Le Trombinoscope/Pie IX

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Le Trombinoscope1 (p. 35-38).

PIE IX, Jean-Marie (comme Farina), comte de Masta-Ferreti, 263e Pape, est né à Sinigaglia, le 13 mai 1792. — Sa vocation pour la carrière ecclésiastique était tellement irrésistible, que, dès 1815, il fut sur le point de s’engager dans un régiment de dragons. — Il fit ses études au collége de Volterra (rien de Voltaire), fut ordonné prêtre et envoyé en mission au Chili en 1823. — Il dut être un homme d’un rare mérite, si l’on en juge par l’avancement rapide qu’il reçut ; car nous ne nous permettrions pas de supposer, un seul instant, que dans la plus sainte des carrières, les protections pussent, comme dans les administrations profanes, passer la jambe aux véritables talents. — Chanoine à trente-trois ans, archevêque à trente-cinq, cardinal à quarante-huit, il fut élu pape en juin 1846, à la grande satisfaction du peuple romain, qui, comme tous les autres peuples, changeait de roi avec un certain plaisir, s’imaginent toujours qu’il allait mettre la main sur un meilleur. — Hâtons-nous de dire que le nouveau souverain justifia cette confiance : il se montra libéral pendant au moins… Oh ! nous n’exagerons pas ; pendant au moins… six semaines. Il accorda une amnistie politique sans réserves, soumit le clergé à l’impôt, renvoya sa garde de Suisses, diminua les dépenses de la Cour, etc… Les Romains étaient dans l’enthousiasme et s’embrassaient sur les trottoirs en s’écriant : Bien sûr, il va finir par proclamer la République !… — Cette allégresse, hélas !… ne dura pas longtemps ; elle tomba avec la facilité d’une omelette soufflée sur laquelle Dumaine s’assiérait. — On trouva qu’il mettait trop de lenteur à armer la garde nationale ; quelques mesures rétrogrades qu’il prit, et surtout l’exemple de la révolution de février 1848, rendirent les Romains plus exigeants, et ils réclamèrent du Pape une constitution. — Pie IX leur répondit : « Oh ! si ce n’est que cela, je vais vous en faire une. » Il leur fabriqua une constitution modèle, avec pouvoirs ecclésiastiques, musèlement de la presse, suppression du droit de réunion, etc…, etc…, tout ce qu’il faut enfin pour régner tranquillement sur un peuple. — Contre son gré, il dut céder à l’opinion publique qui poussait à la guerre’d’indépendance contre l’Autriche, et il donna l’ordre au général Durando, à la tête de 17 000 hommes, de se diriger sur le Pô. On raconte, à ce sujet, que le prince Napoléon, en aprenant cette nouvelle, fut consterné de n’avoir point été chargé d’une mission qui était si bien dans ses moyens. — Le 16 novembre 1848, une émeute éclata à Rome et Pie IX alla demander l’hospitalité au roi de Naples. Comme on n’avait pas besoin de lui pour proclamer la République, on s’en passa ; et le 6 février 1849 il fut déclaré déchu de son pouvoir temporel. Bien entendu, on se garda bien de toucher à son monopole d’exploitation des indulgences, gros, demi-gros, détail, et exportation. — C’est ici qu’apparut dans toute sa majesté, la grandeur d’âme du fondé de pouvoirs de Dieu sur la terre : Pie IX, comme le plus vulgaire des Bourbons, n’hésita pas à armer l’étranger contre son pays pour reconquerir son trône. — La France eut l’unique honneur, en sa qualité de fille aînée de l’Église, d’envoyer les premières bombes aux républicains italiens, et de rendre au Pape ses palais, ses trésors, son trône et autres accessoires, sans lesquels il était convenu, paraît-il, qu’un Pape ne pourrait prêcher l’humilité chrétienne. — En 1859 et 1860, des révolutions successives dépossédèrent Pie IX au profit de Victor-Emmanuel de la presque totalité de l’antique patrimoine de saint Pierre. Ce n’est pas sans une douce gaîté que nous employons ce cliché fameux, en nous rappelant que lorsque saint Pierre jeta avec Jésus-Christ les bases de l’Internationale, il était simple pêcheur, et que son antique patrimoine se composait des quinze goujons qu’il était forcé d’attraper tous les jours pour nourrir sa famille. — Depuis ce moment, le pouvoir temporel du pape se livra à une dégringolade folle dans laquelle il luttait de vitesse avec le cours des actions de Mouzaïa. — Dans le but de se ménager sa plus précieuse alliée, Pie IX mit vainement en œuvre les grands moyens et décerna à la reine d’Espagne la fameuse rose d’or ; cette distinction suprême, accordée à la plus pieuse des souveraines et à la plus charitable des femmes, ne protégea pas Isabelle contre la danse de Saint-Gui, dont les trônes sont atteints depuis quelque temps et à laquelle nous sommes prochainement appelés à les voir tous succomber. — Pie IX a convoqué en 1869 un grand Concile œcuménique, destiné à se prononcer sur le principe de l’infaillibilité du Pape. Ce dogme a été violemment combattu par plusieurs ecclésiastiques distingués : les citoyens Hyacinthe. Maret et Dupanloup, qui se sont efforcés de prouver que tant qu’un pape pouvait avoir une indigestion de veau aux petits pois, il n’était pas plus infaillible que le plus vulgaire des mortels. — À part ces quelques déboires, Pie IX a su faire prospérer la partie financière de son règne ; il a trouvé dans le denier de Saint-Pierre des consolations immenses, et sous aucun de ses prédécesseurs, le rayon des indulgences n’avait fait autant de recettes. — On dit que rien que les dispenses de maigre du vendredi lui rapportaient cinquante millions par an. Il est beau, il est grand, il est sublime de s’engraisser en faisant manger de la viande aux autres.

On a remarqué que Pie IX n’est que le sixième pape qui ait pu célébrer son cinquantenaire. Il est âgé de bientôt quatre-vingts ans et porte la tiare depuis plus de vingt-cinq années, ce qui indiquerait presque que le métier est moins fatigant que de scier du bois, et que les gens qui prêchent la vertu, le travail et les privations, vivent généralement plus vieux que ceux qui triment pour gagner leur vie. — Depuis quelques mois, Pie IX ne règne plus temporellement. Les Italiens, qui avaient besoin d’une capitale pour l’Italie, ont pensé qu’ils seraient bien bêtes d’en aller chercher une dans l’Océanie, puisqu’ils avaient Rome sous la main. Ils en ont donc pris possession, tout en respectant Pie IX comme chef de l’Eglise et en le traitant avec tout le respect dû à un vieillard intolérant qui s’entête à regarder l’heure à sa montre, arrêtée depuis vingt-cinq ans. — On croit généralement que le pape n’est pas ravi de cette nouvelle organisation ; en tous cas, s’il l’est, il ne le laisse pas voir, et l’on dit qu’il prépare une bulle d’excommunication majeure contre beaucoup de gens et entr’autres contre le Tintamarre, qui a dit un jour de lui : Pie IX possède une forte mule dont il a l’entêtement.

Au physique, Pie IX est un homme ordinaire, au moral aussi. — On ne lui connaît pas de vices ; mais rien ne s’oppose à ce qu’il les ait tous. Il faut même les lui supposer, par la raison toute simple que s’il en avait on ne laisserait personne le dire. — On s’accorde à reconnaître qu’il est bon et charitable ; sa physionomie d’ailleurs n’indique pas une énorme férocité, et il est permis de croire que, simple curé dans un petit hameau avec 900 francs d’appointements et un petit jardin, il eût fait un des plus purs ornements du clergé ; le malheur a voulu qu’entre ses messes il fût forcé de s’occuper de lever des impôts, de choisir des colonels et de faire condamner des journalistes ; tout cela a fait de l’honnête homme un monarque, c’est-à-dire un pas grand’chose. — Pie IX est très-intéressé, il a la même mule depuis 25 ans ; les lèvres des fidèles ont fait un trou à la semelle et quand de nouveaux viennent la baiser, s’ils ont des moustaches, ça lui chatouille la plante du pied, ce qui le fait beaucoup rire.

Septembre 1871

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

Pie IX, parfaitement convaincu que le règne du temporel est fini et achi-fini, proteste néanmoins, pour la forme, dans un anathème à grand spectacle qu’il lance le.......... 18.. — Il excommunie Victor-Emmanuel le.......... 18.. Guillaume le.......... 18.. Bismark le.......... 18.. et tous les autres souverains qui l’ont laissé détrôner, en bloc, le.......... 18.. — Afin de ne point tout perdre, il fait imprimer le.......... 18.., des contre-bulles-rigollot, qu’il offre aux souverains maudits à raison de mille francs la pièce, pour être appliquées sur leur anathème et les en guérir. — Les souverains en achètent des masses ; ça lui fait une douceur. — Et il meurt le.......... 19.., après avoir donné la rose d’or à de Villemessant qui était allé lui demander sa bénédiction déguisé en reine exilée.