Le Trombinoscope/Eugénie

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Le Trombinoscope1 (p. 39-42).

République Française.


LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ…
ET CENSURE

La publication du portrait de
EUGÉNIE
a été interdite par la Censure.

il se trouve chez tous les photographes.

EUGÉNIE, E.-Marie de Montijo, ex-impératrice des Français, est née à Grenade (Andalousie), le 5 mai 1826. Elle touche donc à cet âge redouté où les femmes deviennent respectables malgré elles, mais que les impératrices ont le privilége de dépasser sans l’atteindre. — La noblesse de madame de Montijo n’a jamais été établie d’une façon bien péremptoire ; mais lorsque Napoléon III daigne la ramasser dans la foule, pour l’élever jusque sur les élastiques du canapé impérial, les fabricants de vieux blasons se crurent obligés d’accomplir des prodiges pour lui fabriquer une généalogie à perte de vue, dont celle du pot au feu ne donnerait qu’une faible idée. — Vapereau, qui certainement est de bonne foi, donne pour ancêtres à la Montijo, les Porto Garrero, les Gusman, les Fernandez, les La Cerda et autres noms illustres qu’il convient, à notre avis, de remplacer sans se gêner par ceux non moins célèbres des Farceira, des Cascadez et des Blaguinos, dont l’assemblage peint beaucoup mieux l’état de notre âme en extase. — Avant d’aller plus loin et de descendre davantage, avec ses plus grosses bottes, dans cette étude biographique, l’auteur du Trombinoscope croit devoir répondre à certaines objections qui lui sont faites : Comment ?… lui a-t-on dit, vous ne respectez pas même les femmes !… — Pardon !… pardon !… il importe de préciser. J’ai ouï dire, et vous aussi sans doute, qu’une grande dame, une reine, s’il m’en souvient bien, répondit à ceux qui lui reprochaient de se mettre au bain devant ses domestiques : Un esclave n’est pas un homme !… Nous croyons être dans le cas de légitime défense et rien de plus, en considérant les impératrices comme des Auvergnats. J’ai dit.

Mademoiselle de Montijo passa une partie de sa jeunesse à voyager sous le nom de comtesse de Teba et les jupons de sa mère. Nota : Madame sa mère quittait ses jupons la nuit. — En 1851 elle parut aux fêtes de l’Elysée, qui devaient si vite la conduire à celui du pouvoir (pour les lecteurs du Constitutionnel : au fait du pouvoir). Elle ne tarda pas à s’y faire remarquer par sa grâce et le talent qu’elle avait de s’habiller avec presque rien. — Un soir, Napoléon III valsa avec elle. Elle était en corsage. (typographes ! pas de coquilles et ne me faites pas dire ce que je ne pense pas). Elle était donc en corsage, mais si peu… si peu… Napoléon III, comme toujours, portait une cotte de mailles ; le petit dieu malin trouva une fissure, et le lendemain Eugénie de Montijo était demandée en mariage par l’Empereur. — Elle avait alors vingt-sept ans ; en face d’une pareille proposition, les convenances exigeaient qu’elle rougit et baissât les yeux ; elle y parvint en rappelant les souvenirs de sa plus tendre enfance. — L’Empereur devenant pressant, elle demanda à consulter sa mère, et la chronique assure qu’elle eut assez de présence d’esprit pour refuser le denier à Dieu que l’Empereur lui demandait. De ce trait de génie dépendit, assure-t-on, son succès. — Son mariage fut célébré le 30 janvier 1853, à Notre-Dame ; la messe fut dite au maître-autel, la chapelle de la Vierge étant en réparations. — Le conseil municipal vota une somme de 600 000 fr. pour offrir une parure à la mariée ; elle refusa et voulut que ce crédit fût employé en charités, pensant avec raison qu’elle se rattraperait plus tard. — Elle s’installa brillamment aux Tuileries et à Saint-Cloud, commanda 871 robes, 3 255 chapeaux et le reste à l’avenant ; se composa une cour de dames d’honneur et régla le cérémonial de sa maison sur un pied de 30 millions par an. Enfin !… la vertu avait trouvé sa récompense ; Cora Pearl et Rigolboche en crevaient de dépit. — Elle passa la saison des eaux à Biarritz. Après quelques excursions en Espagne, elle donna le jour à un fils (16 mars 1856) qui reçut en naissant le titre de prince impérial, ce qui ne l’engage à rien, ni nous non plus. — En 1855, l’Empereur présenta sa femme à la reine d’Angleterre ; les deux souveraines causèrent chiffons et ménage. L’impératrice exhiba sa garde-robe et sa parfumerie ; Victoria lui fit visiter sa cave ; elles s’entendirent au mieux. On remarqua qu’en reconduisant l’impératrice à sa voiture, la reine d’Angleterre était très-émue ; nous croyons qu’elle l’était aussi avant l’entrevue. Du reste, une personne, qui arrive de Londres, nous affirme que la reine Victoria n’est émue que dans deux cas : quand elle reçoit l’impératrice des Français et quand elle ne la reçoit pas ; le reste de son temps est consacré aux affaires publiques. — À trois reprises, en 1859, 1861 et 1865, pendant les absences de l’Empereur, l’impératrice exerça les fonctions de régente, présidant le conseil des ministres…


… Que le lecteur nous pardonne la vive émotion que nous venons de dissimuler derrière ces trois lignes de points trempées de nos larmes. Il est de ces souvenirs qui provoquent toujours un attendrissement irrésistible. Ah !… c’est que ce fut un beau et touchant spectacle que celui de cette épouse dévouée, de cette mère de famille maquillée de frais, signant avec une sollicitude infinie ces décrets qui faisaient la joie et le bonheur d’un peuple entier, tout en feuilletant les albums de hautes nouveautés que lui avaient adressés le matin les Villes de France, les Trois-Quartiers et la Compagnie lyonnaise. — La chronique ajoute que, souvent à son retour, l’Empereur fut épaté de certaines nominations dans l’ordre de la Légion d’Honneur et que lorsqu’il demandait à la régente : « Qu’a donc fait le jeune X… pour que tu le décores ? » L’Impératrice lui répondait invariablement : « Qu’est-ce que ça peut te faire, ô mon Louis… » — De son côté, l’Impératrice accomplit aussi quelques voyages avec son fils ; elle se rendit à Amiens pendant que le choléra y régnait et ne dut son salut qu’à l’habitude qu’elle avait de vivre dans un milieu malsain ; elle alla inaugurer le canal de Suez et de là au Caine, où elle se fit conter des gravelures par le vice-roi d’Egypte (Voir les Papiers de la correspondance impériale). — L’Impératrice a fait de nombreux dons aux sociétés savantes et de charité sur notre cassette particulière.

Quand éclata la guerre de Prusse, l’Impératrice régente lança une proclamation aux Parisiens pour leur dire que si l’ennemi venait assiéger Paris, ils la trouveraient sur ses murs pour le défendre. Cette réminiscence de Jeanne-d’Arc égaya pendant huit jours une situation qui d’ailleurs en avait grand besoin. — Les Prussiens arrivèrent devant Paris quelques jours après : l’Impératrice avait passé à l’étranger. Elle s’était tâtée, et ne s’était sans doute pas senti tout ce qu’il fallait pour doubler la pucelle d’Orléans. — L’ex-impératrice est aujourd’hui à Chislehurst, où elle soutient et console le noble exilé à qui la France doit tant. Le soir elle lui fait des réussites pour savoir s’il remontera sur le trône.

Au physique, la Montijo a été une assez jolie femme. Depuis quelques années, elle a inauguré un nouveau genre de beauté : la beauté retombante. Ses paupières retombent sur le coin des yeux et lui donnent cet air éreinté qui fait dire tout de suite : cette femme a dû bien souvent… présider le Conseil des Ministres. Ses joues retombent aussi comme des oreilles d’épagneul ; on pense que l’année prochaine elle pourra les nouer sous le menton. — L’Impératrice possède une orthographe remarquable — pas une femme n’est encore parvenue à mettre autant d’H dans le mot : Tuileries. — On a trouvé dans ses papiers, un billet commençant ainsi : « Ma chère Louise, je t’anvoit ma couturiaire qui vient d’invanter un nouveau pouff très-réussit, qu’elle a batisé d’un nom original ; elle l’appaille un : mettez l’article en main, je te le recommende », etc., etc. — L’ex-Impératrice passe pour avoir beaucoup d’ascendant sur son époux. On la dit bigote ; sa physionomie, d’ailleurs, indique ce mélange de gruerie et de fanatisme auquel nous devons toute cette catégorie de femmes, qui — à moins de rencontrer un trône sur leur chemin — vivent cocottes et meurent tireuses de cartes.

Septembre 1871

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

L’ex-Impératrice Eugénie perd le reste de ses dents et de son époux le.......... 18.. Elle se fait poser un ratelier le.......... mais ne reprend pas de mari. — Elle invente le.......... 18.. un nouveau fard qui résiste à la transpiration ; découvre le............ 18.. un mastic inaltérable pour boucher les rides, — et compose le.......... 18.. un noir spécial pour prolonger les sourcils jusqu’à l’épine dorsale. — Elle se fixe à Londres le........... 18.. — et s’en fait renvoyer par le gouvernement anglais le.......... 18.. parce que l’eau de sa toilette salit trop la Tamise. — Le.......... 18.. elle se retire dans un cloître après avoir fait une vente aux enchères de sa collection de chignons, et meurt le.......... 19.. munie des sacrements de l’Église et de la parfumerie hygiénique.