Le bilan de Boulanger/02/06

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Collectif
La Société des Droits de l’Homme et du Citoyen (p. 9-10).
Le défi d’Anatole de La Forge

Cependant, tout fiers des succès électoraux qu’ils avaient surpris dans deux départements, aux bénéfice de leur chef, les boulangistes prétendaient que Paris aussi leur donnerait la majorité, si on le consultait. Avisé de cette fanfaronnade, le citoyen Anatole de La Forge, député de la Seine et vice-président de la Chambre, adressait aussitôt la lettre qu’on va lire au directeur de l’Intransigeant :

Paris, le 25 avril 1888.
Mon cher Rochefort,

Vous mettez au défi les députés de la Seine de se présenter devant les électeurs afin que ceux-ci puissent se prononcer entre la politique de leurs élus et celle de M. le général Boulanger.

J’accepte votre défi aux conditions suivantes :

1o  M. le général Boulanger lui-même se portera candidat contre moi ;

2o  Il viendra en personne dans les réunions publiques faire connaître et développer son programmes contradictoirement avec le mien ;

3o  M. le général Boulanger prendra l’engagement de répondre nettement à toutes les questions d’ordre politique, économique et social qui lui seront adressés, ainsi qu’à moi pendant la durée de la période électorale ;

4o  Enfin, comme vous vous y êtes engagé ce matin, si j’ai bien compris l’Intransigeant, vous et vos amis politiques payerez les frais de l’élection que ma modeste situation de fortune ne me permet point de prendre à ma charge.

Dans ces condition, je suis prêt à donner ma démission de député de la Seine et à en appeler aux décisions de notre grand juge à tous — le suffrage universel.

Agréez, mon cher Rochefort, la nouvelle assurance de mes meilleurs sentiments personnels.

Anatole de La Forge.

À ce coup droit qui leur était porté par un des hommes les plus respectés et les plus populaires du parti républicain les boulangistes ne répondirent que par un silence piteux. Il paraît que largement pourvus d’un argent anonyme et suspect quant il s’agit d’inonder la provinces d’images et de chansons également grotesques, ils ne se sentaient assez riches d’aucune façon pour gagner le cœur de Paris.



La Ligue des Patriotes

M. Paul Déroulède ayant voulu livrer au général Boulanger, comme une force électorale toute organisée, la Ligue des Patriotes, qui n’avait été fondée que pour préparer les générations nouvelles aux grands efforts moraux et physiques des luttes à venir, une scission importante se produisit aussitôt dans le comité directeur ; tous les républicains sincères et tous les indépendants se retirèrent de la Ligue pour fonder, avec l’unanimité des membres alsaciens-lorrains qu’elle contenait, un nouveau groupe intitulé l’Union patriotique de France. Leur initiative fut saluée dans le pays d’une longue acclamation, à laquelle s’associent la plupart des groupes et comités locaux de Paris et de la province.

La Ligue des Patriotes, tuée par le Boulangisme, est désormais remplacée par l’Union patriotique, qui n’aura jamais rien de commun avec lui.