Le Volcan d’or/Partie II/Chapitre 11

La bibliothèque libre.
Bibliothèque d’éducation et de récréation (p. 393-405).


XI

AVANT LA BATAILLE.


Y avait-il lieu d’espérer que le Golden Mount ne serait pas découvert par la bande des Texiens ? Non, puisque Hunter le verrait dès qu’il aurait franchi la lisière de la forêt. N’était-il pas, d’ailleurs, guidé par ce Krarak, dont Summy Skim avait entendu prononcer le nom ?

Le Golden Mount découvert, pouvait-on raisonnablement admettre que Ben Raddle et les siens ne fussent pas aperçus ? Pas davantage. Évidemment, ils en courraient la chance, mais il y avait mille à parier contre un qu’ils seraient trahis par les travaux du canal destiné à déverser le Rio Rubber dans les entrailles du volcan.

La lutte deviendrait dès lors inévitable.

Or, la bande de Hunter comptait une quarantaine d’hommes, et Ben Raddle et ses compagnons n’étaient qu’au nombre de vingt et un. De là, une infériorité numérique que le courage ne pourrait compenser.

Pour le moment, il n’y avait qu’à attendre les événements. Dans quarante-huit heures tout au plus, avant peut-être, Hunter serait en vue du Golden Mount.

Abandonner le campement de la Mackensie, reprendre le chemin du Klondike, laisser la place libre aux Texiens, il ne pouvait en être question. Le Scout ne l’aurait pas proposé à ses compagnons, et ceux-ci, d’ailleurs, eussent répondu par un refus. Ne se considéraient-ils pas, en leur qualité de premiers occupants, comme les légitimes propriétaires de ce gisement volcanique ? Assurément, ils ne s’en laisseraient pas dépouiller sans avoir lutté pour le défendre.

Summy Skim lui-même, le sage Summy Skim, n’eût pas consenti à reculer.

Reculer devant ce Hunter dont il n’avait point oublié la grossièreté au moment de l’arrivée à Skagway, non plus que l’insolente mauvaise foi pendant l’exploitation des claims 129 et 131 !.. Il n’était pas sans éprouver quelque plaisir, au contraire, en se retrouvant face à face avec un adversaire dont la catastrophe du Forty Miles Creek l’avait séparé. Il restait entre eux une affaire à régler, et, puisque l’occasion s’en présentait, il ne la laisserait pas échapper.

« Dans quelques heures, j’imagine, nous verrons la bande se diriger vers le Golden Mount, dit, le lendemain, Bill Stell à Ben Raddle, en reprenant l’entretien au point où ils l’avaient laissé la veille. Lorsqu’elle l’aura atteint, Hunter s’arrêtera-t-il pour établir son campement, ou ne préférera-t-il pas suivre la base du mont pour camper au bord de la Mackensie, comme nous l’avons fait nous-mêmes ?

— Je crois, Bill, répondit l’ingénieur, que les Texiens voudront d’abord monter au sommet du Golden Mount, afin de reconnaître si l’on peut recueillir du quartz aurifère et des pépites à son sommet. Cela est tout indiqué.

— Sans doute, approuva le Scout. Mais, après avoir constaté l’impossibilité de pénétrer dans le cratère, ils redescendront. C’est alors que se posera la question. Ils ne s’en iront évidemment pas avant que l’éruption se soit déclarée, ou qu’elle ait pris fin. Dans les deux cas, ils seront obligés d’installer un campement.

— À moins qu’ils ne s’en aillent comme ils sont venus, s’écria Summy Skim. Ce serait de leur part la résolution la plus sage.

— Tu peux être sûr qu’ils ne la prendront pas, affirma Ben Raddle.

— D’ailleurs, ajouta le Scout, la présence d’un chien dans la forêt a dû leur donner des soupçons. Ils voudront voir si d’autres prospecteurs ne les ont pas précédés aux embouchures de la Mackensie, et ils porteront leurs recherches jusqu’à l’estuaire.

— Dans ce cas, répondit Summy Skim, ils nous auront bientôt découverts, et ils essayeront de nous chasser. Je me retrouverai par conséquent en face de ce Hunter !.. Eh bien ! si un bon duel à la française ou à l’américaine — je lui laisserai le choix — pouvait terminer cette affaire !.. »

On ne devait pas compter sur une solution de ce genre. Puisque les Texiens avaient pour eux le nombre, ils s’efforceraient évidemment d’en profiter, de manière à rester seuls maîtres du Golden Mount. Il fallait donc se tenir prêts à repousser leur attaque, et toutes les mesures furent prises en vue d’une agression prochaine.

Bill Stell fit replier matériel et personnel au delà du canal. Les chariots et les tentes furent dissimulés sous les arbres qui parsemaient l’espace trapézoïdal limité, d’un côté, par ce canal, et, des trois autres, par le volcan, le littoral et le Rio Rubber. Le sol en était couvert d’une herbe assez rare, suffisante pourtant à la nourriture des bêtes pendant quelques jours. La caravane se trouva ainsi dans une sorte de camp retranché, à peu près inabordable à l’ouest, au nord et à l’est, le canal formant au sud une ligne de défense que les assiégeants ne franchiraient pas sans peine sous le feu des carabines, lorsque les eaux du rio y couleraient à pleins bords.

Les armes furent préparées pour la défense. Tous les hommes furent munis de fusils, de revolvers et de coutelas, sans parler de l’infaillible carabine de Summy Skim.

Il va de soi qu’à partir de ce moment les chasseurs renonceraient à la chasse, si les pêcheurs ne renonçaient à la pêche, soit dans le rio, soit dans les criques du littoral, afin d’économiser les réserves.

Dès les premières lueurs de l’aube, Ben Raddle fit établir un barrage à l’entrée de la galerie souterraine, de manière qu’elle ne fût pas envahie par l’eau lorsqu’on pratiquerait la saignée dans la rive du Rio Rubber afin de remplir le canal. Ainsi, l’ingénieur assurerait sa ligne de défense, tout en restant maître de son heure pour provoquer l’éruption. En même temps, il fit percer des trous de mine dans la paroi de la cheminée au fond de la galerie, et des cartouches qu’il n’y aurait plus qu’à allumer, le moment venu, y furent placées avec le plus grand soin.

Tout étant prêt, on attendit l’attaque, en se tenant sur le qui-vive. Les hommes demeuraient dans la partie la plus reculée du campement. Pour les apercevoir, il aurait fallu s’avancer jusqu’à la rive gauche du Rio Rubber.

Toutefois, à plusieurs reprises, Ben Raddle, Summy Skim et le Scout franchirent le canal afin d’observer la plaine sur une plus grande étendue. Ils contournèrent même la base du volcan.

De ce point, le regard n’était arrêté que par les premiers arbres de la forêt, qui fermait l’horizon à une lieue et demie de là.

La plaine était déserte. Aucune troupe d’hommes ne s’y montrait. Personne non plus du côté du littoral.

« Il est certain, dit le Scout, que les Texiens n’ont pas encore quitté la forêt.

— Ils ne sont guère pressés, fit Summy Skim.

— Peut-être, répondit Ben Raddle, veulent-ils reconnaître la situation avant de s’engager, et ne pousseront-ils jusqu’au Golden Mount que la nuit prochaine ?

— C’est probable, approuva le Scout, et nous nous garderons en conséquence. »

La journée s’acheva paisiblement, et, contrairement à l’hypothèse de Ben Raddle, la nuit qui suivit ne fut pas troublée. Summy Skim dormit d’une seule traite, conformément à son habitude. En revanche, c’est à peine si Ben Raddle réussit à trouver le sommeil. L’inquiétude et l’irritation se disputaient son âme.

Au moment d’atteindre le but, voilà que la mauvaise chance se déclarait contre lui ! Et quelle responsabilité n’aurait-il pas encourue, responsabilité dont il sentait maintenant tout le poids, s’il ne pouvait résister à la bande de Hunter ! N’était-ce point par sa volonté que s’était organisée cette expédition ? N’avait-il pas été l’instigateur de cette campagne qui menaçait de finir si malheureusement ? N’avait-il pas obligé, pour ainsi dire, Summy Skim à passer une seconde année dans les contrées perdues du Dominion ?

Dès cinq heures du matin, Ben Raddle et le Scout franchirent de nouveau le canal. Ils revinrent sans avoir rien remarqué d’anormal.

Le temps paraissait fixé au beau, et le baromètre se tenait au-dessus de la moyenne. Un vent frais, venant du large, adoucissait la température, qui sans cela eût été assez élevée. Cette fraîche brise rabattait vers le Sud les vapeurs du cratère, qui parurent à l’ingénieur et à Bill Stell moins épaisses et moins fuligineuses que la veille.

« L’action volcanique tendrait-elle à décroître ? demanda Ben Raddle.

— Ma foi, répondit le Scout, si le cratère s’éteignait, voilà ce qui simplifierait notre besogne.

— Et aussi celle de Hunter, » répliqua l’ingénieur.

Dans l’après-midi, Neluto, à son tour, poussa une pointe du côté de la plaine. Il était accompagné de Stop, qui ne se ressentait presque plus de sa blessure. Si l’un des hommes de Hunter s’était aventuré jusqu’à la base du mont, l’intelligent animal saurait bien le dépister.

Vers trois heures, Ben Raddle, Summy Skim et le Scout observaient la berge du rio, près de l’endroit où la saignée devait être faite, lorsqu’ils furent soudain mis en éveil. Des aboiements retentissaient dans la plaine, où l’Indien et Stop avaient été en reconnaissance.

« Qu’y a-t-il ? demanda le Scout.

— Quelque gibier que notre chien aura fait lever, répondit Ben Raddle.

— Non, objecta Summy Skim, il n’aboierait pas de cette façon.

— Venez ! dit l’ingénieur.

Ils n’avaient pas fait cent pas qu’ils aperçurent Neluto courant à perdre haleine. Ils se hâtèrent à sa rencontre.

« Qu’y a-t-il, Neluto ? interrogea Ben Raddle.

— Les voilà, répondit l’Indien. Ils arrivent.

— Tous ? demanda Bill Stell.

— Tous.

— À quelle distance sont-ils encore ? questionna l’ingénieur.

— À quinze cents mètres à peu près, monsieur Ben.

— Ils ne t’ont pas aperçu ?

— Non, répondit Neluto. Mais, moi, je les ai bien vus. Ils s’avancent en masse serrée, avec leurs chevaux et leurs chariots.

— Et ils se dirigent ?

— Vers le rio.

— Ont-ils entendu les aboiements du chien ? demanda Summy Skim.

— Je ne le pense pas, dit Neluto. Ils étaient trop éloignés.

— Au campement ! » ordonna Ben Raddle.

Quelques minutes plus tard, tous quatre avaient franchi le canal par le barrage du rio et rejoint leurs compagnons à l’abri des arbres.

Hunter, Malone et leur bande s’arrêteraient-ils lorsqu’ils auraient atteint la base du Golden Mount, et s’établiraient-ils en cet endroit ? Continueraient-ils, au contraire, leur marche vers l’estuaire de la Mackensie ?

Cette dernière hypothèse semblait la plus probable. Dans la nécessité où ils étaient, eux aussi, de camper pendant quelques jours, ils chercheraient un emplacement où l’eau douce ne leur manquerait pas. Or, aucune crique n’arrosait la plaine à l’Ouest du Golden Mount, et Hunter ne pouvait ignorer que le Grand Fleuve se jetait dans l’Océan à courte distance. Il fallait donc s’attendre à le voir se diriger vers l’estuaire. Comment, dès lors, les travaux du canal n’attireraient-ils pas son attention et comment espérer qu’il ne découvrit pas le campement sous les arbres ?

Cependant, l’après-midi se passa sans que l’agression se fût produite. Ni les Texiens, ni aucun de leurs hommes ne se montrèrent aux environs du Rio Rubber.

« Il est possible, dit Jane Edgerton, que Hunter ait voulu, comme nous le supposions l’autre jour, faire l’ascension du volcan avant de s’établir à sa base.

— C’est possible, en effet, répondit Summy Skim. Ne faut-il pas qu’il reconnaisse le cratère, qu’il s’assure s’il contient des pépites ? »

L’observation était juste, et Ben Raddle l’approuva d’un signe de tête.

Quoi qu’il en fût, la journée s’acheva sans que le campement eût reçu la visite des Texiens.

Afin d’être prêts à toute éventualité, le Scout et ses compagnons résolurent de rester éveillés toute la nuit. À tour de rôle, ils traversèrent le canal par la berge du rio, et s’avancèrent dans la plaine de manière à pouvoir observer la base de la montagne.

Jusqu’à onze heures, le crépuscule donna assez de clarté pour apercevoir des hommes qui se seraient dirigés vers le rio, et trois heures plus tard naissaient les premières lueurs de l’aube. Pendant cette courte nuit, il ne se produisit aucun incident. Au soleil levant, la situation était semblable à celle de la veille.

Ce retard de l’attaque rendait de plus en plus vraisemblable la supposition faite d’abord par Ben Raddle et reprise par Jane Edgerton. Puisque les Texiens ne paraissaient pas, c’est qu’ils avaient probablement résolu de tenter l’ascension du volcan.

Cette ascension, quand se ferait-elle ? Voilà ce qu’il importait de savoir. Mais comment, sans se découvrir, surveiller le sommet de la montagne ? Il ne fallait pas songer à prendre du champ en descendant vers le Sud. Dans cette direction, on n’aurait pu trouver un abri. En reculant vers l’Est du côté de la branche principale de la Mackensie, impossible également d’échapper aux regards de Hunter et de Malone lorsqu’ils auraient atteint le plateau du Golden Mount.

Un seul poste pouvait être occupé, d’où on les verrait sans être vu, lorsqu’ils feraient le tour du cratère. C’était, sur la rive gauche du rio, en aval du point choisi pour établir la dérivation, un groupe de vieux bouleaux situé à deux cents pas du bois qui abritait maintenant Ben Raddle et les siens. Entre le campement et ce groupe de bouleaux, une haie d’arbustes permettait de se rendre de l’un à l’autre à la condition de ramper derrière elle.

De bonne heure, Ben Raddle et Bill Stell allèrent s’assurer que, de ce point, l’arête du plateau était parfaitement visible. Le plateau circulaire entourant le cône terminal était, ainsi qu’ils l’avaient remarqué dès leur première ascension, formé de blocs de quartz, de laves durcies, sur lesquels il était possible de prendre pied. Au-dessous, le flanc de la montagne tombait verticalement comme un mur, et cette disposition existait également sur la face qui regardait le large.

« L’endroit est excellent, dit le Scout. On ne sera aperçu, ni pour y aller, ni pour en revenir. Si Hunter monte au plateau, il voudra sûrement examiner de ce côté l’estuaire de la Mackensie…

— Oui, approuva Ben Raddle. Aussi, aurons-nous toujours là un de nos hommes en faction.

— J’ajoute, monsieur Ben, que d’en haut notre campement ne doit pas être visible. Il est abrité sous les arbres maintenant. Nous veillerons à ce que tous les feux soient éteints et qu’il ne se produise aucune fumée. Dans ces conditions, il échappera vraisemblablement aux regards de Hunter.

— Ce serait désirable, répondit l’ingénieur. Dans ce cas, je renouvelle le souhait que les Texiens, après avoir reconnu l’impossibilité de descendre dans le cratère, abandonnent leurs projets et se décident à battre en retraite.

— Et que le diable les conduise ! s’écria le Scout, qui ajouta : Si vous voulez, monsieur Ben, puisque je suis tout rendu, je vais rester ici, tandis que vous rentrerez au campement.

— Non, Bill, je préfère que vous me laissiez en observation.

Allez vous assurer que toutes nos mesures sont bien prises et veillez à ce qu’aucune de nos bêtes ne puisse s’écarter.

— Bien, monsieur, répondit le Scout, et je dirai à M. Skim de venir vous remplacer dans deux heures.

— Oui, dans deux heures, » approuva Ben Raddle en s’étendant au pied d’un bouleau, d’où il ne perdrait pas de vue l’arête du plateau volcanique.

Bill Stell retourna donc seul au petit bois, et, vers neuf heures, sur son invitation, Summy Skim, son fusil en bandoulière, comme s’il se fût agi de se mettre en chasse, alla retrouver l’ingénieur.

« Rien de nouveau, Ben ? demanda Summy Skim.

— Rien, Summy.

— Aucun de ces butors du Texas n’est venu se percher là-haut sur les roches ?

— Personne.

— Quel plaisir j’aurais eu à en démonter un ou deux ! reprit Summy Skim en montrant sa carabine chargée de deux balles.

— À cette distance, Summy ? fit observer l’ingénieur.

— C’est vrai… c’est un peu haut !

— D’ailleurs, Summy, il ne s’agit pas d’être adroit. Il s’agit d’être prudent. La suppression d’un homme ne rendrait pas la bande moins dangereuse. Tandis que, si nous ne sommes pas découverts, j’espère encore que Hunter et ses compagnons nous débarrasseront de leur présence, après avoir reconnu qu’il n’y a rien à faire.

Ben Raddle se releva pour retourner au campement.

« Veille bien, Summy, ajouta-t-il, et, si tu aperçois les Texiens sur le plateau, accours nous avertir immédiatement, en prenant soin de ne pas te laisser voir.

— Convenu, Ben,

— Le Scout viendra te remplacer dans deux heures d’ici.

— Lui ou Neluto, répondit Summy Skim. Nous pouvons nous fier à tous les deux. Quant à Neluto, il a des yeux d’Indien, c’est tout dire.

Ben Raddle allait se mettre en mouvement, lorsque Summy Skim lui saisit le bras :

— Attends, dit-il.

— Qu’y a-t-il ?

— Là-haut… regarde !

L’ingénieur leva les yeux vers le plateau du Golden Mount.

Un homme, puis un second, apparurent au bord de l’arête.

— Ce sont eux, dit Summy Skim.

— Oui, Hunter et Malone ! répondit Ben Raddle qui rentra vivement à l’abri du bouquet d’arbres.

« Dire que j’ai là deux balles à leur adresse !.. (Page 403.)

C’étaient les deux Texiens, en effet, et probablement quelques-uns des leurs se trouvaient en arrière sur le plateau. Après avoir reconnu l’état du cratère, ils en faisaient le tour, en observant la contrée environnante. En ce moment, ils examinaient le vaste réseau hydrographique du delta de la Mackensie.

— Ah ! murmurait Summy Skim, les deux coquins ! Dire que j’ai là deux balles à leur adresse, et qu’elles ne peuvent porter jusqu’à eux !

Ben Raddle, lui, gardait le silence. Il suivait des yeux ces deux hommes, qui sans doute allaient lui disputer le Golden Mount.

Pendant une demi-heure environ il put voir les deux Texiens aller et venir sur le plateau. Ils fouillaient des yeux la contrée avec une extrême attention, se penchant parfois afin d’apercevoir la base du volcan du côté de l’estuaire.

Avaient-ils découvert le campement au pied de la montagne ? Savaient-ils qu’une caravane les eût précédés à l’embouchure de la Mackensie ? Ce qui n’était pas douteux, en tout cas, c’est que Hunter et Malone regardaient obstinément le Rio Rubber, qui devait leur paraître tout indiqué pour une installation de quelques semaines.

Deux hommes les rejoignirent bientôt. L’un, que reconnurent Ben Raddle et Summy Skim, était le contre-maître du 131.

L’autre était un Indien.

— Est-ce le guide qui les a conduits jusqu’ici ? demanda l’ingénieur.

— C’est bien celui que j’ai vu dans la clairière, répondit Summy Skim.

En apercevant les quatre aventuriers au bord du plateau, il lui vint à la pensée que, si l’équilibre venait à leur manquer, s’ils tombaient de huit à neuf cents pieds, cela ne laisserait pas de simplifier la situation, de la dénouer peut-être. Après la mort de ses chefs, la bande abandonnerait vraisemblablement la campagne.

Il ne devait pas en être ainsi. Ce n’est point les Texiens qui furent précipités du haut du volcan, mais bien un assez gros bloc de quartz qui se détacha de l’arête.

Ce quartier de roche, dans sa chute, rencontra une saillie contre laquelle il se brisa en plusieurs morceaux, qui vinrent s’écraser au milieu des arbres abritant le campement.

Summy Skim ne put retenir un cri, que Ben Raddle comprima en lui mettant la main sur la bouche.

Y avait-il des blessés parmi les prospecteurs canadiens ainsi bombardés ? Ben Raddle et Summy Skim l’ignoraient. Aucun cri, toutefois, ne s’éleva du campement.

Mais il arriva ceci, que la chute de ce bloc effraya un des chevaux de la caravane. L’animal, après avoir rompu sa longe, s’élança hors du petit bois, remonta vers le canal, le franchit d’un bond et s’enfuit vers la plaine.

Des cris diminués par la distance se firent entendre au sommet du Golden Mount. Hunter et Malone appelaient leurs compagnons.

Cinq ou six accoururent sur l’arête du plateau, et se mirent à discuter avec animation. Aux gestes, il ne fut pas difficile de comprendre que Hunter savait désormais à quoi s’en tenir sur la présence d’une caravane aux bouches de la Mackensie. Ce cheval ne pouvait s’être échappé que d’un campement, et ce campement était là, à ses pieds.

— Maudite bête ! s’écria Summy.

— Oui, répondit Ben Raddle. Grâce à elle, nous avons perdu la partie… la première manche tout au moins.

Summy, de l’œil et de la main, caressa sa carabine.

— Nous allons maintenant jouer la seconde, » murmura-t-il entre ses dents.