Le Vieux Cordelier (n°4)

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VIVRE LIBRE (No. 4.) OU MOURIR.
LE VIEUX
CORDELIER ;
JOURNAL
Rédigé par Camille DESMOULINS,
Député à la Convention, et Doyen des Jacobins.

Décadi, 30 Frimaire, l’an II de la Républ. une et indivisible.
Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit.
(J. J. Rousseau, Contrat social.)

Quelques personnes ont improuvé mon numéro 3, où je me suis plu, disent-elles, à faire des rapprochements qui tendent à jeter de la défaveur sur la révolution et les patriotes (elles devroient dire sur les excès de la révolution, et les patriotes d’industrie). Elles croient le numéro réfuté, et tout le monde justifié par ce seul mot : On sait bien que l’état présent n’est pas celui de la liberté ; mais patience, vous serez libres un jour.

Ceux-là pensent apparemment que la liberté, comme l’enfance, a besoin de passer par les cris et les pleurs, pour arriver à l’âge mûr. Il est au contraire de la nature de la liberté, que, pour en jouir, il suffit de la désirer. Un peuple est libre du moment qu’il veut l’être ; (on se rappelle que c’est un mot de Lafayette) : « Il rentre dans la plénitude de tous ses droits, dès le 14 juillet. La liberté n’a ni vieillesse, ni enfance. Elle n’a qu’un âge, celui de la force et de la vigueur. Autrement ceux qui se font tuer pour la République, seroient donc aussi stupides que ces fanatiques de la Vendée, qui se font tuer pour des délices de paradis dont ils ne jouiront point. Quand nous aurons péri dans le combat, ressusciterons-nous aussi dans trois jours, comme le croient ces paysans stupides ? Non, cette liberté que j’adore n’est point le Dieu inconnu. Nous combattons pour défendre des biens dont elle met sur le champ en possession ceux qui l’invoquent. Ces biens sont la déclaration des droits, la douceur des maximes républicaines, la fraternité, la sainte égalité, l’inviolabilité des principes. Voilà les traces des pas de la déesse ; voilà à quels traits je distingue les peuples au milieu de qui elle habite.

Et à quel autre signe veut-on que je reconnoisse cette liberté divine ? Cette liberté, ne seroit-ce qu’un vain nom ? n’est-ce qu’une actrice de l’Opéra, la Candeille ou la Maillard, promenées avec un bonnet rouge, ou bien cette statue de 46 pieds de haut que propose David ? Si par la liberté, vous n’entendez pas, comme moi, les principes, mais seulement un morceau de pierre, il n’y eut jamais idolâtrie plus stupide et si coûteuse que la nôtre.

Ô ! mes chers concitoyens, serions-nous donc avilis à ce point, que de nous prosterner devant de telles divinités ? Non, la liberté, cette liberté descendue du ciel, ce n’est point une nymphe de l’Opéra, ce n’est point un bonnet rouge, une chemise sale ou des haillons. La liberté, c’est le bonheur, c’est la raison, c’est l’égalité, c’est la justice, c’est la déclaration des droits, c’est votre sublime constitution ! Voulez-vous que je la reconnoisse, que je tombe à ses pieds, que je verse tout mon sang pour elle ? ouvrez les prisons[1] à ces deux cents mille citoyens que vous appelez suspects ; car, dans la déclaration des droits, il n’y a point de maisons de suspicion ; il n’y a que des maisons d’arret. Le soupçon n’a point de prisons, mais l’accusateur public ; il n’y a point de gens suspects ; il n’y a que des prévenus de délits fixés par la loi. Et ne croyez pas que cette mesure seroit funeste à la République. Ce seroit la mesure la plus révolutionnaire que vous eussiez jamais prise. Vous voulez exterminer tous vos ennemis par la guillotine. Mais y eût-il jamais plus grande folie ? Pouvez-vous en faire périr un seul à l’échafaud, sans vous faire dix ennemis de sa famille ou de ses amis ? Croyez-vous que ce soit ces femmes, ces vieillards, ces cacochymes, ces égoïstes, ces traînards de la révolution, que vous enfermez, qui sont dangereux ? De vos ennemis, il n’est resté parmi

vous que les lâches et les malades. Les braves et les forts ont émigré. Ils ont péri à Lyon ou dans la Vendée ; tout le reste ne mérite pas votre colère. Cette multitude de feuillans, de rentiers, de boutiquiers, que vous incarcérez, dans le duel entre la monarchie et la République, n’a ressemblé qu’à ce peuple de Rome, dont Tacite peint ainsi l’indifférence, dans le combat entre Vitellius et Vespasien.

« Tant que dura l’action, les Romains s’assembloient, comme des spectateurs curieux autour des combattans ; et comme à un spectacle, ils favorisoient tantôt ceux-ci et tantôt ceux-là, par des battemens de mains et des acclamations, se déclarant toujours pour les vainqueurs, et lorsqu’un des deux partis venoit à lâcher pied, voulant qu’on tirât des maisons et qu’on livrât à l’ennemi ceux qui s’y sauvoient. D’un côté, l’on voyoit des morts et des blessés, de l’autre des comédies et des restaurateurs remplis de monde. » N’est-ce pas l’image de nos modérés, de nos chapelains, de nos signataires de la fameuse pétition des 8 mille et des 20 mille, et de cette multitude immobile entre les jacobins et Coblentz, selon le succès, criant : Vive Lafayette et son cheval blanc ! ou portant en triomphe le buste de Marat, et le nichant dévotement à la place de la Notre-Dame du coin, et entre les deux chandelles ? On voit que les bourgeois de Paris, l’an 2e. de la République, ne ressemblent pas mal encore à ceux de Rome, du temps de Vitellius, comme ceux de Rome ressembloient à ceux d’Athènes, du temps de Platon, dont ce philosophe disoit, dans sa République imaginaire, qu’il n’avoit rien prescrit pour eux, cette classe étant faite pour suivre aveuglément l’impulsion du gouvernement et des plus forts. On se battoit au Carrousel et au Champ de Mars, et le Palais-Royal étaloit ses bergères et son Arcadie. À côté du tranchant de la guillotine sous lequel tomboient les têtes couronnées, et sur la même place, et dans le même temps, on guillotinoit aussi polichinelle, qui partageoit l’attention. Ce n’étoit pas l’amour de la République qui attiroit tous les jours tant de monde sur la place de la révolution, mais la curiosité, et la pièce, nouvelle, et qui ne pouvoit avoir qu’une seule représentation. Je suis sûr que la plupart des habitués de ce spectacle se moquoient, au fond de l’ame, des abonnés de l’opéra et de la tragédie, qui ne voyoient qu’un poignard de carton, et des comédiens qui faisoient le mort. Telle étoit, dit Tacite, l’insensibilité de la ville de Rome, sa sécurité dénaturée et son indifférence parfaite pour tous les partis. Mais Vespasien, vainqueur, ne fit point embastiller toute cette multitude.

De même croyez-moi, dignes représentans, aujourd’hui que la Convention vient de rejeter sur les intrigans, les patriotes tarés et les ultra-révolutionnaires en moustaches et en bonnet rouge, l’immense poids de terreur qui pesoit sur elle ; aujourd’hui qu’elle a repris, sur son pied d’estal, l’attitude qui lui convenoit, dans la religion du peuple, et que le comité de salut public veut un gouvernement provisoire, respecté et assez fort pour contenir également les modérés et les exagérés, laissons aussi végéter au coin de leur feu, au moins ces paisibles casaniers, qui n’étoient pas républicains sous Louis XV et même sous Louis XVI et les États-Généraux, mais qui, dès le 14 juillet, et au premier coup de fusil, ont jeté leurs armes et l’écusson des lys, et ont demandé en grâce à la Nation de leur laisser faire leurs quatre repas par jour. Laissez-les, comme Vespasien, suivre aujourd’hui le char du triomphateur, en s’égosillant à crier : Vive la République !

Que de bénédictions s’éleveroient alors de toutes parts ! Je pense bien différemment de ceux qui vous disent qu’il faut laisser la terreur à l’ordre du jour. Je suis certain au contraire que la liberté se voit consolidée, et l’Europe vaincue, si vous aviez un comité de clémence. C’est ce comité qui finiroit la révolution ; car la clémence est aussi une mesure révolutionnaire, et la plus efficace de toutes, quand elle est distribuée avec sagesse. Que les imbécilles et les fripons m’appellent modéré, s’ils le veulent. Je ne rougis point de n’être pas plus enragé que M. Brutus : or, voici ce que Brutus écrivoit : Vous feriez mieux, mon cher Cicéron, de mettre de la vigueur à couper cours aux guerres civiles, qu’à exercer de la colère, et poursuivre vos ressentiments contre des vaincus[2]. On sait que Thrasibule, après s’être emparé d’Athènes, à la tête des bannis, et avoir condamné à mort ceux des trente tyrans qui n’avoient point péri les armes à la main, usa d’une indulgence extrême à l’égard du reste des citoyens, et même fit proclamer une amnistie générale. Dira-t-on que Thrasibule et Brutus étoient des feuillans, des brissotins ; je consens à passer pour modéré, comme ces grands hommes. La politique leur avoit appris la maxime que Machiavel a professée depuis, que, lorsque tant de monde a trempé dans une conjuration, on l’étouffe plus sûrement, en feignant de l’ignorer, qu’en cherchant tous les complices. C’est cette politique, autant que sa bonté, son humanité, qui inspira à Antonin ces belles paroles aux magistrats, qui le pressoient de poursuivre et de punir tous les citoyens qui avoient eu part à la conjuration d’Attilius : Je ne suis pas bien aise qu’on voie qu’il y a tant de personnes qui ne m’aiment pas.

Je ne puis m’empêcher de transcrire ici le passage que l’anti-fédéraliste a cité de Montesquieu, et qui est si bien à l’ordre du jour. On verra que le génie de César ne travailloit pas mieux que la sottise de nos ultra-révolutionnaires à faire détester la république, et à frayer le chemin à la monarchie.

« Tous les gens qui avoient eu des projets ambitieux, avoient conspiré à mettre le désordre dans la république. Pompée, Crassus et César y réussirent à merveille ; et comme les bons législateurs cherchent à rendre les concitoyens meilleurs, ceux-ci cherchoient à les rendre pires. Ces premiers hommes de la République cherchoient à dégoûter le peuple de son pouvoir, et à devenir nécessaires, en rendant extrêmes les inconvéniens du gouvernement républicain. Mais lorsqu’Auguste fut devenu le maître, il travailla à rétablir l’ordre, pour faire sentir le bonheur du gouvernement d’un seul. »

C’est alors qu’Octave sut rejeter habilement sur Antoine et Lépide l’odieux des proscriptions passées ; et comme sa clémence présente appartenoit à lui seul, ce fut cette clémence, dont il avoit appris l’artifice de Jules-César, qui opéra la révolution, et décida, bien plus que Pharsale et Actium, de l’asservissement de l’univers pour 18 siècles. On étoit las de voir couler le sang dans le Forum et autour de la tribune aux harangues, depuis les Gracques.

Tant d’exemples prouvent ce que je disois tout à l’heure, que la clémence, distribuée avec sagesse, est la mesure la plus révolutionnaire, la plus efficace, au lieu que la terreur n’est que le Mentor d’un jour, comme l’appelle si bien Cicéron : Timor non diuturnus magister officii. Ceux qui ont lu l’histoire, savent que c’est la terreur seule du tribunal de Jeffreys et de l’armée révolutionnaire que le major Kirch traînoit à sa suite, qui amena la révolution de 1689. Jacques II appeloit en riant la campagne de Jeffreys cette sanglante tournée de son tribunal ambulant. Il ne prévoyoit pas que son détrônement termineroit la fin de cette campagne. Si on consulte la liste des morts, on verra que ce chancelier d’Angleterre, qui a laissé un nom si abominable, étoit un petit compagnon en comparaison du général ministre Ronsin, qu’on peut appeler, d’après son affiche, l’Alexandre des bourreaux[3].

Citoyens collègues, il semble qu’un montagnard n’auroit point à rougir de proposer les mêmes moyens de salut public, que Brutus et Thrasibule, sur-tout si on considère qu’Athènes se préserva de la guerre civile, pour avoir suivi le conseil de Thrasibule, et que Rome perdit sa liberté, pour avoir rejeté celui de Brutus. Cependant je me garde bien de vous présenter une semblable mesure. Arrière la motion d’une amnistie ! Une indulgence aveugle et générale seroit contre-révolutionnaire. Du moins elle seroit du plus grand danger, et d’une impolitique évidente, non par la raison qu’en donne Machiavel, parce que « le prince doit verser sur les peuples le mal tout à la fois, et le bien goutte à goutte », mais parce qu’un si grand mouvement imprimé à la machine du gouvernement, en sens contraire à sa première impulsion, pourroit en briser les ressorts. Mais autant il y auroit de danger et d’impolitique à ouvrir la maison de suspicion aux détenus, autant l’établissement d’un comité de clémence me paroît une idé grande, et digne du peuple français, effaçant de sa mémoire bien des fautes, puisqu’il en a effacé le temps même ou elles furent commises, et qu’il a créé une nouvelle ère, de laquelle seule il date sa naissance et ses souvenirs. À ce mot de comité de clémence, quel patriote ne sent pas ses entrailles émues ! car le patriotisme est la plénitude de toutes les vertus, et ne peut pas conséquemment exister là où il n’y a ni humanité, ni philantropie, mais une ame arride et desséchée par l’égoïsme. Ô ! mon cher Robespierre, c’est à toi que j’adresse ici la parole ; car j’ai vu le moment où Pitt n’avoit plus que toi à vaincre, où, sans toi, le navire Argo périssoit, la République entroit dans le chaos, et la société des Jacobins et la montagne devenoit une tour de Babel. Ô ! mon vieux camarade de collége, toi dont la postérité relira les discours éloquens, souviens-toi de ces leçons de l’histoire et de la philosophie : que l’amour est plus fort, plus durable que la crainte ; que l’admiration et la religion naquirent des bienfaits ; que les actes de clémence sont l’échelle du mensonge, comme nous disoit Tertullien, par lesquelles les membres des comités de salut public se sont élevés jusqu’au ciel, et qu’on n’y monta jamais sur des marches ensanglantées. Déjà tu viens de t’approcher beaucoup de cette idée, dans la mesure que tu as fait décréter aujourd’hui, dans la séance du décadi 30 frimaire. Il est vrai que c’est plutôt un comité de justice qui a été proposé. Cependant, pourquoi la clémence seroit-elle devenue un crime dans la République ? Prétendons-nous être plus libres que les Athéniens, le peuple le plus démocrate qui ait jamais existé, et qui avoit élevé cet autel à la miséricorde, devant lequel le philosophe Demonax, plus de mille ans après, faisoit encore prosterner les tyrans. Je crois avoir bien avancé la démonstration que la saine politique commande une semblable institution. Et notre grand professeur Machiavel, que je ne me lasse point de citer, regarde cet établissement comme le plus important, et de première nécessité pour tout gouvernement, le souverain devant plutôt abandonner les fonctions de comité de sûreté générale, que celles de comité de secours. C’est à lui seul sur-tout recommande-t-il, que le dépositaire de la souveraineté doit réserver la distribution des grâces, et tout ce qui concilie la faveur, laissant aux magistrats la disposition des peines, et tout ce qui est sujet aux ressentimens.

Depuis que j’ai commencé mon cours de politique, dans le Vieux Cordelier, un si grand nombre de mes collègues m’a encouragé par des abonnemens, et m’a fait l’honneur d’assister à mes leçons, que me trouvant au milieu de tant de députés, je me suis cru cette fois à la tribune même du peuple français. Fort des exemples de l’histoire et des autorités de Thrasibule, Brutus et Machiavel, j’ai transporté au journaliste la liberté d’opinion qui appartient au représentant du peuple à la Convention. J’ai exprimé par écrit, mes sentimens sur le meilleur mode de révolutionner, et ce que la foiblesse de mon organe et mon peu de moyens oratoires ne me permet pas de développer si bien. Si ce mot de jubilé, que j’ai risqué pour ne pas être plus impitoyable que Moïse, qui cependant étoit un fier exterminateur, et une machine infernale du calibre de Ronsin ; si, dis-je, mon comité de clémence paroît à quelques-uns de mes collègues mal sonnant, et sentant le modérantisme ; à ceux qui me reprocheront d’être modéré dans ce numéro 4, je puis répondre, par le temps qui court, comme faisoit Marat, quand, dans un temps bien différent, nous lui reprochions d’avoir été exagéré dans sa feuille : Vous n’y entendez rien ; eh mon Dieu ! laissez-moi dire, on n’en rabattra que trop.

Ce Journal paroîtra deux fois par décade. chaque numéro aura plus ou moins de pages, selon l’abondance des matières, et l’indulgence de mes frères de la Convention et des Jacobins, pour les hardiesses de ma plume babillarde, et son indépendance républicaine.

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De l’Imp. de Desenne, rue des Moulins, butte S.-Roch, No.25.
  1. Que messieurs les modérés ne se fassent pas une autorité de ce passage ; qu’ils n’isolent pas cette ligne du reste du numéro quatre ; car c’est de l’ensemble que se compose mon opinion. Je ne veux point, pygmée, avoir une querelle avec le géant, et je déclare que mon sentiment n’est pas qu’on ouvre les deux battans des maisons de suspicion, mais seulement un guichet, et que les quatre ou six examinateurs secrets, décrétés par la Convention, décadi 30 frimaire, interrogent les suspects un à un, et leur rendent la liberté, si leur élargissement ne met point la République en péril.
  2. Acrius prohibenda civilia bella quam in superatos iracundia exercenda
  3. On sait que, dans la Vendée, Ronsin, comme le cardinal de Richelieu, se faisoit appeler général ministre. Que sa fortune militaire ait tourné la tête à ce point à un général inconnu aux soldats, qui ne pouvoit devoir les épaulettes étoilées qu’à son talent dramatique, et dont ce talent dramatique étoit si mince, que pas un de ses courtisans n’eût osé le comparer même à Pradon, sans s’avouer un flagorneur, la chose se conçoit ; la vanité et la bouffissure des prétentions étant presque toujours en raison inverse du mérite. Mais ce qui est inexplicable, c’est que celui qui, dans une affiche, dit qu’à Lyon (dont la population est de 140 mille ames) 1500 seulement ne sont pas complices de la rébellion, et espère qu’avant la fin de frimaire, tous les complices, et partant 138500 personnes auront péri, et que le Rhône aura roulé leurs cadavres ensanglantés jusqu’à Toulon, sans doute afin d’animer les Toulonnois à se battre en désespérés, et à se faire tuer, jusqu’au dernier, sur des monceaux de nos volontaires, plutôt que d’ouvrir leurs portes à un Ronsin : ce qui est inconcevable, dis-je, c’est que cet exterminateur soit un Darnaud en moustaches, qui faisoit des pièces sentimentales, et qui avoit pris Louis XII et même Lafayette pour son héros. Voilà ce qu’on ne pourroit pas croire, si on ne savoit pas qu’Alexandre de Phères, un des tape-durs de l’antiquité qui ait le plus fait pendre et brûler de gens, sanglottoit à la représentation d’Iphigénie, et que les deux plus grands septembriseurs de l’hist. mod., Henri VIII et Charles IX ont été deux faiseurs de livres. Avant de condamner le courageux Bourdon de l’Oise, qui a osé le premier dénoncer Georges Bouchotte, je demande que les Jacobins se fassent lire la lettre que Philippeaux a distribuée à la Convention, et celui-là ne pourra être qu’un patriote d’industrie, un patriote d’argent, un patriote contre-révolutionnaire, à qui cette lecture ne fera pas dresser les cheveux à la tête. Voici un des portraits que Philippeaux a burinés. Qu’a fait Ronsin, s’écrie-t-il, pour être général de l’armée révolutionnaire ? Beaucoup intrigué, beaucoup volé, beaucoup menti. Sa seule expédition est celle du 18 septembre, où il fit accabler 45 mille patriotes par trois mille brigands ; cette journee fatale de Coron où après avoir disposé notre artillerie dans une gorge, à la tête d’une colonne de six lieues de flanc, il se tint caché dans une étable, comme un lâche coquin, à deux lieues du champ de bataille, où nos infortunés camarades étoient foudroyés par leurs propres canons.