Le Tour de France d’un petit Parisien/2/15

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Librairie illustrée (p. 430-438).

XV

Une ancienne connaissance.

— As-tu déjeuné, Jacquot ?

— Oui, oui, oui !

Ce court dialogue avait lieu entre un marin de notre connaissance et un superbe perroquet gris et rouge, l’aîné de la famille du vieux loup de mer ; un chat noir éborgné en était le Benjamin.

Ce chat, que son maître appelait l’Amiral, trônait dans cet intérieur tout maritime, allant de la table à la grande caisse qui, avec quelques escabeaux, constituaient le principal du mobilier. Il eut sans doute préféré le lit ; mais c’était un hamac suspendu au plafond et descendu seulement le soir. Comme pendant à cette couche, faite pour rappeler la vie de bord, un chef-d’œuvre de patience ornait ledit plafond, — un modèle de frégate en bois, en liège, avec ses mâts, ses voiles et ses cordages, sorti des mains patientes du marin. Dans un coin, un fourneau de fonte, avec des « cocottes » de fonte imbibées de graisse et, par-dessous, un amas croulant de charbon de terre, rappelait la primitive installation culinaire à laquelle préside tout maître-coq ; la cheminée, — la véritable cheminée de cette salle basse, ne semblait là que pour recevoir sur sa tablette plusieurs grands coquillages, un quart de cercle et quelques bouteilles de spiritueux, et offrir sur son manteau des enluminures d’une médiocre valeur artistique, représentant l’héroïsme du Vengeur, le naufrage de la Méduse, un portrait de Duguay-Trouin, et Jean Bart à la cour avec cette légende : « Moi, sire le roi, je suis votre matelot à mort ! »

On n’allumait jamais de feu dans cette cheminée, dont le foyer demeurait encombré de toutes sortes d’objets : un tonneau en vidange sur son chevalet, des cordes roulées, une hache, un sac de pommes de terre, un chaudron, une livre de chandelles des douze proprement suspendues en paquet par leurs mèches, des brosses et un pot de cirage, etc.

La muraille faisant face à la cheminée était occupée par un rayon de sapin, où était la bibliothèque du marin, — quelques almanachs et recueils de chansons — se mêlaient agréablement avec une boîte à cigares, un porte-montre, un encrier, un paquet d’allumettes, une pelotte avec aiguilles et dé, de vieux morceaux de drap soigneusement roulés… Au-dessous, plusieurs pipes étaient disposées sur des crochets. Ça et là, à des clous, quelques vieux chapeaux, une vareuse, un pantalon de toile cirée…

Du reste, l’indication de quelques soins au milieu de ce désordre, découlant d’un vif désir de tout « arrimer » à sa place avec l’ordre qui règne à bord d’un navire bien commandé.

Il était facile aussi de reconnaître que chaque matin le propriétaire du local « lavait le pont » avec la régularité apportée à sa propre toilette.

Le perroquet gris et rouge fut gratifié d’une noix, — bien qu’il avouât avoir déjeuné.

En ce moment on frappa à la porte.

Le maître de céans se leva et alla ouvrir.

— Foi de Dieu ! s’écria-t-il, c’est mon petit Parisien !

C’était Jean, en effet, qui remplissait la promesse faite au père Vent-Debout. Il entra, léger de bagage.

— Veine ! fit-il ; cette fois c’est bien votre porte, mon brave Vent-Debout. Et il sauta au cou du vieux marin, dont le visage basané s’épanouit de satisfaction.

— C’est être de parole ! dit-il.

— Je vous l’avais bien promis, de venir.

— Il n’est pas facile, mon garçon de s’orienter dans le Courgain, pas vrai ? C’est un vieux quartier de Calais abandonné aux marins et aux pêcheurs, l’emplacement d’un ancien bastion, comme tu as pu voir par le fossé qui nous sépare de la ville et qui est à sec à marée basse, ainsi que par l’enceinte percée de meurtrières.

— En voilà des ruelles ! fit Jean. Il y a des endroits où l’on pourrait se mettre à la nage… si on n’était pas dégoûté.

— C’est les femmes, ces satanées commères qui laissent couler l’eau de leurs lessives, s’écria le pilote. Une vraie mer, quoi ! avec des amas de cendres formant des îlots couverts de forêts de poireaux, de flambes de carottes et de trognons de choux. Mais enfin te voilà tout de même. Je te présente Jacquot et l’Amiral.

Sous la main caressante de son maître, l’Amiral fit le gros dos. Quant à Jacquot, il demanda à Jean s’il avait déjeuné.

— Cet oiseau a plus de politesse que moi, qui ne t’ai rien offert encore… pas même une chaise. Assieds-toi là, près de la table, et conte-moi de fil en aiguille si tu t’es bien amusé aux ducasses flamandes.

En parlant ainsi le père Vent-Debout rinçait des verres dans un coin affecté à la cuisine. Il les posa sur la table où se trouvait déjà une bouteille de rhum, et vint prendre place à côté de Jean.

Lorsque le petit Parisien eut satisfait à la première curiosité du vieux marin, celui-ci s’informa avec intérêt des occupations du jeune garçon.

— Je compte vendre des livres, dit Jean, C’est arrêté dans mon esprit. Je vais demander à Paris qu’on m’envoie une balle et je la porterai de village en village.

— Tiens ! quelle idée ! fit le père Vent-Debout.

— Tout le monde ne peut pas naviguer, répliqua Jean.

— C’est dommage ! dit le marin. Tu aurais fait un beau gabier de misaine. Mais quelle heure est-il à ta belle montre ? ajouta-t-il malicieusement en ne voyant pas briller le moindre bout de chaîne à la boutonnière du gilet.

Jean dut raconter toutes ses mésaventures depuis le naufrage du Richard-Wallace, et fut amené même à remonter beaucoup plus loin. Cela devint vite l’histoire de toute sa vie d’enfant et d’adolescent, avec les déceptions et les espérances. Le père Vent-Debout saluait au passage, de quelque « failli chien ! » les noms de ceux dont Jean avait à se plaindre. À eux deux, ils maudirent énergiquement Hans Meister en sa double qualité de fripon et d’Allemand. Jacob Risler fut également traité selon ses mérites, — mais avec certaines réserves de la part de Jean. Barbillon apparut un instant comme comparse et victime.

— Ah ! ce moussaillon de malheur ! ne put s’empêcher de dire l’ex-pilote du yacht.

Enfin, l’intéressante Cydalise eut aussi sa place en ce récit ; son portrait sortit d’une bouche admirative, qui sut toutefois garder le silence sur la situation exceptionnelle de cette jeune fille, — enfant volée dont la famille était connue.

Tandis que Jean parlait, Vent-Debout appuyait son poing crispé sur la table. Lorsque le petit Parisien eut achevé de soulager son cœur, le vieux
Vent-Debout et Jean surla jetée (voir texte).

marin voulant lui donner quelque bon conseil, se versa une deuxième rasade et l’approcha de sa bouche en disant :

— Ça vous caresse la basane ! c’est du vrai tafia, au moins ! du nanan des caïmans des Kaïmacans. On ferait le voyage de la Jamaïque rien que pour en flairer l’arome. A ta santé, mon petit !… Vrai, vois-tu, il faut te méfier de ton oncle et t’éloigner de lui le plus possible. Il ne ferait pas bon de filer ton nœud sous son écoute.

— Mais Cydalise ! puis-je l’abandonner ?

— C’est juste, il ya la demoiselle. Si elle est la moitié de ce que tu dis, espalmée, gréée, sans défaut par bâbord ni tribord… eh bien, il faut aller vendre tes livres d’un autre côté.

Jean baissa la tête, un peu humilié de n’être pas mieux compris et nullement encouragé dans sa folie.

— Tu as faim, peut-être ? lui dit le vieux marin avec une sollicitude toute maternelle et se méprenant sur la cause de son abattement. Attends un moment, mon petit ! le temps de me donner un coup de faubert et nous allons nous affourcher chez la mère Cloquemain pour y manger une morue aux pommes de terre dont tu te lécheras les doigts. Au dessert, je te retiens pour te montrer la ville. Ça me connaît, le pavé de Calais !

Une heure après, le père Vent-Debout et son jeune ami rassasiés, sortaient du cabaret de la mère Cloquemain. Alors le vieux marin entreprit de promener son hôte à travers les curiosités de la ville principale du Calaisis.

Calais, grand port de mer sur la Manche, est aussi une place forte de premier ordre. C’est une ville double : Calais, la ville fortifiée, bâtie sur le bord de la mer, et Saint-Pierre, la ville industrielle, bien plus importante comme population, qui aligne ses rues tirées au cordeau, entre le canal de la Rivière-Neuve et le canal de Saint-Omer. Séparé de la ville forte par les allées d’un parc, Saint-Pierre attend l’achèvement de l’agrandissement de l’étroite enceinte. Les deux communes forment un total de trente mille habitants environ, dont un bon nombre d’Anglais à Saint-Pierre-lès-Calais, où l’industrie du tulle, importée d’Angleterre en 1819, compte encore parmi ceux qui la dirigent des manufacturiers anglais employant des ouvriers de leur pays.

La partie de l’ancien Calais la plus voisine de la mer, est le Courgain, d’où s’échappait Jean, piloté par Vent-Debout. Ce quartier est entre le port d’échouage à l’ouest, la ligne du chemin de fer qui l’enveloppe au sud et à l’est, et les anciennes fortifications.

Vent-Debout conduisit tout d’abord le petit Parisien du côté où de récents travaux ont ouvert un bassin à flot, dont la surface égale celle de la moitié de la ville proprement dite. Une digue, nouvelle aussi, protège des terrains gagnés sur la mer ; un très vaste bassin des chasses, creusé dans les sables de l’est, vient au secours du bassin de même genre régnant au nord de la ville, pour aider à un refoulement continuel des sables hors du chenal. Jean connaissait maintenant la destination de ces bassins des chasses, et le vieux marin fut très étonné de le trouver si savant sur la constitution de ces ports toujours ensablés du Pas de Calais et de la mer du Nord.

On alla passer sous les canons du fort Risban, qui défend le chenal et le port d’échouage ; puis Jean voulut visiter la citadelle. Située à l’ouest de la ville dont elle est séparée par une esplanade, elle a été élevée il y a trois siècles avec les matériaux provenant de la démolition de l’ancien château et des maisons avoisinantes. Ce fut aussitôt après que les Anglais en possession de Calais, considéré par eux pendant deux cent dix ans comme une tête de pont sur le territoire français, furent expulsés du Calaisis.

— Il leur fallait ce pied-à-terre ! observa le père Vent-Debout, avec ironie.

Sur ce, le vieux marin entreprit de raconter à Jean dans son langage goudronné, l’histoire des six bourgeois de Calais et, parmi eux, Eustache de Saint-Pierre, se rendant courageusement, la tête et les pieds nus, la corde au cou, les clefs de la ville en main, au camp du roi d’Angleterre Edouard III, qui après avoir promis de les pendre leur fit grâce, cédant à la reine en pleurs. Mais le père Vent-Debout essaya vainement d’expliquer comment, à la suite de cette circonstance, la ville fut délivrée des Anglais, par ces six vertueux citoyens en chemise : c’est qu’il confondait cet honorable épisode du fameux siège de 1346, qui livra la ville épuisée par la famine à la discrétion du vainqueur, avec la vive surprise de la place tentée sous Henri II, par le duc de Guise, le 1er janvier 1558, et qui fut couronnée de plein succès.

De la citadelle, le vieux marin et Jean allèrent faire une promenade au parc. Il fut convenu que le lendemain ils pousseraient plus avant de ce côté-là, histoire d’arpenter les rues droites de Saint-Pierre-lès-Calais et d’y entendre battre les dix-huit cents métiers de la fabrication du tulle de soie et de celle plus importante encore du tulle de coton qui produisent ensemble annuellement pour une valeur de cinquante millions. Il y avait aussi à voir par-là des filatures de lin, des fabriques de divers tissus, des scieries à vapeur, des ateliers de construction : on reviendrait donc.

Le père Vent-Debout avait suivi un peu jusque-là, la fantaisie du petit Parisien. Il tint à prendre la direction du restant de la promenade, comme sachant bien mieux ce qu’il importait de voir. On rentra donc en ville en traversant le canal de navigation, et l’on alla par les rues les plus directes vers le port d’échouage et l’ancien bassin à flot. L’ex-pilote du Richard-Wallace expliqua à son jeune compagnon comment le port, autrefois excellent, avait perdu une partie de ses avantages par suite des ensablements, et comment d’importants travaux l’ont ensuite amélioré depuis un demi-siècle. Le chenal, compris entre deux superbes jetées, n’a pas moins de cent mètres de largeur. Des navires de fort tonnage peuvent pénétrer dans le bassin à flot ; aussi le tonnage avait-il doublé dans les dix dernières années, et Jean put voir là, réduit d’importance toutefois, ce vertigineux mouvement des bassins de Dunkerque.

À Calais, le commerce d’importation porte principalement sur les houilles, les fontes et les laines de la Grande-Bretagne, les bois de sapin du nord de l’Europe, les céréales et les bois d’Amérique ; sur des toiles, des cotons filés, des peaux brutes, des cuirs, des sels de diverses provenances. L’exportation consiste en chevaux du Boulonnais, carrosserie, vins de Champagne, spiritueux, tulle de soie et de coton, « articles de Paris, » vannerie, brosserie, chiffons et, spécialement pour l’Angleterre, légumes, œufs et volailles.

Sur les choses de la marine le père Vent Debout, malgré ses allures, avait une véritable compétence. Il apprit à Jean que Calais, qui fait le grand et le petit cabotage, envoie ses marins à la pêche du hareng et du maquereau, et aussi à celle de la morue.

Ils avancèrent sur les jetées, et le vieux marin fit remarquer à son compagnon que par les temps clairs on distingue de là les côtes d’Angleterre et le château de Douvres.

Deux cent mille voiles franchissent annuellement le Pas de Calais, véritable grande route maritime et passent en vue de ce littoral. Le port de Calais, situé à l’est des caps Gris-Nez et Blanc-Nez qui l’abritent durant les coups de vent d’ouest et de sud-ouest, si violents dans la Manche, offre un refuge assuré aux navires battus par la tempête ; il est accessible en tout temps, et son entrée n’est environnée d’aucun écueil.

Le port est signalé la nuit par le feu fixe rouge d’un phare octogonal situé à l’extrémité de la jetée de l’ouest, et par un autre feu fixe sur l’autre jetée.

Calais étant le port français le plus rapproché des côtes de l’Angleterre — il est à 28 kilomètres de Douvres — partage avec Boulogne le monopole presque exclusif du transport des voyageurs passant du continent aux îles britanniques et vice versâ. Dieppe, le Havre et Dunkerque ensemble se partagent le sixième de la totalité des voyageurs qui traversent le détroit, le plus grand nombre prenant par Calais et Boulogne. Cela tient, surtout pour Calais, à la profondeur de l’entrée du chenal qui permet aux bateaux et aux trains de chemin de fer de partir à heures fixes et de correspondre quelle que soit l’heure de la marée, de l’une à l’autre rive. Les bateaux à vapeur vont et viennent incessamment, même pendant les gros temps.

En revenant vers la ville, Vent-Debout fit remarquer à Jean, sur le port, près de la Porte de la Mer, un modeste monument élevé en l’honneur des généreux marins Gavet et Mareschal, morts en sauvant des naufragés, en 1791. Jean se découvrit avec respect, et le vieux loup de mer, un peu surpris, n’hésita pas à l’imiter.

Une rue les conduisit à la place d’Armes. Comme ils y arrivaient, Jean vit venir au-devant de lui, l’ayant reconnu déja, un jeune homme fort élégant au visage épanoui, qui lui sauta au cou et le serra dans ses bras.

— Comment c’est vous, Jean !

— C’est vous, Maurice !

Le père Vent-Debout mit le chapeau de toile cirée à la main, et après une présentation du pilote du Richard-Wallace dont Jean ne se tira pas trop mal, le marin déclara qu’il allait acheter du tabac, pas loin, et promit de les retrouver au bout de la place d’armes : c’était pour les laisser libres un moment…

Jean ne paraissait nullement rassuré. La présence de Maurice du Vergier si près de la ville où se trouvait la jeune fille cherchée partout, l’étonnait et l’inquiétait.

— Vous, ici ? finit-il par dire.

— Vous y êtes bien, mon cher Jean ! Mais vous ne serez plus surpris de mon passage à Calais lorsque vous saurez que je me rends en Angleterre.

— En Angleterre ?

Jean respira.

— Oui, à Twickenham, — c’est près de Londres ; — je suis invité au mariage de miss Julia avec sir Henry Esmond, que vous connaissez. Le baronnet m’a écrit une lettre fort aimable, ma foi ! et je ne puis m’empêcher de voir dans tout cela la main de l’adorable miss Kate.

— Toujours fervent ?

— De plus en plus ! C’est un culte, c’est un délire, c’est une folie, c’est… Enfin c’est ainsi ! Et je pars pour Douvres par le bateau de une heure du matin, plus exactement une heure un quart. Je suis arrivé il y a quelques heures et j’aurais pu partir tout de suite ; mais je voulais voir Calais. Je ne pensais pas à vous, naturellement. Maintenant je me félicite d’être passé par ici et non par Dieppe comme j’en avais eu l’intention. La traversée du détroit par Calais est, du reste, la plus belle est la plus courte : une heure et demie. C’est la voie que prennent les grands de ce monde ! Marie Stuart est partie d’ici pour retourner en Écosse après la mort de François II.

— Ah ! fit le petit Parisien.

— Il est vrai qu’il n’y avait pas alors de paquebots… Vous ne savez rien de ma pauvre sœur ?

— Rien, dit Jean d’une voix rauque.

— Vous ne me demandez pas des nouvelles de ma mère ?…

— Excusez-moi ; je suis encore tout abasourdi de cette rencontre inattendue.

— N’est-ce pas ? c’est un peu comme moi… La baronne est de plus en plus affligée. Elle n’est pas comme mon père, qui trouve quelque distraction dans ses études archéologiques. Je crains vraiment pour la santé de ma mère !… Si je pouvais me marier jeune, l’entourer d’une famille nouvelle, peut-être oublierait-elle, — peut-être ! Mais je n’en suis pas encore là ! C’est bien du temps à souffrir pour elle. Pauvre mère ! si bonne, si dévouée ! Vous savez comme elle vous aime, Jean ?

Jean, troublé jusqu’au fond de l’âme eut des larmes plein les yeux. Maurice s’en aperçut et dit en changeant de ton :

— Mais pourquoi vais-je vous attrister, mon cher Jean ? Ne pensons qu’à l’heureux hasard qui nous réunit. Je dis hasard, peut-être aurez-vous de bonnes raisons à me donner pour me persuader le contraire. Vous me conterez cela en dînant avec moi tout à l’heure. Votre ami le pilote ne sera pas de trop…

En ce moment, à la clarté des becs de gaz qu’on allumait tout autour de la place d’Armes, ils virent s’avancer vers eux le père Vent-Debout. Il fut invité cordialement par Maurice du Vergier, mais il remercia par discrétion et promit d’aller chercher Jean à la gare maritime à l’heure du départ du bateau. Il n’était pas fâché, dit-il, de pouvoir prendre quelques dispositions pour mettre son humble logis en état de recevoir son jeune hôte pour cette nuit et les jours suivants.

Lorsque le fils du baron eut suffisamment insisté, il demanda au vieux marin, s’il serait facile de retrouver, pour y dîner, l’hôtel Dessin, rendu célèbre par le Voyage sentimental de Sterne…

— J’ai quelque idée de la chose, répondit le père Vent-Debout. Mais le vrai de la difficulté c’est que cet hôtel est devenu un musée.

— Qu’à cela ne tienne ! fit Maurice ; nous trouverons ailleurs.