Le Tour de France d’un petit Parisien/3/3

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Librairie illustrée (p. 576-584).

III

Sur le chemin de Landerneau

La Vilaine élargit son cours à mesure qu’elle s’avance vers Rennes parallèlement à la voie ferrée. Bientôt, elle se trouve dans une région riante pleine de fraîcheur et d’ombrage. Avant d’être rejointe par l’Ille un peu au delà de Rennes, elle coule au sud de la forêt voisine de cette ville, où les chênes entremêlés de hêtres touffus forment de magnifiques dômes de verdure. La rivière est bordée de belles et vastes prairies, et les hauteurs du deuxième plan se chargent de charmantes maisons de plaisance enveloppées dans le feuillage.

Après avoir traversé Rennes, la Vilaine tourne brusquement vers le sud, et, en aval de l’importante ville, la campagne ne fait qu’embellir : c’est le petit manoir de la Prévalaye, dont la ferme donne son nom à tous les beurres des environs ; c’est le château de Blossac, c’est Pont-Réan et Bourg-des-Comptes ; partout se rangent en s’harmonisant les vallées vertes et les collines boisées ; les perspectives se développent de plus en plus pittoresquesdu côté de Redon — à l’extrémité du département.

Rennes se trouve donc au point central de ce site séduisant, entre la forêt et la Vilaine grossie de l’Ille. C’est une ville aristocratiquede 61,000 habitants, dont les rues larges, les places spacieuses rappellent le tracé de Versailles, et aussi son peu d’animation, et semblent avoir proscrit l’industrie et le commerce, la vie et le mouvement.

Les maisons bâties en granit sont d’un extérieur sévère et froid. Rennes appartient à la magistrature et à l’enseignement. Siège de toutes les administrations départementales, d’un archevêché, d’une cour d’appel, elle possède
Des calvaires se dressaient sur les pentes (voir texte).
en outre, une Faculté de droit, des sciences et des lettres, un lycée et de nombreuses écoles primaires, une école d’artillerie, une école préparatoire de médecine et de pharmacie, une école normale d’instituteurs, une école d’agronomie, une école de peinture, de sculpture et de dessin ; plusieurs sociétés savantes y indiquent assez la prédominance des fortes études ; sa bibliothèque est riche de 45,000 volumes, son musée est un des plus considérables parmi les musées de nos provinces : elle a aussi un jardin botanique, un beau cabinet d’histoire naturelle, des collections d’archéologie et de numismatique, et d’autres encore qu’il serait trop long d’énumérer.

La ville, partagée inégalement par la Vilaine, offre plus d’un aspect. La partie haute, sur le penchant et la croupe du coteau qui domine la rive droite de la Vilaine, a été en grande partie rebâtie à la suite du grand incendie de 1720, qui dura sept jours et consuma plus de huit cents maisons. Autour du vide que firent les flammes, les places encore existantes des Lices, de Sainte-Anne, les alentours de la cathédrale, les rues Saint-Malo, d’Antrain et quelques autres rues peuvent donner une idée de ce qu’était l’ancienne ville haute, avec ses maisons peu élevées datant du moyen âge, se joignant, s’accotant par des voûtes, avec des galeries de bois, des tourelles ; offrant toutes les bizarreries de la pierre taillée dans ses fenêtres, ses balcons, ses portes. L’ancien beffroi a disparu ainsi que tout ce que la vieille ville présentait de plus antique et de plus original.

Rennes se présente avantageusement comme chef-lieu d’Ille-et-Vilaine, mais n’a presque plus rien de ce qui montrait en elle la capitale de la Bretagne, encore moins, si l’on voulait remonter plus haut, — à la conquête romaine — de ce qui pourrait rappeler la principale cité des Redones, l’un des peuples de l’Armorique.

Le temps est loin où les ducs de Bretagne faisaient leur entrée solennelle par la porte Mordelaise ; porte demeurée comme un curieux spécimen de l’art des fortifications au moyen âge. Une inscription latine en l’honneur de l’empereur Gordien III, « très heureux, très pieux et très auguste» s’y lit sur une pierre employée au hasard de la construction dans l’un des jambages de la porte.

Si l’hôtel de ville date du grand incendie, il n’en est pas de même du palais de justice qui s’élève sur l’une des principales places. C’est un vaste édifice un peu lourd, mais imposant, œuvre de Jacques Debrosse, destiné au Parlement de la province. Henri II institua ce Parlement à Rennes, bien que sa possession fût ardemment convoitée par Nantes.

La ville, traversée de l’est à l’ouest par la Vilaine, est contournée à l’occident par le canal d’Ille et Rance qui réunit la Manche et l’Océan en coupant toute la presqu’île de Bretagne. Onze grandes routes convergent à Rennes et quatre chemins de fer aboutissent à sa gare. On peut espérer qu’un moment viendra où toutes ces voies de communication seront largement utilisées et serviront à l’accroissement du bien-être de toute une région restée trop en dehors du mouvement industriel et commercial de la France.

À dix heures et demie du matin, par une magnifique journée, on eût pu voir sortant de la gare, située sur la rive gauche de la Vilaine, un jeune garçon à l’air éveillé ayant quelque peine à suivre un paysan maigre et noir comme un loup qui portait la totalité des communs bagages — peu de chose. C’étaient Jean et Méloir ; ce dernier dans un de ses accès de mauvaise humeur.

— Voyez-vous, disait-il, en tricotant un petit du jarret, on serait allé à un bon endroit que je saisi, oùs qu’on y cuit des tripes jusque pour Vitré, et le cidre y est cœuru ; c’est pas loin de la gare — et dans une demi-heure ou tout au moins une petite heure nous reprenions le chemin de fer pour arriver avant la nuit à Landerneau.

— Avant la nuit ! répliquait Jean, chaque fois que Méloir recommençait ses doléances ; je ne tiens pas à arriver à la nuit dans un endroit où je ne connais personne. Ce n’est pas ton beau-père qui nous hébergerait ?

— Pour quant à ça, non ! Ça pourrait venir, mais pas tout d’un coup. Faut pas mentir, c’est un méchant loup, le tailleur.

— Pour te faire rentrer en grâce auprès de lui, il faut que je lui fasse une première visite… sans toi, afin de plaider ta cause, d’annoncer ton retour si je réussis. Est-ce grand Landerneau ?

— Oh ! que oui bien que je le voudrais ! Via qu’est mignon, et c’est de la bonté de la part de vous ! Et pour ce qui est de Landerneau, fit Méloir en se rengorgeant, il y a plus de huit mille bons chrétiens, sans compter les païens dans le nombre, —avec deux belles églises, Saint-Houardon et Saint-Thomas, dont vous avez sur et certain entendu parler à Paris, et puis un ancien pont tout bâti de maisons, avec le moulin des Rohan dessus, sans parler de la forêt, où c’est que le chemin de fer traverse à l’autre bout de la ville. Je n’ai point jamais vu de pays où l’herbe soit si verte, ni des landes si fleuries. Et des clochers donc ! il n’yen a nulle part de si hauts.

— La gare est-elle dans la ville ?

— Non, mais si c’est que vous voudrez, nous prendrons l’omnibus, et la maison d’Yvon Troadec, — la gale ! — qui est mon beau-père pour mon malheur, puisqu’ils se sont entremariés avec ma mère qu’était veuvière de défunt mon père Pierre Guirec de son nom nommé — sa maison est sur une petite place au tournant d’une ruelle, cinq minutes en avant de la ville. Les père et mère de ma promise sont établis en face du communal oùs que Vivette jouait avec moi et les autres gars et Flohic tout de même, quand nous étions petits : c’était pas la graisse qui l’empêchait de couri c’t oiseau-là ! C’est un beau brin de fille ma Vivette, vous verrez ! Et c’est que le bonhomme Jacut Dénoual a le sac ; sans compter que la mère Linaïk passe pour en avoir caché plus d’un de sesécus mignons au fond d’un vieux bas. Ah ! dame l’argent est l’argent, et c’est blanc, n’y a point à dire non. Ah ! mais non fait ! appuya l’amoureux de Vivette avec énergie.

— Enfin, nous n’entrons pas dans la ville ? C’est ce que je voulais savoir, dit Jean. Il ne faut pas, ajouta-t-il en riant, que notre arrivée fasse trop de bruit dans Landerneau, et je veux voir ton beau-père et ta mère avant qu’ils aient appris que tu es tout auprès d’eux.

— C’est bon ! Je vous attendrai au cabaret, chez la mère Mélaine ; en mangeant un morceau sur le pouce, et en buvant un coup à la santé de ma bonne femme de mère, car manger sans boire, c’est faire un repas de mouton. Quant au vieux faudra être mignon d’avec lui ; — un tailleur et un Parisien ça fait deux ;s’i s’doutaittant seulement de la part de qui que vous venez venant, y vous mettrait pus bas que vos semelles. Faut pas mentir, mais ce vieux houro-là[1], jure pus salé qu’un trancheur de morue quand il est chaudeboiré.

— C’est bon ! dit à son tour Jean en interrompant son loquace compagnon. Nous partirons demain matin de bonne heure et nous serons dans ton pays au cœur de la journée. Voilà qui est arrêté. Et maintenant Méloir, ralentis un peu ton pas, mon garçon, et conduis-moi où tu voulais me faire manger, tantôt, je ne sais plus quoi.

— Une écuellée de tripes ? C’est tout contre le Champ de Mars, à deux enjambées. Vère ! pare à faire attention tous les deux : un camouflet fait vingt-huit chopines.

Et Méloir radieux fit exécuter un prodigieux moulinet à la petite valise de Jean, et se mit à chanter entre ses dents la complainte de la chèvre de Trémaudan.

La chieuve dont je vous parle
Avait de biaux parents ;
Oll’tait cousine germaine
Au vieux bouc de Trémaudan

Sur ce, ils allèrent déjeuner ; après quoi, passant les ponts, comme on dit à Paris, Jean fut conduit par le Breton, qui connaissait la ville, sur les quais Saint-Yves, d’Orléans et Chateaubriand, puis au Thabor, belle promenade bien plantée, séparée du jardin botanique par une grille.

Dans un vaste carré, Jean vit là une statue de Du Guesclin : Rennes devait bien cet hommage à « monsieur Bertrand, le bon connétable aux poings carrés », qui la délivra des Anglais du comte de Lancastre qui l’assiégeaient (1357). — Du sommet de la butte, la vue s’étend à plusieurs lieues de distance sur l’agreste vallée où la Vilaine promène ses eaux paresseuses.

La ville de Rennes, telle que nous venons de la décrire, Jean la vit dans tous ses détails. Il eut largement le temps de tout visiter : la cathédrale Saint-Pierre, Notre-Dame, l’archevêché, Saint-Sauveur, le palais de justice, où il remarqua de chaque côté du perron les statues des jurisconsultes d’Argentré, né à Vitré et Toullier (né à Dol), celles du procureur général la Chalotais, et, de l’avocat Gerbier, gloires du barreau de Rennes, leur ville natale. Cette apparition d’illustres Bretons mit Jean en goût d’érudition. Il acheta une petite notice du département, qu’il se mit à feuilleter tout en cheminant, et une heure après, il savait que l’Ille-et-Vilaine pouvait revendiquer avec orgueil des grands écrivains tels que Chateaubriand et Lamennais ; des philosophes et des savants tels que Maupertuis, la Mettrie, le docteur Broussais, Amaury-Duval ; des navigateurs, des marins comme Jacques Cartier, Duguay-Trouin, le vice amiral La Motte-Picquet, le comte de Guichen, Surcoufle Malouin ; des hommes d’État, des administrateurs, tels que le comte Lanjuinais, Mahé de la Bourdonnais qui fut gouverneur des Indes ; et encore l’auteur dramatique Duval, le romancier Paul Féval, le peintre et critique d’art Henri Delaborde. Bel apportà la patrie commune ! Et le département d’Ille-et-Vilaine n’est pas toute la Bretagne…

Alors, tout d’un coup, Jean fut pris d’une envie folle, irréalisable : tout voir dans cette vieille province, s’initier à tout. Il avait aperçu Vitré, il parcourait Rennes, mais Fougères au nord ? Saint-Malo sur la Manche ? Et Redon à l’extrême sud ? Il trouverait Montfort sur sa route, c’est bien ; et aussi Lamballe, et Saint-Brieuc, et Châtelaudren, et Guingamp, et Morlaix ; mais le beau château féodal de Combourg, patrimoine des Chateaubriand ? mais la tombe du plus illustre représentant de cette famille, sur le rocher solitaire du Grand-Bey, vis-à-vis de Saint-Malo ? mais tous ces vieux châteaux en ruines qui donnent un aspect si caractérisé à cette partie de la France ? mais surtout le château de Tonquédec, de tous les châteaux, de toutes les ruines de la Bretagne, la grande et la riche merveille ? Tonquédec que l’on a surnommé le Pierrefonds de l’Armorique ?

Jean ne se faisait pas illusion : dans le Calvados aux environs de Lannion, sur la croupe d’un coteau, au milieu d’un site pittoresque, entre le Léguer, d’un côté, couvert de ponts, de moulins, bordé de prairies, s’échappant en cascades et qui coule dans une profonde vallée encadrée de collines rocheuses et boisées, et sur l’autre face une deuxième vallée où serpente un ruisseau qui sort d’un étang, s’élève sombre, menaçante, la double enceinte de la forteresse de granit, aux puissants remparts de trois à quatre mètres d’épaisseur.

Plusieurs grosses tours rondes et des tourelles, montrent leur couronnement rasé ; mais l’on y monte encore par des escaliers partiqués dans les massives murailles ; un donjon occupe la pointe extrême du promontoire qui surplombe les vallées. Ce réduit, séparé du reste de la place, n’était accessible que par un pont-levis venant s’appuyer sur une haute culée en maçonnerie. Et au-dessous, sous cette accumulation de pierres de taille, des souterrains, des cachots, des caveaux sans fond — des abîmes !

Passant à un autre ordre d’idées, Jean regrettait de ne pouvoir accorder une part d’attention aux antiquités celtiques ; à cette Roche aux Fées du Rouvray, près d’Essé, et à tous ces menhirs ou pierres longues, ainsi que disent les Bretons, à tous ces dolmens ou tables de pierre consacrées à ce culte druidique — mystérieux et sanguinaire ; — il s’en trouve à Grabusson, à Retiers, à Cugnen, dans la forêt de Haute-Sève, dans la forêt de Fougères. Dans cette même forêt, s’étendent de vastes souterrains appelés les Celliers de Landéan ; creusés de mains d’hommes, ces souterrains si curieux sont classés parmi les plus anciens monuments historiques de la France.

Qu’aurait pensé Jean s’il eût pu soupçonner qu’il se trouvait aussi dans le monde enchanté des héros romanesques de la Table ronde, du roi Arthus, de Merlin son devin, de maître Keu son malin sénéchal, de Beduier l’infatigable échanson, de Lancelot du Lac et de Tristan, de la belle et fière Genièvre, de la tendre Yseult aux blonds cheveux, de la fée Morgane et de la fée Viviane, créations du génie breton qui ont tenu une si grande place dans notre littérature du moyen âge et dans les littératures de toute l’Europe, vassales en cela de la nôtre. Au sud de Saint-Brieuc, la forêt de Brocéliande. couvre de son ombre le tapis de mousse où Viviane retint Merlin endormi en traçant autour de lui un cercle magique ; sur la lisière de la forêt de Landerneau — au delà de cette ville — se hérissait avec ses tours pointues le château de la Joyeuse-Garde où le roi Arthus tenait sa cour. La fable bretonne — offrant une nuance de vérité — a servi de thème à toute une bibliothèque de romans de chevalerie, — cette même bibliothèque que le curé de Don Quichotte brûla avec un zèle méritoire mais tardif, lorsque déjà l’Incomparable chevalier de la Manche avait perdu la raison à la lecture de ce volumineux et héroïque fatras.

Enfin, même à l’égard des choses qui stimulaient si puissamment sa curiosité, il devait se faire une raison ; il le comprenait : il lui fallait ne pas oublier quel motif généreux l’avait amené jusque-là hors de son chemin et le poussait au fond de la Basse-Bretagne. C’est ce qu’il se disait en montant en wagon dès les premières heures du jour, suivi de l’affamé Méloir.

Peu après que le train eut franchi la Vilaine sur un pont de trois arches, se présenta Montfort-sur-Meu, bourgade de 2,400 habitants, au confluent de deux petites rivières, — le Meu et le Garun, — qui eut des murailles au quatorzième siècle et qui n’a plus guère que des ruines ou des édifices ayant changé de destination : une belle tour ronde à mâchicoulis devenue une prison, la léproserie de Saint-Lazare transformée en ferme…

À Montfort on trouve des voitures qui font la correspondance avec Ploërmel, célèbre par son « pardon » — et aussi par l’œuvre lyrique de Meyerbeer — et correspondent de même avec Dinan et Loudéac. Le train courait sur Montauban-de-Bretagne,qui apparut bientôtsur le bord de l’étang de Chaillou. C’est encore un chef-lieu de canton de 3,000 habitants. De l’ancien château fort, très vaste, deux tours subsistent. L’entrée principale est seule habitable.

À mesure que Jean et son compagnon approchaient de Landerneau, la Bretagne se développait successivement sous tous ses aspects, par ces beaux jours d’été, où un soleil éclatant brillait dans un ciel ordinairement gris et brumeux : landes fleuries, mêlant l’or de ses genêts épineux au rose obscur de la bruyère ; prairies naturelles d’une agréable fraîcheur ; champs d’avoine, — de très belles avoines — champs de lin et de chanvre, — de ce lin et de ce chanvre qui servent à tisser les toiles de Bretagne ; des coins de terre sauvages succédant à des campagnes cultivées, plus pittoresques, il estvrai, que fertiles ; la terre inculte près de la terre qui produit ; presque partout, un mélange, que l’on ne rencontre nulle part au même degré, d’attristante sécheresse et de riante fertilité.

Tour à tour, apparaissaient les vallées profondes creusées par des rivières nombreuses, au cours sinueux, dont les moulins empruntaient les forces, et où le bouillonnement de l’eau se mêlait au tic tac des roues en mouvement ; et sans transition, brusquement, se déroulaient les plateaux boisés, ressemblant à des parcs verdoyants, les épaisses forêts, les collines couvertes de hêtres ; sur chaque hauteur, les ruines colossales d’un château enveloppées d’un manteau de lierre ; des chênes plantés en abondance dans la plaine bretonne, — courts, trapus, solides, qu’aucun vent ne courbe, image des Bretons eux-mêmes ; des plantations de châtaigniers, des étangs limpides.

Au tournant d’un bois, à la croisée de deux chemins — rarement toutefois — surgissait la chaumière délabrée du paysan pauvre, dont le toit s’abaisse jusqu’à terre, dont on aperçoit l’intérieur noirci par la fumée des ajoncs et des bruyères, seul aliment de l’humble foyer ; le jour n’y pénètre que par la porte. Et à vrai dire, cette misère est plus apparente que réelle, car la charité est admirable dans les campagnes bretonnes et sait accomplir des prodiges. Un peu plus loin, sous bois, c’étaient les huttes en terre et en branchages où les sabotiers installaient leurs familles pour façonner sur place le hêtre, le bouleau, le noyer et quelquefois le tremble. Les hommes s’interpellaientdans une langue gutturale.

Les animaux se montraient différents de la plupart des animaux de leurs races, les vaches, de petite taille : elles sont sobres et résistantes à la maladie, riches en lait ; les chevaux, petits de taille aussi, durs à la fatigue.

Le granit dans plus d’un endroit affleurait nu, avec des teintes grises, brunes, rouges ou verdâtres ; des pierres mystérieusement posées dans des solitudes avaient vu sans doute, jadis, autour d’elles une foule de fervents d’un culte sanguinaire ; des calvaires se dressaient sur les pentes et des croix aux carrefours, où priaient à deux genoux les vieux paysans et les jeunes filles ; et, par moments, lorsque le train se rapprochait du littoral, arrivait par bouffées ce vent du large dont s’emplit avec délices toute poitrine de Breton.



  1. Bélier