Le Trésor de la caverne d’Arcueil/16

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Le Trésor de la caverne d’Arcueil
La Revue de ParisTome Seizième (p. 313-315).
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XVI.


Plus triomphant que Jason revenant de la Colchide après avoir dérobé la fameuse toison d’or, M. le comte Voyer d’Argenson nous revint de son expédition souterraine.

Il entra d’un pas magnifique dans l’appartement où nous étions relégués ; la joie, la satisfaction éclataient sur sa figure ; il nous pria, avec un sourire en permanence s’épanouissant sur ses lèvres, de ne pas trop nous laisser aller à l’ennui.

Pour ce qui était de moi en ce moment, je ne devais pas avoir la mine fort mélancolique, car depuis le retour de notre révérend prieur je m’étais fort hilarié, et j’avais surtout épuisé force moqueries à l’occasion de ses lanternes magiques et du travestissement en diable de M. Jean-François, son valet.

M. le lieutenant-général nous donna en outre cette consolation que notre position actuelle n’était que provisoire, qu’il allait en écrire au roi, dont il était le simple envoyé, et qu’aussitôt que sa majesté lui aurait fait connaître sa volonté, nous quitterions ce lieu sans doute pour une situation plus durable et mieux déterminée.

Puis il nous laissa tout entiers à nos réflexions, après quelques légères plaisanteries sur notre malheureuse prétention à la sorcellerie et l’infécondité de nos travaux, espiègleries dont nous ne comprenions guère la portée, n’ayant pas la connaissance du trésor véritable que venait de rencontrer M. d’Argenson, par l’effet d’une si singulière aventure, tout au fond du mystérieux repaire révélé inopinément par la culbute de notre brave moine et révérend prieur.

Il s’installa aussitôt dans le salon contigu ; Suzanne s’y trouvait enfermée, et il se mit en toute hâte à préparer sa dépêche au roi, car il lui tardait de l’informer de ses succès et de sa capture. — Quelle agréable nouvelle à porter à son maître, pour un fidèle et zélé serviteur !

Mais le charme indéfinissable de la belle magicienne attirait sans cesse ses regards, défaisait ses pensées et ses phrases à mesure qu’elles se rassemblaient, et le plongeait dans cet état de distraction et d’inquiétude naturel aux écoliers dissipés quand il s’agit de leurs devoirs.

Dès que sa lettre fut achevée, M. d’Argenson la mit sous enveloppe, la scella, et fit partir un exprès pour la porter en toute diligence à Marly, où depuis quelques jours résidaient la cour et le roi. — Il pouvait être alors environ quatre heures et demie du matin.

Libre de tous pressants soucis, n’ayant à faire mouvoir pour le moment aucun des rouages de son administration, et ne pouvant plus agir qu’après la réponse du monarque et sur de nouveaux ordres, M. le lieutenant-général se vit à la tête d’un très doux loisir.

Il s’approcha de Suzanne, lui détacha deux ou trois compliments de la plus fine fleur, deux ou trois rayons de miel comme M. le lieutenant savait si bien les distiller ; ce dont la belle captive parut assez peu touchée.

Mais M. d’Argenson avait fortement à cœur de lier conversation, et il lui dit :

— Cherchez-vous les trésors, mademoiselle, n’importe où, en n’importe quel lieu ?

— Nous les cherchons, monsieur, où il doit y en avoir.

La réponse était brève et un peu sibylline.

M. le lieutenant s’arrêta un peu décontenancé ; puis il reprit :

— Vous pensiez donc qu’il devait se trouver un trésor ici ?

— Oui, monsieur, autrement nous l’eussions cherché ailleurs, ou nous eussions été des sots.

Qu’objecter à un tel argument ? Peu de chose. Cela était net, d’une logique raide et serrée ; cela, comme dit un vieux proverbe de veneur, avait frappé l’oiseau dans l’œil. Aussi M. d’Argenson ne chercha-t-il à y opposer que sa belle humeur.

— Vous êtes d’habiles gens, dit-il malicieusement, cela est possible ; mais, croyez-moi, il y a un plus grand sorcier que nous tous, et ce sorcier, c’est le hasard.

M. le lieutenant souriait sous cape, songeant à la chute révélatrice du moine.

— Mais, puisque vous cherchiez un trésor, poursuivit-il, dans la supposition qu’il devait en exister un en ces lieux, d’où vous venait cette croyance, mademoiselle ?

La belle devineresse répondit :

— Vous êtes bien mal renseigné, monsieur le lieutenant-général, pour une personne de votre charge. Comment ignorez-vous ce qui est au su de tout le monde, c’est-à-dire que des richesses considérables sont enfouies dans quelque coin du territoire d’Arcueil ou plutôt de cette propriété ?

— Vraiment ! Eh ! qui donc a pu cacher là ces richesses ?… Le créateur au commencement de la Genèse ?

Comme celui qui tient dans son sac le chat qu’on cherche, M. d’Argenson se raillait toujours.

— Non, monsieur, il y a environ un siècle ; ce fut, dît-on, un avare fort riche, orfèvre et usurier du roi Henri IV.

Ici Suzanne raconta en quelques mots ce que nous savons déjà fort au long sur maître Jean d’Anspach ; et quand elle eut fini son récit, que M. le lieutenant-général avait écouté, tombant de surprise en surprise, émerveillé, car tout cela se rapportait exactement à ce qu’il venait de voir dans la salle souterraine, il lui dit à demi transporté et tout près de lui reconnaître la qualité de sorcière qu’il lui refusait tout à l’heure :

— Eh ! qui donc, mademoiselle, a pu conserver le souvenir de tout ceci ?

— Le peuple, monseigneur, qui jamais n’oublie. Du reste la chose doit avoir été consignée dans quelques écrits ; des gens très instruits m’en ont donné l’assurance.

M. d’Argenson se laissa emporter quelques instants par la réflexion ; car toute cette affaire bizarre, ce mélange de réalité et de folie, lui donnait naturellement fort à rêver. Puis, se ravisant tout à coup :

— Que je suis maladroit, mademoiselle, de vous fatiguer de mes questions, s’écria-t-il, tandis que j’ai là un petit livre qui pourra m’en apprendre bien davantage ? Vous permettez, n’est-ce pas, belle Circé ? Daignez me croire pénétré, mademoiselle, des égards que l’on doit aux femmes, et surtout à une femme de votre beauté. Ah ! si ce n’était, croyez-le bien, je vous en prie, pour une affaire urgente de l’état, du moins qui touche l’état, vous ne me verriez occupé que de vous, que de vous servir, que de vous plaire !… Je resterais là à vos pieds comme aux pieds d’une idole !

Après avoir commencé par un délicat madrigal, finir ainsi sur le ton brûlant de l’héroïde, certes, cela n’était pas trop mal, c’était même fort joli !


Et M. le lieutenant-général avait bien raison de se féliciter tout bas de son mérite.