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Le Trésor de Mr. Toupie/10

La bibliothèque libre.
Librairie Hachette (p. 56-61).
DANS LES PYRÉNÉES



Après avoir consulté les indicateurs, Charles reconnut que, pour se rendre de Bretagne dans les Hautes-Pyrénées, il était préférable de passer par Paris.

« Parfait ! dit Arthur. Nous passerons une journée à Versailles. Nous en serons ravis l’un et l’autre. »

Charles trouva le Dr Lefrançois plongé dans un travail absorbant. Il n’avait comme distraction que les cartes postales que lui envoyait son frère et les rapides promenades qu’il s’astreignait à faire chaque jour dans le parc de Versailles.

Sur sa table reposait toute une collection du Coq gaulois. Il avait marqué au crayon bleu les entrefilets, les petits articles se rapportant au « Concours de M. Toupie ». Charles en prit connaissance et s’en amusa beaucoup.

Une « correspondance » de Saint-Malo le fit éclater de rire. On y racontait, avec beaucoup de détails dramatiques inventés et force inexactitudes, leur aventure avec Procope. L’article était intitulé : En plein drame.

« Un drame s’est déroulé sur la route de Saint-Malo à Dol, Les jeunes gens qui voyageaient à bicyclette furent assaillis par trois hommes armés. Ils ne parvinrent à leur échapper que grâce à un cheval qu’ils purent monter, laissant sur le terrain leurs bicyclettes et leur lampe électrique.

« La gendarmerie est sur la piste des bandits. »

« Il n’y a qu’une chose vraie dans cette histoire, dit Charles, c’est la lampe électrique… et encore on me l’a renvoyée. »

Louis recommanda encore une fois à son frère d’être très prudent et de ne pas parcourir les routes pendant la nuit.

De son côté, Arthur racontait à ses parents ses aventures et comment il avait été dévalisé par des pickpockets au cours de sa randonnée à Cancale. Sa mère se prodigua, elle aussi, en recommandations.

« Oh ! maman, s’écria Arthur, sois sans crainte, Charles ne me quitte plus. »

Après s’être bien reposés, avoir garni leurs valises de nouveaux vêtements, fait remettre en état leurs bicyclettes, nos amis décidèrent de ne pas s’attarder davantage dans les « homes » confortables de leurs familles. Deux jours après leur arrivée à Versailles, ils prirent le train de Bordeaux, où ils couchèrent une nuit et qu’ils quittèrent le lendemain matin afin d’être à Tarbes dans l’après-midi.

Le pays qu’ils traversaient différait profondément de la Bretagne. On ne voyait au loin ni rochers gris, ni landes de bruyères roses où s’élèvent menhirs, calvaires, villages aux toits bas.

La campagne était plus souriante, plus riche en cultures, et lorsque les deux jeunes gens virent tout à coup à l’horizon la silhouette bleue des Pyrénées, ils restèrent un moment muets d’admiration.

« Ah ! vraiment, nous en voyons de beaux pays ! » s’écria Arthur tandis que Charles pensait en lui-même, avec reconnaissance, que c’était grâce à son cher camarade Arthur qu’il faisait ce magnifique voyage.

Les Gascons leur paraissaient plus gais que les Bretons qui, sans être tristes, sont rendus graves et sévères par le spectacle de l’Océan, de ses horizons immenses, ou par la monotonie des landes.

Les gens du Midi, exubérants, aux gestes prompts et vifs, à la parole abondante et facile, les faisaient rire souvent par mille traits plaisants.

À peine avait-il quitté Bordeaux que Charles s’aperçut de ce changement de caractère. Des voyageurs leur parlèrent sans les connaître, racontant leurs affaires.

Complaisants, les méridionaux sont des compagnons de route fort agréables ; ils font de la place aux voyageurs qui n’en trouvent pas, les aident à mettre leurs bagages dans les filets du wagon, de sorte que la bonne humeur règne autour d’eux.

Dès qu’Arthur eut exprimé son admiration pour le paysage que l’on traversait, un voyageur prit la parole :

« Eh ! messieurs, c’est la première fois que vous venez par ici ?

— Oui, répondit Arthur.


arthur raconta à sa mère son aventure de cancale.

— Oh ! alors… Vous vous rendez à Tarbes ? Oui… Mais, pour contempler les sites les plus célèbres, il faut aller dans le cœur même des Pyrénées, à Lourdes, à Bagnères, à Argelès…

— Justement nous allons à Argelès, s’écria Arthur qui se mordit la lèvre aussitôt la phrase dite, car Charles lui avait recommandé de ne pas faire connaître le lieu où ils se rendaient.

— Ah ?… Et vous connaissez un hôtel ?

— Oui, » répondit Charles.

Mais le voyageur ne prit pas garde au ton sec de son interlocuteur et il continua :

« Allez à l’hôtel de l’Isard, c’est le meilleur de la ville. D’abord il se trouve dans une admirable situation et puis, outre le confort moderne, il possède un service admirable d’autocars, qui font chaque jour le service dans les parties les plus vantées et les plus pittoresques du pays. » Le voyageur s’arrêta pour respirer.

« Est-ce un beau site, Saint-Savin ? demanda Charles.

— Oh ! merveilleux, un panorama immense, des arbres splendides, des…

— Vous connaissez bien l’endroit ?

— Moi, pas du tout, je n’y suis jamais allé !… »

Qu’aurait-il dit, alors, s’il avait été à Saint-Savin ?


les deux amis débarquèrent à tarbes.

Mais Charles ne le questionna pas davantage. Il ne voulait pas attirer l’attention sur leur voyage.

« Je suis représentant de commerce, continua le voyageur, comme si on lui avait demandé quelle était sa position sociale : c’est pour cela que je sais quels sont, dans chaque ville, les meilleurs hôtels, les mets réputés, les meilleurs vins. Ainsi, à Tarbes, si vous dînez chez Coumetou, vous boirez un de ces petits bordeaux… je ne vous dis que ça !… Maintenant, si vous préférez les gâteaux, allez chez Augé, rue des Grands-Fossés : il paraît qu’à cent lieues à la ronde on ne trouve pas de babas plus savoureux et de crèmes plus moelleuses. Je dis cela, non pas d’après ma propre expérience, car… moi… les douceurs… peuh ! je préfère le foie gras. »

Son discours aurait continué encore longtemps si le train n’était entré en gare.

Charles et Arthur prirent leurs valises, descendirent de wagon et se dirigèrent immédiatement vers les bagages afin de retirer leurs bicyclettes. Ils y retrouvèrent leur compagnon de voyage qui réclamait avec beaucoup de cris et d’exclamations ses grandes malles noires de commis voyageur, garnies de cuivre aux angles.

C’étaient des cris joyeux, des tapes sur les épaules des porteurs, des appels s’adressant à des gens qui attendaient à l’autre bout de la salle. Puis, le voyageur relevait son chapeau d’une main, et s’essuyait le front de l’autre en soupirant :

« Quelle chaleur, mes amis, quelle chaleur ! »

Ses amis, c’étaient tous les assistants.

Ces scènes amusaient follement Arthur, qui n’en perdait aucun détail.

En possession de leurs bicyclettes, les deux amis se dirigèrent vers les omnibus alignés, comme dans toutes les gares du monde, le long des trottoirs, devant la sortie.

« À l’Isard !

« Bellevue !

« La Concorde !

« Au Pic du Midi ! »

Tels furent les noms qui assaillirent Charles et Arthur au moment où ils parurent. Tous les porteurs criaient à la fois, en riant, puis, tout à coup, ils se lançaient quelques injures parce que l’un d’eux avait réussi avant l’autre auprès d’un client : mais l’accès de colère ne durait qu’un instant, et bientôt tout le monde causait en plaisantant, comme s’il ne s’était rien passé.

« Allons à l’Isard, dit Arthur, puisque c’est un bon hôtel.

— Si tu veux. »

Le porteur, qui se tenait prés de nos voyageurs, n’eut pas besoin de recevoir un ordre : avant que Charles eût dit un mot, les bicyclettes étaient sur l’impériale de l’autobus, les sacs dans l’intérieur et Charles et Arthur poussés sur les banquettes.

« Au moins, dans ce pays, ils sont expéditifs et on ne perd pas son temps, dit Arthur.

— Oui… on va vite… »

En effet, l’autobus marchait à une rapide allure dans la rue qui conduisait de la gare à la place Maubourguet où se trouvait l’hôtel de l’Isard.

Enfin, l’autobus s’arrêta ; tandis que l’on déchargeait les bagages, Charles s’écria :

« Mais une des bicyclettes n’est pas à nous !… Voici la mienne… Arthur !… Arthur !… Regarde, ce n’est pas ta bicyclette !

— Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as une figure consternée !

— Je te dis qu’on a changé ta bicyclette.

— Tu en es sûr ?

— Mais oui, je t’en prie, occupe-toi donc un peu de tes colis. »

Charles laissait voir son mécontentement ; l’hôtelier, qui s’était avancé pour recevoir les voyageurs avec un sourire qui remontait sa bouche d’un côté jusqu’à son oreille, changea subitement de visage et sa bouche remonta de l’autre côté dans une assez laide grimace.

« Messieurs ! Messieurs ! Ce fait est inadmissible ! Qui a changé cette bicyclette ? Mon porteur est sûr et les bicyclettes qu’il a reçues de vos mains sont celles qui se trouvent ici…

— Ça, c’est exact, interrompit Arthur, car je me rappelle maintenant que, pendant que nous hésitions sur le choix de l’hôtel, je tortillais ce petit bout de corde, là… qui pend…

— Pourquoi n’en as-tu pas fait la remarque à ce moment ? s’écria Charles un peu agacé.

— Parce que je regardais ces gens qui s’agitaient et couraient en tous sens dans la gare.

— Messieurs ! Messieurs ! On la retrouvera, votre bicyclette… Ici, nous sommes tous d’honnêtes gens. Antonin, cours à la gare (l’hôtelier s’était tourné vers un garçon qui, avec tout le personnel de l’hôtel de l’Isard, entourait Charles et Arthur) et rapporte la bicyclette… la vraie… l’authentique… Arrange-toi comme tu pourras, mais ne reviens pas les mains vides. »

Le nommé Antonin lança à un camarade, avec un geste de clown, la serviette qu’il avait autour du cou et partit au pas de course.

« Messieurs, ne vous inquiétez pas… Veuillez choisir votre chambre et… après… le dîner vous attend.

— J’ai une faim ! » s’écria Arthur dont nul événement, même tragique, ne troublait l’appétit.


le garçon accourut.

Ils s’assirent tous les deux dans la salle à manger, à une petite table. Le patron de l’hôtel, sans doute pour effacer le souvenir du fâcheux incident, servit à ses nouveaux pensionnaires non seulement un repas excellent, mais un vin exquis.

« Apprécie donc ce bordeaux ! s’écria Arthur en regardant la figure soucieuse de Charles.

— Mais songe donc, si ta bicyclette est perdue !…

— Bah ! elle n’est pas perdue… et d’ailleurs, elle le serait…

— Mais tu es fou ! répondit Charles scandalisé.

— Calme-toi… J’enverrais une dépêche à papa, et il m’expédierait l’argent nécessaire à l’achat d’une autre bicyclette… Tu sais, il m’est arrivé une chose bien plus drôle. Une fois… à Paris… Qu’est-ce que tu as ? Tu ne m’écoutes pas ? »


des automobiles passaient, soulevant la poussière.

En achevant ces mots, Arthur se tourna pour suivre la direction des regards de Charles et il aperçut le voyageur de commerce, leur compagnon de l’après-midi, qui arrivait, rouge et essoufflé.

« J’ai votre bicyclette, messieurs. J’ai votre bicyclette ! Ah !… que j’ai chaud !… Je viens de faire tous les hôtels de Tarbes… tous… sauf, bien entendu, ceux des faubourgs, ajouta-t-il d’un air fin. Quand j’ai eu une idée… de génie ! (En disant ces mots il se frappait le front.)

« Je me suis souvenu que je vous avais parlé de l’hôtel de l’Isard ! Et me voilà… avec votre bicyclette. Du reste, je n’ai eu aucun mérite à deviner à qui elle appartenait, car votre nom est sur la plaque. »

Les chercheurs de trésors se confondirent en remerciements et Charles pensa qu’il serait au moins poli d’inviter le voyageur de commerce, non pas à dîner, car ils avaient terminé leur repas, mais à prendre un rafraîchissement dans un café.

La soirée était chaude et pourtant promettait d’être délicieuse. Charles aurait préféré aller dans un lieu frais, dans un jardin public, mais leur nouveau compagnon les conduisit chez Coumetou, le café le plus brillant, le plus éclairé de la ville.

« Il y a un orchestre, déclara-t-il, et, moi lorsque j’entends de la musique, ça me donne envie de danser. Nous autres gens du Midi, nous sommes ainsi… Oh ! pardon, je pense que vous ne connaissez pas non nom : Paul Cabassus. Je suis d’Agen et je voyage pour les prunes, les huiles et les lampes électriques. Si vous voulez avoir des renseignements sur moi, adressez-vous au maire de Tarbes, qui est de mes amis. »

Triomphalement, Paul Cabassus passa entre les tables du café Coumetou.

Il s’assit avec ses nouveaux amis et heurta le marbre de la table avec le pommeau de sa canne. Puis, comme le garçon ne venait pas immédiatement à son appel, il frappa ses mains l’une contre l’autre.

« Hé là ! Garçon ! Voyons ! Plus de vivacité ! Tu sers des Parisiens, mon ami ! Cours un peu et rapporte-nous trois chartreuses.

— Non ! non ! s’écrièrent d’une seule voix Charles et Arthur, Nous ne prenons jamais de liqueur. Des glaces, voilà ce que nous désirons.

— Bon ! bon ! À votre idée ». Le Méridional commanda au garçon deux glaces.

« Quelles glaces avez-vous ? demanda-t-il.

— Nous n’avons qu’à la vanille et à la framboise.

— Alors ? questionna Cabassus en s’adressant à ses nouveaux amis.

— À la framboise, » répondirent en même temps Charles et Arthur.

Cabassus prit un verre de porto.

La conversation ne tarit pas. Cabassus racontait des histoires fort drôles.

Il y eut une légère discussion entre Charles et Cabassus au moment du payement. Le commis voyageur voulait offrir les rafraîchissements aux jeunes gens, mais comme Charles insistait pour payer, Cabassus déclara que, le lendemain matin, il enverrait à ses nouveaux amis une caisse de pruneaux d’Agen.

« Nous les expédierons à maman, dit Arthur, car tu ne nous vois pas traînant notre caisse de pruneaux pendant notre voyage ! »

Charles et Arthur partirent le lendemain matin pour Argelès, où ils descendirent à l’hôtel du Pic du Midi. Le surlendemain, après avoir pris le temps d’écrire un peu longuement à leur famille et à Élisabeth, qui, depuis quelques jours, n’avait reçu aucune nouvelle des concurrents, ils déjeunèrent de bonne heure, enfourchèrent leurs bicyclettes et se dirigèrent vers Saint-Savin, qui se trouve à trois kilomètres d’Argelès.

La route grimpait en longs lacets sur les flancs du Bardérou, ombragée par des noyers et des châtaigniers. L’épaisse verdure qui arrêtait les rayons du soleil, déjà ardents, versait une délicieuse fraîcheur.

Ils croisèrent plusieurs automobiles qui filaient à une vitesse exagérée.

Arthur, qui ne pouvait pas rester longtemps silencieux, s’écria soudain :

« Tout de même, je voudrais bien savoir ce qu’est devenu Procope ?

— Qu’est-ce qui te fait penser à lui ? interrogea Charles, très intrigué.

— Ne l’avons-nous pas rencontré, tandis que nous pédalions sur une route comme aujourd’hui ?

— Avec cette différence que c’était pendant la nuit en pays plat et non pas sur une route qui domine un gave bouillonnant…

— De la poésie… Ah ! attention ! »


l’automobile jaune avait une panne.

Des coin… coin… coin rageurs retentissaient derrière eux à ce moment. Les deux chercheurs de trésor n’eurent que le temps de se jeter de côté et une automobile jaune passa à côté d’eux, telle une trombe.