Le Voyage au Parnasse/Chapitre II

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Traduction par Joseph-Michel Guardia.
Jules Gay (p. 21-35).
Chapitre II

CHAPITRE II.

Le dieu parleur était suspendu à ma bouche de vieillard ; muet alors, car celui qui écoute doit garder le silence. Tout à coup j’éternuai bruyamment, et pour conjurer le fâcheux présage, je fis des signes de croix et m’empressai aussitôt d’obéir à l’ordre du grand Mercure. Je regardai la liste, et m’aperçus que le premier nom était celui du licencié Juan de Ochoa, mon ami, comme poëte, et un vrai chrétien. À la louange de ce noble esprit, je dis que sa haute raison peut hâter la mort de l’ennemi. Si son génie ne se distrait et s’entretient dans la grammaire espagnole, Apollon ne verra pas son pareil ; car par sa poésie, unique au monde, il peut espérer de mettre le pied au sommet de la roue inconstante ou de la boule mobile.

Celui-ci, la lumière des comiques, se nomme le licencié Poyo, dont le soleil n’est obscurci par aucun nuage ; mais comme il est absorbé sans cesse par ses imaginations, et par ses inventions chimériques, il ne se rendra point au combat tumultueux.

Celui-ci, que tu places le troisième sur ta liste, se nomme Hippolyte de Vergara. Si tu fais dessein de l’emmener au Parnasse, tu es sûr d’avoir en lui un dard aiguisé, une flèche, une arquebuse, un foudre prompt à frapper l’ignorance.

Celui-ci, dont le génie est fleuri comme le mois de mai, et qui débute maintenant par de nouveaux essais de comédie, c’est Godinez.

Et celui-ci, dont les vers si doux transportent les âmes d’amour, lorsqu’il se livre aux regrets ou aux chants amoureux et tendres, c’est un soldat qui en vaudra mille, lorsque l’élite des combattants choisis affrontera cette entreprise sans exemple. C’est, dis-je, don Francisco, si renommé dans la double profession des armes et des lettres, qu’Apollon le proclame son égal. de Calatayud est le complément de son nom. C’est tout ce que je puis dire pour effrayer l’envie.

Celui-ci qui vient à la suite, est un saint, je veux dire, un poëte de renom : il se nomme Miguel Cid, et il ravit d’admiration le chœur des Muses.

Celui-là, qui hisse ses vers sur les épaules de Calisto, tant célébré par la renommée en tout temps, c’est ce poëte charmant et spirituel, si bien accueilli, le plus sonore et le plus sévère de ses confrères en Phœbus ; celui-là même qui possède uniquement le secret d’écrire avec un charme et un esprit si raffinés, qu’on ne lui connaît point d’égal au monde. C’est Don Luis de Góngora, que je crains d’offenser par ces louanges écourtées, bien que je les pousse au degré le plus extrême.

Ô toi, divin esprit, qui obtiens dès à présent la récompense proportionnée à tes vœux et à tes souhaits bien placés, divin Herrera, dans des emplois nouveaux et très-mérités tu exerces ton fonds, aspirant aux trophées célestes. Tu contemples la splendeur éclatante et radieuse de ta belle lumière, en celle qui comble ton âme de béatitude. Tel qu’un lierre tu t’attaches au mur indestructible de l’immortalité, et de ce qui est dans ce monde rempli de ténèbres, tu ne fais aucune estime.

Et toi, don Juan de Jaúregui, dont la plume hardie vole si haut, que je puis t’élever au-dessus des sphères, laisse un moment Lucain, qui respire dans tes accents, et d’un regard compatissant, contemple la situation fâcheuse d’Apollon. De mille imprudents les dépouilles t’attendent ; ils se comparent aux champs fertiles, et ils sont comme le chaume après la moisson.

Et toi, de qui les Muses attendent un puissant renfort, don Félix Arias, sois docile aux doux accents qui t’appellent ; elles te conjurent de défendre contre cette gent mécréante, leur beauté et le courant éternel d’Aganippe et d’Hippocrène. Voudrais-tu permettre par hasard que dans la suave liqueur se désaltérât un poëte qui sue et a le hoquet en faisant ses vers ? Non, tu ne le voudras pas ; trop riche et féconde est ta veine pour que tu souffres rien d’imparfait.

Seigneur, dis-je à Mercure, effacez celui qui vient après ; ce n’est qu’un sot joueur, qui ne sait ouvrir le jeu que par des satires.

Pour celui-ci, tu peux le priser haut ; c’est Alonso de Salas Barbadillo, qui a mes sympathies et toute mon estime.

Celui qui vient ensuite, s’il faut le dire, garde-toi de l’embarquer ; tu peux le rayer de ta liste. Le dieu dit : « J’en suis bien aise. C’est un jeune présomptueux qui prétend imiter Ganymède, avec ses oripeaux gothiques. Si tu m’en crois, tu t’en iras sans lui. »

Tu n’agiras pas de même avec celui-ci, le grand Luis Cabrera, qui, tout petit qu’il est, atteint toutes choses, car il sait tout. C’est un maître connu en histoire, et si profond dans ses discours sensés, que tu croiras voir Tacite, si je te le montre.

Celui qui s’avance est un galant homme, éprouvé par les vicissitudes du sort changeant et par la dure étreinte du temps variable. Riche autrefois de biens périssables, et plus riche encore à présent de ceux qui ne passent point, il sera ferme à ton service. Le rocher qui se dresse au-dessus de la mer brave les assauts des flots mobiles sans en être ébranlé. En vain Borée, déchaînant sa fureur sur la terre, veut courber les cèdres superbes ; ils tiennent bon sans plier. Celui qui est un exemple vivant de cette force de résistance se nomme Don Lorenzo Ramirez de Prado.

Celui qui vient après est Don Antonio de Monroy, modèle d’esprit et de courtoisie. Pour la valeur héroïque, autant que pour la science, son capital est si riche qu’il peut donner satisfaction aux désirs les plus ambitieux. Je vois en lui bien plus qu’il ne promet.

Celui-ci est un seigneur de noble prestance, et dont l’âme ressemble de tout point à celle de Torquato. Je parle de Don Antonio de Paredes, que ses amies les Muses ont comblé, pour ce qui est du génie et des mœurs, des dons de l’âge mûr, en ses vertes années.

Celui-ci, dont tu envies l’aide, c’est Don Antonio de Mendoza ; en l’emmenant à ta suite, tu rendras un signalé service à Apollon.

Celui-ci, qui fait le charme des Muses, plein de grâce, de bon goût et de sens, emporte la palme du discernement ; il se nomme Pedro de Morales, façonné par la politesse des cours, un asile ouvert à mon malheureux sort.

Celui-ci, qui a sa pointe de Zoïle, est le grand Espinel, dont l’incomparable style mérite le premier rang que lui a valu la guitare[1].

Celui-ci qui de si loin dépasse le but, et va bien au delà des sommets du Pinde ; qui jure, tempête et déchire, tient plus du poëte que du godelureau : c’est Jusepe de Vargas, dont le génie subtil et l’étrange caractère sont hors ligne.

Celui-ci dont le brillant génie mérite de justes hommages, et prodigue aux Muses des fruits et des fleurs, c’est le fameux Andrès de Balmaseda, de qui l’esprit grave et charmant comble d’aise le grand Apollon.

Celui-ci est Enciso, gloire et ornement du Tage, honneur du Manzanarès, qui tire satisfaction d’un fils si renommé.

Celui-ci, choisi entre mille, c’est le brave Luis Velez de Guevara, qu’on peut appeler l’ennemi du chagrin ; poëte géant dont il faut louer les vers nombreux et le rare génie, quand il nous peint un Gnathon ou un Dave.

Celui-ci est Don Juan d’Espagne, que les louanges humaines ne sauraient assez louer, car tous ses vers sont divins.

Celui-ci, qui comble d’orgueil les muses de Lugo, c’est Silveira, si célèbre, que tu as tant à cœur d’emmener et avec raison.

Celui qui vient après, c’est le grand Don Pedro de Herrera, bel esprit si connu par son élévation dans les matières d’honneur.

Celui-ci, qui de l’abîme de l’oubli, a tiré pour la seconde fois la belle Proserpine, — surcroît de richesse pour l’Espagne et pour les contrées que baigne le Dauro, — tu le verras déployer toute l’ardeur de son brillant courage dans cette lutte à mort, attendue et redoutée, en ces jours peu fortunés, par notre faute. Et quoi d’étonnant ?

C’est le docte et grave Don Francisco de Farias.

Celui-ci, que j’ai toujours honoré religieusement, l’oracle et l’Apollon de Grenade, et même de cette contrée et des plus lointaines, c’est Pedro Rodriguez.

Celui-ci est Tejada, aux vers sonores et roulants comme le tonnerre, toujours élevé et majestueux.

Celui-ci qui sue les vers par tous les pores, qui trouve n’importe où une patrie et des amis, et dont les trésors sont ceux d’autrui, c’est Médinilla, le même qui chanta le premier la romance de la tombe ténébreuse, parmi les cyprès rangés à la file.

Celui-ci, qui en ses vertes années se hâte et court vers le laurier sacré, c’est Don Fernando Bermudez, le bon sens incarné.

Celui-ci est ce poëte d’impérissable mémoire, qui déploya les grâces de son esprit en chantant les forêts d’Éryphile.

Celui-ci qui est le premier de cette nouvelle colonne, avec ces deux autres qui vont très-bien de pair avec lui, je craindrais de m’abaisser en les nommant.

Miguel Cejudo et Miguel Sanchez viennent ensemble ; couple sans pareil, renfort puissant pour les neuf sœurs. Leurs vers, fermes sur leurs pieds, sont remplis d’une science incomparable ; ils sont bien armés pour affronter le rude combat.

Ce grand seigneur qui se plaît à la lecture des bons poëtes, et qui s’éclaire de leur lumière en allant vers la montagne sacrée, c’est pour le moins Don Francisco de Silva. Que sera-ce de lui plus tard ? Dans ses vertes années, il a déjà le sens de l’âge mûr.

Voici venir Don Gabriel Gomez ; avec lui, Apollon est sûr de vaincre la canaille des sots et durs rimeurs. Que pour l’honneur de son génie, pour la gloire de ses années florissantes, pour rendre son souvenir impérissable dans tous les siècles, Phœbus ait recours à ce grand personnage, et hâte par là l’issue de la lutte ; sans oublier le grand Valdès, qui lui offrira le noble cœur d’un sage et un génie sublime, à la hauteur de toute entreprise.

Celui-là, c’est le savant docteur Figueroa, qui a chanté la constance d’Amaryllis, en prose harmonieuse et en vers suaves.

En voilà quatre qui arrivent à peu de distance les uns des autres ; leurs noms sont écrits en grandes lettres d’or. Ils seront d’un grand poids dans cette importante affaire. Leur mémoire se perpétuera durant des siècles infinis, portée sur la profondeur de leurs ouvrages. Que si le royal séjour d’Apollon venait à déchoir de sa grandeur, il serait relevé par ces quatre poëtes en qui la nature a résumé toutes les qualités d’ensemble, dignes de cette excellence que n’atteint point le rang le plus haut.

Cette assertion ne sera point démentie, grand comte de Salinas, par tes incomparables écrits qui touchent aux limites du divin.

Et toi, prince d’Esquilache, dont la réputation va tous les jours croissant, au point que tu t’élèves au-dessus de toi-même ; tu seras un ferme bouclier contre les rudes assauts que redoute Apollon, et armé comme tu l’es, l’escadron des marauds n’attendra point ton attaque.

Et toi, comte de Saladiña, qui de tes pieds délicats foules la haute cime du Pinde et t’élèves sur les ailes de ton génie ; tu seras un flambeau inextinguible dont la pure lumière guidera vers la montagne sacrée quiconque veut y atteindre sans éblouissements.

Et toi, comte de Villamediana, le plus renommé de tous ceux qui, parmi les Grecs et les Latins, ont atteint au laurier bienheureux, tu veilleras sur les chemins et les sentiers qui mènent à la montagne, afin d’assurer le passage aux simples pèlerins.

À l’aspect de ces quatre boulevards du Parnasse, l’arrogance des jeunes présomptueux tombera, aussi vaine qu’elle est sotte. Ah ! que je voudrais pouvoir énumérer toutes les nobles qualités de ces deux couples, dont l’heureux concours assure le triomphe à Apollon. Que si l’illustre marquis d’Alcañices se joint à eux, ils seront cinq phénix, bien qu’il n’y en ait qu’un au monde. Chacun d’eux en particulier sera une ferme colonne sur laquelle le palais d’Apollon s’élèvera au-dessus de l’orbe de la lune.

Celui-ci, quoique assidu aux graves fonctions de sa charge, porte le laurier et la palme, distinctions et bienfaits accordés par Apollon. Il est maître dans cette science merveilleuse et incomparable, unique dans la jurisprudence ; son nom, Don Francisco de la Cueva.

Celui-ci que je compare à Homère, c’est le grand Don Rodrigo de Herrera, illustre dans les lettres, et sans égal par ses qualités.

Celui-ci qui vient à sa suite, c’est Don Juan de Vera, honoré dans les quatrième et cinquième sphères, pour sa plume et pour son épée.

Celui-ci qui accable le corps et l’âme de tant de gens, quoiqu’il ne se montre guère chrétien, puisse le temps épargner ses écrits.

À ces mots la liste me glissa des mains, et le dieu dit : « Avec ceux que tu as dénombrés, l’affaire est faite. Fais en sorte qu’à pas pressés et le cœur dispos, ils viennent ici, où j’attends le renfort de leur troupe vaillante. »

« Je doute fort que Don Francisco de Quevedo puisse venir, » dis-je alors. Et lui à moi : « Je ne puis pourtant m’en aller sans lui. Celui-là est un fils d’Apollon, fils aussi de la muse Calliope. Nous ne pouvons partir sans lui, et là-dessus je ne saurais changer. Il est le fléau des sots poëtes, et de la pointe du pied il chassera du Parnasse les méchants rimeurs que nous attendons avec crainte. — Ah ! seigneur, répliquai-je, il va à pas comptés, et un siècle ne lui suffirait pas pour faire le chemin. — Qu’à cela ne tienne, répondit Mercure ; tout poëte de noble lignage voyagera fort à son aise sur un nuage moitié gris, moitié transparent. — Et celui qui ne l’est point, demandai-je, quel équipage lui réserve Apollon ? un carrosse, un nuage, un dromadaire, ou bien un vigoureux et rapide coursier ? — Tu vas, me dit-il, tu vas bien loin dans tes questions ; tais-toi et obéis. — Si ferai-je, puisque tu ne me commandes rien d’ineffable[2]. » Voilà ce que je lui répondis, et lui me parut s’être quelque peu troublé.

À l’instant même la mer s’agite, le vent souffle et redouble. Mon visage devait en ce moment-là ressembler à celui d’un mort ; j’en suis à peu près certain, car il me semble que je suis peureux. Je vis la nuit se confondre avec le jour, les sables de la mer profonde s’élever haut dans la froide région de l’air. Je vis tous les éléments bouleversés, la terre, l’eau, l’air et le feu lui-même se croiser au milieu des nuages déchirés.

Au milieu de cette grande bourrasque, des nuées de poëtes pleuvaient sur le navire. Il aurait coulé à coup sûr, si des milliers de sirènes ne fussent accourues flageller la tempête monstrueuse qui dansait le long des vergues. L’une d’entre elles que je pris d’abord pour Juana la Chasca, au large ventre et au long cou, tout à fait semblable à celui de la tarasque, s’approcha de moi et me dit : « Le salut de ce navire ne tenait plus qu’à un cheveu, quand nous sommes venues à son secours. Mais nous voici avec le beau temps que nous avons arraché à l’incurie où l’avaient plongé, au mépris de ses devoirs, les propos d’un certain Sancho Panza. »

En ce moment la tempête se calma, la mer reprit sa tranquillité, le ciel se rasséréna, et le zéphir chassa l’autan.

Je détournai les yeux, et j’aperçus un nuage couleur de glace glisser d’un vol léger à travers l’air transparent. Ô nouvelle merveille, ô cas inouï ! Oui, je le vis, et je veux le raconter, dût-on mettre en doute le fait que je tiens pour certain. Ce que je pus voir et remarquer, c’est que le nuage se partagea en deux et se mit à pleuvoir.

Quand la terre altérée attend impatiemment la pluie, on sait, par expérience, que de chaque goutte qui tombe sur le sol poudreux, s’élève un crapaud ou une grenouille, dont on aperçoit les sauts et les mouvements, lents ou rapides. Qu’on se figure pareillement voir sortir de chaque goutte de ce nuage un corps ayant forme d’homme (ô puissance souveraine !). Je fus mille fois sur le point de ne pas croire à ce fait trop réel ; mais je le vis de mes propres yeux, qui étaient alors limpides et sans chassie. Ces corps n’étaient autres que les poëtes mentionnés dans la liste ci-dessus, dont la force ne souffre point de résistance. Les uns très-connus comme gens de bien, les autres fanfarons et glorieux, très-peu convenablement et la plupart mal vêtus. Il me sembla avoir aperçu parmi eux don Antonio de Galarza, le vaillant gentilhomme d’Apollon, et fort prisé.

Le vaisseau se remplit d’un bout à l’autre. Il est vrai que sa capacité admet tout le monde et laisse à chacun la faculté de s’asseoir à l’aise, avantage très-louable. D’un autre nuage tomba le grand Lope de Vega, poëte insigne, dont le vers et la prose ne souffrent point de supériorité, ni même de comparaison. Il fallait voir l’essaim pressé des poëtes, toujours disposés à réciter leurs vers ; c’était un merveilleux spectacle. Celui-ci mourant de soif, celui-là de faim ; et moi, en voyant un si grand nombre, je m’écriai à haute voix : « Voilà certes une tourbe poético-famélique[3]. »

C’était plus qu’il n’en fallait à Mercure pour apercevoir ce qui manquait. Pour y remédier, il saute légèrement au centre du navire, et armé d’un crible qu’il trouva sous sa main, ancien ou nouveau, je ne saurais le dire, il cribla mille poëtes à la longue robe. Il ne rejette point ceux qui portent cape et épée ; il en cribla environ deux mille et plus, et la récolte ne fut pas abondante. Les bons et les saints passaient, tandis que les autres, plus durs que les pierres dans leurs vers, restaient comme la paille dans la mangeoire. Sans tenir compte de leurs raisons, sans admettre leurs excuses. Mercure les précipitait par monceaux dans la mer.

Parmi eux se fit entendre un aveugle qui s’en allait murmurant sous les flots, pestant et jurant contre Apollon. Un tailleur d’habits (appuyé sur ses faibles pieds, et s’ouvrant un chemin avec les bras) : « Par ma vie ! dit-il, Apollon n’est qu’un malpropre. » Un autre, qui s’en allait tête basse (c’était pourtant un cordonnier en neuf), débitait cent mille sottises. Un tondeur s’efforce et travaille pour se voir en sûreté : il va vers le rivage, plus jaloux de sa vie que de son honneur.

Abandonné en pleine mer, l’escadron des nageurs se tourne vers la galère avec des gestes de fureur. Et l’un d’entre eux dit pour tous : « Il aurait bien pu, ce mal appris ambassadeur de Phœbus, nous bien traiter et non de cette façon. Mais écoutez bien ce qu’il dit : « Je me fais fort de profaner la grandeur de la montagne par de nouveaux livres et un nouveau style. » Mercure, sans dire mot, se met à dresser soigneusement six cabines, donnant des vivres et la gamelle à l’illustre cohorte. Les clairons retentirent de nouveau, et Mercure, comblé d’aise, sans craindre le mauvais augure des dauphins, livra les rames aux flots et les voiles au vent.

  1. « … Que en la guitarra, »
    « Tiene la prima, y en el raro estilo. » Jeu de mots intraduisible. Vicente Espinel, bon poëte et excellent musicien, est l’inventeur de la chanterelle, prima en espagnol.
  2. « Si haré, pues no es infando lo que jubes. » Allusion transparente et burlesque au fameux vers qui ouvre le récit d’Ênée, dans le IIe livre de l’Énéide :
    Infandum, regina, jubes renovare dolorem.
  3. « Cuerpo de mi con tanta poetambre. » Jeu de mots intraduisible. Poetambre, terme burlesque, est composé de deux éléments, poeta et hambre, faim.