Notre-Dame au manteau froid (Verhaeren, Petites Légendes)
Notre-Dame au Manteau Froid
Où l’Angelus, dans la tour, pleure,
On regardait venir de loin,
Un lumignon dorant son poing,
Le petit homme
Le petit homme, avec sa bosse
Plantée, ainsi qu’un nez
Géant, dans son dos large et décharné,
Longeait le clos de Sainte-Gertrude,
Coupait la pente rude
Qui remonte jusqu’au beffroi :
Le petit homme, au teint de pomme,
Gagnait alors l’énorme échelle
Qui de là monte à la chapelle
Semblait pendu au mur, comme un carillon d’os,
Il conversait avec la Vierge,
Il lui disait
Les nouvelles de la cité
Et s’adressait à sa toute bonté
Et des secours nombreux furent acquis
Grâce à son aide et son crédit.
La petite ville se confiait
À son pouvoir sûr et discret,
Il était son hérault, là-haut,
Près de la Dame,
Il allumait le chœur balbutiant de flammes
Autour du froid manteau.
On l’enviait, on le craignait, et les dévotes
Piquaient souvent son nom, sur les pelotes
Il avait peur de ses voisins
Qui l’épiaient, au pas des portes.
Des suppliques si tenaces faisaient escorte
À sa fuite, jusque chez lui,
Qu’il se barricadait dans son logis,
Ornaient de fleurs et de rinceaux, le bois
Était, aux yeux des gens crédules,
La vraie armoire du bonheur.
Mie Hazewel l’aimait, avec ferveur,
C’était une rusée et benoîte personne
À l’œil finaud, au nez futé,
Qui savait l’art d’escamoter les hommes
Il ne la vit jamais
L’attendre et le guetter, quand il rentrait
Par le préau des Ursulines.
Elle affectait ne point savoir
Jusqu’où montait son grand pouvoir,
Si bien que, l’éprouvant obstinément discrète,
Lui-même il la poussait aux vœux et aux requêtes,
Dès qu’elle entrait chez lui, le samedi,
Mettre de l’ordre, dans sa boutique,
Et disposer, côte-à-côte, sur l’établi,
Elle aimait bien le petit homme,
Mais elle aimait surtout d’avoir pour soi,
L’intercesseur si nettement utile
Que la bonne petite ville
Dépêchait, tous les soirs, un peu
Elle poivra si bien les choses,
Jusques au sang.
Un commérage emberlificoté
D’un tas d’avis et de propos contraires,
Gagna le séminaire ;
Et Sus, le fossoyeur, et Sas, le sacristain,
Ne s’en taisaient, soir ni matin ;
Le vieux quartier des Trois Pucelles
Ouvrit toute gifflante une querelle
Avec ceux du Château d’Or
Et le clergé s’en fut chez Monseigneur lui-même,
Percer à jour le stratagème
Qui détournait, à son profit,
Pour émissaire et pour appui.
On eût brûlé sa chair, comme infidèle,
Jadis, aux temps anciens, quand les bûchers
Dans un décor de vieux clochers,
Se déployaient, ainsi que des paons rouges.
À cette heure, faute de mieux, le soir,
On assiégeait son bouge ;
On l’insultait, massés sur son trottoir.
De vieux poëlons et d’antiques ferrailles
À bruit grinçant et fou, menaient autour
De son amour, bataille ;
On les jugeait : elle, catin, et lui, voleur !
Certains les accablaient sous la même fureur.
Ils accouraient, du fond de leurs impasses,
Poussant des cris, jetant des pierres,
Qu’on entendait heurter le toit, et choir, par masses
Dévalantes, dans la gouttière.
Portes et volets craquaient, les coups pleuvaient si forts
Qu’on eût dit une tempête des Nords,
Trouant et secouant la terre,
Jusqu’au moment où Mandus Nol, le ferblantier,
Pour en finir, tassa devant la porte
De l’heure en pleurs sur la paroisse,
Les yeux sournois, la voix narquoise,
Nol y jeta sa chatte et son matou ;
Les mains cherchant les mains, tous les voisins
Firent la chaîne,
Autour du feu de leur vengeance et de leur haine.
Ils ricanaient devant l’horreur
Des deux bêtes folles de peur,
Ils les voyaient dans le foyer grandir
Et, tout à coup, comme deux flammes,
Hors des flammes, bondir,
Le poil rouge, les regards fous,
Cherchant à fuir, n’importe où…
Les ruades et les poussées
Les repoussaient vers les flammes entrelacées.
La rue au loin illuminait de sang
Les carreaux verts des pignons blancs ;
Jusqu’à l’Hôtel de la Guirlande
Se déroulait la sarabande ;
Les dos houlaient, les pieds mordaient le sol,
On croyait voir des bras s’unir pour des viols
Quand les couples passaient et repassaient,
Devant les feux,
Filles et gars, les muscles mous
Tombaient, par paquets lourds, dans les égouts,
La ronde, à bout d’ardeur, rompait sa chaîne ;
Une suprême fois, les bêtes,
Loques en feu, buissons rouges, torches brandies,
Rebondirent de l’incendie,
Mais ceux du Pré de l’Arbalète,
Encor vaillants, repoussèrent, à coups de pieds,
Neutre et blafard, comme un linge déteint,
Se suspendre, le long des rues,
Mie Hazewel s’enfuit de la cité bourrue
Et plus jamais n’y reparut.
Le petit homme,
Au teint de pomme,
Sentit dès lors la mort descendre…
On aurait dit que d’un tamis
Tombait sur lui
De la poussière et de la cendre.
Il n’eut plus goût à rien ;
Ses sabots clairs raillaient sa vie et son chagrin ;
Le tamis gris de poussière et de cendre
Toujours plus lourd le surplombait,
Si bien, qu’un soir des mois mauvais,
Droite là-haut, contre le pignon droit,
La chapelle d’or et de flammes