Le Tour de France d’un petit Parisien/3/6

La bibliothèque libre.
Librairie illustrée (p. 611-620).

VI

Les Landes de Gascogne

Henry Esmond, le gendre du baronnet, cherchait son beau-père aux environs de Mézières, tandis que Maurice et Jean, sans perdre une heure, se dirigeaient sur Dax, dans les Landes, en passant par Bordeaux. Pour ne pas retarder Maurice, pour ne pas le quitter, Jean renonça à aller voir Bordelais la Rose à Mérignac. Lorsque le train traversa Pessac, Jean se trouvait à une lieue seulement de son vieil ami…

Son regret fut un peu diminué par l’espoir d’être libre de revenir dès le lendemain passer quelques heures à Mérignac, Maurice s’engageant à l’attendre à Bordeaux avec le baronnet ; — car il ne doutait pas que sur l’ardente prière de miss Kate et d’après le tableau de la désolation de sa famille, sir William ne consentît à reprendre le chemin de l’Angleterre.

Les deux jeunes gens arrivèrent à Dax accompagnés de Méloir. En sortant de la gare, ils entrèrent dans un restaurant pour prendre un léger repas, et Méloir, afin de gagner du temps, fut dépêché — malgré les protestations de son estomac et les signes d’intelligence qu’il faisait à Jean, — vers « l’Établissement des Thermes, » pour s’assurer de la présence du baronnet, avec ordre de ne pas le perdre de vue.

Mais comme Maurice et Jean se levaient de table, ils virent revenir vers eux Méloir tout essoufflé, qui leur cria en les abordant :

— Il s’est ensauvé, le failli merle !

— Méloir, habituez-vous à parler des gens avec plus de respect, dit Maurice. Et, vivement contrarié de ce qu’il apprenait, il ajouta : le baronnet a-t-il seulement quitté cet établissementou la ville ?

— On ne sait pas où il est, not’e maître ; avant-hier il est parti sans dire bonsoir à personne. Hier matin on ne l’a pas retrouvé. Faut croire qu’il avait déménagé dans la nuit. On parle de lui comme d’un ustuberlu, sauf respect !

— Ce pauvre baronnet a décidément perdu l’esprit, dit Maurice. Pour hurluberlu, il l’a toujours été, puisqu’il a mis dans sa tête de n’avoir jamais de Français pour gendre…

— Si nous allions nous-même aux renseignements ? suggéra Jean. Maurice approuva. Ils passèrent l’Adour et se trouvèrent dans la cité balnéaire. Une fontaine publique, la fontaine Chaude, y jaillissait dans un bassin de quatre cents mètres de surface : c’était comme l’enseigne, le blason de la ville ; mais de tous côtés se présentaient les établissements thermaux : bain Hirigoyen, bain Lavigne, bain Auguste-César, bain romain, le grand établissement des Thermes d’où s’était « ensauvé » sir William, les Baignots, le bain Lauquet, le bain Sarrailh ; et sur les murs, des affiches, des réclames en faveur des eaux chlorurées sodiques de Pouillon, de l’eau sulfureuse de Gamarde, des sources sulfureuses froides et des bassins de boue de diverses localités ; avec cela, appels séduisants aux poitrines faibles, aux larynx détraqués, aux détenteurs de rhumatismes, goutte, névralgies, névroses rebelles et paralysies obstinées.

— Il avait choisi un bon endroit, votre futur beau-père, pour se faire administrer des douches, observa Jean.

— Mon futur beau-père ! Pas encore… si au moins, j’avais le bonheur de le ramener à sa famille !… Mais voyez-vous, mon ami, comme c’est peu facile !… Nous n’avons pourtant pas perdu de temps pour venir…

Les renseignements recueillis au grand établissement des Thermes étaient on ne peut plus contradictoires. Le gardien de la tour de Borda, — ancien observatoire du géomètre Borda, né à Dax, — affirmait avoir vu « l’Anglais » se diriger à pied vers les Grandes Landes. Le sacristain de la cathédrale avançait avec non moins d’assurance que l’avant-veille, dès le petit jour, le « huguenot », lui et non un autre, suivait la route de Mont-de-Marsan. Or, Mont-de-Marsan est à l’est de Dax, les Grandes Landes s’étendent au nord et à l’ouest jusqu’aux dunes du littoral. Comment concilier ces deux affirmations et quelle préférence donner à l’une ou à l’autre des directions indiquées ?

Jean ouvrit un avis : il pourrait aller à Mont-de-Marsan, et Maurice accompagné du Breton, du côté des Grandes Landes. Ce plan assez sage fut adopté, et nos deux amis se séparèrent immédiatement. On convint de se retrouver à Dax, et d’y ramener de gré ou de force sir William ; au besoin on s’écrirait à l’établissement thermal, où le baronnet avait oublié de solder ses dernières dépenses, oubliant aussi, accroché au porte-montre, un chronomètre d’assez de valeur pour couvrir et au delà les dites dépenses.

Les douze ou quinze lieues qui séparent Dax du chef-lieu du département fournirent une agréable promenade à Jean. La région des Landes proprement dite vient mourir sur la gauche de la route, et à droite, le Midou et l’Adour, ainsi que les affluents de cette dernière rivière, donnent au pays un aspect gai et prospère. Jean cheminait à pied, et de temps en temps demandait des nouvelles d’un Anglais un peu toqué. — Ils le sont tous, lui répondait-on le plus souvent ; ce n’est pas là un signalement…

Son espoir de rencontrer sir William allait diminuant à mesure qu’il approchait de Mont-de-Marsan. Le gardien de la tour Borda devait être dans le vrai, se disait Jean. Mais il était trop près du but de son voyage pour rétrograder. Déjà apparaissaient les jardins qui égaient les alentours de la ville ; bientôt, il aperçut la ville elle-même, entourée de cette verdure éclatante d’où pointent les grands arbres.

Venise des Landes, comme on l’a appelée, Mont-de-Marsan se baigne dans les eaux du Midou et de la Douze qui, en se joignant, forment devant elle la Midouze, grande étendue d’eau navigable où glissent de pacifiques escadrilles. Au milieu de ce paysage la ville s’élève en amphithéâtre ; peu de monuments dépassent les maisons, sauf l’église ; de sorte qu’en entrant dans la ville, Jean eut la surprise de trouver beaucoup de constructions régulières et belles. 11 lui parut que Mont-de-Marsan, ville essentiellement moderne, malgré sa faible population de 11,000 habitants, a une tendance très marquée à se rajeunir, tandis que Dax demeure ville ancienne.

À Mont-de-Marsan on n’avait pas vu d’Anglais dans les jours précédents, ni toqués ni sains d’esprit ; — et Jean, ayant acquis cette certitude pénible, monta dans une voiture publique pour s’en retourner le plus diligemment possible à Dax. On y était sans nouvelles du jeune du Vergier, et ce ne fut que quatre jours après, au moment où Jean commençait à être fort inquiet, que Maurice arriva suivi de l’éreinté Méloir.

— Chou blanc ! cria celui-ci par-dessus l’épaule de son maître.

Ce mot disait tout, — moins la fatigue, moins les dangers courus. Maurice embrassa Jean et lui raconta son voyage infructueux. Il avait parcouru les Grandes Landes, le Marensin et les dunes qui longent le littoral.

— Singulier pays que ce coin de la France ! s’écria Maurice. Je savais comme tout le monde que les paysans des Landes marchent avec des échasses ; mais je n’aurais jamais imaginé rien d’aussi différent que tout ce que j’ai pu rencontrer jusqu’ici, et vous aussi sans doute, mon ami. En chemin de fer nous avons regardé sans voir, ou plutôt nos yeux s’étaient vite fatigués de ce défilé rapide de forêts sombres, de landes grisâtres avec la ligne des dunes faiblement marquée à l’occident. Eh bien ! je vous assure que c’est une des curiosités de la France, que l’on néglige ; c’est un monde à part : le désert succédant à nos villes populeuses, à nos campagnes cultivées partout ; le désert auquel l’Océan apporte sans fin ses sables, avec les Pyrénées au sud dressant à l’horizon leur grande masse bleue.

» D’après ce que j’ai vu et ce qu’on m’a appris, les Grandes Landes constituent un vaste plateau qui a dû être autrefois recouvert par la mer. En hiver, ce sol sablonneux est noyé par les pluies ; en été les sables y sont brûlants. Et que c’est triste ! Rien pour fixer le regard ; partout la plaine sans borne ; et comme pour mieux en montrer le vide, quelques pâtres montés sur des échasses, — des hommes-compas, ainsi qu’on l’a dit. Le silence n’est interrompu que par le cornet des bergers qui rassemblent leurs moutons, et la chanson flottant ça et là de la cigale, qui se réveille pour vous endormir. Au sein de cette sécheresse, parmi les bruyères, les moutons trouvent une herbe courte, très nourrissante.

» Le Marensin possède des forêts de pins qui vont jusqu’aux dunes ; il a aussi des étangs nombreux, des lacs pour mieux dire, arrêtés au pied des falaises de sable qui font obstacle à l’écoulement de leurs eaux.

» C’est une succession de collines de sable, au pied desquelles coulent de petits ruisseaux. Les étangs donnent asile à des champs de roseaux ; les bouquets de pins que les colons des Landes — je n’ai pas dit les naturels — appellent «pignadas », alternent avec les chênes-lièges ; les pins fournissent leur résine, et c’est une fortune au milieu de cette indigence de la nature ; les chênes-lièges donnent leur écorce. Entre les collines s’ouvrent des vallées parallèles, — des « lèdes » ou « lettes». Ces vallées, qui séparent deux séries de dunes, ressemblent sur une longueur de plusieurs lieues aux lits desséchés de larges fleuves entourant de grands îlots boisés.

» Les dunes occupent, du sud au nord de la Gascogne, une étendue de plusieurs lieues avec huit ou dix kilomètres de largeur : leur élévation varie entre cent et cent cinquante pieds ; la pente la plus douce se trouve toujours du côté de la mer.

» Isolées par des vallons, elles changeaient sans cesse de place, naguère. Les dunes s’élevaient, s’abaissaient, s’éloignaient, se rapprochaient suivant le caprice des vents ; et toujours leur masse, augmentant la menace d’un danger perpétuel, croissait aussi ; car la mer jette sur les côtes plus d’un million de mètres cubes chaque année ; elles augmentaient donc, et gagnaient du terrain, ensevelissant peu à peu et parfois assez brusquement, champs cultivés, villages, forêts, enfin tout ce qu’elles rencontraient ; mais sans rien renverser, grain de sable à grain de sable : les feuilles mêmes des arbres gardant leur position et les rameaux leur dernier balancement, à la minute de l’invasion. La dune avançait, et bientôt on ne reconnaissait plus la place occupée la veille par les demeures et les cultures — si ce n’est aux branches hautes de quelques grands arbres plantés devant les portes des habitations, selon une coutume très ancienne généralement suivie. Ces têtes d’arbres perçaient la surface de la colline mouvante. »

Avec une connaissance plus complète de la région, Maurice du Vergier eût pu ajouter que les pays de Born, de Mimizan et du Marensin, qui forment la zone du littoraldu département des Landes, sont séparés des Landes du Médoc par le pays de Buch, qui contourne au sud le bassin d’Arcachon et par la charmante vallée où coule la Leyre, vallée renommée pour ses sources nombreuses et ses massifs d’arbres fruitiers. Toutes ces dunes étaient, il n’y a pas beaucoup d’années, dépourvues d’arbres, parsemées de lagunes et d’étangs. Étangs et dunes ont été conquis à la sylviculture par l’asséchement du sol et des plantations régulières. Le boisement des dunes, la transformation des Landes rases en forêts, la mise en culture des bas-fonds arrosés, telle est la réforme en partie réalisée que poursuivent les propriétaires landais. Depuis une vingtaine d’années, on a même entrepris avec ardeur l’agrandissementdu domaine agricole par la conquête des terres d’alluvion et dessables que recouvrent de leurs eaux de vastes étangs comme ceux de Soustons, de Léon, de Saint-Julien et les grands lacs du pays de Born.

Il est à regretter que l’exploitation des forêts de pins soit le plus souvent poussée à outrance. Dans le Marensin, on ne voit pas sans appréhension pour l’avenir ces grands pins trop avidement sollicités dans leur sève : entourés de gouttières de fer-blanc et de gobelets en terre, la vie de ces arbres s’écoule prématurément perle à perle.

Les « résiniers », gens d’allure passablement sauvage, sont loin de vivre toujours en bonne intelligence avec leurs « bourgeois ». Pendant longtemps ils ont, en qualité de métayers, partagé la récolte de la résine par moitié avec les propriétaires du sol. Depuis, d’autres conditions leur ont été faites qui ne leur accordent plus que le cinquième du rendement ou moins encore. De là un état permanent d’hostilité.

L’exploitation des pins, qui a fait la fortune des Landes, a enrichi nombre de particuliers sans modifier sensiblement le milieu social dans lequel ils vivent. Tel paysan, qui possède depuis peu les revenus d’un millionnaire, marche encore pieds nus et n’a pas déposé ses sordides vêtements de travail. Certaines communes ont réclamé leur part de l’enrichissement général. Des municipalités, qui possédaient de vastes étendues de landes rases, en ont vendu une partie pour ensemencer ce qui leur restait, et à l’exemple des particuliers, se sont mises en possession de revenus considérables, qui permettent de faire des dépenses d’intérêt général — et même de folles dépenses. Ainsi il n’est pas rare de voir une commune dont le hameau principal n’a pas douze maisonnettes, célébrer sa fête patronale par des combats de taureaux, par des courses de chevaux, — le tout à grands frais.

— Les nomades des landes, reprit Maurice, ne poussent pas jusqu’aux dunes encore mobiles. Qu’y feraient-ils ? Tout y est sans vie. Quelques oiseaux de mer sont parfois amenés par la courbe de leur vol à animer un instant le lugubre paysage. Et voilà, mon ami, où je cherchais… un beau-père ! Au surplus, sans Méloir, j’y serais resté. Ce Breton est un garçon dévoué et de bon conseil. Il m’avait forcé de prendre un guide et je m’en suis bien trouvé. Il faut savoir qu’il n’y a pas de chemin tracé ; en revanche, des fondrières recouvertes de sable multiplient les dangers sous vos pas. On les appelle « blouses » dans le pays. Dieu préserve mes ennemis de ces blouses-là ! Elles se trouvent en des endroits où des amas d’eau ont été saturés de sable, et en s’évaporant ont laissé une infinité de petites voûtes. Là est le piège. La surface ne le trahit pas.

» On s’aventure dessus ; les voûtes cèdent sous le poids et on entre là-dedans jusqu’à mi-corps. C’est ce qui m’est arrivé. Je pousse un cri : j’en avais jusqu’à la ceinture. Méloir accourt à mon aide et disparaît jusqu’à la poitrine. Et il me semblait que je continuais d’enfoncer. Je me rappelai cette saisissante description de l’enlisement qu’on lit avec terreur dans les Misérables, et je sentais mes cheveux se dresser sur la tête.

» Mais notre guide nous cria de ne pas avoir peur.

» Il nous indiqua ensuite une bien singulière manière de nous tirer d’affaire, ma foi ! Il fallait raccourcir une jambe, laisser au sable environnant le temps de couler, de se tasser sous le pied, puis en faire autant de l’autre
Sir William Tavistok se dirigeait vers la gare (voir texte).
jambe jusqu’à ce que l’on soit au niveau de la surface du sable bouleversé, auquel est venu se mêler un restant d’eau.

» Je sortis de là, mouillé jusqu’aux genoux, mais beureux d’en être quitte à si bon marché.

— Le guide vous a été fort utile en cette circonstance, mon cher Maurice. Comment vous seriez-vous tiré de ce mauvais pas ?

— Ah ! je n’en sais rien ! s’écria Maurice. Je crois que nous y serions encore tous deux, Méloir et moi, à nous regarder face à face. Il y a, paraît-il, des endroits plus dangereux encore. Ainsi il existe, au milieu des dunes, des flaques d’eau où les nénufars, les potamots et d’autres plantes aquatiques pressent leurs larges feuilles au-dessus du bassin. Le vent charrie le sable sur cette espèce de plancher mobile, et peu à peu les bords disparaissent et même la flaque d’eau tout entière. Malheur à celui qui entre dans ce bassin vaseux, trompé par l’apparence solide de la surface ; une mort horrible l’y attend.

» Pour éviter les dangers dont je parle, poursuivit le jeune du Vergier, les gens du pays marchent sur la crête des dunes ou se tiennent à mi-côte ; mais il ne faut pas être préoccupé par la recherche d’un baronnet anglais plus qu’excentrique.

— Je croyais, dit Jean, qu’il n’y avait de sables dangereux que dans les déserts de l’Afrique et de l’Asie.

— C’est une erreur… que je partageais. Ici le sable est véritablement un ennemi, bien autrement à redouter que les loups qui infestent le pays et forcent les paysans à porter partout avec eux un fusil en bandoulière. À Mimizan, qui a été jadis un port sur l’Océan, j’ai vu la dune qui menaçait d’engloutir la dernière église échappée au fléau, suspendue à deux mètres seulement de ses murs, arrêtée enfin dans sa marche par des semis de pins : l’enseignement a été profitable, et la dune de Mimizan a servi puissamment à propager le suprême préservatif popularisé par Brémontier.

» J’ai parlé des étangs, ajouta Maurice. Tout à coup, au delà d’un bouquet de pins, on découvre un de ces petits lacs, une de ces lagunes qui séparent la région des landes de celle des dunes. La vaste nappe d’eau est bordée de villages qui s’y mirent coquettement, et, dans de fraîches prairies, se pressent les troupeaux.

Maurice s’étendit ensuite longuement sur les habitants des Landes, population très sympathique qui se montre de loin en loin aux abords des villages. Ces nomades ne vivent pas seuls ; ils sont suivis de femme et enfants. Les Landais sont de petite taille, maigres, hâves, leur teint est décoloré ; ils portent les cheveux longs taillés sur le front suivant des modes vieilles de plusieurs siècles ; l’air de leur visage est triste, et la mobilité de leurs traits trahit chez eux une excessive irritabilité nerveuse. Quoique faibles et malingres d’apparence, ils avaient paru au jeune du Vergier sobres, rudes au travail, durs pour eux-mêmes. Il avait rencontré des bouviers se préparant à passer la nuit dans leur charriot ou par terre, à côté de leurs bœufs. Tout ce monde, vêtu l’été d’une casaque de toile grossière va nu-pieds ou chaussé de sabots, porte le béret basque surtout dans la partie méridionale du département.

Le costume d’hiver se compose d’un gilet à manches, d’un justaucorps en peau de mouton et de grandes guêtres de peau. Les bergers ont en outre un manteau blanc à capuchon, de grossière étoffe de laine.

Ces nomades se nourrissent de pain de seigle ou de bouillie de mais très épaisse, mangée froide, avec un assaisonnementde sardines dont la rancidité semble faire le mérite.

Le besoin de traverser de grands espaces, souvent inondés, a fait adopter aux Landais l’usage des échasses. Grandis de la sorte, ils parcourent plus vite les immenses distances, l’interminable lande : ils peuvent suivre un cheval au trot ; ils veillent aussi plus aisément sur leur troupeau. Les bergers sont en outre munis d’un long bâton sur lequel ils s’appuient dans les moments de repos. On les voit alors occupés à un ouvrage de tricot.

Les femmes et les enfants se servent également d’échasses. On s’assied sur une armoire, sur le manteau de la cheminée pour « chausser » ces prolongaments de tibias.

Les paysannes landaises se contentent pour leur vêtement d’étoffes grossières. Elles se coiffent d’une sorte de capuce formée de plusieurs mouchoirs ; les jours de fête, elles y ajoutent un chapeau à larges bords.

Maurice avait dû louer une carriole pour achever sa tournée et s’en revenir à Dax. Les relais étaient fournis par les chevaux du pays, chétifs, un peu sauvages, mais résistant bien à la fatigue.

— Qu’allons-nous faire maintenant ? demanda Jean à son ami. N’avons-nous pas montré toute notre bonne volonté ?

— Sans doute ; mais vous ne sauriez comprendre jusqu’à quel point je suis déçu ! Comment après cet échec oser reparaître aux yeux de miss Kate ? Ne pouvoir même lui donner la moindre nouvelle rassurante de son père ! Pauvre demoiselle ! Il ne me sera donc pas permis de lui venir en aide dans son affliction !

Le roulement d’une voiture publique coupa court aux lamentations de Maurice ; un messager descendit lestement de l’impériale, porteur d’un paquet en forme de guitare adressé au gérant de l’établissement thermal. Un moment après, Maurice apprit que l’Anglais était retrouvé : il envoyait de Bayonne un jambon (!), réclamait sa montre oubliée, et faisait payer sa note-Maurice tout joyeux revint trouver Jean.

— Il est à Bayonne ! cria-t-il.

Lorsque Jean connut l’envoi du jambon, il ne put s’empêcher de remarquer que ce cadeau donnait la mesure du bon sens de l’insulaire.

— Fou ou non, l’essentiel est que je le ramène à sa fille, répliqua Maurice. Et en attendant cet heureux moment je vais expédier à Caen un télégramme où je montrerai tout ce que mon dévouement pour la charmante Anglaise est capable de m’inspirer — sans compter les mots.

— Mais c’est que nous ne le tenons pas encore ! observa Jean.

— Laissez-moi donc rêver aux termes de mon télégramme, répondit Maurice, distrait.