Le bilan de Boulanger/02/12

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Collectif
La Société des Droits de l’Homme et du Citoyen (p. 28-32).


Les lettres et les dépêches de
M. Boulanger.

Comment mieux terminer cette rapide revue du dossier boulangiste, qu’en reproduisant ici les dépêches-lettres échangées par M. Boulanger avec son ami M. le comte Dillon, au moment où il affirmait au ministre de la Guerre qu’il demeurait étranger à la campagne électorale ouverte sur son nom ? Comment ne citerions-nous pas aussi les lettres de M. Boulanger à son protecteur le duc d’Aumale, au bonapartiste Léandri, au père Hyacinthe Loyson ?

Voici ces curieux documents, que les journaux de la faction ont soigneusement passé sous silence :

1o Le comte Dillon et le général Boulanger.
dépêche du 22 février
Clermont-Paris — 70218 — 22/2/88. 5 h. 30 s.
Général Boulanger, Clermont-Ferrand.

J’ai reçu lettre ; je t’attends. Bombe éclatant bouleverse lesamis de Paris surpris. Le journal Le R… crie trahison ! Ne votez pas, c’est manœuvre d’opportunistes. Les autres amis plus circonspects, quoique effrayés, se sont abstenus et venus prendre des renseignements, disant qu’ils démentiraient ou donnez des instructions.

J’ai répondu : « Du calme, vous aurez instructions demain soir. N’en ai pas aujourd’hui, mais je prends responsabilité de vous dire : Il demeure étranger, mais non indifférent à ce qui se passe. Ses ennemis faisant manœuvre pour l’écraser, nous devons retourner leur ouvrage contre eux en déterminant ovation toute morale dans les sept départements qui ont droit d’exprimer leurs sentiments. Tel est le mot d’ordre, en attendant. » Amitiés.

Dillon.
même jour
Clermont-Paris 73218 22/2/88. 8 h. s
Général Boulanger, Clermont-Ferrand.

L’Enfant de chœur t’a écrit que, vu impression produite ici par candidature sous le patronage des réactionnaires, il est indispensable demander ministre permission désavouer par lettre ceux qui ont usé de ton nom. La campagne pourra être continuée quand même. Les amis pourront dire : « Vous voyez ce qui est arrivé malgré son désaveu. » Tandis que sans désavouer ferrystes pourront dire : « Le résultat prouve que le suffrage universel l’ignore. » Je te résume sa lettre pour te prévenir du mouvement de l’opinion ici.

Dillon.
dépêche du 26 février
Clermont-Ferrand-Paris — 55162/26/2/88. 4 h. 15 s.
Général Boulanger, Clermont-Ferrand.

Reçu lettre, m’y conforme et j’ai déjà procédé dans direction prescrite. Je verrai demain les Bra… des journaux avancés pour effacer moi-même reste de mécontentement et assurer accord pour meilleur parti à tirer des faits accomplis. Je compte même voir R… sauf avis contraire. Je n’ai pas écrit par manque de temps, non parce que je n’ai pas matière à dire. Il nous faut dîner samedi chez Degens. Télégraphie-moi oui, ou donne-moi un autre jour, je te prendrai vendredi. À toi.

Dillon.
réponse du général
Neuilly-Clermont-Ferrand — 117/26/2/88. 7 h. 35 s.
Comte Dillon, 6, boulevard Argenson. Neuilly-s-S.

Reçu ta dépêche impossible pour dîner samedi ; prendrai dimanche si tu veux, dis-le moi. Je viens de t’écrire. Certainement vois R… J’approuve tout. Amitiés.

Georges.
dépêche du 27 février
Clermont-Ferrand-Paris — 37722/27/2/ 88. 7 h. s.
Général Boulanger, Clermont-Ferrand.

J’ai reçu ta dépêche. Sois tranquille. Je ferai nécessaire, et c’est très facile du reste. Lettre suit. Amitiés.

Dillon.
dépêche du 27 février
Paris-Clermont-Ferrand — 80 — 27/2/83. 3 h. 16 s.
Comte Dillon, 53 bis, rue de Châteaudun, Paris.
Ai appris les résultats : très bons. Il faut maintenant travailler fortement la presse et opinion. Amitiés.
Georges.
dépêche du 22 février
Clermont-Paris — 28/2/88. 7. h. 25, s.
Général Boulanger, Clermont-Ferrand.

On dit qu’au conseil des ministres de ce matin, il a été décidé une enquête pour démontrer ta participation aux élections. Je t’en avise. Télégraphie-moi demain réception de ma lettre de ce soir. Son contenu ne pourrait d’ailleurs que présenter les choses à notre gré, mais tenons-nous sur nos gardes. Amitiés.

Dillon.

Lettres de M. Boulanger au duc d’Aumale
Belley, le 3 janvier 1880.
« Monseigneur,

» Je n’ai d’autre appui que celui des généraux sous les ordres desquels j’ai servi.

» Je viens donc vous demander de vouloir bien m’appuyer auprès de la commission de classement dans laquelle, à beaucoup de titres, vous aurez certainement une situation prépondérante.

» Je ne vous parlerai pas de mes services ; vous savez qui je suis.

» Je me permets seulement de vous dire que je me trouve le treizième des colonels d’infanterie proposés à la suite de l’inspection générale, de 1878, pour le grade de général de brigade, et que si les vacances existant aujourd’hui étaient remplies, je serais à peu près le huitième.

» Dans ces conditions j’espère beaucoup, et, comptant sur votre bienveillant intérêt qui m’est si connu, je vous prie, Monseigneur, d’agréer avec la nouvelle expression de ma gratitude, l’assurance de mes sentiments les plus respectueux et les plus dévoués.

» Colonel Boulanger. »
Belley, 13 février 1879.
« Monseigneur,

» Vous quittez le commandement du 7e corps. Permettez-moi de vous dire, au nom des officiers de mon régiment et au mien combien nous sommes peinés de perdre un chef que nous aimons, dans lequel nous avions une si grande confiance.

» Soyez persuadé, Monseigneur, que jamais nous n’oublierons les hautes leçons, les exemples si élevés que vous nous avez donnés, et daignez agréer la nouvelle assurance des respectueux sentiments et de l’inaltérable dévouement de votre obéissant serviteur.

» Colonel Boulanger. »
Belley, le 8 mai 1880.
« Monseigneur,

» C’est vous qui m’avez proposé pour général ; c’est à vous que je dois ma nomination.

» Aussi, en attendant que je puisse le faire de vive voix, à mon passage à Paris, je vous prie d’agréer l’expression de ma vive reconnaissance. Je serai toujours fier d’avoir servi sous un chef tel que vous et béni serait le jour qui me rappellerait sous vos ordres.

» Daignez agréer, Monseigneur, l’assurance de mon profond et plus respectueux dévouement.

» Général Boulanger. »

Lettre à M. Léandri, journaliste bonapartiste
Paris, 25 avril 1888,
« Monsieur,

» J’ai reçu la dépêche que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser et par laquelle vous m’avez fait connaître l’ordre du jour voté à la suite d’une réunion tenue à Ajaccio.

» Cette dépêche résume en quelques mots mon programme politique contre le parlementarisme : pour la patrie et pour le peuple.

» Telle est, en effet ma devise, et je suis heureux de l’approbation des patriotes corses dont vous avez bien voulu vous faire l’interprète.

» J’ai été vivement touché de leur témoignage de sympathie et je vous prie de leur en exprimer toute ma gratitude.

» Veuillez agréer, monsieur, avec tous mes remerciements, l’expression de mes meilleurs sentiments.

» Général Boulanger. »
Lettre au père Hyacinthe
13 avril.
« Monsieur,

» Je regrette vivement de n’avoir pu vous voir lorsque vous vous êtes présenté à l’hôtel du Louvre ; mais je suis jusqu’à un certain point dédommagé par la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire.

» J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le court aperçu que vous me donnez de la façon dont vous comprenez un gouvernement modèle.

» Je suis de votre avis sur bien des points. Il faut un gouvernement fort ; mais ce gouvernement ne doit pas être fort par la crainte qu’il inspire ; il doit l’être par la confiance des masses populaires.

» Le peuple a besoin qu’on s’occupe de lui comme d’un enfant.

» C’est l’attitude charitable et bienveillante à l’égard du peuple qui engendre les réformes et amène le progrès.

» C’est pour avoir méconnu cette attitude et s’être complu dans son égoïsme que le parlementarisme meurt. Je crois que personne ne le regrettera.

» Recevez, monsieur, l’assurance de mes meilleurs sentiments.

» Général Boulanger. »

Restons sur ce dernier trait.

M. Boulanger estime que le peuple est un grand « enfant » dont il faut s’occuper avec bienveillance ! Il veut être « charitable » pour le peuple ! C’est-là une mortelle injure, après tant d’autres, pour la fierté nationale.

Le peuple sait ce que lui réservent ces bons apôtres qui disent ne lui vouloir que du bien et qui ne savent même pas comprendre ses droits et respecter sa dignité.

M. Boulanger n’est à ses yeux qu’un ambitieux vulgaire, sans conviction, sans droiture et sans loyauté.

Il sait enfin ce qu’il y a dans le bilan de César, et il ne s’y laissera plus prendre.


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