Le Tour de France d’un petit Parisien/2/16

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Librairie illustrée (p. 439-450).

XVI

Le porte balle

Jean se tint bravement promesse : dès le lendemain, il demanda à Paris un ballot de livres pour le colportage. Maurice du Vergier à qui il s’était ouvert de son projet, sans toutefois lui dire ce qui le déterminait à prendre ce parti, l’avait encouragé et s’était mis à sa disposition le cas échéant. Et le dernier mot de Maurice, après les adieux de Jean et du pilote — qui était venu les rejoindre au quai d’embarquement — fut de souhaiter bon courage à son jeune ami.

— Surtout, lui cria-t -il, appuyez du côté de Caen, dans vos tournées. Maurice emportait en Angleterre des compliments de Jean pour le baronnet et sa famille, particulièrement pour miss Kate : mais il avait refusé de prendre l’engagement absolu de garder le silence sur la mésaventure du bois de Mont-Mal, c’est-à-dire, sur la soustraction à main armé de la belle montre d’or et des billets de banque, présents de la jeune Anglaise et de son père.

Huit jours après, un énorme ballot de livres arriva au Courgain. Jean commençait à connaître suffisamment Calais et les environs de la ville, campagne à peine ondulée tirant son principal charme des grands arbres qui s’y développent.

Jean avait parcouru aussi les sables des dunes, que le vent poussait autrefois devant lui, et il comprit comment on avait réussi, grâce à des plantations d’oyats ou joncs maritimes, à empêcher ces monticules de cheminer.

Par désœuvrement, Jean allait chaque jour assister à l’arrivée et au départ des bateaux à vapeur qui établissent entre Calais et Douvres un service dont la régularité fait penser à un bac de voyageurs mettant en communication les deux rives d’un grand fleuve. Le père Vent-Debout apprit à Jean que c’est entre ces deux points du littoral français et du littoral anglais — Douvres et Calais — qu’eurent lieu, en 1850, les premiers essais de télégraphie sous marine : on ne pensait pas alors, aux câbles transatlantiques, — moins encore aux téléphones.

Le jeune Parisien s’était familiarisé avec les édifices remarquables de Calais : la paroisse de Notre-Dame de Bon-Secours, dont la flèche pyramidale s’aperçoit de loin en mer : une citerne publique adossée au nord de cette église lui donne un faux air de forteresse ; l’hôtel de ville, sur la place d’Armes et son beffroi, dont le carillon est l’un des plus anciens de la Flandre française, et, en arrière de l’hôtel de ville, la vieille tour du guet, massive et carrée, surmontée d’une tourelle également carrée, et qui a servi de phare jusqu’en 1848 ; enfin l’ancien palais du duc de Guise, qui fut d’abord le Pilori ou l’Étape, édifié par Édouard III, où les marchands anglais venaient s’approvisionner de laine. La porte d’entrée de cet édifice est flanquée de deux tourelles octogonales. Henri II fit présent de cette somptueuse demeure au libérateur de Calais, François de Guise ; mais le fils du duc la céda à la ville, et l’ancienne Étape devint l’hôtel du Gouverneur.

Donc, le ballot était arrivé ; un énorme ballot, nous l’avons dit, et qui fit sensation au Courgain.

— Non d’un foc ! s’écria le père Vent-Debout, jamais tu ne pourras porter ça, mon garçon !

— J’en chargerai tout ce que je pourrai sur mon dos, la moitié, le quart, dit Jean sans s’effrayer. Vous me garderez le reste…

— Eh bien ! que fait donc ce paresseux de Barbillon, à Rouen ? Qu’on me larde si ce n’est rien qui vaille ? Si tu te faisais aider par ce moussaillon ? Il te faudrait un âne, vois-tu. Barbillon ce serait pour toi une compagnie… sur les grands chemins ?

— C’est une idée ! Mais qui sait ce qu’il est devenu depuis trois ans ? Et puis, il faut que je tâte du métier avant de me donner le luxe d’un associé. C’est un essai à faire…

Quel déballage ! Des almanachs et des romans, tous les Robinsons possibles, des encyclopédies pour les propriétaires campagnards, des manuels de métiers, des chansons pour les minces bourses, de petits traités pour le peuple, des catéchismes politiques et l’art d’élever des lapins et de s’en faire 3,000 livres de rente…


Où comptes-tu aller, demanda le vieux marin (voir texte).

Le perroquet poussait un cri d’émerveillement à chaque exclamation de son maître. Le chat noir prenait des dispositions stratégiques à travers les ruelles que formaient les piles de livres déposées par terre sur les papiers de l’emballage.

Jean s’approcha de la muraille pour aller y étudier une carte du Pas-de-Calais. Le pilote la décrocha et la plaça sur la table.

— De quel côté vas-tu tourner ta guibre ? Où comptes-tu aller ? demanda le vieux marin.

— Où je vais aller ? Je n’en sais trop rien, mais pas dans les grandes villes. Ce n’est ni à Arras, ni à Montreuil, ni à Béthune, ni à Boulogne, ni à Saint-Pol, ni à Bapaume, ni à Guinegatte…

— Ni à Saint-Omer ! ajouta le père Vent-Debout.

— Ni à Saint-Omer ! dit Jean qui ne nommait pas cette ville justement parce qu’il n’oubliait point que de Calais, Cydalise et Jacob devaient s’y rendre.

Il continuait d’examiner la carte. Le père Vent-Debout arpentait à la marinière son logement. Il s’arrêta et ouvrit un avis :

— Moi, à ta place, je prendrais le chemin de fer, et puisque tu as devant toi toute la France, je filerais mon nœud par Boulogne, Hesdigneul, Étaples…

— Mais vous n’y pensez pas, monsieur Tégonec !

— Je ne veux pas que tu m’appelles monsieur.

— Le chemin de fer, père Vent-Debout !

— Oui, ou bien encore par Saint-Omer, Hazebrouck, Béthune…

— Mais c’est à pied qu’il faut que j’aille ? la balle sur le dos, entendez-vous ? Je monterai en wagon lorsque j’aurai tout vendu.

— Faudra pas que tu aies les jambes en pantenne, alors, je veux dire croisées et paralysées.

— Ah, certes non !

— À pied ! ça me chavire ! Alors je ne m’en mêle plus. Je vois que je suis mauvais pilote hors du littoral. Et cependant… non ! Mon garçon, c’est toi qui n’y entends rien ! Tu peux aller de Calais à Boulogne pour trois francs. Il y a — et le père Vent-Debout comptait sur ses doigts — : une, deux, trois, quatre stations intermédiaires. Tu descends à chacune d’elles et le cap en route ! Tu explores les villages des alentours par une belle brise de travers. Foi de Dieu ! Ça allège joliment la balle !

— Je puis essayer comme cela ! dit Jean à demi convaincu. Le père Vent-Debout dut réussir à le convaincre tout à fait, car le lendemain dans la matinée — une matinée assez froide — on eût pu voir le courageux garçon sortant de la gare de Caffiers — une assez grosse balle de livres sur le dos.

— Où suis-je ? murmura-t-il, pris d’un trouble soudain. Est-ce bien moi ?

Puis, se remettant un peu, il questionna des oisifs qui venaient vers la station comme vers un centre d’activité, une gare aux nouvelles ; et il sut qu’à cinq kilomètres se trouvaient les houillères de Fiennes, peu visitées par les marchands ambulants, où ce ne serait pas sans profit qu’il étalerait aux yeux des ouvriers mineurs, les séductions renfermées dans son panier carré recouvert d’une toile cirée. Désireux de tenter la fortune dès son premier pas, il ouvrit sa balle à la gare même et ce fut avec succès : un vieux monsieur décoré, salué par tous du titre de capitaine, lui acheta un exemplaire de la centième édition de l’ « Art d’accommoder les restes ».

— C’est un beau et bon livre, lui fit observer Jean, puisqu’il a atteint ce chiffre élevé d’éditions…

Le capitaine lui demanda d’un air narquois s’il pensait se moquer de lui ; et devinant la naïveté du colporteur, il ajouta :

— À ce compte, ce livre serait le premier du siècle. Nous sommes perdus si les libraires se mettent à compter par millions, comme les tuiliers. Sachez, jeune homme, que je n’achète ce livre que pour faire enrager ma cuisinière.

Timidement, une jeune fille s’approcha et, sans marchander, choisit une « Clé des songes ». Un garde-champêtre très affairé, fit emplette d’un « Parfait secrétaire» : il cherchait, dit-il, un modèle pour verbaliser dans les formes contre les chiens « divaguant» sur la voie publique…

Quand toute sa clientèle fut servie, il sembla à Jean, au moment où il rechargeait sa balle sur ses épaules qu’elle était sensiblement plus légère, tant cet heureux début lui donnait des forces ! Il alla à Fiennes et fit recette. Alors il poussa dans la direction de Guines, chef-lieu de canton de quatre à cinq mille habitants. En traversant la forêt de Guines, il fut très surpris de rencontrer une petite pyramide en marbre, érigée, disait l’inscription, à l’endroit même où l’aéronaute Blanchard et l’Anglais Gefferies prirent terre le 7 janvier 1785, après avoir traversé le détroit.

Dans la même journée, il put reprendre le chemin de fer et aller coucher à Marquise, où une population ouvrière groupée autour de forges et hauts fourneaux importants, lui permettait d’entrevoir un débit assuré ; ce qui se réalisa en effet.

Le lendemain Jean se dirigea pédestrement vers Ambleteuse, petit port de mer à l’embouchure du Slack, à neuf kilomètres de Marquise. Il vendit quelques almanachs aux pêcheurs.

Le jour suivant, il atteignit par la voie ferrée la station de Wimille et se dirigea vers ce village situé assez loin de la gare. Dans le cimetière, on lui montra la sépulture des aéronautes Pilâtre du Rozier et Romain qui périrent bien malheureusement, le 15 juin 1785 — six mois après la tentative couronnée de succès de Blanchard et Gefferies. Ce fut par suite de l’incendie de leur montgolfière, au moment où ils allaient commencer la traversée du détroit. Un obélisque marque la place où ils tombèrent dans la garenne de Wimereux. Ainsi, Jean voyait à deux jours d’intervalle deux monuments consacrés à une même entreprise ayant donné les résultats les plus opposés.

Jean ne séjourna qu’un jour à Boulogne-sur-mer. Cette ville de 45,000 habitants lui parut occuper une situation pittoresque, au débouché de la vallée de la Liane, et au milieu d’un bassin formé de plusieurs étages de collines. Il vit sur une hauteur et dominant la ville et la rade, la colonne de la Grande Armée élevée en souvenir de l’expédition en Angleterre conçue et préparée par Napoléon Ier, ou, plus exactement, pour rappeler la distribution des décorations de la Légion d’honneur au camp de Boulogne, le 16 août 1804. Dans l’arrondissement, il eut occasion de visiter les tourbières de Saint-Tricat, la bergerie nationale de Tingry le vieux château à pont-levis de Rety. C’est par Montreuil et Saint-Pol qu’il atteignit Arras, chef-lieu du département, — place forte, située au milieu d’une vaste plaine et divisée en deux parties par un ravin où coule le Crinchon. Jean put constater qu’Arras est un très important marché aux grains, et un centre de fabrication et de raffinerie de sucre et de betterave, d’huile d’oeillettes et de colza, de fonderies, de fabriques de poteries et de pipes. Il donna un moment d’attention à l’église Saint-Waast, seule partie existante de la célèbre abbaye de ce nom, au beffroi gothique de l’hôtel de ville et, hors de la ville, à la citadelle construite par Vauban.

D’Arras il se rendit à Bapaume où, des ruines de l’ancien donjon, il jouit d’une belle vue sur les plaines de l’Artois et de la Picardie. Mais ce qui l’intéressa par-dessus tout, ce fut le champ de bataille où le 5 janvier 1871, le général Faidherbe, commandant l’armée du Nord, infligea une défaite aux Allemands.

Il parcourut les campagnes de Lens, ville célèbre par la victoire que Condé y remporta sur les Espagnols en 1648, et il passa par Béthune sur la Blanche, au point de jonction du canal d’Aire à la Bassée, non sans jeter un coup d’œil sur le beffroi de cette ville, l’un des plus remarquables du nord de la France, et qui est classé parmi les monuments historiques : c’est une tour carrée du quatorzième siècle, terminée par une galerie crénelée, flanquée de guérites en encorbellement. Lillers en Artois lui offrit le puits artésien de son couvent des Chartreux, le plus ancien que l’on connaisse en France (1126) et, aux environs de cette ville, les mines de houilles de Ferfay et les mines d’Auchy-au-Bois. Aire-sur-la-Lys se montra à lui ceinte de son rempart bastionné et entourée de jardins et de prairies.

Au bout d’une dizaine de jours, Jean avait dû prier le père Vent-Debout de lui expédier le restant de son ballot en deux paquets, l’un à Montreuil-sur-Mer, l’autre à Arras où, selon ses calculs, il devait se trouver vers le 5 février. Son petit commerce marchait bien, malgré la mauvaise saison, car si les routes étaient souvent rendues difficiles par les neiges, d’autre part les veillées d’hiver engageaient à lire, — et l’on achetait des livres.

Jean avait promis au vieux marin de retourner à Calais, et c’est à Calais aussi qu’il avait pris rendez-vous avec Jacob Risler ; mais il sut résister à la tentation d’aller y retrouver la petite danseuse, tentation bien vive parfois, lorsque se trouvant près d’un chemin de fer, il pensait à la facilité avec laquelle la distance qui le séparait d’elle pouvait être franchie.

Désireux de s’éloigner de Calais, il demanda à Paris qu’on lui adressât à Amiens son second ballot de livres et brochures. Et il se rendit dans cette ville, où il arrivait au milieu de février, ayant réalisé en un mois un premier bénéfice de cent quatre-vingts francs, ce qui lui parut superbe. Grâce à cet argent il s’était nourri et logé ; il avait payé ses places en wagon, en voitures de correspondance, acceptant au surplus sans hésitation, l’offre à lui souvent faite de grimper dans une carriole qui suivait le même chemin, — et il lui restait des économies, un petit pécule qu’il comptait bien augmenter par son industrie.

Le voilà donc en pleine Picardie, ancien champ de bataille où nos armées eurent souvent à lutter contre les Flamands, les Bourguignons, les Anglais. C’est une province bien arrosée et bien cultivée, où l’on récolte en abondance le blé, le seigle, l’orge, l’avoine, le lin, le chanvre, la pomme de terre ; où la culture des betteraves est d’une production égale à celle du Nord et du Pas-de-Calais ; les graines à faire de l’huile y viennent bien, les houblonnières y sont d’un bon rapport, et les pommes y donnent un excellent cidre.

Les Picards sont d’une taille avantageuse, francs et loyaux, mais obstinés, un peu brusques ; honnêtes, laborieux, pleins d’ordre et d’économie,— et avec cela hospitaliers, comme Jean put en juger bien des fois.

Le département de la Somme, agricole, industriel et maritime, comprend diverses régions de la Picardie : au nord le Ponthieu et le Marquenterre, ce dernier pays autrefois couvert par les eaux de la Manche est devenu le sol le plus fécond de toute la Picardie ; entre la baie de Somme et la Bresle, se trouve le Vimeu, à l’est le Vermandois, au sud-est le Santerre, pays extrêmement fertile aussi. Le sol de ce département présente une suite de vastes plaines, unies à perte de vue, parfois légèrement tourmentées. Du fond des vallons qui coupent les plaines, le terrain s’élève par étages, et monte en gradins mollement ondulés. Point de montagnes ; les plus hautes collines ne dépassent pas cent cinquante ou deux cents mètres. Le cours d’eau principal est la Somme, qui traverse ce département dans toute sa longueur et le divise en deux parties. Les autres rivières sont l’Authie et la Bresle.

Les côtes, nues et arides, bordées de monticules de sable que les vents soulèvent et déplacent, sont basses presque partout. C’est à vingt kilomètres au sud de l’embouchure de la Somme que la côte s’élève et présente à la mer une muraille de falaises calcaires qui se prolongent au sud sur tout le littoral normand, du pays de Caux au cap de la Hève ; falaises qui sont pour les habitants du plateau comme un précipice jusqu’au bord duquel s’étendent les cultures : aucune ondulation de terrain n’avertit de leur voisinage ; tout à coup le sol manque sous les pieds, l’abîme s’ouvre et cet abîme c’est l’Océan. Bien que la Somme ne soit pas ce qu’on appelle un département « éleveur » on y trouve néanmoins des chevaux dits picards, des bêtes à cornes, des moutons de races perfectionnées, des porcs, et une très nombreuse volaille. Aux environs de son chef-lieu, on exploite les tourbières les plus considérables de France. Quatre mille ouvriers sont occupés à l’extraction de la tourbe, dans un département qui n’a point de houillères comme l’Artois et la Flandre.

Jean visita successivement ce qu’on appelait autrefois « les villes de la Somme, » les places de Péronne, Corbie, Amiens, Abbeville, et les autres villes situées sur cette rivière dont elles défendaient le passage. Ces « villes de la Somme » comprenaient même quelques petites forteresses peu distantes de son cours, telles que Montdidier, Roye, Doullens, Saint-Riquier. Durant les quinzième et seizième siècles, lors des guerres contre l’Angleterre, puis contre la maison de Bourgogne et ensuite contre les Espagnols, ces villes, enjeu de tant d’ambitions rivales, furent tour à tour pillées, dévastées, saccagées, démantelées et parfois incendiées. On sait comment les villes de la Somme cédées par Louis XI à Charles-le-Téméraire, moyennant deux cent mille écus d’or, avec faculté de rachat, furent reprises par le rusé souverain, grâce à l’intrigue ou à la force. D’horribles dévastations, notamment l’incendie et le pillage de la ville de Nesles, marquèrent les représailles exercées par le duc de Bourgogne, Une partie des habitants de Nesles s’étaient réfugiés dans l’église Notre-Dame ; la soldatesque les y suivit, et alors eut lieu une affreuse tuerie qui joncha de cadavres les dalles de l’église. On montra à Jean cette église Notre-Dame. Nesles a été la ville principale d’un marquisat considéré comme le premier, le plus beau et le plus ancien de France ; dix-huit cents fiefs en dépendaient.

Libre de ses mouvements, Jean put s’intéresser à ce que chaque ville, chaque château, chaque localité renfermait de particulièrement remarquable.

À Amiens, — la merveilleuse cathédrale, la plus grande de France, regardée comme le plus parfait modèle de l’architecture ogivale tant par sa façade, ses deux tours quadrangulaires, ses trois porches, sa rosace, ses nombreuses statues, que par la hauteur de sa nef. À en croire un dicton populaire, la nef d’Amiens, le chœur de Beauvais, le portail de Reims et la flèche de Chartres formeraient par leur réunion une cathédrale incomparablement belle.

À Péronne, — les fortifications et leurs fossés remplis d’eau, ainsi que ce qui reste de l’ancien château : la tour où Charles-le-Simple mourut de faim au fond d’un cachot, et où fut retenu prisonnier Louis XI, pris au piège par Charles-le-Téméraire.

À Doullens, — la citadelle, prison d’État.

Puis, la formidable tour ronde du château de Ham, aux épaisses murailles ; le beffroi de Saint-Riquier, ville qui eut cent tours dont il reste à peine quelques vestiges, mais qui possède intacte une charmante église gothique du quinzième siècle, — le plus bel édifice du département après la cathédrale d’Amiens ; la tour du château de Folleville, haute de cent pieds et que l’on aperçoit de loin comme un phare ; les vieux remparts de Montdidier, capitale du Santerre, où naquit Parmentier, qui mit un zèle si tenace à introduire la pomme de terre en France ; les grands et beaux arbres de la forêt de Crécy, aux environs de laquelle Philippe VI, poursuivant le roi d’Angleterre Édouard III, l’attaqua dans de si mauvaises conditions qu’il fut défait et perdit trente mille hommes et l’élite de sa noblesse ; les portes flanquées de tours énormes qui sont tout ce qui reste du fameux château de Picquigny ; les curieuses pétrifications du souterrain de la ville industrielle d’Albert. — an
Ce fut entre eux une reconnaissance bien cordiale (voir texte).

ciennement Ancre, et qui fut la seigneurie du célèbre Concini, maréchal d’Ancre, avant de passer aux mains d’Albert de Luynes.

Jean se trouvait à Ham, et se demandait par quelle voie il se rendrait à Saint-Quentin, lorsqu’il vit sortir de la gare son excellent ami Modeste Vidal. Ce fut entre eux une reconnaissance bien cordiale. Après le premier moment de surprise et l’étonnement du musicien devant la transformation du jeune Parisien en porte balle, Jean fit part à ce dernier de ses impressions de voyage à travers la Flandre, l’Artois et la Picardie. Il lui parla sans colère de son parent Jacob ; mais sur la petite Cydalise il se tut, comme toujours, sachant parfaitement combien il agissait mal envers la famille de cette pauvre enfant.

Il parut à l’artiste que la vie active menée par Jean lui faisait surmonter un peu ce noir chagrin qui le minait naguère ; mais en causant, en allant au fond des choses, Modeste Vidal trouva son jeune ami dans les mêmes dispositions d’esprit qu’au lendemain de la perte de ses espérances. Il demeurait « sans nom, » se faisant inscrire partout en ne donnant que son prénom de Jean, et de même pour la réception de ses ballots de livres. Le musicien comprit que le moment n’était pas encore venu de voir Jean plus raisonnable, — apaisé.

— Alors tu voulais aller à Saint-Quentin ? lui dit-il ?

— Je vais là comme j’irais ailleurs.

— S’il en est ainsi, je t’emmène à Laon avec moi, par le chemin de fer.

Jean accepta — mais avec trop d’indifférence suivant le généreux artiste qui chercha un moyen de stimuler son énergie.

— Tu as vu de grandes villes et de curieuses choses, lui dit-il ; mais en faisant des zigzags à travers ces pays-ci, — où j’aurais pu te rencontrer plus tôt — j’ai fait une découverte ; j’ai presque constaté un miracle ; aussi bien s’agit-il d’une sainte et héroïque fille…

— Qui donc ?

— Jeanne, la libératrice d’Orléans, prisonnière devant Compiègne, martyrisée à Rouen. Je te raconterais volontiers cela… si je ne te connaissais tant et tant d’ennuis !…

— Oh ! vous vous trompez, si vous me croyez indifférent… surtout quand il s’agit de ma petite sœur de Lorraine.

— Vrai ? Eh bien ! alors, je vais te dire ce que j’ai appris dans un village perdu de la Picardie.