Le Triomphe du Sexe/Chapitre VII

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CHAPITRE VII.

Exemples qui prouvent l’égalité de la femme : Sa capacité pour le gouvernement & pour les ſciences. Son inclination pour la vertu plus grande que celle de l’homme.



ADmettre que la femme a été faite comme l’homme à l’image de Dieu, c’eſt dire qu’elle a reçu comme lui, la même faculté de penſer & de raiſonner, & qu’elle lui peut être par conſéquent, égale du côté de l’eſprit & du cœur. Il faudroit ignorer l’histoire des siécles & de la littérature, pour révoquer en doute ce que j’avance ici. Exode 38 1. liv. des Rois. 11. 22. Dom Calmet Hiſt. de l’anc. teſt. tom. i.Chez les Hébreux, les femmes ont quelquefois exercé la fonction de Juge ; elles veilloient & faisoient la sentinelle à la porte du tabernacle. Cet ancien usage de voir les femmes faire la garde à l’entrée du palais des Rois d’Orient, subsiste encore aujourd’hui dans la Cour des Rois de Perse.

Dieu choisit ce qui paroît foible aux yeux des hommes, pour humilier leur orgueil, & pour confondre ceux qui se croient les plus forts, dit l’Apôtre. Que de femmes illustres dans l’ancien Testament. Debora aſſiſe ſous un palmier, juge le peuple d’Iſraël, & armée du glaive du Seigneur, elle terraſſe les ennemis de ſon nom. Judith, la gloire de Jéruſalem, tranche la tête du ſuperbe Holopherne. Eſther fait révoquer l’Édit du puiſſant Aſſuerus, & ſauve le peuple Juif, au péril même de ſa vie. La mère des Machabées voit d’un œil intrepide ſes enfans au milieu du tourment & ſuccombe généreuſement avec eux ſous l’épée du barbare Antiochus. Quel courage mâle ! Quelle intrépidité dans cette multitude innombrable de vierges & de femmes que le fer & le feu ne firent point pâlir, & qui triomphèrent de la cruauté des bourreaux. C’eſt à une femme que le Sauveur explique le profond myſtere de la grace. C’eſt à Magdelaine qu’il déclare, préférablement à ſes Apôtres, la vérité de ſa réſurrection. S. Paul honoroit les Priſcilles, les Maries, & tant d’autres dont il parle avec éloge dans ſes lettres. Le Diſciple bien aimé écrivoit à la pieuſe Électe. Ces premiers Docteurs croïoient le Sexe digne d’être initié dans les ſecrets de la loi, & capable de pénétrer les myſteres les plus ſublimes.

Si Nous revenons à l’hiſtoire des ſiécles poſtérieurs, que d’exemples qui font honneur au Sexe. La pucelle d’Orléans, cette généreuſe fille qui ſauve la France, qui combat à la tête des François. Chriſtine Reine de Suede, qui gouverna ſes États avec tant de ſageſſe, qui cultiva les ſciences avec tant de ſuccès. Tant d’illuſtres Princeſſes qui furent la tête de leur Conſeil. Les Daciers, les Deshoulieres qui ſe ſignalerent parmi nous, par leur vaſte connoiſſance dans les langues, par la beauté de leurs écrits. Tout Paris n’admire-t-il pas encore aujourd’hui les talens de Madame la Marquiſe du Châtelet, ſi connuë par les ſentimens du cœur & les agrémens de l’eſprit. Qui ignore le nom de Madame Dupin, dont la maiſon eſt comme le ſanctuaire des ſciences & l’académie particuliere des ſçavans, qui la reſpectent & la conſultent. Rouen, Toulouſe n’ont-ils pas couronné Madame du Bocage & Madame de Montégut. Une multitude d’autres que je paſſe ſous ſilence, pour ne pas répéter ce que tant d’Auteurs ont dit avant moi, ne ſont-elles pas des preuves inconteſtables que les femmes ne le cédent pas aux hommes du coté de l’eſprit & du cœur ? Que ne pourrois-je pas dire en leur faveur, ſur ce dernier ſujet ? Elles ont le ſentiment du cœur plus délicat que nous : Plus amies de l’honneur, plus reconnoiſſantes, plus ſenſibles ; leur caractere tendre & obligeant, les fait aimer. Je ne nie pas, dit le ſçavant Dom Feijoo, Bénédictin Eſpagnol, qu’il n’y ait des femmes adonnées au vice ; mais helas ! ſi l’on examine la généalogie de leurs déſordres, ne trouvera-t-on pas, qu’ils tirent leur premiere origine de la ſollicitation des hommes ? Quiconque voudra rendre bonnes toutes les femmes, doit commencer par convertir tous les hommes. La nature a miſe en elles, la pudeur, pour leur ſervir de barriere contre toutes les batteries du déſir charnel, & l’on fait très rarement bréche à ce mur par la partie intérieure de la place. La Religion trouve chez elles un accès facile. Fideles à ſes loix par vertu, moins hypocrites que nous, elles ont mérité que l’Égliſe les appella le dévot Sexe. Entrez dans nos Égliſes, comparez le nombre de celles qui y aſſiſtent aux offices, qui fréquentent les ſacremens, avec celui des hommes : Quelle honteuſe diſparité ! On croiroit que les femmes ſeules, ſont Chrêtiennes parmi nous.

De l’homme le plus entier en ſes volontés, une femme cependant en fera tout ce qu’il lui plaira, pourvû qu’elle ait beaucoup d’eſprit, aſſez de beauté & un peu d’amour. Les femmes ne ſont jamais ſi prêtes à nous trahir, que quand nous les aimons de bonne foi. La malice, l’amour & la contradiction, ſont les alimens des femmes. La femme eſt un animal aimable, mais de ſa nature muable ; voilà les traits de ſatyre qu’on lance ordinairement contre elles. Réflexions uſitées, qui pour être anciennes, n’en ſont pas moins fauſſes en général, quoique par accident elles puiſſent ſe confirmer.

Les hommes ne diſent ſouvent tant de mal des femmes, que pour ſe venger de leur pudeur, qui leur paroît trop auſtere. Sont-ce les femmes qui propoſent ordinairement aux hommes, ce qui peut être contre leur devoirs ? Le cas eſt ſi rare, qu’on n’en peut rien conclure. Les hommes les tentent, les ſéduiſent, & ſouvent ces fourbes ingrats les abandonnent, loin de légitimer par une alliance mutuelle, le défaut de leur conduite. J’entends quelquefois des perſonnes qui condamnent avec un zéle odieux la foibleſſe des perſonnes du Sexe, qui ſe livrent imprudemment aux plaiſirs de l’amour ; elles les regardent avec mépris, elles inſultent à leur foibleſe ; mais ſi ces bigots ſévères, ou ces dévotes ambiguës ſe trouvoient dans certaines conjonctures délicates, tous iroient peut-être plus loin que ces coupables qu’ils condamnent. On eſt fort quand on ne connoît pas le péril, & qu’on n’y a jamais été expoſé. Il y a de malheureux momens dans le commerce de la vie, où l’on ne ſe reconnoît qu’après ſa chûte. Le ſage fuit l’occaſion, parce qu’il comprend la vérité de cette maxime : Il ne faut jamais répondre de ſoi.