Le Valet de cœur (Verhaeren, Petites Légendes)
Le Valet de Cœur
Un valet rouge est aperçu.
« Toi, l’As, pourquoi l’avoir reçu
Il vient, le beau valet flamand,
D’un cabaret du port de Gand
Ce bal d’ombres et de poupées
— Blason de sang, guivres crispées,
Mais beau soiffeur de vins gascons :
« À nous filles, brocs et chansons ! »
Comment il prit, par fantaisie,
Ardent, mais plein de courtoisie,
Le fit venir jusques Paris,
Il y parut si peu surpris,
Son coup d’estoc fit tel tapage,
Que l’écho redit, d’âge en âge,
Malgré l’éloquence du roi
Et des gestes jetant l’effroi
Courir sur sa jaquette rousse
Et songe à l’Uitzet clair qui mousse,
Mais obligeant patron de ceux
Qui débarquent, en habits bleus
Chaque printemps, des Baléares,
— Tricorne en vair, plumes barbares —
Et gente amie au regard clair,
Luisante et saine comme l’air,
Lui, le valet ! Sur la lanterne
Un peu vieille de la taverne
Il se voyait, large et replet,
Dans le mirage et le reflet
Le plafond d’or de ses extases :
Miroirs aux murs, fleurs en des vases,
Béants d’amour les plus distraits,
Pulpe grasse, pétales frais,
Grandit à peine en sa pensée,
Qu’elle devint la fiancée
Fortune et les ronds yeux ardents
Et la palissade de dents
Mais vainement, par la Hollande
Et par les ports de la Zélande
Sur son bourreau fantasque et noir,
Le beau valet l’attend, ce soir,
Où se chamaillent quelques masques,
Il reconnaît tels gants fantasques
— « C’est lui ! » — dont les baisers malsains
Se promènent, parmi des seins
Met sa main preste, entre la lèvre
Et les fleurs de chair, dont il sèvre,
Les dames fuient à cet affront,
On s’interroge, on s’interrompt.
Et l’assaut vif, comme une étreinte,
Quand le valet attaque en quinte
Et l’épée âpre et nette atteint
Le torse d’or et de satin
Son regard d’une ombre se couvre,
Mais de la bouche qui s’entrouvre
Et pour ton poing et pour le mien
Est close — et rien ne sert à rien,
D’une posthume ardeur galante
Et d’une pose nonchalante…
Tout à coup noir comme la nuit,
Avec un deuil si clos en lui,
Ni quel éclair, ni quelle sève
Brûlait et nourrissait son glaive.
Et de l’honneur d’être l’atout,
Quand Jean Terlinck commence en Août