Le Trombinoscope/Pouyer-Quertier

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POUYER-QUERTIER, augustin-thomas, homme politique français, né le 3 novembre 1820, à Étoutteville-en-Caux (Seine-Inférieure). Les débuts dans la vie politique de ce bon gros manufacturier, n’occasionnèrent pas de tremblement de terre. Il arriva aux honneurs par les procédés ordinaires ; d’abord nommé maire de Fleury-sur-Andelle parce qu’il était notable commerçant, puis, tour à tour, membre du Conseil général parce qu’il était maire ; membre de la Chambre du commerce parce qu’il était conseiller général ; administrateur de la Banque parce qu’il était membre de la Chambre de commerce ; président du comité de secours des ouvriers cotonniers parce qu’il était administrateur de la Banque, etc… etc… M. Pouyer-Quertier devint en peu de temps tout ce qu’un bon commerçant qui a de la veine peut devenir sans être un aigle ; mais du diable si l’idée serait venue à personne qu’il pût dépasser cette estimable moyenne. Nous ne prétendons pas par là insinuer que M. Pouyer-Quertier soit complètement incapable ; mais jusqu’ici ses actes ont été si uniformement marqués au coin de la routine la plus crasse que l’on est naturellement conduit à se demander s’il peut exister un seul conducteur d’omnibus qui ne soit pas conseiller municipal dans un pays où les Pouyer-Quertier deviennent ministres. — M. Pouyer-Quertier fut nommé député au Corps législatif en 1867 comme candidat du gouvernement impérial ; il a donc la tache originelle. Il fut réélu au même titre en 1863. Il avait eu six ans pour se repentir de la première candidature officielle ; il ne l’a pas fait ; ça le regarde ; mais il est bon de noter en passant qu’il n’y a queles républiques fondées par des monarchistes de 75 ans pour passer par-dessus ces choses-là. — Dans toutes les questions politiques, M. Pouyer-Quertier votait avec la droite ; sa place est marquée dans l’histoire à côté des couteaux à papier les plus distingués de cette époque à jamais bénie où Rouher faisait si aisément prendre aux élus de la nation des bons mexicains pour des billets de Banque et les étaliers de Pietri pour des soeurs de charité. — M. Pouyer-Quertier eut, cependant, quelques bons mouvements, et il serait injuste de ne pas les consigner ici. Nous le ferons d’autant plus volontiers que la nomenclature n’en doit être ni longue ni fatigante. Il combattit les monopoles des grandes compagnies de finances et de chemins de fer, demanda l’abaissement des tarifs et la réorganisation de la navigation ; il protesta avec assez de vigueur contre le système financier de M. Haussmann, et démontra clairement que si on laissait faire le préfet de la Seine, il n’y aurait bientôt plus un seul endroit où un habitant de la lune pût poser le pied sans passer au travers. — M. Pouyer-Quertier s’était aussi élevé avec acharnement et à différentes reprises contre le principe du libre-échange et s’était fait remarquer comme un protectioniste enragé. De mauvaises langues ont prétendu qu’en cela il écoutait plus les intérêts particuliers de son industrie que l’intérêt général du commerce français. Toujours est-il que ses idées à ce sujet parurent partagées par beaucoup de négociants qui lui firent un semblant de réputation à cause de sa campagne contre le principe du libre échange. Sans approfondir autrement une question à laquelle nous sommes d’ailleurs complètement étranger, nous nous bornerons à faire remarquer à nos lecteurs que l’application de tous les systèmes nouveaux a de tout temps soulevé les réclamations des gens qui faisaient leur beurre à l’aide des anciens, et que l’on a vu beaucoup de conducteurs de diligences traîner dans la boue, avec une noble indignation, l’invention des chemins de fer. On cite encore, à l’appui de ce principe philosophique, un notable fabricant de seringues en étain de la rue des Gravilliers à qui la découverte de l’irrigateur moderne arracha un violent anathème que l’écho répéta jour et nuit pendant plus de huit jours. — Aux élections de mai 1869, M. Pouyer-Quertier perdit le bénéfice de la candidature officielle et échoua contre M. Desseaux, candidat démocrate ; le suffrage universel commençait à dégager son doigt que les préfets à poigne et les gardes champêtres de l’Empire lui avaient enfoncé dans l’œil jusqu’à l’aisselle. — Au mois de novembre suivant, M. Pouyer-Quertier se présenta aux élections partielles de Paris pour y venger son échec ; mais le charme était définitivement rompu, et il fut copieusement black boulé avec 9 000 suffrages contre 21 000 qu’obtint M. Crémieux. Il s’en consola en pensant qu’il n’était pas étonnant que M. Crémieux eut beaucoup plus de voix que lui puisqu’il avait une bien plus grande bouche. Depuis ce jour jusqu’à l’avènement de M. Thiers, M. Pouyer-Quertier se tint éloigné de la politique ; mais lors du traité de paix, il reprit une énorme importance. Il fut nommé ministre des finances et chargé, à plusieurs reprises, de négocier avec M. de Bismarck dont il obtint, à ce qu’ont prétendu certaines personnes faciles à contenter, des concessions si avantageuses pour la France qu’elles eurent pour effet d’arracher à la fois des cris d’enthousiasme à M. Thiers et des larmes de joie à M. Bismarck. À son retour et en récompense d’aussi importants services, M. Pouyer-Quertier reçut le grand cordon de la Légion d’honneur, pendant que le grand chancelier de l’Allemagne était comblé de félicitations et de pendules par l’empereur Guillaume pour l’intelligence qu’il avait déployée dans les négociations. Il serait bien difficile à ce propos de ne point songer à ce négociant qui, après avoir conclu une affaire dans laquelle il croit avoir enfoncé un de ses confrères, rentre chez lui et dit à sa femme : si tu savais comme je viens de rouler Durandard, pendant que Durandard dit à la sienne : j’ai joliment refait ce gros melon de Patafoin !… M. Pouyer-Quertier s’est encore immortalisé par une série de nouveaux impôts dont la liste, imprimée en tout petits caractères, tiendrait à peine sur les deux trottoirs de la rue de Rivoli. Comme tous ses devanciers, le gouvernement Pouyer-Quer-Thiers s’est efforcé de répartir assez justement les charges publiques pour qu’elles ne fassent qu’effleurer la bourse des millionnaires, et portent en plein sur le porte-monnaie des citoyens qui travaillent dix heures par jour pour trois francs vingt-cinq. On lui doit notamment l’impôt sur les allumettes qui ressemble à tous les autres en ce qu’il frappe exclusivement les gens qui souffrent et l’augmentation des ports de lettres qui a fait dire au Charivari : cet impôt est si absurde qu’on se récrie, mais que l’on ne se récrit pas.

Au physique, M. Pouyer-Quertier est gros et trapu. Ses favoris longs, sa carrure large et son génie étroit rappellent ceux de Jules Ferry. C’est à la fois le meilleur estomac et le plus mauvais ministre des finances que l’on connaisse — il a le coup d’œil borné et le coup de fourchette vaste. Il digère tout ce qu’il absorbe ; c’est sa seule supériorité sur M. de Bismarck qui a avalé l’Alsace et la Lorraine et les gardera sur l’estomac jusqu’à ce qu’il les rende. Ses négociations avec le grand chancelier allemand ont été remarquables au point de vue gastronomique. Bismarck, qui en est à l’eau de Vichy pour digérer le blanc de poulet, a souvent été émerveillé de voir M. Pouyer-Quertier n’employer pour faire passer son dîner que six tranches de gigot saignant et ne boire que du champagne en guise d’eau de Saint-Galmier. Bismarck aurait dit à ce sujet après l’entrevue : Ce gaillard-là était de force à me rouler sous la table ; par bonheur le traité se signait dessus.

Janvier 1872.

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

M. Pouyer-Quertier invente le… 18… un nouvel impôt sur les indigestions ; — établit le… 18… une taxe sur le papier Rigollot… et le… 18… frappe d’un droit de 10 % la vente des cure dents. — M. Pouyer-Quertier qui, ainsi qu’on l’a vu plus haut, ne devait sa grandeur politique qu’à une similitude d’infirmité avec M. Thiers, tombe du pouvoir avec son protecteur protectionniste le 18… — Cette disgrâce est la première chose qu’il ne parvient pas à digérer, et il meurt le… 19.. au moment où il rêvait le moyen de nous libérer envers Bismark au moyen d’un impôt sur les cataplasmes.