Le Voyage dans la Lune/1

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ACTE PREMIER



PREMIER TABLEAU


LE PRINCE CAPRICE
La façade du palais de Vlan, en pan coupé à gauche. — On arrive au palais par un escalier de quelques marches. — Au premier étage, un balcon praticable. — À gauche, premier plan, fontaine monumentale avec bassin. — Au fond, au milieu, un arc de triomphe de feuillages et de drapeaux. — Partout les préparatifs d’une fête : banderoles, oriflammes, lanternes vénitiennes non allumées, médaillons et écussons avec ces inscriptions : Vive Vlan et son fils !… Longs jours à Vlan ! Vive le Prince Caprice !… — Vlan, père du peuple. — Caprice, espoir du royaume.




Scène PREMIÈRE

Hommes et Femmes du Peuple, puis Microscope.
INTRODUCTION
CHŒUR.

Quelle splendide fête
Ici l’on apprête !

C’est charmant,
Amusant,
Renversant.
Quelle splendide fête
Ici l’on apprête !
Regardons,
Admirons !
Pour sûr c’est nous qui la paierons !

PREMIÈRE FEMME.

Que c’est joli ! que c’est coquet,
J’en suis ravie,
J’en suis saisie.

DEUXIÈME FEMME.

Jamais ici l’on n’avait fait
Cérémonie
D’un tel effet.

REPRISE DU CHŒUR.

Quelle splendide fête,
Etc.

UN HOMME.

Ah ! voici M. Microscope le grand savant du roi…

Entre Microscope.
TOUS, s’apprêtant à crier

Vi…

MICROSCOPE, les arrêtant

Ne criez pas !… J’ai besoin de me recueillir. Allez, allez ! !! (Tirant sa montre.) Voyons… quatre heures… Ce n’est qu’à cinq heures que le prince Caprice, (Se découvrant.) l’unique rejeton de notre bien-aimé roi Vlan IV, doit revenir du grand voyage qu’on lui a fait entreprendre pour compléter son éducation… J’ai donc soixante bonnes minutes devant moi et je vais en profiter pour aller dire un petit bonjour à Cascadine… une jeune personne qui joue les rôles à maillot dans un théâtre de genre… Des jambes superbes !… Que voulez-vous ?… on a beau s’appeler Microscope, être tout simplement le plus grand savant, le plus grand mécanicien, le plus grand métallurgiste, le plus grand ingénieur de son époque et posséder toute la confiance de son souverain, on n’en appartient pas moins à l’humanité par quelques petits côtés… Donc je suis du dernier bien avec Cascadine… Pauvre chérie !… Je suis sûr qu’elle attend ma visite avec impatience. Hier, je devais aller la prendre à la sortie de son théâtre, mais elle m’a envoyé ce mot : « Mon bon lapin, ne te dérange pas, je suis obligée de passer la nuit auprès d’une tante qui est très malade. » C’est une bonne nature : elle a le culte de la famille… Pourtant, il y a une chose qui m’étonne : elle ne m’avait jamais parlé de cette tante-là… Enfin ! ne perdons pas de temps et volons au bonheur… volons au…

Au moment où il se dispose à sortir, paraît un garde.
LE GARDE, annonçant.

Le roi !…

MICROSCOPE, s’arrêtant.

Sapristi ! le patron !


Scène II

Les Mêmes, VLAN.
VLAN, entrant, suivi de quelques dignitaires.


COUPLETS.

Vlan, Vlan,
Je suis Vlan,
C’est moi le roi Vlan,
Vli ! vlan !
Vlan ! Rataplan !
Je suis le roi Vlan !

I

Dans le dur métier de roi,
Rien n’est bon, croyez-moi,
Comme un nom fier et terrible ;
Car lorsque l’on apparaît,
Aussitôt chacun se tait,
Et grâce à ce secret,
On fait une peur horrible
À chaque sujet !
C’est pour ça (Bis.) que le mien
Me paraît (Bis.) assez bien :
Il est très vif, il résonne,
Il fait du bruit, il étonne :
Vlan ! Vlan !
Je suis Vlan,
Etc.

II

Ainsi moi, c’est entre nous,
Je suis un prince doux
Et même trop débonnaire !
Et si l’on crie un peu haut,
Quand je veux parler d’impôt
Je me sens aussitôt
Assez mal à mon affaire
Dès le premier mot.
Par bonheur (Bis.) j’ai mon nom,
Qui me tient (Bis.) lieu d’aplomb,
Et grâce à lui je m’en tire,
Car alors je n’ai qu’à dire :
Vlan ! Vlan !
Etc.

TOUS.

Vive Vlan !…

VLAN.

Oui, mes enfants, c’est moi, c’est votre bon Vlan… Vous êtes heureux de me voir, n’est-ce pas ? Moi aussi… et sur ce, allez-vous en, qu’on me laisse.

MICROSCOPE.

Qu’on le laisse.

REPRISE.

Vlan ! Vlan !
Etc.

Sortie.

Scène III

VLAN, MICROSCOPE.
MICROSCOPE, à part.

Je crois que voilà le moment…

Il s’apprête à s’en aller.
VLAN, le retenant.

Où vas-tu ?

MICROSCOPE.

Chez Casc… (Se reprenant.) dans mon cabinet de travail !… Où voulez-vous qu’aille un savant comme moi, sinon dans son cabinet de travail ?… Ah ! l’étude, la science, l’industrie ! c’est ma vie, à moi… Vous permettez !… j’ai justement quelque chose sur le feu.

Il fait un mouvement pour s’en aller.
VLAN.

Attends.

MICROSCOPE, à part.

Fichtre !… quatre heures un quart.

VLAN.

Microscope, tu vois un homme bien ému…

MICROSCOPE.

Je comprends ça… après deux heures… (Se reprenant.) après deux ans… revoir votre fils, ce cher prince Caprice !…

VLAN.

Oui, d’abord… mais ce n’est pas seulement ça…

MICROSCOPE.

Il y a encore autre chose ?

VLAN.

Tu l’as dit… Pour le vulgaire, cette fête est une fête ordinaire… Pour moi, c’est un événement capital… c’est la réalisation d’un plan longuement mûri.

MICROSCOPE.

Ah ! bah ! (À part.) Quatre heures vingt !…

VLAN.

Voilà bientôt trente ans que je suis sur le trône. — J’ose me flatter que mes sujets n’ont pas lieu de s’en plaindre… mais moi, entre nous, je commence à en avoir assez… je me sens fatigué, bref, je crains de ne plus être à la hauteur.

MICROSCOPE.

Comment, vous vous en apercevez ? Eh bien ! ce n’est pas pour vous faire un compliment, mais il n’y a pas beaucoup de gens capables de se juger ainsi eux-mêmes.

VLAN.

Alors, tu trouves que j’ai raison ?

MICROSCOPE.

Raison, de quoi faire ?

VLAN.

Mais de me retirer, de passer la main…

MICROSCOPE.

Hein ? Vous voulez ?

VLAN.

Je veux frapper un grand coup… Tout à l’heure, quand Caprice sera arrivé, je profiterai du moment où l’enthousiasme sera à son comble et, en présence de mon peuple, je lui poserai sur la tête la couronne que j’ai fait redorer à cette intention. (S’interrompant.) On l’a rapportée ?

MICROSCOPE.

Oui, voici la facture.

VLAN.

Eh bien ! qu’est-ce que tu dis de cela ?

MICROSCOPE.

Ce que j’en dis ? c’est une grande idée… sans parler des capacités de votre fils, qui sont absolument nulles…

VLAN.

C’est toi qui as fait son éducation.

MICROSCOPE.

Il a tout pour lui : la légèreté, la jeunesse, l’inconséquence, la prodigalité… Enfin, c’est une grande idée.

VLAN.

N’est-ce pas ?

MICROSCOPE.

Ah ! mais sapristi… je songe à une chose… Le prince Caprice est jeune. En arrivant au pouvoir, il est capable d’y apporter des projets de changement.

VLAN.

C’est possible.

MICROSCOPE.

Il va vouloir tout bouleverser, s’entourer d’hommes nouveaux…

VLAN.

Je le lui conseillerai.

MICROSCOPE.

Eh bien ! alors et moi ?

VLAN.

Toi, tu feras comme moi, tu iras planter tes choux !

MICROSCOPE.

Mais permettez ! Ça change la thèse… ce n’est plus une grande idée du tout !… Que vous vous retiriez des affaires vous, je comprends ça… votre pelote est faite… mais moi… c’est à peine si j’ai vingt-cinq pauvres mille livres de rentes.

VLAN.

Vingt-cinq mille livres de rentes ! Et tu ne gagnes que douze cents francs par an !

MICROSCOPE.

J’ai fait des économies.

VLAN.

Ça se voit !…

MICROSCOPE.

Heureusement, tout espoir n’est pas perdu… ce n’est pas pour rien qu’on a donné à votre fils le nom de Caprice… Il est bizarre, fantasque, original. Rien ne dit qu’il acceptera votre trône.

VLAN

Allons donc ! Est-ce qu’on refuse ces choses-là ?… À son âge, on est ambitieux… et puis, c’est mon fils, il a l’ambition dans le sang… D’ailleurs, n’ai-je pas fait redorer la couronne ? (Changeant de ton.) On l’a rapportée ?

MICROSCOPE.

Je viens de vous donner la facture.

VLAN.

C’est juste !

MICROSCOPE, tirant sa montre, à part.

Cinq heures moins cinq ! Cascadine doit s’impatienter. (Haut.) Sire, je vais…

VLAN.

Tu vas rester ici… j’ai besoin de toi pour chauffer ma proclamation.

MICROSCOPE.

Mais…

VLAN.

Pas d’observations.

MICROSCOPE.

Je m’incline. (À part.) Oh ! Les maîtres !…

On entend sonner sept heures. — Murmure vagues au dehors. — On entend dans la coulisse : Vive Caprice !
VLAN.

Cinq heures !… voilà mon fils qui fait son entrée…

MICROSCOPE, à part.

J’irai chez Cascadine après la cérémonie.


Scène IV

Les Mêmes, Hommes et Femmes du Peuple, Courtisans,
Gardes (travestis), puis Caprice.
Tout le monde entre en agitant des mouchoirs. Des pages paraissent au balcon du palais. — Musique.
CHŒUR.

Rataplan ! rataplan !
Tambours, battez aux champs !
Tarata ! tarata !
Que le fifre et la trompette
Lancent à tous les vents
Leurs chants de fête.
Rataplan ! rataplan !
Taratata ! taratata !

VLAN.

Oui, c’est lui, mon fils, ô bonheur !

MICROSCOPE.

Dans mes yeux, je sens un pleur !

VLAN.

Après une telle absence !

MICROSCOPE.

Le revoir, ah ! quelle chance !

CAPRICE, arrivant.


COUPLETS

Ah ! j’en ai vu, j’en ai vu !
Le connu, l’inconnu,
Le prévu, l’imprévu,
J’ai tout vu !

I

Tu m’avais dit : Mon enfant,
On s’instruit en voyageant.
Eh bien ! moi, je peux te dire
Que j’ai tout fait pour m’instruire,
Et je te reviens, papa,
Assez instruit comme ça !
Je connais toute l’Afrique,
Je connais le pôle nord,
L’Angleterre, l’Amérique
Et surtout la Maison d’Or. (Bis.)
Ah ! j’en ai vu, j’en ai vu,
Etc.

II

Tu m’avais dit : En chemin
Étudie, observe bien,
Car, à l’époque où nous sommes,
Il faut connaître les hommes.
Eh bien ! ces sages avis,
Papa, je les ai suivis !
Mais j’ai fait à tes programmes
Un tout petit changement,
Et ce sont surtout les femmes
Que je connais gentiment. (Bis.)
Ah ! J’en ai vu,
Etc., etc.

VLAN.

S’est-il dégourdi, ce gamin-là ! déjà blasé !

CAPRICE.

Tiens, papa, veux-tu mon opinion ? Le monde ça n’est pas drôle.

MICROSCOPE, à part.

Eh bien ! avec celui-là, je suis sûr de mon affaire. Je n’en ai plus pour longtemps.

VLAN.

Caprice, mon enfant, j’ai à te parler sérieusement. Et vous, mes fidèles sujets, écoutez aussi… la communication que je vais faire à mon héritier vous intéresse également. (Bas à Microscope.) Chauffe-moi ça !

MICROSCOPE, à pleine voix.

Vive le roi Vlan !

TOUS.

Vive Vlan !

VLAN.

Bien !… (À Microscope.) Maintenant, fais-moi passer la couronne. (Microscope donne un ordre. — Vlan reprend.) Je vous prierai de remarquer la façon dont j’ai prononcé ce mot héritier… Il n’est pas employé ici dans le sens ordinaire de rejeton, fils, progéniture… non ! C’est à dessein que je m’en suis servi dans son acceptation propre et rigoureuse : Héritier ; du verbe hériter d’où on a fait héritage. Héritier, substantif masculin singulier, qui veut dire : qui hérite. (À Microscope.) La couronne ?

MICROSCOPE, lui donnant la couronne qu’on vient d’apporter dans un écrin plat.

La voici !

VLAN, ouvre l’écrin et en sort la couronne dont il fait jouer le ressort absolument comme pour les chapeaux gibus, la prenant et la mettant sur sa tête.

Merci. (Haut.) Maintenant, vous voyez cette couronne, que je viens de faire redorer à neuf ; cette couronne que je porte depuis près de trente ans avec éclat et distinction ! Eh bien ! cette couronne, aujourd’hui je la sens peser sur ma tête. Je l’ôte et je la cède à mon fils, au prince Caprice !

Mouvement d’étonnement.
CAPRICE.

À moi !…

VLAN, la lui posant sur le front.

Mets-toi ça sur le chef. (À Microscope.) Chauffe donc, animal !

MICROSCOPE, criant mais sans conviction.

Vive Sa Majesté Caprice !

TOUS.

Vive Sa Majesté Caprice !

CAPRICE.

Un instant !… Cette couronne, certainement je serais fier de la porter, mais je crains qu’elle ne soit trop lourde pour ma tête, je l’ôte et je la rends à papa qui en a plus l’habitude que moi.

Il met la couronne sur la tête de Vlan. — Nouveau mouvement de surprise.
VLAN, stupéfait.

Comment !

MICROSCOPE, à part, avec joie.

Il n’en veut pas ! quelle chance (Criant à pleins poumons.) Vive Sa Majesté Vlan IV !

TOUS.

Vive Sa Majesté Vlan IV !

VLAN, à Microscope.

Veux-tu bien te taire ! (À Caprice.) Tu refuses ?

CAPRICE.

Absolument !

VLAN.

Mais malheureux !… regarde donc comme elle reluit !…

CAPRICE.

Ça m’est bien égal !

VLAN, furieux.

Oh ! un pareil affront ! Devant mon peuple ! (Haut avec rage.) Allez-vous en tous !… J’éprouve le besoin de me livrer à une scène de famille. (Se promenant fiévreusement.) Un effet si bien préparé, complètement raté !… (À la foule.) Eh bien ! Vous n’êtes pas encore partis !… J’avais l’intention de faire tirer un feu d’artifice, je biffe le feu d’artifice !

TOUS.

Oh !

VLAN, avec force.

Je biffe le feu d’artifice ! vous entendez ? allez.

Tout le monde se retire.
MICROSCOPE, à part.

Je crois que voilà le moment d’aller à mon rendez-vous.

Il se prépare à s’en aller.
VLAN.

Où vas-tu ? Reste ici.

MICROSCOPE.

Mais…

VLAN.

Pas d’observations.

MICROSCOPE, à part.

J’irai chez Cascadine après la scène de famille…


Scène V.

CAPRICE, VLAN, MICROSCOPE.
Vlan très agité, se promène de long en large.
MICROSCOPE, à part.

Tout à l’heure, il va pleuvoir des démissions…

CAPRICE, de même.

Il est vexé, papa…

VLAN, s’arrêtant brusquement devant Caprice.

Mais enfin, pourquoi ?

CAPRICE.

Pourquoi, quoi ?

VLAN, furieux.

Pourquoi, quoi !… Pourquoi as-tu refusé cette couronne ? Il n’y a peut-être au monde qu’un seul père capable de faire ce que j’ai fait pour toi.

CAPRICE, riant.

Et il faut justement qu’il ait le seul fils capable de refuser… Ça tombe mal !… mais que veux-tu papa ? Régner, gouverner, m’occuper de politique… Non ! je ne sens pas ça. Depuis deux ans, j’ai pris l’habitude de courir le monde, d’aller et venir… je suis sûr que je ne pourrais plus rester en place… Tiens ! je viens à peine d’arriver… et je sens déjà l’ennui qui me prend là. Il me faut la liberté, le mouvement, l’air, l’espace !

VLAN.

La liberté, le mouvement ! tu finiras pourtant bien par te fixer, un jour ou l’autre.

CAPRICE.

Me fixer !

VLAN.

Par te marier ?…

CAPRICE.

Me marier !… Voyons, papa, puisque je t’ai dit que je connais les femmes.

VLAN.

Eh bien ?

CAPRICE.

Eh bien ! c’est assez te dire que je n’ai pas l’intention de me marier. Oh ! mais là, pas du tout !

VLAN.

Il est renversant, ma parole d’honneur !… Si on croirait que ça a à peine dix-sept ans… Voyons, une fois, deux fois, veux-tu ma couronne ?

CAPRICE.

Une fois, deux fois, trois fois, dix fois, cent fois… non ! non ! non !

VLAN.

Ah !

MICROSCOPE, timidement à Vlan.

Dites donc…

VLAN.

Quoi ?

MICROSCOPE.

Si vous vouliez… moi !

VLAN

Toi ! ce serait du joli ! (À Caprice.) Mais enfin, que prétends-tu faire ? voyager encore ?… Puisque tu as tout vu ?

CAPRICE, avec ennui.

C’est vrai ! Oh ! si je pouvais trouver un endroit…

Il remonte absorbé.
VLAN.

Mais nom d’un petit bonhomme ! tu n’as pas le sens commun !… Car enfin un garçon de ton âge, surtout quand il a un père… suis bien mon raisonnement… (S’apercevant que Caprice n’est plus à côté de lui.) Eh bien !… c’est comme cela que tu m’écoutes ? Qu’est-ce qu’il fait ?

Depuis quelques instants la nuit est venue et la lune, invisible aux spectateurs, se reflète dans le bassin de la fontaine.
CAPRICE, la regardant avec une sorte d’extase.

Oh ! la lune !

VLAN.

Qu’est-ce qu’il dit ?

MICROSCOPE.

Il dit : la lune.

VLAN.

La lune ! je lui parle raison et il me répond : la lune… Tu n’espères sans doute pas que je vais te la donner, la lune !

CAPRICE, allant à lui.

Eh bien ! pourquoi pas ?

VLAN.

Hein ?

CAPRICE, s’animant.

Ce pays inconnu, inexploré, que je rêvais, le voilà… je l’ai trouvé…

MICROSCOPE, à part.

Il divague !…

VLAN.

C’est de la folie galopante !…

CAPRICE.


ROMANCE
I

Ô reine de la nuit,
Reine silencieuse !
Dans le ciel où sans bruit
Tu vas mystérieuse,
Mon cœur tout éperdu
Que ta pâleur enivre,
Mon cœur voudrait te suivre
Vers le monde inconnu !

Oui, sur terre tout m’importune
Et dans les cieux
Je serai mieux :
Papa, papa ! je veux la lune !…

II

Quand ta douce clarté
Fait pâlir les étoiles,
Quand du ciel argenté
Tu déchires les voiles,
Ô lune ! jusqu’à toi
Je sens aller mon âme,
Et ta divine flamme
M’attire malgré moi !
Oui, sur terre tout m’importune
Etc.

VLAN.

Voyons, voyons, Caprice… ce n’est pas sérieux, n’est-ce pas ? Si c’est une plaisanterie, elle est assez réussie.

CAPRICE.

Rien n’est plus sérieux.

VLAN.

Tu veux aller dans la lune ?

CAPRICE.

Oui ! oui !… oui !…

MICROSCOPE.

Mais c’est impossible !

CAPRICE.

Impossible !… C’est vous qui dites cela ? Vous le plus grand savant, le plus grand ingénieur de la terre.

MICROSCOPE.

C’est vrai !

CAPRICE.

Mais non ! ce n’est pas impossible. Et la preuve… c’est que je vous charge de trouver le moyen d’y aller.

MICROSCOPE.

Moi !

CAPRICE.

Est-ce que papa ne vous a pas pris pour tout faire ?

MICROSCOPE.

Oui, mais pourtant…

VLAN.

Écoute donc…

CAPRICE.

Ne me répétez plus que c’est impossible, ou sinon…

MICROSCOPE.

Sinon ?…

CAPRICE.

J’aurai le regret d’accepter votre démission.

MICROSCOPE, chancelant.

Ma démission !… mais, prince, permettez. Après tout, la lune, ce n’est pas ma partie… moi, je ne m’occupe que de mécanique… Ça regarde l’Observatoire… c’est lui qui est chargé des relations avec le ciel.

CAPRICE.

C’est vrai, au fait, il a raison… Allons à l’Observatoire.

MICROSCOPE, à part.

Maintenant, je cours voir Cascadine.

VLAN.

Comment ! tu veux ?

CAPRICE, arrêtant Microscope.

Venez avec nous…

MICROSCOPE.

Mais je…

VLAN.

Pas d’observations !

MICROSCOPE, à part.

J’irai chez elle en sortant de l’Observatoire. (Haut.) Pourtant…

CAPRICE.

Pas d’observations !

CHANT

Oui, sur terre tout m’importune,
Et dans les cieux
Je serai mieux,
Papa, papa, j’aurai la lune !

Ils sortent. — Changement à vue.




DEUXIÈME TABLEAU


L’OBSERVATOIRE
La coupole de l’Observatoire. Instruments astronomiques. — Portes à droite et à gauche.




Scène PREMIÈRE

COSINUS, A-PLUS-B, OMÉGA, COËFFICIENT, RECTANGLE, PHICHIPSI, Astronomes.
Ils tournent le dos au public et interrogent le ciel. — Musique. À chaque vers ils tournent d’un même mouvement la tête du côté du public, puis se remettent à observer.
CHŒUR DES ASTRONOMES.

Les cieux…
Curieux…
Bolides…
Splendides…
Ardents…
Brillants…
Planètes…
Comètes…
Flambeaux…
Très beaux…

Venant sur le devant de la scène.

Nous sommes
Les astronomes,
Les yeux fixés sur l’éther !
Vous voyez des hommes
Qui vivent le nez en l’air ! (Bis.)

Les astronomes se remettent en observation. On ne voit plus que leur dos.

Scène II

Les Mêmes, CAPRICE, VLAN, MICROSCOPE, Deux Gardes, puis PARABASE.
VLAN.

Enfin !… nous y voici.

MICROSCOPE.

Voilà les astronomes…

CAPRICE.

Voyons ne perdons pas de temps et interrogeons-les. (Allant aux astronomes.) Messieurs…

TOUS.

Chut ! Chut !

PARABASE, accourt vivement, il est en costume d’huissier académique.

Que vois-je ?… Des étrangers qui se sont introduits… (D’un ton impoli.) Qu’est-ce que vous venez faire ici ?

CAPRICE.

Eh bien ! il est aimable, celui-là.

VLAN.

Nous voudrions voir l’Observatoire.

PARABASE, sur le même ton.

Avez-vous des cartes d’entrée ?

MICROSCOPE.

Non, mais nous voudrions…

PARABASE, très-raide.

On ne visite qu’avec des cartes.

CAPRICE.

Mais il ne s’agit pas de cela.

VLAN.

Nous venons pour consulter.

PARABASE.

Consulter l’observatoire ! Adressez une demande au grand factotum, qui la renverra au chef du personnel, qui la renverra à l’employé principal, lequel la renverra à un autre bureau… et dans six mois…

CAPRICE.

C’est trop fort. Insolent, parler ainsi à papa… au roi.

PARABASE, effrayé.

Le roi !… je suis perdu !… (Tombant à genoux.) Grâce, j’ignorais… si j’avais su que vous n’étiez pas du public. J’aurais été poli…

VLAN.

Eh bien ! je te pardonne, parce que tu es malhonnête, mais tu vas dire à ces messieurs que nous voulons leur parler à l’instant même.

PARABASE.

Oh ! ce ne sera pas long !… Messieurs, le roi !…

TOUS, se retournant.

Le roi !…

Ils s’inclinent.
VLAN.

Relevez-vous, Messieurs.

CAPRICE.

Et arrivons au fait… Nous venons vous soumettre une question des plus graves…

COSINUS.

Une question des plus graves ! Parabase, apporte des télescopes à ces messieurs.

PARABASE.

Oui monsieur le président.

VLAN, à part.

Des télescopes ? Est-ce qu’ils veulent nous faire travailler ?

PARABASE.

Voilà !

Il donne des télescopes à Caprice, à Vlan et à Microscope qui les prennent d’un air inquiet.
COSINUS.

Fort bien ! (Aux savants.) Et maintenant, messieurs, à vos places, pour entendre la communication ! (Les savants se rangent en demi-cercle autour de lui.) Y êtes-vous ?

LES SAVANTS.

Oui.

COSINUS, frappant dans ses mains.

Une, deux, trois !…

À ce signal, chacun ouvre son télescope qui forme un siège sur lequel il s’assied.
VLAN.

Ah ! je comprends les télescopes !

Il s’assied. — Microscope et Caprice l’imitent.
MICROSCOPE.

Oui, ils sont à deux fins.

COSINUS.

La séance est ouverte. Prince, nous vous écoutons.

VLAN, se levant.

Messieurs les savants, le motif qui nous amène est d’une simplicité tellement grande qu’il me semble inutile… Pourtant quelques explications préalables…

COSINUS.

Sire, ce que vous dites est très clair, mais je ne comprends pas très bien !

CAPRICE.

Oui ! il patauge !… Tu patauges, papa !… Allons droit au but. — Messieurs, nous venons tout simplement vous prier de nous indiquer un moyen de nous rendre dans la lune.

TOUS.

Dans la lune ? Prince, vous plaisantez…

CAPRICE.

Pas le moins du monde et j’exige que vous examiniez sérieusement la question et que vous y répondiez sur l’heure.

COSINUS.

C’est bien, prince, vous serez obéi… Messieurs, la question à résoudre est celle-ci : Croyez-vous qu’il soit possible d’aller dans la lune ? (Silence.) Monsieur Coëfficient, vous avez la parole.

CŒFFICIENT, se levant.

Messieurs ! à cette question : Peut-on aller dans la lune ? je réponds : non ! et je me base sur des faits indiscutables qui sont ceux-ci : si on pouvait aller dans la lune, il y a longtemps qu’on y serait allé !

Il se rassied.
A-PLUS-B.

Bravo !

VLAN.

C’est évident !

MICROSCOPE.

Parbleu !

CAPRICE.

Vous ne savez pas ce que vous dites.

PHICHIPSI, très poliment à Vlan.

Pardon ! qu’est-ce qu’il a dit ?

VLAN, brusquement.

Il fallait écouter.

PHICHIPSI, très poliment.

Merci, monsieur.

COSINUS.

M. Oméga a la parole.

OMÉGA, se levant.

Je n’en veux pas !

RECTANGLE, vivement.

Je la prends… La proposition que je vais avoir l’honneur de formuler est de ne point conclure et de déclarer qu’il n’est pas impossible que ce soit possible, mais qu’il est possible que ce soit impossible.

TOUS LES SAVANTS.

Bravo ! bravo !

PHICHIPSI.

Qu’est-ce qu’il a dit ?

VLAN.

Vous m’embêtez.

PHICHIPSI.

Bravo ! bravo !

COSINUS.

La conclusion de M. Rectangle est adoptée à l’unanimité.

CAPRICE.

Mais on n’a pas conclu !

COSINUS.

Pardon, on a conclu qu’on ne conclurait pas.

CAPRICE.

C’est une plaisanterie !

MICROSCOPE.

Vous enterrez la question.

COSINUS.

Attendez… il y a un moyen de tout arranger, c’est de nommer une commission.

CAPRICE, furieux.

Une commission !

VLAN.

Voyons, calme-toi. (À Cosinus.) Il me semble que plusieurs de vos collègues n’ont pas donné leur opinion… (Montrant Phichipsi.) Celui-ci par exemple… il est donc moins instruit que les autres ?

COSINUS.

Lui, au contraire… c’est le fameux Phichipsi, le plus fort de tous… seulement il est sourd comme un pot.

VLAN.

Ah ! c’est donc ça.

PHICHIPSI, à Vlan.

Qu’est-ce qu’il a dit ?…

VLAN.

Il a dit que vous étiez sourd comme un pot.

PHICHIPSI.

Bravo ! bravo !

VLAN.

Il est complet.

COSINUS.

La séance est levée.

Tous les assistants se lèvent et referment leurs télescopes.
CAPRICE.

Comment la séance est levée… mais je m’y oppose ! vous êtes tous des ânes !

TOUS, froissés.

Des ânes !…

CAPRICE, à Vlan

Et tu paies ces gens-là sur ta cassette !

MICROSCOPE.

Il faut les biffer !

VLAN.

C’est ça ! je les biffe !… je vous biffe entendez-vous ? Vous allez me rendre vos télescopes, j’en ferai des sièges de jardin.

CAPRICE, à Microscope.

Quant à vous, Monsieur Microscope, puisqu’on est en train de biffer, je vous biffe par la même occasion… votre démission est acceptée.

MICROSCOPE.

Ma démission !… mais prince…

CAPRICE.

Vous ne me rendez pas plus de services que tous ces messieurs.

MICROSCOPE.

Oh !

CAPRICE.

Vous dépensez un argent fou avec tous vos engins et toutes vos machines qui ne servent à rien.

MICROSCOPE.

Mais prince !…

CAPRICE.

Êtes-vous ingénieur, oui ou non ?

MICROSCOPE.

Certes… mais…

CAPRICE.

Alors, trouvez-moi le moyen que je vous demande.

VLAN.

Mon pauvre Croscope !…

MICROSCOPE, à part.

Oh ! mais, il m’ennuie, ce petit-là… si je pouvais me défaire de lui… Oh ! quelle idée ! Cette machine à laquelle je travaille depuis trois ans ! Ô balistique ! viens à mon aide. (Haut.) Eh bien, soit ! ce moyen, je vous le fournirai.

VLAN.

Hein ?

MICROSCOPE.

Je l’ai trouvé.

CAPRICE.

Quel est-il ?

MICROSCOPE.

Vous le saurez quand il sera temps.

CAPRICE.

Et combien vous faut-il de temps ?

MICROSCOPE.

Huit jours.

CAPRICE.

Soit.

MICROSCOPE.

Il faut aussi de l’argent, beaucoup d’argent.

CAPRICE.

On vous fournira tout ce qu’il faudra… Seulement prenez garde… si dans huit jours vous n’avez pas tenu parole, ce n’est plus votre démission que je vous demanderai, c’est votre tête !

MICROSCOPE, avec un frisson.

Brrr !… ma tête !… Il n’est que temps de m’en débarrasser

(Se remettant.) Soit, je vous donne rendez-vous dans huit jours, dans ma forge.

VLAN.

Voilà ce pauvre Croscope qui est devenu fou aussi.

CAPRICE.

Vous allez vous mettre immédiatement à l’œuvre.

MICROSCOPE.

Pardon… Auparavant, je voudrais faire une petite visite.

CAPRICE.

Vous n’avez pas le temps.

MICROSCOPE, à part.

Allons, il est écrit que je ne verrai pas Cascadine aujourd’hui.

VLAN, aux astronomes.

Et vous, hors d’ici.

PHICHIPSI.

Qu’est-ce qu’il a dit ?

Les astronomes pourchassés par les gardes se sauvent dans un désordre comique.
Changement à vue.




TROISIÈME TABLEAU


LA FORGE
Une immense forge en activité. — Soufflets, fournaises en pleine combustion, enclumes et marteaux de dimensions énormes. Au fond, un haut fourneau en briques rouges.




Scène PREMIÈRE

Forgerons et Forgeronnes, puis MICROSCOPE

Au changement, les forgerons et les forgeronnes travaillent avec ardeur.

CHŒUR.

À l’ouvrage ! à l’ouvrage !
Frappons,
Tapons,
Cognons avec rage !
N’oublions pas le vieux dicton :
C’est en forgeant qu’on devient forgeron !

QUELQUES FORGERONS, se détachant.

Mais c’est une folie,
Une plaisanterie.

LE CHŒUR.

Frappons,
Tapons !

LES FORGERONS, idem.

On se moque de nous,
On nous prend pour des fous.

LE CHŒUR.

Tapons !
Frappons !

REPRISE

À l’ouvrage ! à l’ouvrage !
Etc.

MICROSCOPE, entrant. — Il est en costume de travail, le visage pourpre et baigné de sueur.

Allons, chaud ! les enfants ! chaud, ne flânons pas !

UN FORGERON.

Ouf ! je n’en puis plus !

PREMIÈRE FORGERONNE.

Voilà huit jours que nous travaillons sans nous arrêter.

UN FORGERON.

On n’est pas de fer !

PREMIÈRE FORGERONNE.

On a beau être solide, il n’y a pas moyen de résister.

MICROSCOPE.

Voyons un dernier effort… quelques minutes seulement nous séparent du moment où vous pourrez vous reposer. À onze heures tout doit être terminé et il est onze heures moins dix. Ainsi, chaud ! les enfants, chaud !

TOUS.

Oui ! oui !

Ils se remettent au travail avec fièvre.
Moment de vacarme étourdissant.
MICROSCOPE, contemplant ce tableau avec satisfaction.

C’est égal, c’est beau l’industrie…C’est ici mon cabinet de travail… voilà quelques années que je m’occupe de mécanique et de fonderie… C’est grâce à cela que je vais pouvoir expédier le prince Caprice dans une autre planète d’où je suis bien sûr qu’il ne reviendra pas… si même il y arrive… C’est peut-être indélicat ce que je fais là. Mais il me demandait ma démission ! Ah ! non.

DEUXIÈME FORGERONNE, se détachant et venant à lui.

M’sieu, c’est-il vrai que c’est pour aller dans la lune ce que nous fabriquons là ?

MICROSCOPE, la renvoyant.

Oui, oui… allez travailler… c’est égal ! je ne serai pas fâché d’avoir fini… Il y a plus de huit jours que je n’ai pas vu Cascadine, heureusement, elle m’a fait dire que sa tante était encore malade… ça l’occupe toujours un peu, pauvre chérie !

DEUXIÈME FORGERONNE, revenant.

M’sieu… je pourrai-t-il y aller aussi dans la lune ?

MICROSCOPE.

Non… vous m’ennuyez… C’est un crampon que cette petite industrielle.

Onze heures sonnent.
TOUS.

Onze heures !

UN FORGERON.

Allons déjeuner !

Ils sortent.

Scène II

MICROSCOPE, VLAN, CAPRICE, Des Gardes.
UN GARDE, annonçant.

Le roi… le prince Caprice !

MICROSCOPE.

Ils sont exacts.

VLAN, entrant.

Nous voici, mon bon Microscope.

CAPRICE.

Eh bien ! Vous êtes prêt ?

MICROSCOPE.

Mais certainement, prince… dans un instant.

VLAN.

Allons donc… Pauvre ami, va !…

MICROSCOPE.

Parole d’honneur !… je suis prêt.

CAPRICE.

Tu entends, papa.

VLAN.

Ah ! ah ! Mais un instant, mon garçon, ça change la thèse… tant que j’ai cru que ça ne se pourrait pas… j’ai fait ce que tu as voulu… mais maintenant, il s’agit d’être sérieux… J’espère bien que tu as renoncé à ce voyage absurde.

CAPRICE.

Si j’y ai renoncé ?… Mais au contraire, je n’en dors plus… J’en rêve !

RONDEAU

Monde charmant que l’on ignore
Et que mon cœur a deviné,
Monde charmant, oui, je t’adore,
Et vers toi, je suis entraîné !

Doux pays de la fantaisie,
Ô doux pays des songes bleus !
De tout temps tu fus la patrie
Des rêveurs et des amoureux.
Tu t’environnes de mystère
Pour te dérober à nos yeux,
Mais moi, je veux quitter la terre
Et t’aller chercher dans les cieux.

Monde charmant,
Etc.

Chez toi toute chose est jolie,
Tout est séduisant, tout est beau,
Tout est plein d’amour et de vie,
Tout est coquet, tout est nouveau.

En vain l’on m’arrête,
Chez toi je veux porter mes pas.
Une illusion secrète
Me dit qu’on doit trouver là-bas
La femme idéale et parfaite
Qu’ici l’on ne trouverait pas…

Monde charmant,
Etc.

VLAN.

Il est désespérant.

CAPRICE.

Voyons votre moyen !

VLAN.

C’est vrai, je ne vois rien. Nous sommes ici dans une forge. C’est assez gentil… je ne dis pas le contraire… Mais ce n’est qu’une forge.

MICROSCOPE.

Une forge où l’on a fabriqué la machine qui doit permettre au prince votre fils d’aller dans la lune.

VLAN.

La machine ?… Quelle machine ?

MICROSCOPE.

Oh ! mon Dieu, une machine bien simple… un canon.

VLAN et CAPRICE.

Un canon !

MICROSCOPE.

Un canon qui a vingt lieues de longueur.

VLAN.

Ah ça ! est-ce que par hasard tu voudrais faire partir mon fils en canon ?

MICROSCOPE.

Pourquoi pas ?

VLAN.

Comment ! pourquoi pas ? mais parce qu’on ne part pas en canon… ça n’est pas dans les habitudes.

MICROSCOPE.

Dame, il n’est pas dans les habitudes non plus d’aller dans la lune.

CAPRICE.

Ma foi ! il a raison ! et je veux…

VLAN.

Une minute ! (À Microscope.) Avec quoi chargeras-tu ton canon ?

MICROSCOPE.

Avec de la poudre… 300 mille kilogrammes suffiront, vous comprenez… Nous nous mettrons bien en face de la lune, nous visons, nous mettons au point. On part, et en peu de temps… on est arrivé à destination.

CAPRICE.

Et comment y entre-t-on dans ce canon ?

MICROSCOPE.

J’ai tout prévu. Par une tabatière placée sur la culasse et communiquant avec un obus en acier fondu…

VLAN.

Mais on y étouffera dans cet obus.

MICROSCOPE, à part.

J’y compte bien un peu.

VLAN.

Le petit a raison, on y étouffera.

MICROSCOPE.

Erreur !… au moyen d’un appareil spécial, on pourra renouveler l’air à volonté.

CAPRICE.

Et combien mettra-t-on en route ?

MICROSCOPE.

Dame ! un peu plus, un peu moins… vous le saurez en arrivant… Pour faire quatre-vingt-seize mille sept cents lieues, il faut du temps. (Montrant les forgerons qui traversent la scène en poussant des brouettes chargées de paquets et de colis.) D’abord l’obus contiendra des provisions en quantité suffisante. Vous voyez on est en train de les embarquer, de l’eau, du vin, du pain, du biscuit, de la viande, des saucissons, des jambons, des poires, des pommes, beaucoup de pommes.

VLAN, l’imitant.

Beaucoup de pommes !

MICROSCOPE.

Enfin, il ne manque rien.

VLAN.

Mais, pardon ! En arrivant… au débarcadère… il y aura un tamponnement !

MICROSCOPE.

Dame, ça ne me regarde pas, si vous vous arrêtez aux questions de détail ! Je vous ai promis un moyen d’aller dans la lune, mais il n’a pas été question de tamponner, ou de ne pas tamponner.

CAPRICE.

Il a raison.

VLAN.

Comment ! tu le soutiens ?

CAPRICE.

Certainement et je suis prêt à partir.

VLAN.

En canon, tu es fou ! je m’y oppose. On ne part pas en canon ! Que le canon parte, lui, parfait, c’est son métier, mais toi !…

CAPRICE.

Moi, je partirai aussi…

VLAN.

Voyons, Caprice, je t’en prie !

CAPRICE.

Oh ! non, ma résolution est bien prise !

VLAN.

Eh bien, puisque tu veux partir…je ne veux pas que tu t’en ailles seul.

MICROSCOPE.

C’est d’un bon père. D’ailleurs, j’ai fait préparer tout ce qu’il faut pour le cas où plusieurs personnes…

VLAN.

Plusieurs personnes ! Eh bien, tu vas partir avec lui.

MICROSCOPE.

Hein ?… vous dites…

CAPRICE.

Papa a raison ! De deux choses l’une, ou vous avez une certaine confiance dans votre moyen, et alors, je ne vois pas pourquoi vous hésiteriez à me suivre ; ou vous n’y croyez pas du tout, et alors, il est tout naturel que vous soyez puni de me l’avoir proposé…

MICROSCOPE, vivement.

J’y crois, j’y crois !

CAPRICE.

Eh bien, alors ?

MICROSCOPE, à part.

Pincé !… ma foi, au petit bonheur… (Regardant Vlan.) Toi, tu vas me le payer, attends. (Haut à Vlan.) Vous savez, il y a encore une place.

VLAN.

Tant mieux, vous ne serrez pas trop serrés.

MICROSCOPE.

Pourquoi donc ne viendriez-vous pas avec nous ?

CAPRICE.

Mais c’est vrai, papa… nous t’emmenons.

VLAN.

Permets ! permets. Tu oublies que je suis roi, et les affaires ?…

CAPRICE.

Avec cela qu’elles ne marcheraient pas toutes seules.

MICROSCOPE.

Oh ! bien mieux.

VLAN.

Possible… seulement, il y a autre chose, je me connais, je suis très nerveux, j’aurais le mal de mer.

MICROSCOPE.

Mais vous êtes son père !

CAPRICE.

Tu es mon père et tu ne peux pas me laisser seul courir au-devant d’une mort possible, probable.

VLAN.

Oh ! tu peux dire certaine !

MICROSCOPE.

Non ! probable seulement.

CAPRICE.

Tu vois, tu ne peux pas faire autrement.

VLAN, à part.

Gredin ! va, avec ton invention… (Haut.) Ah ! une idée, si on l’envoyait tout seul en avant pour essayer.

CAPRICE.

Oh ! papa !… Enfin, partons…

MICROSCOPE, à part.

Et cette pauvre Cascadine !… Bah ! j’irai chez elle en revenant de la lune. Oh ! quel éclair ! Du moins comme cela nous ne serons pas tout à fait séparés…

(Il va prendre quelque chose dans un coin de la forge. — Revenant.) Là, je suis prêt ! Tout le monde sur le pont !…

Entrée générale.
VLAN.

Mes enfants, triste nouvelle ! mon fils part !

LE PEUPLE, tristement.

Oh !

VLAN.

Cet imbécile part aussi.

LE PEUPLE, avec joie.

Ah !

VLAN.

Et moi aussi, je pars.

LE PEUPLE, avec enthousiasme.

Vive Vlan !

VLAN, à part.

Jamais je n’ai été si populaire !

MICROSCOPE.

Maintenant au canon !

TOUS.

Au canon !…




QUATRIÈME TABLEAU


LE DÉPART
Le fond de la forge disparaît et découvre un canon gigantesque qui est censé avoir vingt lieues de long, la culasse est praticable et on y parvient par un escalier de fer mobile. — Le canon s’étend à travers la campagne, au-dessus des villes et des villages et va se perdre au sommet d’une montagne élevée.




FINAL
CHŒUR.

En route pour la lune,
Un pareil voyage vraiment
N’est pas chose commune
Et vaut bien le dérangement.

MICROSCOPE.

Qu’on fasse entrer messieurs les artilleurs.

VLAN.

Comment, des artilleurs ?

MICROSCOPE.

Entrez, messieurs les artilleurs.

Arrivée des artilleurs de toutes les tailles.
CHŒUR DES ARTILLEURS.

Nous sommes les artilleurs,
Petits artilleurs,
Moyens artilleurs
Et grands artilleurs,
C’est ici, ce n’est pas ailleurs
Qu’on trouve de vrais artilleurs.

VLAN.

Mais pourquoi faire
Tout cet appareil militaire ?

MICROSCOPE.

Dame, écoutez donc,
Quand on part en canon,
La chose est assez claire,
Au lieu de chauffeurs
Il faut des artilleurs. (Bis.)

TOUS.

Au lieu de chauffeurs
Il faut des artilleurs !


REPRISE DU CHŒUR

Nous sommes les artilleurs,
Etc.

VLAN.

Allons, il n’y a plus à dire non :
En canon, messieurs, en canon !

CAPRICE, VLAN et MICROSCOPE.

Les voyageurs pour la lune, en canon !

VLAN.

Et maintenant,
Ô mon peuple ! en partant,
Au lieu d’un discours assommant
Je ne te dirai qu’un mot seulement.
Souviens-toi de ton bon roi Vlan,
Souviens-t-en, souviens-t-en !
Vlan ! Vlan !
Je suis Vlan,
Etc.

TOUS

Vlan ! Vlan !
Etc.


REPRISE DU REFRAIN DES COUPLETS D’ENTRÉE.
Pendant cette reprise, Caprice, Vlan et Microscope sont entrés dans la tabatière du canon, qui se referme sur eux. — On met le feu. Détonation formidable. — Tous les personnages restés en scène sont renversés.
Rideau.