Le Théâtre du peuple (Romain Rolland)/Avertissement

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Au moment on paraît ce cahier, se font les premiers efforts sérieux pour fonder à Paris le Théâtre du Peuple. Déjà, depuis septembre, un Théâtre Populaire régulier est ouvert, à Belleville. Un autre, cette semaine même, vient de s’ouvrir à Clichy. On y tâche, sans fracas, sans représentations extraordinaires, par un travail modeste et régulier, d’établir entre l’art et le peuple un courant ininterrompu. D’autres tentatives analogues doivent être faites, cette année, sur divers points de Paris. À côté de ces essais loyaux, des contrefaçons prétentieuses, qui attestent du moins la puissance du mouvement populaire, tentent de s’emparer du beau nom de Théâtre du Peuple, pour le dénaturer. Il importe de distinguer impitoyablement la plante populaire des parasites qui s’efforcent de vivre à ses dépens. Le Théâtre du Peuple n’est pas un article de mode et un jeu de dilettantes. C’est l’expression impérieuse d’une société nouvelle, sa pensée et sa voix ; et c’est, par la force des choses, en cette heure de crise, sa machine de guerre contre une société caduque et déchue. Les années qui viennent seront décisives pour le Théâtre du Peuple de Paris. Non que rien puisse l’empêcher maintenant de s’établir. Il est nécessaire, et il sera. Mais il ne faut point d’équivoque. Il ne s’agit pas d’ouvrir de nouveaux vieux théâtres, dont le titre seul est neuf, des théâtres bourgeois qui tâchent de donner le change, en se disant populaires. Il s’agit d’élever le Théâtre par et pour le Peuple. Il s’agit de fonder un art nouveau pour un monde nouveau.


Romain Rolland


15 novembre 1903