Le Vicomte de Bragelonne/Chapitre CCXXXVIII

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Michel Lévy frères (p. 731-734).


CCXXXVIII

CAPTIF ET GEÔLIERS


Une fois entrés dans le fort, et tandis que le gouverneur faisait quelques préparatifs pour recevoir ses hôtes :

— Voyons, dit Athos, un mot d’explication pendant que nous sommes seuls.

— Le voici simplement, répondit le mousquetaire. J’ai conduit à l’île un prisonnier que le roi défend qu’on voie ; vous êtes arrivés, il vous a jeté quelque chose par son guichet de fenêtre ; j’étais à dîner chez le gouverneur, j’ai vu jeter cet objet, j’ai vu Raoul le ramasser. Il ne me faut pas beaucoup de temps pour comprendre, j’ai compris, et je vous ai crus d’intelligence avec mon prisonnier. Alors…

— Alors vous avez commandé qu’on nous fusillât.

— Ma foi !… je l’avoue ; mais, si j’ai le premier sauté sur un mousquet, heureusement j’ai été le dernier à vous mettre en joue.

— Si vous m’eussiez tué, d’Artagnan, il m’arrivait ce bonheur de mourir pour la maison royale de France ; et c’est un signe d’honneur de mourir de votre main, à vous, son plus noble et son plus loyal défenseur.

— Bon ! Athos, que me contez-vous là de la maison royale ? balbutia d’Artagnan. Comment ! vous, comte, un homme sage et bien avisé, vous croyez à ces folies écrites par un insensé ?

— J’y crois.

— Avec d’autant plus de raison, mon cher chevalier, que vous avez ordre de tuer ceux qui y croiraient, continua Raoul.

— Parce que, répliqua le capitaine de mousquetaire, parce que toute calomnie, si elle est bien absurde, a la chance presque certaine de devenir populaire.

— Non, d’Artagnan, dit tout bas Athos, parce que le roi ne veut pas que le secret de sa famille transpire dans le peuple et couvre d’infamie les bourreaux du fils de Louis XIII.

— Allons, allons, ne dites pas de ces enfantillages-là, Athos, ou je vous renie pour un homme sensé. D’ailleurs, expliquez-moi comment Louis XIII aurait un fils aux îles Sainte-Marguerite.

— Un fils que vous auriez conduit ici, masqué, dans le bateau d’un pêcheur, fit Athos, pourquoi pas ?

D’Artagnan s’arrêta.

— Ah ! ah ! dit-il, d’où savez-vous qu’un bateau pêcheur…

— Vous a amené à Sainte-Marguerite avec le carrosse qui renfermait le prisonnier ; avec le prisonnier que vous appelez Monseigneur ? Oh ! je le sais, reprit le comte.

D’Artagnan mordit ses moustaches.

— Fût-il vrai, dit-il, que j’ai amené ici dans un bateau et avec un carrosse un prisonnier masqué, rien ne prouve que ce prisonnier soit un prince… un prince de la maison de France.

— Oh ! demandez cela à Aramis, répondit froidement Athos.

— Aramis ? s’écria le mousquetaire interdit. Vous avez vu Aramis ?

— Après sa déconvenue à Vaux, oui ; j’ai vu Aramis fugitif, poursuivi, perdu, et Aramis m’en a dit assez pour que je croie aux plaintes que cet infortuné a gravées sur le plat d’argent.

D’Artagnan laissa pencher sa tête avec accablement.

— Voilà, dit-il, comme Dieu se joue de ce que les hommes appellent leur sagesse ! Beau secret que celui dont douze ou quinze personnes tiennent en ce moment les lambeaux !… Athos, maudit soit le hasard qui vous a mis en face de moi dans cette affaire ! car maintenant…

— Eh bien, dit Athos avec sa douceur sévère, votre secret est-il perdu parce que je le sais ? n’en ai-je pas porté d’aussi lourds en ma vie ? Ayez donc de la mémoire, mon cher.

— Vous n’en avez jamais porté d’aussi périlleux, repartit d’Artagnan avec tristesse. J’ai comme une idée sinistre que tous ceux qui auront touché à ce secret mourront, et mourront mal.

— Que la volonté de Dieu soit faite ! d’Artagnan. Mais voici votre gouverneur.

D’Artagnan et ses amis reprirent aussitôt leurs rôles.

Ce gouverneur, soupçonneux et dur, était pour d’Artagnan d’une politesse allant jusqu’à l’obséquiosité. Il se contenta de faire bonne chère aux voyageurs et de les bien regarder.

Athos et Raoul remarquèrent qu’il cherchait souvent à les embarrasser par de soudaines attaques, ou à les saisir au dépourvu d’attention ; mais ni l’un ni l’autre ne se déconcerta. Ce qu’avait dit d’Artagnan put paraître vraisemblable, si le gouverneur ne le crut pas vrai.

On sortit de table pour aller se reposer.

— Comment s’appelle cet homme ? Il a mauvaise mine, dit Athos en espagnol à d’Artagnan.

— De Saint-Mars, répliqua le capitaine.

— Ce sera donc le geôlier du jeune prince ?

— Eh ! le sais-je ? Me voici peut-être à Sainte-Marguerite à perpétuité.

— Allons donc ! vous ?

— Mon ami, je suis dans la situation d’un homme qui trouve un trésor au milieu d’un désert. Il voudrait l’enlever, il ne peut ; il voudrait le laisser, il n’ose. Le roi ne me fera pas revenir, craignant qu’un autre ne surveille moins bien que moi ; il regrette de ne m’avoir plus, sentant bien que nul ne le servira de près comme moi. Au reste, il arrivera ce qu’il plaira à Dieu.

— Mais, fit observer Raoul, par cela même que vous n’avez rien de certain, c’est que votre état ici est provisoire, et vous retournerez à Paris.

— Demandez donc à ces messieurs, interrompit Saint-Mars, ce qu’ils venaient faire à Sainte-Marguerite.

— Ils venaient, sachant qu’il y avait un couvent de bénédictins à Saint-Honorat curieux à voir, et dans Sainte-Marguerite une belle chasse.

— À leur disposition, répliqua Saint-Mars, comme à la vôtre.

D’Artagnan remercia.

— Quand partent-ils ? ajouta le gouverneur.

— Demain, répondit d’Artagnan.

M. de Saint-Mars alla faire sa ronde et laissa d’Artagnan seul avec les prétendus Espagnols.

— Oh ! s’écria le mousquetaire, voilà une vie et une société qui me conviennent peu. Je commande à cet homme, et il me gêne, mordious !… Tenez, voulez-vous que nous fassions un coup de mousquet sur les lapins ? La promenade sera belle et peu fatigante. L’île n’a qu’une lieue et demie de longueur, sur une demi-lieue de large ; un vrai parc. Amusons-nous.

— Allons où vous voudrez, d’Artagnan, non pour nous divertir, mais pour causer librement.

D’Artagnan fit un signe à un soldat qui comprit et apporta des fusils de chasse aux gentilshommes, et rentra au fort.

— Et maintenant, fit le mousquetaire, répondez un peu à la question que faisait ce noir Saint-Mars : Qu’êtes-vous venus faire aux Îles Lerens ?

— Vous dire adieu.

— Me dire adieu ? Comment cela ? Raoul part ?

— Oui.

— Avec M. de Beaufort, je parie ?

— Avec M. de Beaufort. Oh ! vous devinez toujours, cher ami.

— L’habitude…

Pendant que les deux amis commençaient leur entretien, Raoul, la tête lourde, le cœur chargé, s’était assis sur des roches moussues, son mousquet sur les genoux, et, regardant la mer, regardant le ciel, écoutant la voix de son âme, il laissait peu à peu s’éloigner de lui les chasseurs.

D’Artagnan remarqua son absence.

— Il est toujours frappé, n’est-ce pas ? dit-il à Athos.

— À mort !

— Oh ! vous exagérez, je pense. Raoul est bien trempé. Sur tous les cœurs si nobles, il y a une seconde enveloppe qui fait cuirasse. Le première saigne, la seconde résiste.

— Non, répondit Athos, Raoul en mourra.

— Mordious ! fit d’Artagnan sombre.

Et il n’ajouta pas un mot à cette exclamation. Puis, un moment après :

— Pourquoi le laissez-vous partir ?

— Parce qu’il le veut.

— Et pourquoi n’allez-vous pas avec lui ?

— Parce que je ne veux pas le voir mourir.

D’Artagnan regarda son ami en face.

— Vous savez une chose, continua le comte en s’appuyant au bras du capitaine, vous savez que, dans ma vie, j’ai eu peur de bien peu de choses. Eh bien, j’ai une peur incessante, rongeuse, insurmontable ; j’ai peur d’arriver au jour où je tiendrai le cadavre de cet enfant dans mes bras.

— Oh ! répondit d’Artagnan, oh !

— Il mourra, je le sais, j’en ai la conviction ; je ne veux pas le voir mourir.

— Comment, Athos, vous venez vous poser en présence de l’homme le plus brave que vous dites avoir connu, de votre d’Artagnan, de cet homme sans égal, comme vous l’appeliez autrefois, et vous venez lui dire, en croisant les bras, que vous avez peur de voir votre fils mort, vous qui avez vu tout ce que l’on peut voir en ce monde ? Eh bien, pourquoi avez-vous peur de cela, Athos ? L’homme, sur cette terre, doit s’attendre à tout, affronter tout.

— Écoutez, mon ami : après m’être usé sur cette terre dont vous parlez, je n’ai plus gardé que deux religions : celle de la vie, mes amitiés, mon devoir de père ; celle de l’éternité, l’amour et le respect de Dieu. Maintenant, j’ai en moi la révélation que, si Dieu souffrait qu’en ma présence mon ami ou mon fils rendît le dernier soupir… O ! non, je ne veux même pas vous dire cela, d’Artagnan.

— Dites ! dites !

— Je suis fort contre tout, hormis contre la mort de ceux que j’aime. À cela seulement il n’y a pas de remède. Qui meurt gagne, qui voit mourir perd. Non. Tenez : savoir que je ne rencontrerai plus jamais, jamais, sur la terre, celui que j’y voyais avec joie ; savoir que nulle part ne sera plus d’Artagnan, ne sera plus Raoul, oh !… je suis vieux, voyez-vous, je n’ai plus de courage ; je prie Dieu de m’épargner dans ma faiblesse ; mais, s’il me frappait en face, et de cette façon, je le maudirais. Un gentilhomme chrétien ne doit pas maudire son Dieu, d’Artagnan ; c’est bien assez d’avoir maudit un roi !

— Hum !… fit d’Artagnan, un peu bouleversé par cette violente tempête de douleurs.

— D’Artagnan, mon ami, vous qui aimez Raoul, voyez-le, ajouta-t-il en montrant son fils ; voyez cette tristesse qui ne le quitte jamais. Connaissez-vous rien de plus affreux que d’assister, minute par minute, à l’agonie incessante de ce pauvre cœur ?

— Laissez-moi lui parler, Athos. Qui sait ?

— Essayez ; mais, j’en ai la conviction, vous ne réussirez pas.

— Je ne lui donnerai pas de consolation, je le servirai.

— Vous ?

— Sans doute. Est-ce la première fois qu’une femme serait revenue sur une infidélité ? Je vais à lui, vous dis-je.

Athos secoua la tête et continua la promenade seul. D’Artagnan, coupant à travers les broussailles, revint à Raoul et lui tendit la main.

— Eh bien, dit d’Artagnan à Raoul, vous avez donc à me parler ?

— J’ai à vous demander un service, répliqua Bragelonne.

— Demandez.

— Vous retournerez quelque jour en France ?

— Je l’espère.

— Faut-il que j’écrive à mademoiselle de La Vallière ?

— Non, il ne le faut pas.

— J’ai tant de choses à lui dire !

— Venez les lui dire, alors.

— Jamais !

— Eh bien, quelle vertu attribuez-vous à une lettre que votre parole n’ait point ?

— Vous avez raison.

— Elle aime le roi, dit brutalement d’Artagnan ; c’est une honnête fille.

Raoul tressaillit.

— Et vous, vous qu’elle abandonne, elle vous aime plus que le roi peut-être, mais d’une autre façon.

— D’Artagnan, croyez-vous bien qu’elle aime le roi ?

— Elle l’aime à l’idolâtrie. C’est un cœur inaccessible à tout autre sentiment. Vous continueriez à vivre auprès d’elle, que vous seriez son meilleur ami.

— Ah ! fit Raoul avec un élan passionné vers cette espérance douloureuse.

— Voulez-vous ?

— Ce serait lâche.

— Voilà un mot absurde et qui me conduirait au mépris de votre esprit. Raoul, il n’est jamais lâche, entendez-vous, de faire ce qui est imposé par la violence majeure. Si votre cœur vous dit : « Va là, ou meurs, » allez-y donc, Raoul. A-t-elle été lâche ou brave, elle qui vous aimait, en vous préférant le roi, que son cœur lui commandait impérieusement de vous préférer ? Non, elle a été la plus brave de toutes les femmes. Faites donc comme elle, obéissez à vous-même. Savez-vous une chose dont je suis sûr, Raoul ?

— Laquelle ?

— C’est qu’en la voyant de près avec les yeux d’un homme jaloux…

— Eh bien ?

— Eh bien, vous cesserez de l’aimer.

— Vous me décidez, mon cher d’Artagnan.

— À partir pour la revoir ?

— Non, à partir pour ne la revoir jamais. Je veux l’aimer toujours.

— Franchement, reprit le mousquetaire, voilà une conclusion à laquelle j’étais loin de m’attendre.

— Tenez, mon ami, vous irez la revoir, vous lui donnerez cette lettre, qui, si vous la jugez à propos, lui expliquera comme à vous ce qui se passe dans mon cœur. Lisez-la, je l’ai préparée cette nuit. Quelque chose me disait que je vous verrais aujourd’hui.

Il tendit cette lettre à d’Artagnan, qui la lut :


« Mademoiselle, vous n’avez pas tort à mes yeux en ne m’aimant pas. Vous n’êtes coupable que d’un tort, celui de m’avoir laissé croire que vous m’aimiez. Cette erreur me coûtera la vie. Je vous la pardonne, mais je ne me la pardonne pas. On dit que les amants heureux sont sourds aux plaintes des amants dédaignés. Il n’en sera point ainsi de vous, qui ne m’aimiez pas, sinon avec anxiété. Je suis sûr que, si j’eusse insisté près de vous pour changer cette amitié en amour, vous eussiez cédé par crainte de me faire mourir ou d’amoindrir l’estime que j’avais pour vous. Il m’est bien doux de mourir en vous sachant libre et satisfaite.

« Aussi, combien vous m’aimerez quand vous ne craindrez plus mon regard ou mon reproche ! Vous m’aimerez, parce que, si charmant que vous paraisse un nouvel amour, Dieu ne m’a fait en rien l’inférieur de celui que vous avez choisi, et que mon dévouement, mon sacrifice, ma fin douloureuse m’assurent à vos yeux une supériorité certaine sur lui. J’ai laissé échapper, dans la crédulité naïve de mon cœur, le trésor que je tenais. Beaucoup de gens me disent que vous m’aviez aimé assez pour en venir à m’aimer beaucoup. Cette idée m’enlève toute amertume et me conduit à ne regarder comme ennemi que moi seul.

« Vous accepterez ce dernier adieu, et vous me bénirez de m’être réfugié dans l’asile inviolable où s’éteint toute haine, où dure tout amour.

« Adieu, Mademoiselle. S’il fallait acheter de tout mon sang votre bonheur, je donnerais tout mon sang. J’en fais bien le sacrifice à ma misère !

« Raoul, vicomte de Bragelonne. »


— La lettre est bien, dit le capitaine. Je n’ai qu’une chose à lui reprocher.

— Dites-moi laquelle ? s’écria Raoul.

— C’est qu’elle dit toute chose, hormis la chose qui s’exhale comme un poison mortel de vos yeux, de votre cœur ; hormis l’amour insensé qui vous brûle encore.

Raoul pâlit et se tut.

— Pourquoi n’avez-vous pas écrit seulement ces mots :


« Mademoiselle,

« Au lieu de vous maudire, je vous aime et je meurs. »

— C’est vrai, dit Raoul avec une joie sinistre.

Et, déchirant sa lettre, qu’il venait de reprendre, il écrivit ces mots sur une feuille de ses tablettes :


« Pour avoir le bonheur de vous dire encore que je vous aime, je commets la lâcheté de vous écrire, et, pour me punir de cette lâcheté, je meurs. »


Et il signa.

— Vous lui remettrez ces tablettes, n’est-ce pas, capitaine ? dit-il à d’Artagnan.

— Quand cela ? répliqua celui-ci.

— Le jour, dit Bragelonne en montrant la dernière phrase, le jour où vous écrirez la date sous ces mots.

Et il s’échappa soudain et courut joindre Athos, qui revenait à pas lents.

Comme ils rentraient, la mer grossit, et, avec cette véhémence rapide des grains qui troublent la Méditerranée, la mauvaise humeur de l’élément devint une tempête.

Quelque chose d’informe et de tourmenté apparut à leurs regards sur le bord de la côte.

— Qu’est-ce cela ? dit Athos. Une barque brisée ?

— Ce n’est point une barque, dit d’Artagnan.

— Pardonnez-moi, fit Raoul, c’est une barque qui gagne rapidement le port.

— Il y a, en effet, une barque dans l’anse, une barque qui fait bien de s’abriter ici ; mais ce que montre Athos dans le sable… échoué…

— Oui, oui, je vois.

— C’est le carrosse que je jetai à la mer en abordant avec le prisonnier.

— Eh bien, dit Athos, si vous m’en croyez, d’Artagnan, vous brûlerez le carrosse, afin qu’il n’en reste point de vestige ; sans quoi, les pêcheurs d’Antibes, qui ont cru avoir affaire au diable, chercheront à prouver que votre prisonnier n’était qu’un homme.

— Je loue votre conseil, Athos, et je vais cette nuit le faire exécuter, ou plutôt l’exécuter moi-même. Mais rentrons, car la pluie va tomber et les éclairs sont effrayants.

Comme ils passaient sur le rempart dans une galerie dont d’Artagnan avait la clef, ils virent M. de Saint-Mars se diriger vers la chambre habitée par le prisonnier.

Ils se cachèrent dans l’angle de l’escalier sur un signe de d’Artagnan.

— Qu’y a-t-il ? dit Athos.

— Vous allez voir. Regardez. Le prisonnier revient de la chapelle.

Et l’on vit, à la lueur des rouges éclairs, dans la brume violette qu’estompait le vent sur le fond du ciel, on vit passer gravement, à six pas derrière le gouverneur, un homme vêtu de noir et masqué par une visière d’acier bruni, soudée à un casque de même nature, et qui lui enveloppait toute la tête. Le feu du ciel jetait de fauves reflets sur cette surface polie, et ces reflets, voltigeant capricieusement, semblaient être les regards courroucés que lançait ce malheureux à défaut d’imprécations.

Au milieu de la galerie, le prisonnier s’arrêta un moment à contempler l’horizon infini, à respirer les parfums sulfureux de la tempête, à boire avidement la pluie chaude, et il poussa un soupir semblable à un rugissement.

— Venez, Monsieur, dit de Saint-Mars brusquement au prisonnier, car il s’inquiétait déjà de le voir regarder longtemps au-delà des murailles. Monsieur, venez donc !

— Dites monseigneur ! cria de son coin Athos à Saint-Mars d’un voix tellement solennelle et terrible, que le gouverneur en frissonna des pieds à la tête.

Athos voulait toujours le respect pour la majesté tombée.

Le prisonnier se retourna.

— Qui a parlé ? demanda de Saint-Mars.

— Moi, répliqua d’Artagnan, qui se montra aussitôt. Vous savez bien que c’est l’ordre.

— Ne m’appelez ni monsieur ni monseigneur, dit à son tour le prisonnier avec une voix qui remua Raoul jusqu’au fond des entrailles ; appelez-moi maudit !

Et il passa.

La porte de fer cria derrière lui.

— Voilà un homme malheureux ! murmura sourdement le mousquetaire, en montrant la chambre habitée par le prince.