Le Volcan d’or/Partie II/Chapitre 13

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Bibliothèque d’éducation et de récréation (p. 418-430).


XIII

LE BOUCLIER DE PATRICK.


Ainsi s’était terminé ce premier assaut. Il coûtait à Hunter plusieurs blessés et quatre morts, et, parmi ces derniers, son alter ego, Malone. C’était là une perte sensible pour la troupe des bandits. Du côté des assiégés, quelques hommes avaient été légèrement effleurés par des balles perdues. À cela se réduisait le dommage.

Cette tentative se renouvellerait-elle et dans des conditions plus favorables ? Il y avait lieu de le croire. Étant donnés son caractère vindicatif et son envie féroce de rester maître du Golden Mount, Hunter ne se reconnaîtrait évidemment pas vaincu dès la première escarmouche.

— Dans tous les cas, ces coquins ont battu en retraite, dit le Scout. Ce n’est pas aujourd’hui qu’ils recommenceront.

— Non… mais cette nuit peut-être, répondit Summy Skim.

— Nous veillerons, déclara Ben Raddle. D’ailleurs pendant les deux ou trois heures d’obscurité Hunter aurait autant de peine à franchir le canal qu’en plein jour. J’affirmerai qu’il ne l’osera pas, car il sait bien que nous serons sur nos gardes.

— N’est-il pas important de rétablir la barricade du barrage ? demanda Jane Edgerton.

— C’est ce que nous allons faire, approuva Bill Stell, qui appela quelques-uns de ses hommes pour l’aider dans ce travail.

— Auparavant, intervint Summy Skim, voyons donc si la bande retourne à son campement. »

Ben Raddle, Summy Skim, Jane Edgerton, Bill Stell et Neluto, carabine à la main, franchirent le barrage et s’avancèrent de quelques centaines de mètres dans la plaine. De là, leur vue s’étendrait, en suivant la base de la montagne, jusqu’au lieu de halte des Texiens.

Il n’était que six heures, et il faisait encore grand jour.

À cinq ou six portées de fusil, Hunter et ses compagnons s’éloignaient lentement, malgré la crainte qu’ils pouvaient avoir d’être poursuivis. Un moment Ben Raddle et le Scout se demandèrent s’il ne convenait pas de leur donner la chasse, mais, toute réflexion faite, ils estimèrent préférable de s’abstenir. Mieux valait que les Texiens ne connussent pas le petit nombre de leurs adversaires.

Si la bande s’éloignait lentement, c’est qu’elle emportait ses morts et ses blessés. Plusieurs de ces derniers n’auraient pu marcher, ce qui ralentissait leurs compagnons.

Pendant près d’une heure, les Canadiens surveillèrent cette retraite. Ils virent Hunter tourner la base du Golden Mount, et disparaître derrière un contrefort à l’abri duquel il avait établi son camp.

Vers huit heures, on eut achevé de relever la barricade. Deux hommes y furent mis en faction et les autres regagnèrent le petit bois pour le repas du soir.

La conversation porta sur les événements de la journée. L’échec de Hunter ne pouvait être regardé comme un dénouement. On ne serait définitivement en sûreté que lorsque la bande aurait quitté le Golden Mount. Tant que les Texiens persisteraient à se tenir dans le voisinage, il fallait s’attendre à tout. Que l’éruption se produisît d’elle-même, on en viendrait à se disputer à coups de fusil les pépites rejetées par le volcan.

Rien ne troubla la soirée. Néanmoins, on ne songea à goûter quelque repos qu’après avoir pris toutes les mesures commandées par la prudence. Ben Raddle, Summy Skim, le Scout et Neluto convinrent de se relayer pour la garde du barrage. On pouvait compter sur leur vigilance.

Les quelques heures de nuit s’écoulèrent dans un calme absolu, et il en fut de même de la journée du lendemain. C’est en vain que le Scout se porta plusieurs fois au delà du canal. Il n’aperçut rien de suspect. Hunter avait-il donc renoncé à ses projets ?

Une nouvelle nuit s’achevait sans incident, et les premières lueurs de l’aube naissaient à l’orient, lorsque des coups de feu retentirent du côté du canal. Laissant deux hommes en surveillance près des tentes, la caravane se porta à la lisière du petit bois, prête à soutenir ses grand’gardes.

La défense du barrage était à ce moment assurée par le Scout et par Neluto. On pouvait être certain qu’aucun des assaillants n’avait réussi à le franchir malgré eux. Tous deux, en effet, abrités par la barricade de rochers, tiraient par des meurtrières leur permettant de prendre en enfilade la berge sud du canal.

Il ne semblait pas, toutefois, que leur tir fût très efficace. Les assaillants, venus en rampant pendant les heures d’obscurité et couchés maintenant à plat ventre derrière le talus formé par les terres rejetées de la fouille, devaient être à l’abri des balles. Leur feu, en tout cas, ne subissait pas le moindre ralentissement.

Sur l’ordre de Ben Raddle, qui, ne sachant pas sur quel but viser, jugeait inutile de gaspiller la provision de poudre, la caravane demeura immobile, protégée par le premier rang des arbres, et attendit les événements l’arme au pied.

Une heure s’écoula. De l’autre côté du canal, le feu continuait, aussi violent qu’inoffensif. Les balles se perdaient dans la verdure sans causer aucun dommage aux assiégés.

Tout à coup, — il faisait alors grand jour — des cris éclatèrent en arrière de la ligne de défense, tandis que la fusillade se ralentissait d’une manière marquée.

Le Scout profita de l’accalmie pour quitter le barrage avec Neluto, et pour rejoindre ses compagnons en traversant l’espace dangereux au pas de course. On lui remit aussitôt le commandement en chef, auquel le prédisposait plus que tout autre son expérience de la guerre de partisans.

Il divisa rapidement la caravane en deux parties. La première moitié, composée des mineurs canadiens, s’égailla le long de la lisière du bois, de façon à l’occuper tout entière, et à s’assurer efficacement la défense du front sud, tandis que l’autre moitié, formée en majorité du personnel de Bill Stell, faisait volte-face et remontait vers les tentes d’où partaient les cris, les hommes séparés par de larges espaces, et chacun se défilant d’arbre en arbre. Le Scout se joignit à cette section mobile, tandis que Ben Raddle, Summy Skim et Jane Edgerton demeuraient parmi les défenseurs du canal.

Le Scout et ses compagnons n’avaient pas fait cent mètres vers le Nord, qu’ils aperçurent à faible distance un groupe compact de sept cavaliers, accourant aussi vite que leur permettait la nature du terrain, dans le but évident de prendre à revers la troupe des Canadiens.

Le Scout comprit sans peine ce qui s’était passé. Évidemment, pendant les trente-six heures de répit que les Texiens avaient laissées à leurs adversaires, ils s’étaient ingéniés à trouver un gué dans le Rio Rubber, et, l’ayant traversé à cheval à la faveur de la nuit, ils avaient envahi le camp par le Nord-Est, tandis qu’une partie des leurs opérait une diversion sur le premier front de combat.

Ce calcul, juste en théorie, se trouva faux dans la pratique. Trompé sur le nombre réel de ses ennemis, Hunter avait commis la faute d’employer un détachement trop réduit à ce raid audacieux. Que pouvaient ses cavaliers et lui-même contre une douzaine de rifles qui ne pardonnaient pas ?

La malchance, d’ailleurs, s’en était mêlée. Au lieu d’arriver dans un camp abandonné, ce qui lui aurait permis de le détruire sans risque et de tomber ensuite à l’improviste dans le dos d’adversaires surpris, Hunter avait été signalé de loin, sans qu’il le sût, par les sentinelles canadiennes. D’autre part, les chevaux, empêtrés dans les buissons et dans les halliers, retardèrent sa manœuvre, au lieu de l’activer comme il l’avait espéré. Il ne put donc précipiter les événements, et ce fut lui, finalement, qui fut surpris par le retour offensif du Scout et des siens.

Il lui fallait maintenant renoncer à son plan. La route du Sud étant fermée, il était dans la nécessité de tourner bride et de repasser le Rio Rubber au galop des montures.

Il n’en eut pas le temps. Les fusils canadiens commencèrent à parler au milieu des arbres, et, à cette courte distance, peu de balles furent perdues. En quelques minutes, six cavaliers mortellement frappés vidèrent les étriers et trois chevaux furent tués, tandis que les autres s’enfuyaient à l’aventure. Ce n’était plus un échec, c’était un désastre pour Hunter.

Par un hasard miraculeux, lui seul restait indemne et sans blessure. Il prit rapidement son parti. Au lieu de fuir devant les balles qui volaient plus vite qu’il n’aurait pu courir, il fonça hardiment sur ses adversaires obligés de suspendre leur feu dans la crainte de se frapper les uns les autres, et, au risque de se fracasser contre les troncs d’arbres, passa en trombe au milieu d’eux.

En un instant, il avait disparu dans la verdure, devançant sans peine le détachement du Scout qui s’était lancé à sa poursuite. Avant de pouvoir se dire sauf, il lui restait, toutefois, à franchir la ligne de tirailleurs faisant face au canal, puis, au delà, l’espace séparant la lisière du bois de la plaine.

Hunter n’éprouvait que peu d’inquiétude, en pensant au premier de ces obstacles. Les tireurs devaient, à son estime, être si disséminés qu’il lui serait facile de se glisser entre eux. Mais il n’en était pas de même du second. Il ne pouvait méconnaître combien il lui serait difficile d’échapper aux coups de carabines plus nombreuses qu’il ne l’avait supposé, lorsqu’il aurait quitté l’abri du bois et qu’il se serait avancé dans l’espace découvert qui lui faisait suite.

Son cerveau fertile en expédients s’épuisait en vain à chercher une solution à cette difficulté, quand, tout à coup, il tressaillit d’espoir.

Il arrivait alors à la lisière du petit bois. La pleine lumière étincelait entre les troncs, au delà des derniers arbres. À l’abri de l’un d’eux, un des tirailleurs de la troupe canadienne s’activait à la défense. Un genou à terre, il chargeait sa carabine, visait, tirait, puis rechargeait sans prendre une minute de répit, si absorbé qu’il n’avait pas entendu Hunter arriver à moins de dix pas derrière lui.

Celui-ci étouffa une exclamation de triomphe, en reconnaissant que ce tireur acharné était une femme, et que cette femme n’était autre que la jeune passagère du Foot Ball.

Il rassembla son cheval, puis, lui enfonçant ses éperons dans le ventre, il l’enleva d’un énergique effort, tandis qu’il se laissait lui-même glisser sur la droite de la selle, le corps en porte-à-faux, la main rasant le sol, à la mode des cow-boys du Far-West.

Il était près de Jane Edgerton que celle-ci ne se doutait pas encore de sa présence. Au passage, son bras étreignit la taille de la jeune fille, qui fut soulevée comme une plume et jetée en travers de la selle. Puis Hunter continua sa course éperdue, protégé désormais contre les balles par l’otage qu’il emportait.

En se sentant saisir, Jane Edgerton avait poussé un grand cri, qui eut pour résultat immédiat de faire cesser le feu de part et d’autre. Des visages inquiets ou curieux se montrèrent entre les arbres et au-dessus de l’épaulement, tandis que, lancé au triple galop, Hunter jaillissait hors du bois et s’engageait dans l’espace découvert qu’il redoutait si fort quelques instants auparavant.

Personne dans les deux camps ne comprit rien à ce qui arrivait. Les Américains élevèrent le buste tout entier au-dessus de l’amas de terre qui les protégeait, puis, en voyant leur chef se diriger vers eux à toute bride, ils se crurent menacés par un danger inconnu et coururent à travers la plaine chercher refuge derrière le premier contrefort du Golden Mount. De leur côté, les Canadiens sortirent tout à fait du bois, si étonnés qu’ils ne songèrent même pas à saluer de quelques coups de fusil le départ de leurs adversaires.

Hunter profita du saisissement de tous. Une quinzaine de foulées l’amenèrent au bord du canal, que son cheval franchit d’un bond désespéré, et il continua sa course folle dans la plaine.

La conscience revint alors aux Canadiens, qui se précipitèrent en tumulte vers le canal. Mais pouvaient-ils espérer gagner de vitesse un cheval emporté qui avait sur eux une telle avance ? Un seul d’entre eux ne quitta pas la lisière du petit bois et n’essaya pas d’une poursuite inutile. Bien d’aplomb sur ses jambes qui semblaient avoir pris racine dans le sol, parfaitement calme, maître de lui-même, celui-là saisit son fusil, épaula, tira avec la rapidité de l’éclair.

Ce tireur audacieux n’était et ne pouvait être que Summy Skim. Summy était-il donc si confiant dans son adresse qu’il n’éprouvât aucune crainte d’atteindre Jane Edgerton en voulant frapper son ravisseur ? En vérité il n’en savait rien lui-même. Il avait tiré au jugé, sans viser, avec la spontanéité d’un mouvement réflexe.

Mais Summy Skim, on le sait, ne manquait jamais son but. Cette fois encore, il avait donné de son adresse une preuve nouvelle et plus étonnante que les précédentes. Son coup à peine parti, la monture de Hunter trébucha lourdement, et, soit que le Texien eût été contraint de la lâcher pour retrouver son équilibre, soit pour toute autre raison, Jane Edgerton glissa de la selle et resta étendue sans mouvement. Quant au cheval, il fit encore trois ou quatre foulées, puis il s’abattit comme une masse, tandis que Hunter roulait sur le sol et y demeurait immobile.

Ce drame rapide avait plongé les Canadiens dans la stupeur. Un grand silence planait sur eux. Summy Skim, incertain du résultat de son initiative et le regard obstinément dirigé vers la plaine, ne faisait pas un mouvement. À une cinquantaine de mètres au delà du canal gisait Hunter. Mort ou vivant ? On n’en savait rien. Plus près, son cheval se tordait dans les dernières convulsions de l’agonie. Il haletait péniblement et le sang giclait de ses naseaux. Plus près encore, à moins de vingt mètres du barrage, c’était Jane Edgerton, toute petite tache dans la vaste étendue, Jane Edgerton que Summy peut-être avait tuée !

Cependant, en voyant tomber son chef, la bande de Hunter s’était élancée en désordre hors de l’abri de la montagne. Il n’en fallut pas plus pour rendre leur sang-froid aux Canadiens. Une pluie de fer contraignit les bandits à reculer et leur prouva que la plaine leur était désormais interdite.

Par malheur, ce qui était vrai pour les uns l’était aussi pour les autres. Si les tireurs de Ben Raddle, auxquels étaient venus se joindre, le Scout et ses compagnons, étaient en état de défendre aux Texiens de s’écarter du volcan, ceux-ci pouvaient, de leur côté, s’opposer à ce que les Canadiens quittassent l’épaulement bordant le canal reconquis. La plaine, en réalité, était impraticable pour les deux partis.

Il ne semblait pas qu’il y eût de remède à cette situation. Les Canadiens ne pouvaient montrer leur tête au-dessus de l’épaulement sans être salués d’une grêle de coups de feu, ils commençaient à s’énerver et Ben Raddle redoutait que des imprudences ne fussent commises. Summy Skim, si calme tout à l’heure, se faisait particulièrement remarquer par sa violente surexcitation. Voir Jane Edgerton étendue et comme morte à moins de trente mètres de lui et ne pouvoir la secourir, cela l’affolait. Il fallut le retenir par la force et lutter contre lui pour l’empêcher de courir à la barricade, d’en jeter bas les pierres et de braver la mort qui le guettait au delà.

« Allons-nous la laisser mourir ?.. Nous sommes des lâches ! criait-il hors de lui.

— Nous ne sommes pas des fous, voilà tout, répliqua sévèrement Ben Raddle. Tiens-toi tranquille, Summy, et donne-nous le temps de réfléchir. »

Mais l’ingénieur eut beau réfléchir, son esprit, pourtant inventif, ne lui fournit aucune solution satisfaisante du problème, et la situation menaçait de s’éterniser.

La solution, ce fut Patrick qui la trouva.

Cette attente irritante durait depuis près d’un quart d’heure, quand on le vit sortir du bois, dans lequel, par un hasard extraordinaire, il avait pu rentrer sans attirer l’attention de la bande des Texiens. Patrick n’allait pas vite, d’abord parce qu’il marchait à reculons, et ensuite parce qu’il traînait sur le sol un objet particulièrement lourd et encombrant, à savoir le cadavre de l’un des chevaux tués quelques instants auparavant par le feu de salve de l’escouade du Scout.

Quel était le projet de Patrick, et que voulait-il faire de ce cheval mort ? Personne n’aurait pu répondre à cette question.

De l’autre côté du canal, les Texiens, abrités par le contrefort du Golden Mount, avaient vu, eux aussi, le géant sortir du bois.

Son apparition avait été le signal de clameurs sauvages accompagnées d’une grêle de balles. Patrick ne sembla faire attention ni aux cris, ni aux balles. D’un effort égal et tranquille, il continua à traîner son fardeau jusqu’au barrage, qu’il réussit, par une chance inexplicable, à atteindre sain et sauf.

Il se mit alors en devoir de se frayer un passage suffisant à travers la barricade, ce qui ne lui demanda que quelques minutes, puis, saisissant le cheval par les jambes de devant, il le redressa sur l’arrière-train, et, d’un seul effort, le jeta sur ses épaules.

Malgré la gravité de la situation, les camarades de l’Irlandais, enthousiasmés par ce fabuleux tour de force, éclatèrent en applaudissements. Le cheval avait beau être de petite taille, il n’en devait pas moins être d’un poids énorme, et l’exploit de Patrick avait quelque chose de surhumain.

Nul, d’ailleurs, n’aurait pu dire quel en était le but. Nul, sauf un seul, pourtant.

« Bravo, Patrick ! » cria Summy Skim, qui, se débarrassant violemment de ses gardes du corps, se mit debout, et, sans souci du plomb sifflant autour de lui, courut rejoindre le géant au barrage que celui-ci se préparait à traverser.

Tous deux continuèrent à s’éloigner de conserve. (Page 428.)

Les deux camps adverses eurent à ce moment l’occasion d’assister à un spectacle original.

Plié en deux, portant sur les épaules le cadavre du cheval dont les pieds de derrière traînaient sur le sol, Patrick, d’un pas lent et sûr, avait franchi le barrage, et Summy Skim, à son abri, l’avait franchi avec lui.

À peine eurent-ils débouché dans la plaine, que des coups de feu à leur adresse partirent du contrefort du Golden Mount, au delà duquel n’osaient s’aventurer les Texiens. Mais Patrick, Summy devant lui, leur tournait le dos, et que pouvaient leurs balles contre son épaisse cuirasse ? Ni Summy Skim, ni Patrick ne parurent donc émotionnés, et tous deux continuèrent à s’éloigner de conserve.

Il ne leur fallut que quelques minutes pour arriver au point où Jane Edgerton demeurait étendue. Là, Patrick s’arrêta, tandis que Summy Skim se baissait et soulevait la jeune fille dans ses bras.

Il s’agissait maintenant de revenir, et le retour promettait d’être moins aisé que l’aller. Dans cette direction, on devait faire face aux adversaires auxquels on avait tourné le dos jusque-là, et la protection du bouclier de Patrick risquait d’être beaucoup moins efficace. Il fallut biaiser, louvoyer, faire trois ou quatre fois le chemin, mais enfin Patrick et Summy Skim, chacun chargé de son fardeau, réussirent à franchir de nouveau le canal, tandis que les Texiens poussaient des hurlements de rage impuissante.

Parvenus au barrage, ils y trouvèrent deux de leurs compagnons qui s’y étaient traînés en rampant derrière l’épaulement, et qui se hâtèrent de réparer la brèche faite à la barricade, pendant que les deux sauveteurs poursuivaient imperturbablement leur route jusqu’à la lisière des arbres, où ils arrivèrent sans encombre.

Là, Patrick se débarrassa du singulier bouclier imaginé par lui. On put alors en constater l’efficacité. Plus de vingt balles avaient vainement frappé le cheval en plein corps. La cuirasse était donc d’excellente qualité et n’avait d’autre défaut que de pas être à la commune mesure.

Quant à Summy, il s’empressait auprès de Jane Edgerton.

Celle-ci ne semblait pas avoir la moindre blessure. Son évanouissement n’était causé sans doute que par la violence de sa chute.

Quelques affusions d’eau froide en eurent raison. Bientôt, la jeune fille ouvrit les yeux et reprit conscience d’elle-même. Summy se hâta de l’emporter jusqu’aux tentes. Un peu de repos suffirait probablement à la guérir.

Pendant ce temps, les deux partis adverses avaient gardé leurs positions respectives. Les Canadiens tenaient toujours le canal, d’où leurs carabines interdisaient la plaine aux Texiens. Ceux-ci, toujours embusqués derrière le contrefort du volcan, continuaient eux aussi à immobiliser leurs adversaires. Il n’y avait pas de raison pour que cette situation prit fin.

Toute la journée s’écoula ainsi. Puis, ce fut le crépuscule, puis, la nuit.

L’obscurité rendit un peu de liberté aux belligérants. Ben Raddle et ses compagnons s’éloignèrent du canal. Trois hommes ayant été préposés à sa garde et un autre ayant été placé en faction au nord du bois, afin de parer à une nouvelle attaque par le Rio Rubber, les autres regagnèrent le campement, où, après le repas du soir, ils purent trouver quelques heures de sommeil.

Dès l’aube, les Canadiens furent debout, un peu lassés peut-être, mais au complet. Aussitôt que la lumière fut suffisante, tous les regards se portèrent vers le Sud.

Les Texiens avaient-ils profité de l’obscurité pour aller au secours de leur chef ? La situation avait-elle subi une modification quelconque ?

Aucun bruit ne venait du contrefort du Golden Mount. Quelques hommes, en faisant un grand détour le long du Rio Rubber, se risquèrent à descendre de quelques centaines de mètres dans la plaine, de manière à découvrir toute la base du volcan. Ils constatèrent que la position était abandonnée.

Rien ne troublait le calme de la plaine aussi silencieuse que déserte. Des deux corps que le crépuscule y avait recouverts la veille, il ne restait qu’un au lever de l’aube. Seul, à quelque distance du canal, le cheval mort mettait une tache sombre sur le vert clair de la prairie. Déjà, des oiseaux carnassiers voltigeaient autour de lui.

Quant à Hunter, il avait disparu.