Le Trésor de Carcassonne/09

La bibliothèque libre.

Invasion de rats.


Les fouilles dans la cave.

IX

ÉTRANGES DÉCOUVERTES DANS LES CAVES
DE DAME CARCAS

Cassagnol avait occis beaucoup de rats et mis en fuite les légions sorties des étables de l’éleveur de porcs, mais il était resté quelques obstinés. Les trous ne manquaient pas pour leur offrir des asiles confortables et sûrs, et l’on s’apercevait de leur présence à leurs déprédations.

Cassagnol fabriqua des ratières et en prit quotidiennement deux ou trois.

— Crois-tu, disait-il, en montrant son gibier à Colombe pour dissiper ses terreurs, crois-tu que si c’était des âmes de Wisigoths comme tu le prétends, elles se laisseraient prendre à nos ratières ? Ce sont de simples rats, ils sont gênants, mais nous finirons par nous en débarrasser…… Et puis, ça n’a pas d’importance si nous sommes riches demain, avec le trésor, riches comme les plus riches seigneurs, des ducs et des princes !

— En attendant ils mangent l’avoine de Belleàvoir et
Cassagnol rapetassait un soulier
d’enfant.
l’empêchent de dormir tranquille… Et ils ont encore failli étrangler un de nos derniers pauvres petits canetons ! gémit Colombe.

— Nous n’en avons plus pour longtemps à être persécutés par ces vilaines bêtes, car aussitôt riches je fais démolir la maison, ou plutôt j’en achète une autre plus belle et plus grande… Si j’avais le temps je commencerais à chercher cette maison, mais tu devrais, quand tu sors, regarder un peu si tu aperçois quelque chose de bien, en belle exposition, assez vaste pour nous… Car moi je veux mes aises et de la vue !…

— Ce n’est pas pressé.

— Moi, je n’ai pas le temps de m’en occuper, je te dis, j’ai toujours un tas de petits travaux urgents qui m’empêchent de travailler au principal, la poursuite de notre trésor…

Et Cassagnol tira l’aiguille en gémissant plus fort que Colombe.

Assis à l’ombre, près de la cabane à Belleàvoir, il était en train de rapetasser un soulier d’enfant qui bâillait fortement du bec et n’avait plus guère de semelle. Près de lui il s’en trouvait une quinzaine d’autres en aussi piteux état, qui attendaient leur tour.

Dans le jardin, garçons et filles se roulaient sur l’herbe ou couraient pieds nus, ce qui ne paraissait pas nuire à leurs ébats, à en juger par les cris de joie mélangés de disputes et de pleurs auxquels de temps en temps répondait la voix musicale de Belleàvoir.

— Tu vois, dit mélancoliquement Antoine, j’ai du travail de savetier, et le trésor m’attend pendant ce temps-là… Ce que ça use, ces diables rouges d’enfants ! J’y suis toujours, après leurs souliers… Et il y a les miens qui commencent à me laisser sentir les cailloux du chemin…

— Et les miens ! dit Colombe, j’ai failli perdre une semelle hier, je l’ai rattachée, mais ce n’est guère solide…

— Et le trésor qui me réclame et que je délaisse pendant ce temps-là… Je me ronge d’impatience… Écoute, Colombe, je travaille aux souliers jusqu’à midi, et ensuite je descends au travail sérieux, plus sérieux aujourd’hui que tu ne crois ! Je ne voulais pas te le dire avant la réussite complète, mais aujourd’hui peut-être, aujourd’hui même, je l’espère et je le crois, il y aura du nouveau, nous le tiendrons, ce trésor !… Descends avec moi, je t’expliquerai sur place…

— Non, non, fit Colombe, j’aime mieux attendre…

— Tu n’as pas confiance, ça me peine !

— Si, si, j’ai confiance, mais….

— Je sais, tu crains toujours quelque chose, quelque mauvaise aventure comme avec les scélérats de rats !… Mais depuis les rats j’ai beaucoup travaillé, j’ai compris mon erreur de direction et j’ai obliqué de l’autre côté… Ça marche très bien depuis ce temps, pas d’accrocs, pas d’éboulements ; je n’ai plus failli me casser la tête dix fois par jour, comme auparavant, plus d’écorchures, même, un vrai travail de jeune fille !… Je serais déjà au but si le temps ne m’avait manqué, si je n’étais pris par toutes sortes de choses… Et puis, tiens, tout bien réfléchi, je vais y aller tout de suite… Tu comprends, si je reste à rafistoler mes souliers, avec toutes ces barriques d’or qui me trottent dans la tête, je sabote mes savates, tandis que si je tombe tout de suite sur le trésor, c’est fini, je n’ai plus besoin de faire le savetier !… j’y vais !

— Oh, Antoine !

Colombe essaya de protester, mais déjà Antoine avait jeté le soulier qu’il était en train de restaurer et prenait le chemin de la cave.

La tante de Colombe ne l’aurait pas reconnue, cette cave étroite où elle rangeait ses provisions et remisait ses fagots pour l’hiver. Cassagnol l’avait considérablement agrandie, il l’avait creusée, élargie, éclairée par des soupiraux ; il avait trouvé des arceaux en vieilles maçonneries et déblayé d’autres caveaux qui se rattachaient au premier. Des trous forés çà et là remontaient au jardin ou même dans la cuisine dont une partie du carrelage était tombée.

Ces travaux donnaient un aspect pittoresque à la cave, certes, mais ils justifiaient parfaitement les appréhensions de la tante, ainsi que les craintes actuelles de Colombe, qui ne dormait plus que d’un œil et d’une oreille, si l’on peut dire, s’attendant toujours à descendre inopinément dans la cave avec son lit.

L’autre nuit Hilarion qui dormait sur la huche, était, par suite d’un faux mouvement, tombé de son lit avec fracas en entraînant quelques casseroles. Colombe sursautant avait bien cru que l’heure de la descente de toute la maison dans la cave était arrivée. Et l’insouciant Cassagnol ne s’était même pas réveillé !

Enfin, cela devait finir bien vite puisque Cassagnol était convaincu de toucher au but.

Cassagnol travaillait en chantonnant pour se donner du cœur à l’ouvrage. Il était gai. La certitude de n’avoir plus qu’à étendre la main pour saisir le trésor après un dernier coup de collier, lui mettait l’âme en joie et lui donnait du muscle. Aujourd’hui il en fallait. Après des terres friables où la pioche entrait sans difficulté, il venait de rencontrer une maçonnerie régulière qui ne se laissait pas entamer facilement.

Sans nul doute ce devait être quelque voûte wisigothe. C’était un souterrain très vieux et d’apparence très solide. Les Wisigoths ne se seraient pas amusés à construire ces voûtes sans raisons sérieuses. Derrière ces pierres, c’était évidemment la cachette, ou le chemin de la cachette, du merveilleux trésor tant cherché !

Cassagnol besognait avec courage. Il creusait. Il cherchait à disloquer la muraille. Déjà une pierre remuait, celle-ci enlevée, les autres viendraient plus facilement. Il était haletant, il avait chaud, il avait soif… Encore un effort ! ouf !…

Après s’être épongé le front, il enfonça le fer sous la pierre et pesa de tout son poids. Elle remuait ! Enfin, on allait voir ! Les mains écorchées, il dégageait la pierre, elle venait peu à peu… Une dernière pesée avec le pic et la pierre sauta….

Un trou profond et noir. Cassagnol enfonce son outil qui rencontre tout à coup de la résistance, une résistance particulière, quelque chose qui remue. Bruit étrange sous la pioche. Cela sonne comme du métal ! La pioche tâtonne. Sur la gauche comme sur la droite, même bruit…

Sans prendre le temps de respirer, Cassagnol, la tête en feu, élargit son trou, il réussit à enlever une autre pierre, il va pouvoir passer le bras….

— Colombe ! Colombe ! crie-t-il d’une voix changée, descends vite ! Je le tiens… nous le tenons ! Ferme la porte de la maison et descends… Attends, descends avec un panier !…

Colombe entendit l’appel, mais, en femme prudente, elle commença par regarder s’il ne débouchait pas de la cave une nouvelle invasion de rats. Comme rien d’inquiétant ne paraissait, elle consentit à descendre après avoir recommandé aux enfants de ne pas bouger.

— Viens vite, Colombe, dit Cassagnol d’une voix étouffée, chut ! silence ! Parlons bas, tout bas !… Nous y sommes, cette fois, je tiens le trésor, j’y touche avec mon pic, écoute !

Il poussa le pic dans l’ouverture et frappa plusieurs fois violemment.

— Entends-tu comme ça tinte ?

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Des tas d’or, sans doute, écoute, et plus loin des sacs d’écus !…

— Et les fées ? les Wisigoths ? Personne n’a bougé ?… Ne fais pas tant de bruit surtout, pour ne pas les réveiller…

— Colombe, as-tu le panier ? Donne-le moi… Bien ! maintenant fais-moi un peu de place, je vais passer le bras et ramasser, un peu de ce qu’il y a là derrière…

Cassagnol s’allongea sur ses déblais, essaya de passer la tête par la brèche qu’il avait faite, mais les épaules touchèrent, et il ne put qu’allonger le bras le plus loin possible en regrettant pour la première fois de sa vie d’être fortement bâti.

— Oh ! oh ! fit-il.

— Eh bien ? demanda Colombe entendant un cliquetis qui lui parut métallique.

— Oh ! oh ! c’est humide là-dedans…

— Le puits, dit Colombe.

— Nous allons voir… En voilà toujours une poignée, prends le panier.

— Mais c’est pas des écus… c’est des éclats de verre. oui, du verre brisé…

— Allons donc… Attends, je tâtonne… Je tiens. Ah, un flacon, deux flacons, trois flacons !… Voyons toujours…

— Tiens, un flacon… deux flacons.

quatre, cinq, six… mon bras ne va pas plus loin… qu’est-ce que c’est que ça ? Et cette poussière… de vieux flacons poussiéreux… Alors, l’humidité, ça viendrait de bouteilles que j’aurais brisées avec mon pic ?… Il faut que j’élargisse le trou, mais ce travail m’a bien altéré, j’ai des siècles de poussière dans le gosier, je vais le rincer avec une bonne lampée, avant de continuer…

Colombe ahurie regardait les flacons et cherchait à comprendre.
— Ce vin est mirifique.
Aucune explication ne lui venait. Étrange ! étrange ! ce Grand-Puits qui contenait des flacons de vieux vin.

— Ça te fera mal, Antoine, ne bois pas ! s’écria-t-elle enfin, du vin des fées, ça doit être du vin diabolique…

— Du bon, du très bon, au contraire, et je me sens tout ragaillardi… dit Antoine faisant claquer sa langue ; passe une autre bouteille que je goûte seulement s’il est pareil… Du vin des fées ? ne dis donc pas ça, les fées n’ont pas de caves et ne boivent pas de vin, puisqu’il n’y a pas de fées !

— Tu ne crois à rien !

— Je croirais plutôt que c’est une réserve du gouverneur Wisigoth.….

— Ou de dame Carcas…

— Possible ! mais ce vin est mirifique… Ce n’est pas étonnant. Voyons, combien ça fait-il de siècles depuis le départ des Wisigoths ? Encore une petite gorgée….

Cassagnol fit claquer sa langue.

— Jamais, non, jamais je n’ai rien bu de pareil ! Ça tombe bien, j’avais besoin de ça pour me redonner du ton après tant de journées fatigantes… Ah, je ne l’ai pas volé… Goûtes-y donc, il est mirifique, je te dis… Je me sens bien en train maintenant, j’ai du soleil plein la tête et le sang me travaille dans les bras… Porte-moi très doucement ces merveilleux flacons en haut et rapporte le panier, il faut que j’arrive au vrai trésor, aux tonnes d’or, oui, aux tonnes d’or qui sont là-dessous… Maintenant je pioche pour élargir l’ouverture… Déblayons !

Cassagnol reprit son pic et cherchait un interstice des pierres pour attaquer la muraille lorsque tout à coup quelque chose d’extraordinaire se produisit. Au fond du trou creusé par lui une lumière venait d’apparaître.

Il frissonna et fut sur le point de crier, une lumière qui se balançait et s’avançait ! Étrange ! Effrayant surtout ! Qu’était-ce là ?

Malgré lui, d’abord, des idées d’apparitions surnaturelles lui vinrent à l’esprit… Les Wisigoths ne veulentpas se laisser arracher leur trésor, ils viennent le défendre et voici la catastrophe… Mais ce ne fut pas long, il vit clairement que la lumière était celle d’une lanterne se balançant au poing d’une ombre indistincte… Les fantômes n’ont pas besoin de lanterne, l’ombre ne pouvait être un fantôme de Wisigoth !

Mais alors ?

À ce moment l’ombre se baissa, un rayon de la lanterne éclaira une figure et Cassagnol eut de la peine à retenir un cri à la fois de stupéfaction et de fureur.

Malédiction, l’ombre, c’était le patron de la Tête-Noire, la taverne voisine !

Ainsi, le pauvre Cassagnol s’était encore une fois égaré dans ses fouilles, sa galerie avait tourné du côté de la taverne et il était allé tomber dans la cave de la Tête-Noire ! Encore une fois il manquait le trésor ! Ce vin mirifique qu’il avait bu ne provenait pas des réserves du gouverneur Wisigoth, c’était tout simplement le vin de la Tête-Noire

— Le tavernier de la Tête-Noire !

Oh oui, une vraie catastrophe ! Mais Cassagnol ne s’attarda pas à gémir, il ne fallait pas se laisser surprendre par le tavernier. Doucement, tout doucement, sans faire le moindre bruit, il se hâta de replacer les pierres pour boucher l’ouverture, et, le péril conjuré, tristement, il remonta prévenir Colombe.

Quelle humiliation ! Il lui fallait avouer encore une erreur de direction et s’exposer, la mine basse, aux reproches et aux railleries de Colombe. Était-il donc ensorcelé Quelle puissance diabolique s’amusait à le berner ?

Colombe allait avoir beau jeu pour l’engager à abandonner les recherches. Il y avait de quoi vraiment en faire une maladie.

Mais non, mais non ! Cassagnol fit appel à toute son énergie. C’était un échec, soit, mais il ne renoncerait pas à l’entreprise ; le trésor était là, il n’y avait peut-être qu’à obliquer légèrement pour y arriver enfin.

Naturellement, Colombe poussa les hauts cris. Cassagnol l’arrêta.

— Ne me dis rien maintenant, tu me chercheras querelle plus tard si tu veux… Allons d’abord au plus pressé !

L’honnête Cassagnol avait bu le vin du cabaretier, sa conscience en était gênée. Mais après tout il ne l’avait pas fait exprès, il fallait chasser ce souci ; le plus pressé, c’était de remblayer vivement la tranchée derrière l’ouverture, le cabaretier, s’il s’apercevait de quelque chose, croirait à un accident.

Cassagnol fut pendant quelques jours presque sombre. Il ne chantonnait presque plus. Il pensait aussi au chafouin d’en face, l’individu mystérieux qu’on ne voyait plus depuis quelque temps. Où était-il, celui-là ? Il avait peut-être rencontré la bonne voie, lui… Pourvu qu’il n’aie pas déjà mis la main sur le trésor…