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Le Triomphe du Sexe/Chapitre VI

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CHAPITRE VI.

Injuſtice des loix humaines, qui donnent à l’homme une ſupériorité plus grande que celle que Dieu lui a accordée.



LEs loix humaines tirent leur force de la loi divine, dont elles ſont des explications ou des conſéquences directes ; mais les hommes en ont beaucoup établies ſur ce qui concerne l’ordre extérieur & civil, & les ont compoſées à leur gré. Jaloux d’être les maîtres & d’affecter en tout une certaine domination, ils ont porté plus loin qu’ils ne devoient la dépendance des femmes. À quoi ne les ont-ils pas aſſujetties, pour flatter leur amour propre ? Elles ne peuvent dispoſer de rien, elles ſe trouvent elles & leur biens, ſoumiſes aux caprices d’un mari. Donner à un époux tout droit ſur ſon corps, la loi l’ordonne, elle établit en ce point, une égalité de part & d’autre ; mais attribuer à l’homme, une autorité deſpotique ſur les biens & ſur la volonté de la femme, quel eſclavage odieux à la nature ! Eſt-il donc ſelon l’eſprit de la Religion, & ne s’en ſuit-il pas des abus bien funeſtes ? Qu’une femme ne puiſſe diſpoſer de ſon corps, rien de plus juſte, la compenſation eſt égale, elle a le même droit ſur l’homme ; mais vouloir étendre cet empire ſur ſes biens, ſa volonté, ſa liberté même, quelle ſervitude ! Pourquoi l’aſſujettir à un joug que Dieu ne lui a pas impoſé. Quelle ſource de déſordres ! Un homme diſſipé, joüeur & galant, trouve dans cette maîtriſe, des reſſources à ſes débauches. Abſolu, il dépenſe, il diſſipe comme il lui plaît, il oblige une épouſe infortunée à y conſentir. Quelle foible reſſource pour elle, que le droit que les loix lui accordent dans ces différens cas ! Un avare réduit une femme & des enfans, au genre honteux de vie qu’il pratique, il les oblige de paroître dans un état peu conforme à leur condition, il les rend la fable du public. Il faudra donc, ſous prétexte de la ſupériorité d’un tel fou, qu’une femme vive dans l’indigence, s’il plaît à ſon arpagon de lui refuſer le néceſſaire. Quel malheur pour elle ! Quel ſurcroît de maux, ſi ſcrupuleuſe, elle tombe ſous la direction d’un caſuiſte idiot, qui, parce qu’il aura lû qu’une femme ne doit diſpoſer de rien ſans le conſentement de ſon mari, ne ſçaura point diſtinguer les cas particuliers & les exceptions que cette loi peut ſouffrir, voudra lui faire un mérite de vivre ainſi. Si les loix avoient donné à l’homme & à la femme un pouvoir réciproque ſur leurs biens & leurs volontés, comme le Seigneur l’a inſinué par celui qu’il leur a donné mutuellement ſur leur corps, on verroit moins de déſordres dans les familles. La prudente ſageſſe d’une femme ſuppleroit à la mauvaiſe conduite d’un mari, & des enfans ne porteroient pas ſi ſouvent les triſtes marques des caprices ou des folies de leur pères. Dire que cette dépendance eſt fondée ſur la loi naturelle & ſur le droit des gens, c’eſt avancer faux : Il n’en a pas toujours été ainſi chez tous les peuples, & beaucoup de Nations ignorent encore aujourd’hui cette eſpéce de tyrannie. Quel exemple plus ſenſible, que celui que je rapporte ici d’un Royaume entier.

Dom. Calm. Hiſt. de l’anc. teſt. tom. I. p. 327.Darius fils d’Hyſtape, monté ſur le thrône des Perſes, fait un feſtin magnifique à tous les grands de ſa Cour, pendant quatre-vingt jours, & le nombre des conviés eſt proportionné à la ſomptuoſité de cette fête. Le ſeptième jour, le Roi plus gai qu’à l’ordinaire, envoie dans la chaleur du vin, ſept de ſes principaux Eunuques, pour conduire la Reine Vaſthi, le diadême en tête, & faire admirer ſa beauté à tous les peuples. Elle refuſe de venir, appuyée ſur une loi du pays, qui ne permettoit pas aux femmes d’honneur de paroître dans les feſtins des hommes. Darius en colere de ſon refus, conſulte ceux qui ſont auprès de lui, & leur demande quelle peine mérite Vaſthi, pour avoir déſobéi au Roi. L’un d’entr’eux répond que la Reine a non-ſeulement offenſée le Roi, mais que ſon exemple peut avoir des ſuites fâcheuſes, parce que toutes les femmes des Perſes & des Mèdes, pourroient s’autoriſer par là, à mépriſer le commandement de leurs maris. Il conclut qu’il faut que le Roi répudie Vaſthi, & qu’on publie dans tout l’Empire, que les hommes ont tout pouvoir, chacun dans leurs maiſons ; & que les femmes, de quelque condition qu’elles ſoient, leur rendront toute ſorte de reſpect & d’obéiſſance. Cet Édit eſt publié, & Eſther devient la nouvelle épouſe du Roi. La ſoumiſſion & la dépendance des femmes, avoit donc été juſqu’alors inconnu dans ces vaſtes Royaumes ? Elle n’eſt donc pas fondée ſur la nature, ni ſur le droit des gens ? Eh ! combien de peuples & de Légiſlateurs ont ainſi méconnu cette premiere égalité établie par la nature.