Le Volcan d’or/Partie II/Chapitre 10

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Bibliothèque d’éducation et de récréation (p. 378-392).


X

OÙ LE DÉSERT SE PEUPLE PLUS QU’IL NE CONVIENDRAIT.


Après le départ de Summy Skim et de Neluto pour la chasse aux orignals, Ben Raddle avait passé une nouvelle inspection des travaux. Si aucun retard ne se produisait, le canal serait achevé le soir même. Il n’y aurait plus qu’à donner les derniers coups de pic à la paroi du cratère, ouvrir la saignée dans la rive gauche du Rio Rubber, et les eaux se précipiteraient en torrent dans les entrailles du Golden Mount.

Ces énormes masses liquides, vaporisées par le feu central, détermineraient bientôt une violente poussée qui lancerait au dehors les matières volcaniques. Sans doute, elles contiendraient une forte proportion de laves, de scories et d’autres substances sans valeur, mais les pépites, les quartz aurifères y seraient mélangés, et on n’aurait qu’à les recueillir sans avoir eu la peine de les extraire.

La violence des forces souterraines continuait à s’accroître. Les bouillonnements intérieurs augmentaient d’intensité de jour en jour. C’était à se demander si l’introduction des eaux dans le cratère serait nécessaire.

« Nous le verrons bien, répondit Ben Raddle au Scout qui lui faisait cette observation. Il ne faut pas oublier que le temps nous est strictement ménagé. Nous avons dépassé la moitié du mois de juillet.

— Et il serait imprudent, approuva Bill Stell, de s’attarder plus d’un mois à l’embouchure de la Mackensie. Comptons trois semaines pour revenir au Klondike, surtout si nos chariots sont lourdement chargés…

— Ils le seront, Scout, n’en doutez pas  !

— Dans ce cas, monsieur Raddle, la saison sera déjà assez avancée lorsque nous arriverons à Dawson City. Si l’hiver était précoce, nous pourrions éprouver de gros embarras en traversant la région des lacs pour gagner Skagway.

— Vous parlez d’or, mon cher Scout, répondit l’ingénieur en plaisantant, et c’est bien le cas lorsqu’on est campé au pied du Golden Mount ! Mais soyez sans inquiétude. Je serai fort étonné si, dans huit jours, nos attelages n’ont pas repris le chemin du Klondike. »

La journée s’écoula comme de coutume, et, le soir venu, le canal était percé de bout en bout.

À cinq heures de l’après-midi, ni l’un ni l’autre des deux chasseurs n’avait été signalé sur la plaine de l’Ouest. Ben Raddle ne s’inquiéta pas. Summy Skim pouvait encore disposer d’une heure sans manquer à sa promesse. À plusieurs reprises, cependant, le Scout, poussant une reconnaissance au delà du canal, alla voir s’il l’apercevait. Il ne vit personne. Aucune silhouette ne se dessinait à l’horizon.

Une heure plus tard Ben Raddle, qui commençait à ressentir quelque impatience, se promit de faire des remontrances à son cousin, mais sa décision demeura forcément platonique, en raison de l’absence persistante du coupable.

À sept heures, Summy Skim et Neluto ne se montrant toujours pas, la mauvaise humeur de Ben Raddle se changea en inquiétude, et cette inquiétude redoubla lorsque, une heure après, les absents ne furent pas encore de retour.

« Ils se sont laissé entraîner, répétait-il. Avec ce diable de Skim on ne peut compter sur rien, quand il a un animal devant lui et un fusil à la main. Il va !.. il va !.. Il n’y a pas de raisons pour qu’il s’arrête… J’aurais dû m’opposer à cette chasse.

— Il ne fera pas nuit avant dix heures, dit Bill Stell pour rassurer l’ingénieur, et il n’y a pas lieu de craindre que M. Skim puisse s’égarer. Le Golden Mount s’aperçoit de loin, et, dans l’obscurité, ses flammes serviraient de phare au besoin. »

L’observation ne manquait pas de valeur. À quelque distance qu’ils fussent du campement, les chasseurs devaient apercevoir le volcan. Mais s’ils étaient victimes d’un accident ? S’ils se trouvaient dans l’impossibilité de revenir ?

Deux heures se passèrent. Ben Raddle ne tenait plus en place et le Scout commençait à devenir nerveux. Le soleil allait descendre sous l’horizon et l’espace ne serait plus éclairé que par la lumière crépusculaire des hautes latitudes.

Un peu après dix heures, Ben Raddle et le Scout, qui, de plus en plus inquiets, avaient quitté le campement, longeaient la base de la montagne au moment où le soleil disparaissait au couchant. Le dernier regard qu’ils jetèrent sur la plaine leur montra qu’elle était déserte. Immobiles, ils écoutaient, l’oreille tendue, tandis que la nuit tombait peu à peu. Aucun bruit n’arrivait jusqu’à eux de toute l’étendue de la plaine aussi silencieuse que déserte.

« Que supposer, monsieur Raddle ? dit le Scout. La chasse aux orignals n’est pas une chasse dangereuse, et, à moins que M. Skim et Neluto n’aient été aux prises avec des ours…

— Des ours… ou des pillards, Bill… Oui ! j’ai le pressentiment qu’il leur est arrivé malheur !

Bill Stell saisit brusquement la main de l’ingénieur.

— Écoutez ! dit-il.

Dans la nuit grandissante des aboiements lointains se faisaient entendre.

— Stop ! cria Ben Raddle.

— Ils ne sont pas loin ! ajouta le Scout.

Les aboiements augmentaient de force. Il s’y mêlait des plaintes comme si le chien eût été blessé.

Ben Raddle et son compagnon coururent au-devant de Stop, qu’ils découvrirent au bout de deux cents pas.

Le chien revenait seul, traînant la patte, l’arrière-train ensanglanté. Il semblait à bout de forces.

— Blessé !.. blessé !.. et seul !.. s’écria Ben Raddle dont le cœur battait avec violence.

Cependant le Scout fit cette réflexion :

— Peut-être Stop a-t-il été blessé involontairement par son maître ou par Neluto ? Quelque balle perdue l’aura frappé…

— Pourquoi ne serait-il pas resté avec Summy, si Summy avait pu lui donner des soins et le ramener avec lui ? objecta Ben Raddle.

— Dans tous les cas, dit Bill Stell, rapportons le chien au camp, et pansons sa blessure. Si elle est légère, peut-être pourra-t-il nous mettre sur la piste de son maître ?

— Oui, répondit l’ingénieur et nous partirons en nombre et bien armés sans attendre le jour. »

Le Scout emporta l’animal dans ses bras. Dix minutes plus tard on était de retour au campement.

Le chien fut transporté sous la tente et sa blessure fut soigneusement examinée. Elle ne parut pas être grave. Il ne s’agissait que d’une profonde éraflure limitée aux muscles et qui n’intéressait aucun organe.

C’était une balle qui l’avait frappé, et le Scout, très entendu à ce genre d’opération, parvint même à l’extraire.

Ben Raddle prit cette balle et l’examina attentivement.

« Ce n’est point une balle de Summy, dit-il. Celle-ci est plus grosse et ne vient point d’une carabine de chasse.

— Vous avez raison, approuva Bill Stell. Ce projectile-là vient d’un rifle.

— Ils ont eu affaire à des aventuriers, à des malfaiteurs ! s’écria l’ingénieur. Ils ont dû se défendre !.. Pendant l’attaque, Stop a été atteint… et, s’il n’est pas resté près de son maître, c’est que son maître a été entraîné… ou qu’il a succombé avec Neluto !.. Ah ! mon pauvre Summy ! mon pauvre Summy ! »

Qu’aurait pu répondre Bill Stell ? Cette balle qui n’avait pas été tirée par l’un des deux chasseurs, ce chien qui revenait seul, tout cela ne justifiait-il pas les craintes de Ben Raddle ? Était-il possible de mettre en doute qu’un malheur ne fût arrivé ? Ou Summy Skim et son compagnon avaient péri en se défendant, ou ils étaient entre les mains de leurs agresseurs, puisqu’ils n’avaient pas reparu.

À onze heures, Ben Raddle et le Scout se décidèrent à informer leurs compagnons de cette situation. Le personnel du campement fut réveillé, et, en quelques mots hâtifs, l’ingénieur lui apprit que Summy Skim et Neluto, partis dès l’aube, n’étaient pas encore de retour. Jane Edgerton traduisit la pensée de tous.

« Il faut partir, dit-elle d’une voix tremblante, partir à l’instant. »

On fit aussitôt les préparatifs nécessaires. Il était inutile de prendre des vivres, puisque la caravane ne s’éloignerait pas du Golden Mount, du moins pendant les premières recherches. Mais tout le monde serait armé et prêt, soit à se défendre, si l’on était attaqué, soit à délivrer, s’il le fallait, les deux prisonniers par la force.

Stop avait été pansé avec soin. La balle avait été extraite, sa blessure bandée ; bien réconforté, car il était surtout épuisé de faim et de soif, il manifestait le désir d’aller au-devant de son maître.

« Nous l’emmènerons, dit Jane Edgerton, nous le porterons s’il est trop fatigué. Peut-être retrouvera-t-il les traces de M. Skim. »

Si, pendant la nuit, les recherches demeuraient vaines, on les reprendrait le lendemain, et l’on fouillerait au besoin toute la contrée entre l’océan Polaire et le cours de la Porcupine River. Du Golden Mount, il ne serait plus question tant que l’on n’aurait pas retrouvé Summy Skim, où qu’on ne serait pas fixé sur son sort.

On partit.

Jane Edgerton en tête, aux côtés de Ben Raddle et de Bill Stell qui portait le chien, on longea tout d’abord la base de la montagne dont les sourds grondements faisaient trembler le sol. À son sommet empanaché de vapeurs, se détachaient des langues de flamme très apparentes dans l’obscurité du crépuscule.

Parvenus au pied du versant occidental, on s’arrêta et l’on tint conseil. Dans quelle direction convenait-il de se diriger ? Rien ne pouvait être plus pratique que de s’en rapporter à l’instinct du chien que le Scout avait mis sur ses pattes. L’intelligent animal semblait comprendre ce qu’on attendait de lui. Il cherchait, quêtait de tous côtés, le museau au ras de terre, en jappant sourdement.

Après quelques instants d’hésitation, Stop prit son parti vers le Nord-Ouest.

« Quand M. Skim nous a quittés, ce matin, il allait plus au Sud, dit le Scout.

— Suivons le chien, répliqua Jane Edgerton. Il sait mieux que nous ce qu’il faut faire. »

Une heure durant, la petite troupe parcourut la plaine dans cette direction. Elle atteignit alors la lisière de la forêt que les deux chasseurs avaient franchie près d’une lieue plus bas. Là, elle s’arrêta de nouveau, indécise.

« Eh bien ! qu’attendons-nous ? demanda Jane un peu nerveusement.

— Le jour, répondit Bill Stell. Nous ne verrions plus rien sous les arbres. Stop lui-même hésite.

Non, Stop n’hésitait pas. Tout à coup, il fit un bond, et disparut entre les arbres en aboyant avec force.

— Suivons-le ! s’écria Jane Edgerton.

— Non. Attendez, commanda Bill Stell en arrêtant ses compagnons ; et tenez vos armes prêtes. »

Il ne fut pas utile de s’en servir. Presque aussitôt, conduits par le chien qui paraissait ne plus sentir sa blessure, deux hommes s’élancèrent d’entre les arbres, et, un instant après, Summy Skim était dans les bras de son cousin.

Son premier mot fut : « Au campement !.. au campement !

— Qu’est-il arrivé ? demanda Ben Raddle.

— Tu le sauras, répondit Summy Skim, mais là-bas. Au campement ! vous dis-je, au campement ! »

« QU’EST-IL ARRIVÉ ? » (Page 383.)

Guidés par les flammes du Golden Mount, tous se mirent rapidement en marche. Un peu après une heure du matin, ils atteignaient le Rio Rubber. Bientôt le jour allait paraître. Déjà l’aube enflammait l’horizon du Nord-Est. Avant de se réunir sous la tente, Ben Raddle, Jane Edgerton, le Scout et Summy Skim observèrent une dernière fois les approches du Golden Mount. Ils ne virent rien d’insolite dans l’ombre blanchissante.

Lorsqu’ils furent seuls, Summy Skim exposa brièvement à ses compagnons les faits survenus entre six heures du matin et cinq heures du soir. Il raconta la première poursuite des orignals inutilement continuée jusqu’à midi, puis la seconde partie de la chasse, lorsque les aboiements du chien s’étaient fait entendre, et enfin, de guerre lasse, la halte au bord de la clairière, où ils avaient trouvé les cendres d’un foyer éteint.

« Il était évident, ajouta-t-il, que des hommes, indigènes ou étrangers, avaient campé en cet endroit, ce qui, d’ailleurs, n’avait rien de bien étonnant.

— En effet, dit le Scout. Il arrive que les équipages des baleiniers débarquent sur le littoral, sans parler des Indiens qui le fréquentent durant la belle saison.

— Mais, reprit Summy Skim, au moment où nous allions revenir au Golden Mount, Neluto découvrit entre les herbes l’arme que voici.

Ben Raddle et le Scout examinèrent le poignard, et, comme Neluto, ils reconnurent au premier coup d’œil que c’était une arme de fabrication espagnole.

— L’aspect de ce poignard, continua Summy, nous fit supposer qu’il avait été perdu assez récemment. Quant à la lettre M qui est gravée sur le manche…

Elle ne pouvait rien vous apprendre, monsieur Skim, interrompit le Scout.

— Non, Bill, et pourtant je n’en sais pas moins devant quel nom il faut la mettre.

— Et ce nom ?.. demanda Ben Raddle.

— C’est celui du Texien Malone.

— Malone !

— Oui, Ben.

— Le compagnon de Hunter ? insista Bill Stell.

— Lui-même.

— Ils étaient donc là, il y a quelques jours ? dit l’ingénieur.

— Ils y sont encore, répliqua Summy Skim.

— Vous les avez vus ? demanda Jane Edgerton.

— Écoutez la fin de mon récit. Vous serez fixés.

Et Summy Skim poursuivit en ces termes :

« Nous allions partir, Neluto et moi, après la découverte du poignard, cette découverte nous causant de vives inquiétudes, lorsqu’un coup de fusil retentit à peu de distance.

« Qu’il y eût des chasseurs dans la forêt, cela n’était pas douteux, et probablement des étrangers, car les Indiens ne se servent pas d’armes à feu. Mais, quels qu’ils fussent, le plus prudent était de se tenir sur ses gardes.

« Maintenant, ce coup de fusil était-il destiné à l’un des orignals, un de ceux auxquels Neluto et moi nous avions inutilement donné la chasse ? Je l’ai cru jusqu’au moment où j’ai connu la blessure de notre chien. C’est évidemment sur lui que le coup de feu avait été tiré.

— Et, interrompit Ben Riddle, lorsque nous l’avons vu revenir sans toi, frappé par une balle étrangère, se traînant à peine, songe à ce que j’ai éprouvé !.. J’étais déjà en proie à d’affreuses inquiétudes en ne te voyant pas reparaitre. Que pouvais-je croire, si ce n’est que, Neluto et toi, vous aviez été attaqués, et que, pendant l’attaque, ton chien avait reçu cette blessure… Ah ! Summy, Summy !.. Comment oublier que c’était moi qui t’avais entraîné…

Ben Raddle était agité par une violente émotion. Summy Skim comprit ce qui se passait dans l’âme de son cousin, conscient de la responsabilité qui pesait sur lui.

— Ben ! mon cher Ben, dit-il en lui serrant affectueusement la main, ce qui est fait est fait. Ne te reproche rien. Si la situation s’est aggravée, elle n’est pas désespérée, et nous nous en tirerons, je l’espère… D’ailleurs, tu vas en juger.

« Dès que nous eûmes entendu la détonation, qui venait de l’Est, c’est-à-dire de la direction que nous allions prendre pour retourner au campement, nous nous hâtâmes de quitter la clairière où nous aurions pu être aperçus, et de nous dissimuler dans les broussailles qui l’entourent.

« Bientôt, des voix se firent entendre, des voix nombreuses. Une troupe d’hommes s’avançait évidemment de notre côté.

« Mais nous voulions voir, si nous ne voulions pas être vus. De quelle sorte de gens cette troupe était-elle composée ? Que faisaient ces hommes, à une si faible distance du Golden Mount ? Connaissaient-ils donc l’existence du volcan et se dirigeaient-ils vers lui ? Autant de problèmes dont nous avions le plus grand intérêt à connaître la solution.

« Convaincus que les inconnus ne pouvaient manquer de s’installer pour la nuit dans la clairière, nous eûmes vite fait de gagner un épais buisson d’où nos regards la parcouraient tout entière. Blottis au milieu des hautes herbes et des broussailles, nous ne courions pas le risque d’être découverts, et, ce qui était l’essentiel, nous pouvions à la fois voir et entendre.

« Il était temps. La troupe se montra presque aussitôt. Elle se composait d’une quarantaine d’hommes, dont une vingtaine d’Américains et une vingtaine d’indigènes. Nous ne nous étions pas trompés. Ils avaient en effet l’intention de passer la nuit en cet endroit, et ils commencèrent par allumer des feux pour préparer leur repas.

« De ces hommes, je ne connaissais aucun. Neluto, pas davantage. Ils étaient armés de rifles et de revolvers qu’ils déposèrent sous les arbres. Ils ne parlaient guère entre eux, ou ils le faisaient d’une voix si basse que je ne réussissais pas à les entendre.

Le Scout alla observer les alentours du campement. (Page 390.)

— Mais Hunter… Malone ?.. demanda Ben Raddle.

— Ils arrivèrent un quart d’heure après, répondit Summy Skim, en compagnie d’un Indien et du contre-maître qui dirigeait l’exploitation du claim 131.

« Ah ! nous les reconnûmes bien, Neluto et moi. Oui ! ces coquins sont dans le voisinage du Golden Mount et toute une bande d’aventuriers de leur espèce les accompagne.

— Mais que viennent-ils faire ? demanda le Scout. Connaissent-ils l’existence du Golden Mount ? Savent-ils qu’une caravane de mineurs s’est transportée jusque-là ?

— Je me posais les mêmes questions, mon brave Bill, répondit Summy Skimm. J’ai fini par avoir réponse à toutes.

En ce moment, le Scout fit signe à Summy Skim de se taire. Il avait cru entendre un bruit au dehors, et, sortant de la tente, il alla observer les environs du campement.

La vaste plaine était déserte. Aucune troupe ne s’approchait de la montagne, dont les ronflements troublaient seuls le silence de la nuit.

Dès que le Scout fut revenu prendre sa place, Summy Skim continua de la sorte :

« Les deux Texiens vinrent précisément s’asseoir sur la lisière de la clairière, à dix pas du buisson derrière lequel nous étions cachés. D’abord, ils parlèrent d’un chien qu’ils avaient rencontré, et je comprends maintenant qu’il s’agissait du nôtre. « C’est une singulière rencontre au milieu de cette forêt, dit Hunter. Il n’est pas possible qu’il se soit risqué seul à pareille distance de tout centre habité. » — « Il y a des chasseurs par ici ! répondit Malone, ce n’est pas douteux. Mais où sont-ils ?.. Le chien se sauvait dans cette direction. » Malone tendait en même temps la main du côté de l’Est. — « Eh ! s’écria alors Hunter, qui nous dit que ce sont des chasseurs ? On ne s’aventure pas si loin à la poursuite des ruminants ou des fauves. » — « Tu as raison, Hunter, approuva Malone, il y a par ici des mineurs en quête de nouveaux gisements. » — « Que nous mettions la main dessus, riposta Hunter, et ils verront ce qui leur en restera. » — « Pas seulement de quoi remplir un plat ou une écuelle, » répliqua Malone, en scandant son rire d’abominables jurons…

« Un silence suivit, puis les deux bandits se remirent à causer, et c’est ainsi que j’appris tout ce que nous avions intérêt à savoir.

« Hunter et Malone campaient pour la seconde fois dans cette clairière. Partis depuis deux mois et demi de Circle City, ils ont erré un peu au hasard, sous la direction d’un guide indigène du nom de Krarak, qui connaît par tradition l’existence du Golden Mount, mais ignore son emplacement exact. La bande, après avoir fait inutilement un grand crochet dans l’Est, a remonté quelques jours avant nous la Peel River, et c’est sans doute contre elle que la garnison du Fort Mac Pherson a dû se défendre. Du Fort Mac Pherson elle est revenue dans l’Ouest et elle a atteint, mais beaucoup plus au Sud, la forêt où elle est encore et dans laquelle elle s’est égarée. C’est ainsi, qu’une dizaine de jours plus tôt, elle était déjà venue dans la clairière où elle se trouvait avec nous. Le foyer que nous avions remarqué avait été allumé par elle, et c’est sa fumée que Neluto a aperçue au-dessus des arbres, lors de notre dernière ascension au sommet du volcan.

« Après leur première halte dans la clairière, Hunter et ses acolytes, mal conseillés par leur guide Krarak, se sont d’abord enfoncés dans l’Ouest. Naturellement, ils n’ont rien découvert dans cette direction. Enfin, lassés de leurs vaines recherches, ils se sont décidés à rebrousser chemin et à faire une tentative du côté de l’Est, à battre au besoin tout le littoral pour découvrir le Golden Mount.

« À l’heure actuelle, ils ne savent pas encore où se trouve le volcan, mais ce n’est, je le crains, qu’une question d’heures, et nous devons agir en conséquence. »

Tel fut le récit de Summy Skim.

Ben Raddle, qui l’avait écouté sans l’interrompre, demeurait pensif. Ce qu’il avait toujours craint s’était produit. Le Français Jacques Ledun n’était pas seul à connaître l’existence du Golden Mount. Un Indien possédait ce secret, et il l’avait révélé aux Texiens. Ceux-ci ne tarderaient pas à être fixés sur la situation du volcan, sans avoir besoin pour cela de parcourir tout le littoral de l’océan Arctique. Dès qu’ils auraient mis le pied hors de la forêt, ils l’apercevraient, ils verraient les fumées et les flammes qui tourbillonnaient au-dessus du cratère. En une heure, ils en auraient atteint la base, et, quelques instants après, ils seraient arrivés près du campement de leurs anciens voisins du Forty Miles Creek. Alors, que se passerait-il ?..

« Combien as-tu dit qu’ils étaient ? demanda Ben Raddle à Summy.

— Une quarantaine d’hommes armés.

— Deux contre un ! fit Ben Raddle soucieux.

Jane Edgerton intervint avec sa vivacité accoutumée.

— Qu’importe ! s’écria-t-elle. La situation est grave, mais elle n’est pas désespérée, comme l’a dit tout à l’heure M. Skim. S’ils ont l’avantage du nombre, nous avons celui de la position. Cela égalise les chances.

Ben Raddle et Summy regardèrent avec satisfaction, du coin de l’œil, la jeune guerrière.

— Vous avez raison, miss Jane, approuva Ben Raddle. On se défendra, si cela devient nécessaire. Mais, auparavant, nous allons nous efforcer de passer inaperçus.

Le Scout hocha la tête d’un air incrédule.

— Cela me paraît bien difficile, dit-il.

— Essayons toujours, répliqua Summy.

— Soit ! concéda Bill Stell. Mais enfin il faut tout prévoir. Que ferons-nous si nous sommes découverts, si nous sommes obligés d’en venir aux mains, si nous sommes débordés ?

L’ingénieur le rassura du geste.

— Nous aviserons, » dit-il.