Le Théâtre des Chinois/Les Comédies de caractère

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Calmann Lévy (p. 180-199).
QUATRIÈME PARTIE, LES GENRES.


II


LES COMÉDIES DE CARACTÈRE


L’art comique atteint son expression la plus haute dans la peinture des caractères. Se proposer pour but de créer un rôle qui personnifiera toutes les variétés de la même espèce morale c’est-à-dire observer sa nature, l’épier dans ses moindres actions, révéler ses pensées les plus cachées, et le présenter devant un public attentif et désireux de rire, comme une sorte d’ilote destiné à lui faire comprendre toutes les bassesse d’un vice, c’est assurément donner à l’art dramatique sa plus noble fonction. Le répertoire de nos œuvres comprend un certain nombre de comédies de caractère, et le seul fait de leur existence fera apprécier, de la part des lettrés de toute nation, les progrès que nous avons réalisés dans les beaux-arts.

C’est au siècle des Youên que les auteurs tentèrent pour la première fois de peindre dans leurs œuvres des caractères choisis, et l’on pourra juger, d’après les types auxquels ils se sont arrêtés, quelles étaient les spécialités les plus en vogue qui ont tout d’abord attiré leur attention.

Je remarque l’Avare, le Fanatique, l’Enfant prodigue, le Débauché, le Bouddhiste. Ces titres ne sont pas exactement ceux que les auteurs ont donnés à leurs pièces. Nous n’avons pas au même degré que les Occidentaux le goût des formules synthétiques ; on sait que nous aimons les définitions. Je prends un exemple. Le titre de la pièce que j’ai nommée l’Avare est littéralement celui-ci : l’Esclave des richesses qu’il garde. Ce titre renferme à lui seul une observation morale. Certes, le mot « avare » reproduit bien exactement ce sens à l’esprit de ceux qui ont quelque culture, mais il n’entretient pas dans le souvenir une vérité aussi nette que celle dont le titre chinois découvre le sens. Le mot « esclave » a une physionomie particulière que ne possède pas le mot « avare ».

L’avarice ainsi spécifiée est une dégradation honteuse. L’influence d’une telle définition peut donc être plus grande sur l’esprit qu’un simple mot souvent susceptible de recevoir d’autres acceptions.

L’Avare a été traduit en français par Stanislas Julien ; c’est, en effet, un des monuments de la littérature comique chinoise ; mais je ne crois pas que la traduction en ait été publiée. Une analyse de cette pièce a été écrite par M. Naudet, le savant traducteur de Plaute. Le lecteur me saura gré de reproduire ici les principaux passages de ce travail, qui facilite singulièrement ma tâche de critique, en même temps qu’il me fait goûter le plaisir délicat devoir une pièce chinoise louée par un académicien français. L’action est double ; le développement du caractère forme un épisode de la fable principale, séparée en deux parties, entre lesquelles le fait épisodique est comme enclavé.

Dans un prologue, Tchéou-Yong, simple bachelier, s’entretient avec sa femme de son projet d’aller dans la capitale prendre part au concours ouvert à tous les lettrés ; il veut obtenir un grade supérieur, et, au moyen du grade, un emploi qui le mette en état de réparer le tort que son père a fait à leur patrimoine. Sa femme lui montre leur jeune enfant, et lui demande s’il ne juge pas convenable que le fils ne soit pas séparé de son père. Le bachelier accède à l’humble prière de sa femme ; il enfouit tout l’or qu’il possède pour le retrouver à son retour. La famille part plus riche d’espérances que de fonds.

Le commencement du premier acte nous transporte dans les régions célestes ; le dieu du temple de la montagne sacrée, Ling, vient décliner ses noms et qualités, et faire connaître sa généalogie. C’est un dieu qui n’est pas exempt, comme on voit, d’un peu de vanité, mais d’ailleurs honnête et consciencieux : « Les dieux, dit-il, ne se laissent pas gagner par l’encens et les offrandes des méchants. » Ce propos lui est venu dans l’esprit à l’occasion d’un certain garnement, nommé Kou-Jin, qui se présente tous les jours dans le temple se plaignant des mortels et des immortels, et ne cessant d’importuner le dieu par ses prières. Il se présentera sans doute encore aujourd’hui.

En effet, nous voici descendu des demeures divines sur la terre, dans le temple de Ling. Kou-Jin y était déjà. Il maudit son sort ; sans bien, sans industrie aucune, il est réduit à servir les maçons et à leur porter l’eau et l’argile. Quelle est sa misère ! Il n’a pas même de quoi acheter un peu d’encens ; il offrira au dieu des boulettes de terre. Si le dieu lui accordait un peu de bien, il entretiendrait des religieux à ses frais, il ferait l’aumône aux pauvres, il bâtirait des pagodes, il réparerait les ponts et les chemins, il prendrait soin des orphelins, il soulagerait les veuves et les vieillards infirmes. Vraiment le genre humain atteindrait, je crois, la perfection, si l’on était toujours ce qu’on promet d’être, quand on désire obtenir quelque chose. Pendant ces beaux discours, il se sent défaillir de lassitude et s’endort.

Ling lui apparaît en songe, lui apprend que le succès de ses vœux dépend du dieu du Bonheur ; on envoie querir le dieu. Mais Kou-Jin n’a pas à se féliciter de l’entrevue. Le dieu lui reproche ses impiétés envers ses parents, sa dureté envers les autres hommes. Il fut riche autrefois, dans sa vie précédente ; les infortunés ne reçurent de lui que des injures et de mauvais traitements. Kou-Jin tâche de se justifier et de désarmer le courroux du dieu ; enfin, après un long colloque mêlé d’ariettes, qui contiennent de graves sentences d’un style très élevé contre les extravagances des riches et les mœurs sordides des avares, le dieu du Bonheur, plutôt vaincu que persuadé, fait comme beaucoup d’hommes : il accorde à l’importunité ce qui devrait appartenir au mérite. Quelle joie ! Mais la libéralité des dieux ne convertit pas le méchant. Toutes les belles promesses qu’il leur faisait tout à l’heure pour les amadouer sont évanouies.

Il n’a dans la pensée que beaux habits, brillants équipages, plaisirs et festins.

Les dieux se retirent, le songe fuit, et Kou-Jin, éveillé, ne peut en croire sa vision. Il va, en attendant qu’elle se réalise, achever son pan de muraille commencé.

Dans l’intervalle du premier au deuxième acte, la métamorphose s’est opérée. Nous voyons un appartement qui annonce l’opulence, et le personnage qui s’y trouve nous apprend qu’il se nommé Tchin, qu’il est le commis du maître de la maison ; que cet homme, jadis valet des maçons, se trouva tout à coup possesseur d’une grande fortune, on ne sait pas comment ; qu’il se désole de n’avoir pas d’enfant ; qu’il a chargé Tchin de lui en acheter un.

La scène change. Le marchand de vin ouvre sa boutique ; il fait confidence au public qu’il a chez lui cent tonneaux, dont quatre-vingt-dix contiennent quelque chose de plus semblable à du vinaigre qu’à du vin. Le cabaretier joue en ce moment un rôle analogue à celui des cuisiniers de Plaute ; il divertit à ses dépens les spectateurs par ses lazzis. Mais, au fond, c’est un meilleur homme qu’il ne veut le paraître. S’il empoisonne ses pratiques, il est charitable envers les pauvres pour l’amour des dieux.

Arrive un malheureux voyageur qui se traîne avec sa femme et son jeune fils, transi, exténué de faim et de fatigue. Ce voyageur, c’est le bachelier Tcheou, qui revient de la capitale, où il a échoué dans ses examens. Son trésor a été déterré pendant son absence ; il n’a plus de ressource que dans la commisération de sa famille qu’il va joindre. Le marchand l’accueille généreusement, l’invite à se réchauffer avec quelques tasses de vin ; justement il en avait versé trois en ouvrant sa boutique et se proposait de les offrir au premier indigent qui se présenterait, pour que cette aumône agréable aux dieux lui portât bonheur... L’épouse du bachelier et leur fils ne sont pas non plus délaissés par l’hôte bienfaisant. La vue de cet enfant lui suggère l’idée d’une heureuse transaction. Consentiraient-ils à vendre ce fils à un riche propriétaire ? Le bachelier tient conseil avec sa femme ; la proposition est acceptée, malgré les plaintes et les prières de l’enfant. Tchin, qu’on appelle aussitôt, conduit le bachelier avec son fils chez Kou-Jin.

Dans ce moment, Kou-Jin est seul ; il nous instruit de tout ce qui le concerne. Depuis qu’il a trouvé le trésor révélé par le dieu, il a bâti des maisons qui ressemblent à des palais, il a ouvert un bureau de prêts sur gages, un magasin de farines, un magasin d’huile, un magasin de vin. Ces différentes branches de commerce font couler dans ses coffres un fleuve intarissable d’or et d’argent. Sur le continent, il possède des champs immenses ; sur l’eau, des bateaux chargés de marchandises ; une multitude d’hommes portant sur leur tête des sacs d’argent qui sont à lui. Maintenant il n’est plus le pauvre Kou-Jin ; on salue avec respect le seigneur Kou-Jin.

Toutefois, il l’avoue, son cœur ne peut se décider à dépenser ni un denier ni un demi-denier ; si on lui demande une once d’argent, c’est comme si on lui arrachait les nerfs. Aussi a-t-il la réputation d’un avare renforcé. Mais il ne tient compte de pareils propos.

Le seigneur Kou-Jin ressemble un peu à l’avare d’Horace et à celui de Destouches, qui en est la copie ; il se moque des sifflets en revenant auprès de son coffre-fort. On lui amène le bachelier avec son fils. L’enfant lui plaît. Il le prend, et le bachelier, qui fait l’aveu de sa misère, est chassé honteusement.

— Qu’on me renvoie ce gueux, ce mendiant ; il remplirait d’ordures et de vermine ma maison !

Le bachelier se lamente, on lui donne des coups de bâton. Le commis Tchin, excellent homme, et digne d’un autre patron, reconduit le malheureux bachelier en le consolant et lui promettant son secours :

— Retirez-vous, mon ami, et ne dites rien ; cet homme est dur et inhumain, comme tous les riches.

Le commis Tchin est le raisonneur de la comédie, et se trouve placé là par l’auteur, comme Mégadore auprès d’Euclion, pour faire la censure de l’avarice par ses actions, encore plus que par ses discours.

Quand l’avare est seul avec son commis, il lui fait écrire sous sa dictée le contrat de vente : invention comique, du même genre que le traité du parasite de Diabole dans l'Asinaria. Mais les Romains n’étaient que des enfants pour la chicane en comparaison des Chinois, si l’on en jugeait par cet exemple :

« Celui qui s’engage par ce contrat est Tcheou, le bachelier. Comme il manque d’argent et n’a aucun moyen d’existence, il désire vendre un tel, son propre fils, âgé de tant d’années, à un riche propriétaire, nommé le respectable Kou-Jin, qui est honoré du titre de youên-waï. »


LE COMMIS.

Personne n’ignore que vous avez une grande fortune ; il vous suffit du titre de youên-waï ; à quoi bon mettre les mots « riche propriétaire » ?

KOU-JIN.

Est-ce que tu veux me donner des leçons ? Est-ce que je ne suis pas riche propriétaire, par hasard ? Est-ce que je suis un indigent ? Oui, oui, riche propriétaire, riche propriétaire. Tu écriras, derrière le contrat, qu’une fois le marché passé, si une des parties se rétracte, elle payera une dédit de mille onces d’argent.

LE COMMIS.

C’est écrit. Mais, au fait, quelle somme lui donnez-vous pour l’enfant ?

KOU-JIN.

Ne vous mettez pas en peine de cela. Je suis si riche, qu’il ne pourrait jamais dépenser tout l’argent que je ferais pleuvoir sur lui, si je voulais, en faisant seulement craquer mon petit doigt.


Le bachelier signe de confiance. Tcheu rapporte le contrat signé à Kou-Jin, qui lui demande si le bachelier est parti.


LE COMMIS.

Eh ! comment ? Vous ne lui avez pas payé les frais de nourriture.

KOU-JIN.

Il faut que vous soyez bien dépourvu de sens et d’intelligence. Cet homme, n’ayant point de riz pour nourrir son fils, me l’a vendu tout à l’heure pour qu’il fût nourri dans ma maison et qu’il mangeât mon riz. Je veux bien ne pas exiger de frais de nourriture ; mais comment ose-t-il en réclamer ?

LE COMMIS.

Belle satisfaction ! Cet homme n’a pas d’autre moyen de retourner dans son pays.

KOU-JIN.

Puisqu’il ne veut pas remplir les conventions, rendez-lui son enfant, et qu’il me paye mille onces d’argent pour le dédit.


Cependant l’avare se laisse convaincre par les prières et les instances de l’honnête commis ; il accorde une once d’argent.

LE COMMIS.

C’est se moquer.

KOU-JIN.

Il ne faut pas estimer si peu un lingot d’argent sur lequel est empreint le mot pao (chose précieuse). Cette dépense ne te paraît rien ; elle m’arrache les entrailles. Mais je veux bien faire ce sacrifice pour me débarrasser de lui. C’est à prendre ou à laisser.


On devine ce que disent les parents, quand le commis leur vient faire cette proposition.

Non, on ne peut pas le deviner. C’est la femme qui s’écrie :

— Comment ! une once d’argent. On n’aurait pas pour cela un enfant de terre cuite !

La réflexion de l’avare, quand on lui rapporte cette réponse, est excellente :

— Oui, mais un enfant de terre cuite ne mange pas de riz et ne fait pas de dépense. Au surplus, cet homme m’a vendu son fils, parce qu’il ne pouvait plus le nourrir. Je veux bien ne pas me faire payer ce que l’enfant me coûtera ; mais qu’on ne m’arrache pas mon bien. Ah çà ! drôle, dit-il à son commis, c’est toi qui lui as peut-être suggéré ses folles prétentions. De quels termes t’es-tu servi en lui offrant l’once d’argent ?

LE COMMIS.

Je lui ai dit : « Le youên-waï vous donne une once. »

KOU-JIN.

Justement : voilà pourquoi il l’a refusée. Regarde bien, et suis de point en point mes instructions : Tu prendras cette once d’argent ; puis, l’élevant bien haut, bien haut, tu lui diras avec emphase : « Holà ! pauvre bachelier, S. E. le seigneur Kou daigne t’accorder une précieuse once d’argent. »

LE COMMIS.

Je l’élèverai aussi haut que vous voudrez, mais ce ne sera jamais qu’une once d’argent. Seigneur, seigneur, donnez-lui ce qu’il lui faut et congédiez-le.

KOU-JIN.

Eh bien, pour n’en plus entendre parler, je vais ouvrir ma cassette et donner encore une once d’argent ; mais, après cela, plus rien, ou le dédit...


Le troisième acte finit là. Supposez que les hommes ont vécu près de vingt ans dans l’intervalle qui sépare cet acte du quatrième. A présent, vous voyez le fils adoptif de Kou-Jin dans sa vingt-cinquième année, et le vieil avare, devenu veuf, est malingre, cacochyme, moribond. Il vient, appuyé sur le bras du jeune homme.

— Aïe ! que je suis malade ! (Il soupire.) Hélas ! que les jours sont longs pour un homme qui souffre ! (A part.) Il y a bientôt vingt ans que j’ai acheté ce jeune écervelé. Je ne dépense rien pour moi, pas un denier, pas un demi-denier ; et lu l’imbécile, il ignore le prix de l’argent. L’argent n’est pour lui qu’un moyen de se procurer des vêtements, de la nourriture ; passé cela, il ne l’estime pas plus que de la boue. Sait-il toutes les angoisses qui me tourmentent, lorsque je suis obligé de dépenser le dixième d’une once ?

— Mon père, est-ce que vous ne voulez pas manger ?

— Mon fils, tu ne sais pas que cette maladie m’est venue d’un accès de colère. Un de ces jours, ayant envie de manger du canard rôti, j’allai au marché, dans cette boutique-là que tu connais. Justement on venait de rôtir un canard d’où découlait le jus le plus succulent. Sous prétexte de le marchander, je le prends dans ma main, et j’y laisse mes cinq doigts appliqués jusqu’à ce qu’ils soient bien imbibés de jus. Je reviens chez moi sans l’acheter, et je me fais servir un plat de riz cuit dans l’eau. A chaque cuillerée de riz, je suçais un doigt. A la quatrième cuillerée, le sommeil me prit tout à coup, et je m’endormis sur ce banc de bois. Ne voilà-t-il pas que, pendant mon sommeil, un traître chien vient me sucer le cinquième doigt. Quand je m’aperçois de ce vol à mon réveil, je me mets en une telle colère, que je tombai malade. Je sens que mon mal empire de jour en jour ; je suis un homme mort. Allons, il faut que j’oublie un peu mon avarice et que je me mette en dépense. Mon fils, j’aurais envie de manger de la purée de fèves.

— Je vais en acheter pour quelques centaines de liards.

— Pour un liard, c’est bien assez.

— Pour un liard ! A peine en aurais-je une demi-cuillerée. Et quel marchand voudrait m’en vendre si peu ?

Le jeune homme achète de la purée de fèves pour dix liards au lieu d’un. Mais il n’a pu tromper l’œil toujours vigilant de l’avare, et il essuie des reproches à son retour :

— Mon fils, je t’ai vu tout à l’heure prendre dix liards et les donner tous à ce marchand de purée. Peut-on gaspiller ainsi l’argent ?

— Il me doit encore cinq liards sur la pièce que je lui ai donnée. Un autre jour, je les lui redemanderai.

— Avant de lui faire crédit de cette somme, lui as-tu bien demandé son nom de famille et quels sont ses voisins de droite et ses voisins de gauche ?

— Mon père, à quoi bon prendre des informations sur ses voisins ?

— S’il vient à déloger et à s’enfuir avec mon argent, à qui veux-tu que j’aille réclamer mes cinq liards ?

— Mon père, pendant que vous vivez, je veux faire peindre l’image du dieu du Bonheur, afin qu’il soit favorable à votre fils, à vos petits-fils et à vos descendants les plus reculés.

— Mon fils, si tu fais peindre le dieu du Bonheur, garde-toi bien de le faire peindre de face : qu’il soit peint par derrière, cela suffit.

— Mon père, vous vous trompez, un portrait se peint toujours de face. Jamais peintre s’est-il contenté de représenter le dos du personnage dont il devait faire le portrait ?

— Tu ne sais donc pas, insensé que tu es, que, quand un peintre termine les yeux dans la figure d’une divinité, il faut lui donner une gratification ?

— Mon père, vous calculez trop.

— Mon fils, je sens que ma fin approche.

— Mon père, je désire aller au temple pour y brûler de l’encens à votre intention ; donnez-moi de l’argent.

— Mon fils, ce n’est pas la peine ; ne brûle pas d’encens pour la prolongation de mes jours.

— Il y a longtemps que j’en ai fait le vœu ; je ne puis pas tarder davantage à m’acquitter.

— Ah ! ah ! tu as fait un vœu ? Je vais te donner un denier.

— C’est trop peu.

— Deux.

— C’est trop peu.

— Je t’en donne trois ; c’est assez... C’est trop, c’est trop, c’est trop... Mon fils, ma dernière heure approche ; quand je ne serai plus, n’oublie pas d’aller réclamer ces cinq liards que te doit le marchand de fèves.

Voilà ce qui s’appelle un caractère soutenu jusqu’au bout. Ce trait de la fin vaut mieux encore que le dernier mot d’Harpagon : « Et moi, ma chère cassette ! » Il est plus piquant, plus inattendu.

On emporte le vieillard, il ne reparaît plus ; il est mort. La dernière partie de la pièce est remplie par les infortunes du bachelier et de sa femme, et par la reconnaissance tardive du fils et de ses parents.