Le Tour de France d’un petit Parisien/3/20

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Librairie illustrée (p. 757-767).

XX

Languedoc et Provence

La fin de février 1882 trouva Jean et Jacob Risler dans les environs de Nîmes, ayant traversé l’Ardèche, séjourné à Privas, (7,000 habitants) et à Largentière. Du Gard, ils connaissaient comme s’ils les eussent toujours habités Alais, Uzès, le Vigan ; — Alais, au pied des Cévennes, sur la rive gauche du Gardon, ville assez triste, marché important de l’industrie séricicole ; Uzès, à l’aspect féodal, avec ses vieux quartiers groupés sur une colline autour du Duché ou château à donjon et tours massives ; le Vigan, au centre d’un bassin houiller, avec son pont gothique sur l’Esperon et sa promenade plantée d’énormes châtaigniers, célèbre dans tout le Midi.

On marchait à petites journées à travers les campagnes. Le rétablissement définitif de Jacob Risler laissait beaucoup à désirer.

— Pour ma première bonne action en ma vie, observait-il parfois, je ne suis guère récompensé !… Je m’en serais tiré à meilleur compte avec cet Anglais, si…

Jacob n’achevait pas, observait son neveu, et se demandait comment, pour lui donner le change, il pourrait expliquer à son avantage sa présence si mystérieuse et si opportune tout à la fois au glacier du Mont-Blanc. Il ne trouvait pas, se troublait un peu, et reprenait : — Enfin je ne regrette rien… quand j’en devrais mourir.

Mais alors, Jean se faisait généreux, compatissant et réconfortait son oncle en le louant de sa conduite.

— Maintenant, c’est avec le Bordelais que je voudrais faire ma paix. Mais que veut-il dire avec ses refus de soixante-quinze mille francs, de quatre-vingt mille francs pour sa vigne (Jean avait montré des lettres de son ami contenant quelques bonnes paroles à l’adresse de Jacob). Qu’est-ce que cela peut te faire ?

Jean demeurait fort embarrassé pour répondre ; il affirmait à son oncle que ce n’était nullement « une cachotterie ».

L’ami de Maurice, la pensée toujours dirigée vers ce coin de la Normandie où vivait Sylvia, assuré des sentiments de la jeune fille, songeait à donner plus d’activité à cette lutte pour la vie qu’il avait entreprise. Il lui fallait absolument amoindrir la distance qui le séparait de la demoiselle de noble maison. Possédant déjà assez de style et d’orthographe, connaissant passablement l’histoire de notre pays, il portait toutes ses forces sur l’étude de la géographie, et il apprenait sans maîtres l’anglais et l’allemand, avec l’intention d’y joindre dans quelques mois l’espagnol, langue parlée ainsi que l’anglais sur une grande partie du globe. Il s’aidait beaucoup des relations de voyage pour se donner une idée de l’aspect des contrées lointaines, de leurs ressources, des mœurs et des lois propres aux races qui les peuplent.

Et maintenant, délivré d’un vague désir de s’instruire, il savait par quelle voie il se dégagerait de son milieu. Son ambition était de prendre part à une de ces expéditions comme on en a fait plusieurs de notre temps, et que le monde civilisé suit de ses regards et accompagne de ses vœux. Aujourd’hui, on ne va plus au loin uniquement pour faire fortune, comme autrefois tant d’illustres aventuriers. Des mobiles supérieurs impriment leur activité aux hommes de bonne volonté, et la fin de ce siècle attend d’eux le couronnement de ses connaissances géographiques, la solution de bien des problèmes scientifiques, le renversement des antiques barbaries, l’élargissement des voies qui conduisent à travers le monde.

Dans ses livres, Jean avait appris à connaître un intrépide voyageur, Savorgnan de Brazza, qui venait d’accomplir sa deuxième exploration dans l’Afrique occidentale, et en préparait hardiment une troisième, ayant le caractère d’une expédition faite en vue d’établissements à créer. Quel bonheur pour ce petit Parisien, ce gamin de Paris, s’il lui était donné de s’attacher aux pas de cet homme d’une si louable persévérance et de revenir dans quelques années de ces régions du Congo, de l’Ogooué et de l’Alima, comme on revient d’une campagne brillante en victoires et conquêtes ; de rapporter à son pays — noble ambition — une âme virile et fortement trempée ; d’être quelqu’un qui s’estime et que l’on prise ; d’avoir combattu le combat pour l’existence d’où l’on ne sort pas toujours heureux, mais toujours fortifié et grandi. Et une pensée d’égoïsme ramenait sa réflexion vers mademoiselle du Vergier.

Nîmes fut un lieu de repos forcé pour Jacob Risler, repos réclamé par son état languissant. Jean installales livres de la balle sur quelques planchettes, contre un vieux mur romain, et momentanément son commerce devint celui du libraire étalagiste. Encore un nouveau hasard dans son existence ; mais le mur romain, débris de l’enceinte de la ville, avait vu bien d’autres vicissitudes !

Le Midi devait être une révélation pour Jean. Les Romains yont laissé de nombreuses marques de leur prise de possession d’une partie de la Gaule, nominale en bien des régions, très effective dans tout le sud de la France. A Nîmes, ce sont les Arènes, la Maison-Carrée, la tour Magne, le temple de Diane, la porte d’Auguste, la porte de France, les thermes, le château d’eau, les anciennes murailles. Ce fut pour Jean comme une découverte qu’il crut avoir faite. Il visita le musée de cette ville, et il le trouva très riche en fragments antiques. D’autres surprises lui étaient réservées : sur une vaste région de notre sol, cet art romain, dont le trait distinctifest la voûte combinée avec les ordres grecs, offre de nombreux et considérables spécimens. Jean admira l’amphithéâtre de Nîmes, tour à tour attribué à Antonin, à Trajan, à Vespasien, à Titus et à Domitien. Son plan décrit une vaste ellipse dont le grand axe n’a pas moins de 133 mètres. Le pourtour est formé de voûtes et d’escaliers intérieurs supportant les gradins. Dans les Arènes, comme dans tous les amphithéâtres romains, se donnaient des combats de gladiateurs, de bêtes féroces et d’autres spectacles.

A Nîmes, ce lieu de réjouissances publiques créé pour satisfaire aux exigences d’une populace qui réclamait du pain et les jeux du cirque — panem et circenses — fut transformé en forteresse par les Wisigoths. Les Arènes s’entourèrent alors d’un fossé. Un peu plus tard les Arabes s’y virent assiégés par Charles Martel ; puis les comtes de Nîmes réparèrent la forteresse improvisée, et en confièrentla garde à des Chevaliers des Arènes. Cela dura jusqu’au temps de Charles VI ; enfin François 1er fit démolir les maisons qui s’y appuyaient à l’extérieur, et les premières années de notre siècle virent commencer les travaux de déblaiement de l’intérieur.

La Maison-Carrée, chef-d’œuvre de l’art romain dans notre pays, est un temple rectangulaire de ving-cinq mètres de long. Son riche entablement est supporté par trente colonnes d’ordre corinthien, dont vingt engagées dans les murs, les dix autres soutenant le péristyle, auquel on accède par un perron de quinze marches. La tour Magne, située sur la plus haute des sept collines de Nîmes, se compose de trois étages superposés et en retrait les uns sur les autres.

Ce n’est pas anticiper que de dire que, pendant les treize ou quatorze mois que Jean passa dans le Languedoc, le comtat Venaissin et la Provence, sa connaissance de notre histoire se trouva fortifiée par l’aspect imposant de tous ces débris d’une civilisation disparue. Sur le ciel bleu du Midi se détachent les lignes pures et hardies de l’architecture gréco-romaine, et cette partie de la France n’a presque rien à envier à l’Italie et à la Grèce, dont elle possède aussi le climat.

Au nord de Nîmes, le Gard, formé par la réunion du Gardon d’Anduze, du Gardon de Mialet et du Gardon d’Alais, traverse des gorges sauvages. Parfois, ses eaux s’échappent à travers les fissures des rochers. Elles reparaissent plus bas, dispersées, il est vrai, les unes surgissant au milieu des sables, les autres s’écoulant paisiblement en minces filets de roche en roche ou s’épanchant avec force en gros bouillons.

A l’endroit où la rivière a enfin recueilli toutes ses eaux, s’élève — à quarante-neuf mètres de hauteur — le magnifique aqueduc romain, appelé Pont du Gard, qui domine de ses arches aériennes toute la vallée sévère qu’il traverse. Jean et son oncle longeaient la base d’un coteau, lorsqu’ils virent surgir tout à coup au-dessus du feuillage sombre des chênes et des oliviers, et se détachant sur un ciel d’un azur intense, les trois rangs d’arches superposées que dix-huit siècles ont dorées des feux de leurs soleils, et qui apparaissent comme un arc-en-ciel de pierre remplissant tout l’horizon.

L’effet produit par cette chaîne granitique jetée en travers d’une gorge où la roche se montre à nu, fut saisissant pour eux, comme il l’est pour tous les touristes. La beauté, la puissance et la hardiesse de cette conception gigantesque, indestructible et bâtie comme pour l’éternité, n’ont d’égales que certaines œuvres d’art modernes de nos ingénieurs, — par exemple, dans la même région, les ponts et les viaducs construits pour l’exécution du chemin de fer qui surmonte les Cévennes, et, en Provence, l’audacieux aqueduc de Roquefavour, qui depuis 1846, charrie à quatre-vingt-deux mètres au-dessus de la rivière d’Arc, les eaux enlevées à la Durance pour l’approvisionnement de Marseille.

Les arcades inférieures du Pont du Gard sont au nombre de six, les arcades intermédiaires au nombre de onze, et les arcades supérieures au nombre de trente-cinq ; la masse entière a plus de deux cents mètres d’étendue. La cou
Les ruines du théâtre antique à Arles (voir texte).
verture est formée de pierres d’un seul morceau de huit pieds de long sur deux et demi de large. Toutes ces pierres s’entre-soutiennent sans ciment, par leur propre poids, et grâce à leur coupe savante.

La merveille du Gardon resta telle qu’elle était jusqu’en 1747, époque où fut adossée aux flancs de la seconde lignes d’arcades, une route destinée au passage des voyageurs et des voitures.

Comme reste de la puissance romaine Jean devait voir encore, près d’Apt, sur le Caulon, le pont Julien admirablement conservé : ce pont faisait partie de la voie Aurélienne de Milan à Arles. Près de Saint-Chamas, le pont Flavien : il a une arche unique de vingt et un mètres de portée, jetée sur la Touloubre, entre deux arcs de triomphe d’ordre corinthien. A côté d’un arc de triomphe, qui se dresse près de Saint-Rémy, dans les Bouches-du-Rhône, se trouvent les restes très bien conservés d’un de ces élégants mausolées dont les voies se bordaient aux environs des villes. A Orange, un arc de triomphe romain se fait remarquer par la grande richesse de sa sculpture. Jean fut à même de comparer l’amphithéâtre d’Arles à celui de Nîmes, dont il diffère surtout en ce qu’il avait des colonnes au lieu de pilastres. On évalue à 25,000 le nombre de spectateurs auxquels il pouvait donner place — comme l’amphithéâtre de Nîmes. À Arles, Jean vit aussi ce qui reste du théâtre antique, bâti sur le même plan et dans les mêmes proportions que celui d’Orange (dont nous n’avons rien dit encore), mais moins bien conservé ; on y découvrit au dix-septième siècle la Vénus d’Arles, l’un des joyaux du musée du Louvre. Cette ville avait encore à montrer d’autres richesses : l’obélisque en granit, les restes de ses magnifiques aqueducs, ceux du palais de Constantin, des thermes, des remparts, du Forum, enfin l’antique nécropole appelée les Alyscamps (les Champs-Elysées) convertie actuellement en promenade.

Durant leur séjour à Nîmes, Jean et Jacob furent surpris aux environs de cette ville par une de ces pluies orageuses qui s’abattent sur le versant méditerranéen des Cévennes ; les lits des rivières roulent jusqu’au Rhône des torrents d’eau chargés de débris. La proximité des montagnes du Vivarais et des Cévennes ne permet pas aux tributaires du grand fleuve d’apporter leurs eaux calmées par un long trajet.

C’est aveuglés, les vêtements à l’état d’éponge et le corps ruisselant qu’ils étaient rentrés à Nîmes, où dès le lendemain, Jacob, qui n’était plus le colosse d’autrefois, s’était alité comme nous l’avons dit. Lorsque deux semaines auparavant Jean était passé à Alais, avec son oncle, on leur raconta que le 25 septembre précédent un épouvantable cyclone s’était abattu sur cette ville. En moins d’une demi-heure, les toitures de plus de cent maisons avaient été enlevées, les arbres séculaires des promenades presque tous renversés, deux ponts emportés. Après une heure de tourmente, la pluie tomba abondamment. Le Gard grossi par ses affluents, charriait des cadavres de bestiaux, des meubles, des arbres. La gare des marchandises s’était écroulée ensevelissant cinq personnes, toutes grièvement blessées ; et le train de Quessac, qui allait partir, fut emporté par la force du vent, à plus de cent mètres de la gare, blessant le mécanicien et le chauffeur.

Voilà le régime de la région située à l’ouest du Rhône, au-dessous de Lyon, et jusqu’aux bouches de fleuve.

Jacob à peu près rétabli de son indisposition, on s’était mis en route, cette fois à travers la Provence. L’oncle et le neveu arpentèrent bien des coins de pays poudreux, blanchâtres, voués à la sécheresse éternelle, sous un ciel aveuglant ; le long des routes, leurs pieds laissaient une empreinte d’un pouce dans la poudre blanche finement tamisée par le soleil. Voyager devenait un supplice.

Soudain au tournant d’une montagne, comme par un coup de baguette magique, ils se trouvaient sur des routes belles, ombragées ; un air vif chargé de senteurs balsamiques courant sur les campagnes ; les coteaux apparaissaient chargés d’une innombrable quantité de petites maisons, gaies avec leurs volets verts et leurs toits de tuiles rouges ; dans les fonds humides, sur la verdure des prairies, s’allongeaient les ombres des peupliers et des saules plantés au bord des eaux vives ; des champs de garance ou de maïs alternaient avec des pièces de luzerne ; plus loin, en bonne situation, les coteaux se ceignaient de vignes, d’oliviers et de mûriers ; et tout cela, alors, était éclairé par un beau soleil, qui fécondait et ne tarissait pas.

Ailleurs, — comme entre le mont Ventoux et le Rhône, — la vaste plaine s’étendait couverte d’oliviers et de mûriers formant çà et là de véritables forêts.

Tantôt à pied, tantôt en chemin de fer, on avait atteint, à la jonction des deux vallées du Rhône et de la Durance, Avignon, qui au moyen âge tint un rang distingué parmi les cités du Midi, et conquit au treizième siècle son autonomie, avant de devenir la résidence des papes. Jean vit se dresser sur le rocher des Doms, la masse énorme et sévère de leur palais, surgissant comme une vision du passé, du milieu des tours de la vieille muraille d’enceinte, des nombreux clochers et des « bourguets » ou petites tours que les bourgeois avaient élevées par centaines au temps de la liberté de leur ville, et dont plusieurs se dressent encore au-dessus des maisons aux toits rouges.

Son fameux pont « Le pont d’Avignon » de la ronde enfantine, « bâti par le diable et saint Bénezet », a été longtemps le seul pont jeté sur le Rhône en aval de Lyon.

La curiosité poussa Jean vers la fontaine de Vaucluse, et son oncle le suivit. On sait que ce lieu a inspiré à Pétrarque quelques-uns de ses plus jolis vers. C’est à douze kilomètres d’Avignon que se trouve cette fontaine, au fond d’une gorge, dans la chaîne des monts qui joint le Ventoux au Luberon. Un demi-cercle de rocs calcaires à pics, déchirés, dénudés, calcinés, aux parois de plus de deux cents mètres de hauteur, sans autre végétation qu’un seul figuier qui s’accroche à la pierre, ferme le vallon sinueux de Vaucluse. Au centre de ce mur de rochers, s’ouvre une grotte ou plutôt un gouffre d’environ trente mètres de largeur, sous une vaste roche rougeâtre et nue. Là, filtrent et s’amassent dans un bassin tranquille les eaux venues des plateaux voisins à travers les fissures d’un sol rocheux. Ce bassin a une soixantaine de pas de circuit. L’eau croît ou diminue, souvent sans cause apparente. Quand elle diminue, son récipient présente l’aspect d’un vaste entonnoir dans lequel on peut descendre assez facilement.

Soudain la fontaine est gonflée par les infiltrations ; elle franchit les parois du bassin, bouillonne à ciel ouvert, et déborde en flots tumultueux dans le lit incliné de la Sorgues, formant une cascade au-dessus du talus de débris des roches. Ce phénomène se produit quelquefois avec une violence terrible, un fracas épouvantable.

D’Avignon, nos porteballe s’en allèrent du côté d’Orange, ville de 11,000 habitants, située sur le Meyne, au pied d’une colline. De là, ils se dirigèrent vers Carpentras. « C’est bien injustement, a dit M. E. Reclus, que le seul nom de Carpentras, éveille l’idée d’une petite ville de province, peuplée de bourgeois vaniteux et médisants ; il se trouve précisément que, toute proportion gardée, Carpentras est, parmi les villes de faible population, une de celles qui se distinguent le plus par l’industrie, l’amour de la science et des arts. Elle a bibliothèque et musée, et forme elle-même une sorte de musée par ses monuments, depuis l’arc de triomphe romain de l’ancienne Carpentoracte, aux puissants bas-reliefs représentant des guerriers, jusqu’à son bel hôtel de ville du dix-huitième siècle et à ses grands aqueducs. » Et voilà comme on fait les réputations, avec des plaisanteries de feuilletonistes et des chansonnettes :

À Carpentras ! à Carpentras !

Pénétrant dans la région montagneuse, nos petits marchands virent Apt qui possède des mines de soufre, les seules qui soient fructueusement exploitées en France.

Ils contournèrent au sud le mont Ventoux, et visitèrent les principales villes des Basses-Alpes : Forcalquier, sur le flanc d’un mamelon, dominé par un pic que couronnent les ruines d’un ancien château fort ; Digne, dans un vallon pittoresque ; Sisteron, sur la rive droite de la Durance, place forte qui commande les vallées de la Durance et du Buech.

Un ancien proverbe disait que la Provence était affligée de trois fléaux : le mistral, la Durance et le parlement. De ces trois fléaux, il n’en subsiste plus que deux. La Durance jusqu’à l’endroit où elle va rejoindre le Rhône (un peu au-dessus de Tarascon) a gardé ses allures de torrent, tour à tour roulant à elle seule autant d’eau que tous les fleuves de France réunis, et réduite à de minces filets d’eau, serpentant au milieu des champs encombrés de pierres, véritables « craus », larges d’une demi-lieue. Des îles ou « isèles » couvertes de saules et d’autres arbres se succèdent régulièrement entre les petits courants partiels et leurs lits de cailloux.

Ils virent aussi Barcelonnette, principal centre habité d’une admirable vallée adossée aux grands sommets des Alpes ; les dernières rampes frangées de sapins et de mélèzes l’encadrent de toutes parts. La ville est entourée de belles prairies, de vergers et de jolis jardins.

Ils se hasardèrent dans la montagne, et, à leur grande surprise, ils rencontrèrent nombre d’acheteurs parmi les populations qui habitent ces agglomérations villageoises de maisons à un seul étage, aux toits à pointes aiguës couverts d’ardoises ou de petites plaques de bois résineux. Ces montagnards très studieux par goût, et qui lisent beaucoup durant l’hivernage, s’adonnent avec profit à des occupations pastorales. L’été, les pelouses verdoyantes et fleuries qui couvrent les flancs et les sommets des montagnes, forment d’excellents pâturages, fréquentés annuellement par des milliers de moutons transhumants, qui appartiennent principalement aux départements du Var et des Bouches-du-Rhône. Ces animaux vivent là en plein air pendant plusieurs mois, sous la garde de bergers qui les défendent contre les loups.

Jean et son oncle quittèrent les montagnes des Basses-Alpes, et ces vallées agrestes et profondes qu’arrosent des eaux limpides ; ils traversèrent les plaines ornées de toute la richesse des cultures méridionales, les pelouses des plateaux et les hautes forêts pour descendre dans le département des Alpes-Maritimes, en marchant vers Nice.