, dans le passage de ses œuvres où Aristote a poussé le plus loin qu’il lui était possible l’analyse de la causalité (Métaph. Ζ, 7, 1032 b, 15-30). Dans une génération, c’est-à-dire dans la production, et même, en l’espèce, dans la production artificielle d’un phénomène, il faut, dit-il, distinguer deux parties : l’une s’appelle la pensée (νόησις), la réflexion sur la nature du phénomène et ses conditions, l’autre est la réalisation (ποίησις) du phénomène, et c’est dans cette seconde partie qu’on voit à l’œuvre l’agent, l’efficient qui fait commencer le mouvement (τὸ ποιοῦν καὶ ὅθεν ἄρχεται ἡ κίνησις). Cette seconde partie serait d’ailleurs la même, si la première n’existait pas et si l’efficient qui fait commencer le mouvement était fourni par le hasard. Soit donc, par exemple, à produire la santé dans un corps affecté d’une certaine maladie. Il faut, dans ce corps, rétablir l’équilibre du froid et du chaud. Pour cela que faut-il ? L’échauffer. Pour l’échauffer, il faut faire telle chose, opérer par exemple un mouvement de friction. Alors la réalisation commence par ce terme qui a été le dernier dans l’analyse à laquelle s’est livrée la pensée. Maintenant ce terme, premier dans la réalisation, qu’est-il par rapport au résultat qui va s’ensuivre ? Il est ce qui produit une partie de la santé, ou le réchauffement, et ainsi il est lui-même une partie de la santé[28]. Aristote isole assez bien dans ce passage la cause proprement dite. Mais, la causalité une fois isolée, il ne l’étudié plus en elle-même. La courte analyse qu’il en donne en une ligne et demie (b, 28 sq.), ou bien n’atteint pas ce qu’il s’agirait d’atteindre, car il y a notamment, une ligne plus haut, un certain ἕπεται dans lequel, sous l’idée de consécution, se cache une relation proprement causale ; ou bien, pour autant qu’il y a analyse, la causalité est, avec la notion de partie, ramenée à autre chose. Elle est ramenée à la cause matérielle : ἡ γὰρ ὕλη μέρος, est-il dit un peu plus bas[29]. Suivant en cela Socrate et Platon, c’est à la matière qu’Aristote assimile la cause nécessaire[30]. Après cette réduction des causes nécessaires à la matière, il ne reste plus qu’un pas à franchir pour faire disparaître complètement ce que la nécessité mécanique peut avoir de spécifique. Il reste à expliquer cette nécessité, ou aussi bien la matière, puisque c’est la même chose. La nécessité dont il s’agit, Aristote l’explique en en faisant une nécessité hypothétique, c’est-à-dire une nécessité qui n’existe que si le résultat du processus causal est tout d’abord posé. La nécessité des Physiologues n’est, vraiment, que l’envers de la nécessité. La santé nécessite l’équilibre du froid et du chaud, celui-ci nécessite la production de chaleur, celle-ci nécessite le mouvement qui la produit. La nécessité va à vrai dire du conséquent à l’antécédent, et non de l’antécédent au conséquent (Phys. II, 9 déb.). Il n’y a qu’un cas où l’on puisse parler d’une détermination nécessaire du conséquent par l’antécédent, attribuer à l’antécédent la nécessité absolument : c’est le cas où les phénomènes considérés forment un cycle : soit par exemple la production de la pluie par les nuages et des nuages par la pluie (De Gen. et corr., fin, 19e leçon, à la fin). Mais si, dans ce cas, la nécessité de l’ensemble rejaillit sur chacune des parties, on voit bien, par ce cas lui-même, que jamais les parties d’un devenir ne possèdent, comme parties, la nécessité et la vertu nécessitante ; car, dans un cycle, il n’y a ni commencement ni terme, et, par conséquent, il n’y a plus aucune partie qui ne soit qu’une partie : chacune est, à sa façon, le tout. Donc la nécessité vient toujours du terme de la causalité, et jamais de son origine. Dès lors nous comprenons la façon dont Aristote présente, en fin de compte, la causalité motrice ou efficiente. La phase de la réalisation s’atténue jusqu’à disparaître. Ce qui produit la santé, ce n’est pas le mouvement de l’opérateur, c’est en somme la santé : c’est la santé telle qu’elle est dans l’intellect du médecin, et, si dans le domaine, non plus de l’art mais de la nature, nous considérons un agent et un patient, nous voyons que l’action consiste en ce que l’agent qui est en possession de la forme informe le patient, soit en lui transmettant la forme, soit plutôt en éveillant chez lui la forme qui y sommeille à l’état virtuel[31].

La causalité que nous venons d’exposer, après avoir commencé par promettre, avec Aristote, que ce serait la causalité motrice ou efficiente, c’est, sous un autre titre, la causalité de la forme. En passant à la causalité finale, ce sera encore le même processus que nous allons retrouver. Enumérant les quatre causes du début du traité De la génération des animaux, Aristote dit de la fin et de l’essence qu’il faut les considérer toutes les deux comme ne faisant qu’un, à peu de chose près. Et en effet la différence des deux choses ne peut consister pour lui qu’en une nuance : la fin, c’est la forme non encore possédée et qui se cherche, ou vers laquelle aspirent la puissance et la matière. D’autre part Aristote incline évidemment vers la cause finale la cause formelle, lorsqu’il donne à celle-ci le nom de modèle[32]. L’activité que nous avons décrite sous le nom d’activité motrice ou efficiente, n’étant que la réalisation de la forme, était donc déjà téléologique, et nous n’avons rien de nouveau à dire sur la causalité finale. Cette causalité a son type le plus accessible pour nous dans la production des œuvres de l’art. Et c’est à cette production qu’Aristote se réfère sans cesse pour la faire comprendre. Mais notre art n’est après tout qu’un cas particulier d’un art plus général et plus profond, et la présence en nous de la délibération et de la conscience ne change pas l’essentiel de la procédure. Le rapport des antécédents et des conséquents est le même dans la nature et dans l’art. Si nous remarquons en outre qu’un art vraiment digne de son nom, un art parfait, ne délibère pas, nous devrons donc dire que la finalité dans la nature est identique à l’art, sauf qu’elle est immanente à l’objet produit. Lorsqu’un homme se guérit lui-même, il agit comme la finalité naturelle. Mettons l’art de la construction navale dans le bois : nous aurons exactement cette finalité (Phys. II, 8, 199 a, 18 sqq. et 199 b, 26 à la fin du ch.).

La théorie aristotélicienne des causes aboutit donc bien à la conclusion que nous avions annoncée. Toutes les causes se ramènent à la forme et à la matière. Le moteur et la fin ne font qu’un avec la forme[33] et, de son côté, la matière joue le rôle de tout ce qui est nécessité venue d’en bas, de tout ce qui est vis a tergo.

Mais le déterminisme a beau être ainsi simplifié, il n’est pas pour cela unifié. Parce que la matière y joue un rôle irréductible, le déterminisme se trouve imparfait. Nous touchons ici à l’un des points les plus obscurs de la philosophie d’Aristote. Il y a deux façons dont la matière rend le déterminisme imparfait. Voici la première. Dépourvue par elle-même de tout pouvoir de produire, de déterminer quelque effet que ce soit, la matière, comme nous l’avons vu, reçoit de la fin et de la forme un pouvoir de provoquer comme antécédent des conséquents. La nécessité vient résider en elle, comme le mouvement réside dans le mû et non dans le moteur ; et dès lors on peut dire que la matière est une cause nécessaire ou nécessitante : ἐν γὰρ τῇ ὕλῃ τὸ ἀναγκαῖον (Phys. II, 9, 200 a, 14). Mais cette nécessité qui lui vient du dehors, la matière la reçoit à sa façon. Il y a dans la matière un manque de souplesse, une espèce de raideur. Quand elle reçoit un pouvoir, elle ne le reçoit pas pour l’employer uniquement à réaliser la fin : elle en reçoit la lettre et non l’esprit. Par exemple, la fonction d’une scie étant ce qu’elle est, il faut que la scie soit de telle figure, et de plus il faut qu’elle soit de fer (Phys., ibid. a, 10). Il faut qu’elle soit de fer afin de couper ; mais le fer ne se dépouille pas de ses autres aptitudes en entrant dans la scie : il y entre en bloc, en apportant aussi son aptitude à rouiller et il pourra arriver que la scie soit détruite précisément parce qu’elle est de fer : ce qui faisait sa force peut faire, par accompagnement, sa faiblesse. Cet exemple, qui n’est pas d’Aristote mais qui est analogue à d’autres qu’il emploie, rend bien sa pensée. « Certaines choses étant telles, dit-il, une foule d’autres surviennent accidentellement parce que ces choses sont telles[34]. » Nous avons fait le possible pour présenter la raideur de la matière comme quelque chose de négatif. Mais c’est plutôt l’analyse d’une quantité négative que d’un simple zéro. Il y a donc quelque chose comme un déterminisme propre à la matière, qui se pose à côté du déterminisme venu de la forme. L’imperfection du déterminisme total vient, à ce point de vue, d’un conflit entre les deux déterminismes. Mais la matière a encore une autre façon de rendre le déterminisme imparfait. Elle est, nous l’avons vu, essentiellement ambiguë, toujours partagée entre deux contraires ; car telle est la nature de la puissance, nature avec laquelle la sienne propre se confond. Sans doute Aristote dit que toutes les puissances dépourvues de raison (ἄλογοι δυνάμεις) (Métaph. Θ, 2, 1046 b, 2), ou au moins beaucoup de ces puissances (Hermen. 13, 22 b, 39), ne sont capables que d’un seul effet, à la différence des forces douées de raison qui sont capables de l’un ou de l’autre de deux actes opposés. Mais d’abord on voit que certaines puissances irrationnelles restent ambiguës par elles-mêmes ; et d’ailleurs elles le demeurent toutes, ou presque toutes, indirectement. En effet une puissance naturelle est presque toujours instable et à la merci du changement. Il n’y a donc guère de chose sensible sur laquelle on puisse compter pour produire tel ou tel effet. Des effets attendus ne se produiront pas et d’autres inattendus se produiront. Ainsi, d’une part, en tant que la nécessité devient dans la matière quelque chose de brutal, d’autre part, en tant qu’il y a de l’ambiguïté dans la matière, le déterminisme est rendu imparfait. Ces deux façons dont la matière rend le déterminisme imparfait peuvent-elles se ramener à l’unité ? L’unification semble assez difficile. Quoi qu’il en soit, le déterminisme est imparfait. Nous arrivons à la théorie du hasard, qu’il nous reste à résumer.

Elle est exposée dans les chapitres 4 à 6 du IIe livre de la Physique. Aristote commence par réfuter deux objections contre l’existence du hasard et par établir que le hasard existe. On invoquait d’abord le fait qu’aucun des anciens philosophes n’avait songé à compter cette cause parmi celles qu’il admettait. Aristote répond que ce silence est d’autant moins probant que les philosophes dont il s’agit, et par exemple Empédocle, invoquaient à l’occasion l’action du hasard (4, 195 b, 36 et 196 a, 16). Une autre objection, que nous savons par Eudème être de Démocrite[35], est plus sérieuse. Il y a toujours, énonce-t-elle, une cause déterminée de tout événement : par exemple, rencontrer quelqu’un sur la place publique sans y compter a pour cause qu’on s’est rendu sur la place publique afin de faire un achat. Aristote ne conteste pas l’assertion de Démocrite ; mais elle ne fait, remarque-t-il, que nous porter encore plus à croire à l’existence du hasard. Car on a beau connaître la cause dont il s’agit, le fait de la rencontre apparaît néanmoins comme un hasard (196 a, 11). Le fait de hasard a d’ailleurs une caractéristique sur laquelle tout le monde tombe d’accord. Tout le monde parle de faits rares, de faits exceptionnels, et tout le monde entend par là des faits de hasard, tellement que les deux expressions se réciproquent. Et qu’il y ait, pour répondre à cette caractérisation verbale, des faits réels, c’est ce qui résulte, d’une part, de ce que l’existence incontestée de faits constants, ou de faits arrivant la plupart du temps, requiert par opposition l’existence de faits rares, et, d’autre part, de ce que nous constatons dans notre expérience la présence de tels faits (5 déb. à 196 b, 17). — Remarquons que la caractéristique invoquée par Aristote, et qui relève du point de vue de l’extension, est extrêmement défectueuse. Il se peut qu’un fait de hasard soit, au moins en général, un fait rare. Mais, quoi qu’Aristote en dise, il n’y a pas réciprocité. S’il parvient à dire sur le hasard des choses qui portent, c’est grâce à l’emploi des expressions « par accident », « accidentel », auxquelles il donne le sens, non pas de rare, mais de contingent. Il faut d’ailleurs signaler que, si Aristote se plaît à insister sur ce caractère de rareté dans les exemples de faits fortuits qu’il allègue, ce caractère ne tient en revanche aucune place dans sa définition du hasard. — Cette définition, Aristote l’applique à une espèce du hasard ; mais peu importe : elle contient tous les caractères essentiels du hasard. Aristote distingue, comme on sait, le hasard en général (τὸ αὐτόματον) et, dans l’extension de celui-ci, une espèce particulière de faits fortuits, ceux qui se produisent dans le domaine de la pratique humaine et qu’il appelle des effets de la fortune (τὸ ἀπὸ τύχης) (ch. 6). Or, au lieu de définir le hasard, c’est la fortune qu’il définit ; mais on voit que peu importe et que la fortune, si elle surajoute à ceux du hasard un caractère propre, doit contenir tous les éléments constitutifs du hasard. La définition est la suivante : « La fortune est la cause par accident de faits susceptibles d’être des fins, quand ces faits relèveraient de la pensée et du choix[36] ». Il suffit de supprimer le caractère de relever de la pensée pour avoir la définition du hasard en général, et de remplacer la pensée par la nature pour avoir la définition du hasard au sens étroit, en tant qu’il est, dans le genre, l’espèce opposée à la fortune. Le caractère de rareté laissé de côté, on voit que le hasard est pour Aristote constitué par deux éléments. D’abord il faut que ce qui sera un fait de hasard soit en principe susceptible d’être une fin, soit de l’homme, soit de la nature : tel le fait de rencontrer un débiteur sur la place publique, comme dit la Physique, ou de trouver un trésor, comme dit la Métaphysique (Δ, 30), second exemple qui est devenu classique et se retrouve jusque chez Cournot. Il faut ensuite que ce fait susceptible d’être une fin soit pourtant arrivé sans avoir été effectivement pris pour fin. Déterminé par des causes à tout autre égard, il n’en a pourtant pas en tant qu’il est susceptible d’être une fin. Capable de relever d’une activité téléologique, il n’a pourtant été produit par aucune activité téléologique, ou du moins par aucune activité qui ait été téléologique en tant qu’elle l’a produit. En d’autres termes, l’activité productrice d’un fait de hasard n’est téléologique que par accident : elle réalise, sans le poursuivre comme une fin, un événement qui pourrait être une fin. Le hasard est la cause que nous mettons à la place de l’activité téléologique, absente en l’espèce, et c’est pour cela que nous parlons d’heureux hasard, de bonne et de mauvaise fortune (5, 197 a, 25, τύχη ἀγαθή, φαύλη ; εὐτυχία). Le hasard est donc sans réalité, et d’autre part réel. Il est sans réalité, en tant qu’on voudrait en faire une cause efficiente positive, une activité agissant pour des fins en dehors de la nature ou de la pensée. Mais il est réel, en tant qu’il signifie l’absence d’une activité téléologique, là où la présence d’une telle activité semblerait requise ; car cette absence est un fait qui n’a rien d’imaginaire (5, 197 a, 10-17).


  1. Cf. Métaph. Α, 3 déb. Pour les différents synonymes, voir Bonitz, Ind. 22 b, 29 et 610 a, 9. Le plus intéressant est ποιητικὸν αἴτιον pour désigner le moteur.
  2. Voir les trois derniers chapitres du livre I de la Physique et Métaph. Η, 5, 1044 b, 27 : οὐδὲ παντὸς ὕλη ἔστιν ἀλλ’ ὅσων γένεσις ἔστι καὶ μεταβολὴ εἰς ἄλληλα. ὅσα δ’ ἄνευ τοῦ μεταβάλλειν ἔστιν ἢ μή, οὐκ ἔστι τούτων ὕλη. Cf. Bonitz, Ind. 783 a, 1 sqq.
  3. Métaph. Ζ, 3, surtout 1029 a, 16 : ἀλλὰ μὴν ἀφαιρουμένου μήκους καὶ πλάτους καὶ βάθους οὐδὲν ὁρῶμεν ὑπολειπόμενον, πλὴν εἴ τί ἐστι τὸ ὁριζόμενον ὑπὸ τούτων, ὥστε τὴν ὕλην ἀνάγκη φαίνεσθαι μόνην οὐσίαν οὕτω σκοπουμένοις. λέγω δ’ ὕλην ἣ καθ’ αὑτὴν μήτε τὶ μήτε ποσὸν μήτε ἄλλο μηδὲν λέγεται οἷς ὥρισται τὸ ὄν.
  4. Voir, pour le premier point, ibid. 10, 1036 a, 9 : 11, 1036 b, 35 ; cf. 10, 1036 a, 3 et 21, pour le second point, Bonitz, Ind., 787 a 19 et supra, p. 115 et 123 ; voir aussi p. 268, n. 4.
  5. Métaph. Θ, 6, 1048 a, 39 : ἔστι δ’ἡ ἐνέργεια τὸ ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει· λέγομεν δὲ δυνάμει οἷον ἐν τῷ ξύλῳ Ἑρμῆν καὶ ἐν τῇ ὅλῃ τὴν ἡμίσειαν, ὅτι ἀφαιρεθείη ἄν, καὶ ἐπιστήμονα καὶ τὸν μὴ θεωροῦντα, ἐὰν δυνατὸς ᾖ θεωρῆσαι· τὸ δὲ ἐνεργείᾳ. Cf. Bonitz, Metaph., ad loc. (II, 392-394).
  6. Sur l’identité de la matière avec la puissance, voir Métaph. Η, 1, 1042 a, 27 : ὕλην δὲ λέγω ἣ μὴ τόδε τι οὖσα ἐνεργείᾳ δυνάμει ἐστὶ τόδε τι (cf. Zeller, p. 348, n. 4) ; sur l’ambiguïté de la puissance, ibid. Θ, 8, 1050 b, 8 : πᾶσα δύναμις ἅμα τῆς ἀντιφάσεώς ἐστιν, et la suite (cf. Zeller, p. 337, n. 3).
  7. Cf. Zeller, p. 326, n. 4.
  8. πρώτη ὕλη, par opposition à la matière prochaine, relative à chacune des formes à laquelle elle touche, ἐσχάτη ὕλη ou, comme disent les commentateurs, προσεχεστάτη ὕλη ; voir Zeller, p. 320, n. 2.
  9. De Gen. et corr. II, 1, 329 a, 24 : ἡμεῖς δὲ φαμὲν μὲν εἶναί τινα ὕλην τῶν σωμάτων τῶν αἰσθητῶν, ἀλλὰ ταύτην οὐ χωριστὴν ἀλλ’ ἀεὶ μετ’ ἐναντιώσεως, ἐξ ἧς γίνεται τὰ καλούμενα στοιχεῖα. Cf. Zeller, p. 324, n. 2.
  10. Métaph. Ζ, 10, 1036 a, 8 : ἡ δ’ ὕλη ἄγνωστος καθ’ αὑτήν (cf. Zeller, p. 323, n. 1) ; Phys. I, 7, 191 a, 7 : ἡ δὲ ὑποκειμένη φύσις ἐπιστητὴ κατ’ ἀναλογίαν, ὡς γὰρ πρὸς ἀνδριάντα χαλκὸς ἢ πρὸς κλίνην ξύλον ἢ πρὸς τῶν ἄλλων τι τῶν ἐχόντων μορφὴν ἡ ὕλη καὶ τὸ ἄμορφον ἔχει πρὶν λαβεῖν τὴν μορφήν, οὕτως αὕτη πρὸς οὐσίαν ἔχει καὶ τὸ τόδε τι καὶ τὸ ὄν.
  11. Cf. Métaph. Γ, 2, 1004 b, 26-29 ; Κ, 9, 1066 a, 15 sq. ; Λ, 7, 1072 a, 30-32 (voir Bonitz, Ind. 736 b, 57).
  12. Métaph. Ε, 2, 1027 a, 13 : ὥστε ἔσται ἡ ὕλη ἡ ἐνδεχομένη παρὰ τὸ ὡς ἐπὶ τὸ πολὺ ἄλλως τοῦ συμβεβηκότος αἰτία..
  13. Comme le fait remarquer Zeller, p. 336, en bas et sq.
  14. Par ex. De Caelo, I, 9, 278 a, 19 : … ὅσων ἡ οὐσία ἐν ὕλῃ ἐστίν, πλείω καὶ ἄπειρα ὄντα τὰ ὁμοειδῆ. Cf. Zeller, p. 339 et, pour d’autres textes, Bonitz, Ind. 786 a, 52.
  15. Voir aussi le texte, cité 21e leçon de Λ, 8, 1074 a, 33.
  16. ὅ ποτε ἐκείνη [ἡ ὑλη] γίγνεται, ὂ γίγνεται, εῖς ὅ. Voy. les textes dans Zeller, p. 314, n. 2.
  17. Phys. III, 7, 207 a, 33 : περιέχεται γὰρ ὡς ἡ ὕλη ἐντὸς καὶ τὸ ἄπειρον, περιέχει δὲ τὸ εἶδος. Cf. De Caelo, IV, 4, 312 a, 12.
  18. Phys. I, 4, 187 a, 19 : … διαφορὰς καὶ εἴδη. De part. an. I, 3, 643 a, 24 : ἔστι δ’ ἡ διαφορὰ τὸ εἶδος ἐν τῇ ὕλῃ. Voir supra, p. 263, n. 2.
  19. Métaph. Θ, 8, 1050 b, 2 : φανερὸν ὅτι ἡ οὐσία καὶ τὸ εἶδος ἐνέργειά ἐστιν. Cf. Zeller, p. 318, n. 4.
  20. Ibid. Γ, 5, 1010 a, 25 : … κατὰ τὸ εἶδος ἅπαντα γιγνώσκομεν. Cf. Bonitz, Ind. 219 a, 33-37.
  21. Par ex. Métaph. Z, 3, 1029 a, 5 : … εἰ τὸ εἶδος τῆς ὕλης πρότερον καὶ μᾶλλον ὄν, καὶ τοῦ ἐξ ἀμφοῖν [le composé de matière et de forme, τὸ σύνολον] πρότερον ἔσται διὰ τὸν αὐτὸν λόγον.
  22. Outre le passage si connu du De an. II, 1, 412 a, 10 (τὸ δ’ εἶδος ἐντελέχεια, καὶ τοῦτο διχῶς, τὸ μὲν ὡς ἐπιστήμη, τὸ δ’ ὡς τὸ θεωρεῖν), voir Bonitz, Ind. 254 a, 14).
  23. Voir surtout Phys. II, 3 et Métaph. Α, 3 déb. et Δ, 2 ; il y a d’ailleurs presque toujours identité littérale entre ce dernier texte et celui de la Physique.
  24. Phys. II, 7, 198 a, 16 : ἢ γὰρ εἰς τὸ τί ἐστιν ἀνάγεται τὸ διὰ τί ἔσχατον ἐν τοῖς ἀκινήτοις, οἷον ἐν τοῖς μαθήμασιν (εἰς ὁρισμὸν γὰρ τοῦ εὐθέος ἢ συμμέτρου ἢ ἄλλου τινὸς ἀνάγεται ἔσχατον),…
  25. An. post. I, 27 ; 7, 75 b, 12-17 ; Phys. II déb. à 194 a, 12.
  26. Pour le premier caractère (par ex. Phys. II, 3, 194 b, 24 : αἴτιον… τὸ ἐξ οὗ γίνεταί τι ἐνυπάρχοντος), cf. Zeller, p. 327, n. 1 et Bonitz, Ind. 702 a, 18, 44 ; pour le second, Phys. II, 9, 200 a, 6, 9, 14 et Zeller, p. 331 et n. 1.
  27. Voir Zeller, p. 327-330. Métaph. Δ, 1, 1013 a, 19 : τούτων δὲ [sc. τῶν ἀρχῶν] αἱ μὲν ἐνυπάρχουσαί εἰσιν, αἱ δὲ ἐκτός
  28. Nous citerons seulement les dernières lignes du passage, b, 26-30 : ἡ θερμότης τοίνυν ἡ ἐν τῷ σώματι ἢ μέρος τῆς ὑγιείας ἢ ἕπεταί τι αὐτῇ τοιοῦτον ὅ ἐστι μέρος τῆς ὑγιείας [à savoir l’équilibre du froid et du chaud] … τοῦτο δ’ ἔσχατόν τὸ ποιοῦν τὸ μέρος καὶ αὐτό πως μέρος ἐστι τῆς ὑγιείας καὶ τῆς οἰκίας οἷον οἱ λίθοι, καὶ τῶν ἄλλων. Après ἔσχατόν (b, 28), nous pensons qu’il faut, avec Alexandre (Metaph. 492, 11 Hayd. 459, 26 Bz), supprimer ἐστι, qui manque du reste dans le ms E (Paris, 1853), et qu’on doit, à la ligne suivante, lire avec Bonitz (Met. II, p. 323) : αὐτό πως μέρος (au lieu de τὸ οὕτως μέρος), mais en conservant, ce que ne fait pas Bonitz, après ποιοῦν, les mots τὸ μέρος. — Pour ce qui concerne la cause motrice, voir Zeller, p. 333, n. 1.
  29. Voici en effet la suite du passage : ὥστε… ἀδύνατον γενέσθαι εἰ μηδὲν προϋπάρχοι. ὅτι μὲν οὖν τι μέρος ἐξ ἀνάγκης ὑπάρξει, φανερόν· ἡ γὰρ ὕλη μέρος· ἐνυπάρχει γὰρ καὶ γίγνεται αὕτη [elle est sujet de la génération] (b, 30-1033 a, 1).
  30. Phys. II, 9, 200 a, 30 : φανερὸν δὴ ὅτι τὸ ἀναγκαῖον ἐν τοῖς φυσικοῖς τὸ ὡς ὕλη λεγόμενον καὶ αἱ κινήσεις αἱ ταύτης. Cf. Zeller, loc. cit. (fin de l’avant-dernière note).
  31. Métaph., loc. cit., 1032 b, 11 : ὥστε συμβαίνει τρόπον τινὰ ἐξ ὑγιείας τὴν ὑγίειαν γίγνεσθαι… De Gen. et corr. I, 7, surtout 321 a, 9-11. Cf. Zeller, p. 328, n. 1.
  32. Phys. II, 3, 194 b, 26 : … τὸ εἶδος καὶ τὸ παράδειγμα.
  33. Phys. II, 7, 198 a, 24 : ἔρχεται δὲ τὰ τρία εἰς ἓν πολλάκις.
  34. De part. an. IV, 2, 677 a, 18 : … τινων ὄντων τοιούτων ἕτερα ἐξ ἀνάγκης συμβαίνει διὰ ταῦτα πολλά. Cf. Zeller, p. 333, n. 1.
  35. Voir Zeller, I³, 868-872 et surtout 871, 1 (tr. fr. II, 304-307 ; 306, 4).
  36. Phys. II, 5, 197 a, 5 : … ἡ τύχη αἰτία κατὰ συμβεβηκὸς ἐν τοῖς κατὰ προαίρεσιν τῶν ἕνεκά του.