Le Trésor de la caverne d’Arcueil/15

La bibliothèque libre.
Le Trésor de la caverne d’Arcueil
La Revue de ParisTome Seizième (p. 310-313).
◄  14
16  ►


XV.


Dans le court espace de temps qu’on accordait aux prisonniers privilégiés pour leur récréation, soit à la Bastille, soit à Vincennes, il était difficile que l’infortuné M. de Brederode pût achever au gré de ses compagnons le récit de ses prétendus malheurs, que nous essayons de reproduire en ce moment avec quelque fidélité. La fâcheuse apparition du geôlier, qui venait prendre les prisonniers pour les conduire dans leurs chambres, interrompait, d’ordinaire au grand chagrin des auditeurs, l’histoire qu’ils écoutaient, et à laquelle ils prenaient de plus en plus un plaisir vif et réel

— La suite à demain, messieurs, disait gracieusement le comte de Brederode en se retirant ; Dijon (c’était le nom du geôlier) ne veut pas qu’aujourd’hui vous en sachiez davantage… Puis, s’adressant au porte-clés lui-même : — Dijon, savez-vous que vous êtes un véritable artifice de rhétorique ? ajoutait-il ; vous venez habilement contrarier le cours de ma narration pour y ajouter encore de l’attrait et du charme par l’attente et la suspension.

Et le lendemain, à l’heure régulière de la promenade, quand l’auditoire se retrouvait formé sur la plate-forme, quelquefois assis sur l’affût d’un vieux pierrier qui, là depuis des siècles, braquait sa gueule silencieuse sur la ville, il reprenait, après un court préambule, son récit où il l’avait laissé la veille.

— L’œil est rapide, disait-il d’ordinaire, et la parole est lente, et les phrases, dans la bouche même la plus exercée, se succèdent péniblement, comme des chariots pesamment chargés, par un chemin étroit et limoneux. Aussi n’allez pas croire que M. d’Argenson se fût arrêté aussi longtemps auprès des deux corps, pour en prendre une connaissance attentive, que je l’ai fait hier, moi, pour vous en donner une idée imparfaite et sans précision.

En même temps qu’il s’abandonnait à ce triste examen, aux impressions qui en étaient la suite naturelle, tout en laissant son esprit voguer sur la mer des réflexions et des hypothèses, il avait mène fouillé du regard scrupuleusement et de tous côtés la cellule, pour s’assurer s’il n’y existait pas, comme dans les caveaux antérieurs, quelque communication répondant à l’entrée, menant à d’autres voûtes souterraines. Mais pas une fissure dans les pierres, pas la moindre disjonction, pouvant faire soupçonner un passage condamné ou habilement dérobé, ne s’offrit à sa recherche : la crypte décidément s’arrêtait là. Une surprise nouvelle, considérable, inouïe, cependant, l’attendait encore.

Tout à coup il a cru s’apercevoir qu’un des barils placés à l’angle de la muraille, le plus près de lui, était plein, plein jusqu’au haut, comme un boisseau comble. Il s’approche et, sous une couche épaisse de poussière, il voit se dessiner une foule de petits disques semblables à des pièces de monnaie. — Qu’est-ce donc ? se dit-il ; quelle denrée funèbre est donc enfermée dans ces catacombes ?

Alors du fourreau de son épée, avec anxiété et précaution, il toucha à ces objets ; il en dérangea quelques-uns pour s’assurer de ce que ce pouvait être : un son métallique soudain se fit entendre ; un ton jaune, uniforme, semblable à la couleur de l’or, s’offrit aux reflets de la lumière et à ses regards éblouis. — Plus de doute, c’était de l’or, de l’or monnayé !… De l’or, de l’or plein ce baril, plein celui-ci, plein l’autre encore !… Cinq barils à la suite l’un de l’autre étaient ainsi remplis de carolus et d’écus d’or au soleil.

M. d’Argenson n’en revenait pas, il allait de l’un à l’autre, il touchait, il faisait sonner, il regardait. — Cela se peut-il bien ? s’écriait-il ; n’est-ce qu’une fascination ? Suis-je l’objet, la victime de quelque tour ténébreux de nos magiciens, de quelque sorcellerie ?

Une caisse de fer et deux bahuts de bois sculpté se trouvaient là, dans la cellule, près des barils ; leurs clés étaient encore à la serrure. Ils forent bientôt ouverts, visités, fouillés ; c’étaient des lingots de toutes sortes, des sacs d’or et d’argent, des bijoux, des vases précieux, de la vaisselle, des joyaux, des perles, des pierreries ; tout ce qu’en fait d’orfèvrerie on peut rêver de plus riche, de plus brillant, de plus beau. Imaginez-vous le trésor de Cléopâtre et la cassette du roi Louis XI mêlés aux richesses de Montezuma.

Si l’étonnement de M. d’Argenson avait été grand à la vue des deux spectres étendus sur les dalles, il ne le fut pas moins devant une telle découverte miraculeuse, incroyable, inouïe. Mais sa joie surpassait encore son admiration ; il lui semblait qu’il venait, lui aussi, de pénétrer dans la ville du soleil et d’effacer à jamais la gloire de Fernand Cortez et de Pizarro.

Cet amas de richesses près des restes d’un tout jeune homme et d’un barbon hideux, enveloppé de haillons, n’était guère fait pour expliquer ce qu’il y avait d’étrange et d’incompréhensible dans tout ceci. Cela compliquait encore l’énigme, et l’esprit intrigué et frappé de M. le lieutenant-général alla se perdre de nouveau dans des abîmes d’interprétations. Quand notre esprit est en proie à quelque chose d’obscur ou qu’il ignore, il fait de belles chevauchées dans les espaces de l’imagination.

Lorsque M. d’Argenson se fut bien réjoui, se fut bien saturé le regard de toutes ces merveilleuses choses que sa bonne fortune venait pour ainsi dire de déposer à ses pieds, au milieu des circonstances les plus bizarres, il se prépara enfin à quitter la cellule. D’abord il ordonna à ses gens d’en sortir ; mais, comme il allait lui-même en passer le seuil, il lui sembla voir à terre quelque chose tout auprès du corps du jeune homme.

Il revint sur ses pas et il ramassa en effet une petite lampe de fer portative, puis un reste de crayon usé jusqu’à l’extrémité, et un petit livret de poche couvert d’un cuir historié à peu près semblable à ce que nous appelons aujourd’hui un agenda ou portefeuille.

M. d’Argenson l’ouvrit, y jeta rapidement les yeux… Il était chargé sur toutes ses pages d’une écriture irrégulière, lourdement tracée à la mine de plomb.

La possession d’un tel objet lui fit concevoir tout de suite l’espérance d’y pouvoir rencontrer quelque renseignement, sinon une révélation entière, quelques notes consignées par ces victimes sur la mort cruelle qu’elles avaient endurée dans ce souterrain, et la source des richesses qui s’y trouvaient recelées. Il emporta donc ce livret.

Mais comme il n’eut pas été prudent de laisser l’immense trésor de la cellule, bien fait pour donner de la convoitise au cœur le moins cupide, à la merci des évènements et du premier larron qui se sentirait en goût d’y faire une visite, il referma provisoirement la grille avec son cordon de chevalier de l’ordre du Saint-Esprit, comme pour y apposer un sceau ou scellé royal et en prendre possession au nom de son maître, à l’instar d’un navigateur qui vient de poser le pied sur une terre nouvelle.

Ensuite, ayant recommandé à ses hommes, sous promesse d’une forte récompense, de garder un silence absolu sur tout ce qu’ils venaient de voir, il évacua avec eux le souterrain. Puis il fit appeler deux des archers qui nous gardaient prisonniers au château, et par conséquent étaient dans l’ignorance la plus complète à l’égard de la nouvelle découverte ; il les plaça à l’entrée, leur donnant pour consigne l’ordre formel de tirer sans miséricorde sur tout ce qui tenterait de les approcher, à l’exception de lui-même, M. le lieutenant.