Aller au contenu

Le catholicisme en Corée, son origine et ses progrès/3

La bibliothèque libre.

IIIème PARTIE (1867-1911)
Séparateur

L’ÉGLISE DE CORÉE SORT DES CATACOMBES.
LA MOISSON COMMENCE.

§ I. — PREMIÈRES TENTATIVES DES MISSIONNAIRES POUR RENTRER EN CORÉE. (1867-1870)


PERSÉCUTION ET LIBERTÉ RELIGIEUSE. — Le Père Pourthié, dans une lettre datée du 20 Novembre 1865, supputant les chances prochaines et plus ou moins probables de liberté religieuse, exposait comme il suit, avec une sagacité quasi prophétique, la véritable situation des affaires :

« Non, en fait de liberté, je crois que, pour le moment, nous n’avons d’autres démarches à faire qu’auprès du bon Dieu. Il nous faut remettre tout entre ses mains, accepter de bon cœur les difficultés, les périls, les persécutions, comme et quand il plaira à sa divine Majesté, certains qu’elle nous enverra ce qui est le plus selon sa gloire ; que nous faut-il de plus ? D’ailleurs, j’entends dire assez souvent que cette liberté si désirée procure bien des déceptions, et qu’elle n’a fait que changer la nature des difficultés, sans faire avancer la conversion des peuples aussi vite qu’on l’avait espéré. Avec la liberté, entrent les marchands, gens souvent impies et de mœurs scandaleuses, les ministres des diverses sectes, plus dangereux encore. Or, c’est peu de pouvoir dépenser de fortes sommes d’argent à élever de grandes églises en pierre, si une infinité d’âmes destinées à être le temple de l’Esprit-Saint restent toujours sous l’empire du démon ; c’est peu de pouvoir marcher la tête haute dans les rues, si l’on ne peut persuader le cœur d’une population indifférente, souvent même hostile à des étrangers qui l’ont humiliée. Pour nous, nous voici sans églises, offrant le saint sacrifice dans de bien humbles cabanes, ayant pour autel un banc, ou une simple planche ; notre petite croix fixée sur un mur de boue, est le seul ornement qui brille sur l’autel ; de la main, et même trop souvent de la tête, on touche à la voûte de ces oratoires ; la nef, le chœur, les ailes, les tribunes se composent de deux petites chambres dans lesquelles nos chrétiens et nos chrétiennes sont entassés. Néanmoins, en voyant la dévotion, la foi vive et la simplicité avec laquelle ces pauvres gens viennent adorer Jésus pauvre, et lui offrir les mépris, les outrages, les vexations dont ils sont tous les jours victimes, je ne puis m’empêcher de me dire en moi-même : peut-être un jour ces mêmes fidèles s’assembleront dans de grandes et splendides églises, mais y apporteront-ils ce cœur simple, cette âme humiliée et résignée sous la main de Dieu, cet esprit souple qui ne veut connaître la loi de Dieu que pour lui obéir ? Et nous aussi, peut-être un jour, déposerons-nous l’embarrassant habit de deuil, et alors nous pourrons nous dispenser de patauger continuellement dans la boue et la neige, et les aubergistes nous offriront autre chose qu’une soupe aux algues ou du poisson pourri ; mais quand nous arriverons dans nos villages chrétiens, l’or protestant et le mauvais exemple des Européens, marchands ou aventuriers de toute espèce, n’auront-ils pas éclairci les rangs de ces bons catéchumènes, qui maintenant se pressent en foule dans les cabanes qui nous servent d’oratoires ? Cet élan vers notre sainte religion ne disparaîtra-t-il pas, lorsqu’on verra que les actions des chrétiens démentent leur doctrine ? Vous voyez qu’en cette question, comme dans beaucoup d’autres, il y a du pour et du contre, et que le mieux est de se résigner à tout, soit à la persécution, soit à la paix, soit à la liberté, soit aux coups de sabre. Aussi sans pencher ni pour l’un ni pour l’autre, je dis seulement au bon Dieu : fiat voluntas tua ! »


QUE FAUT-IL PENSER DE L’INTERVENTION D’UNE PUISSANCE ÉTRANGÈRE DANS UN PAYS PAÏEN EN FAVEUR DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE ?

Nous avons vu plus haut l’insuccès de l’Amiral Roze. Un des amis de l’Amiral lui ayant exprimé son étonnement de l’insuccès de cette expédition, il répondit « J’ai obtenu ce que je voulais. » Mais jusqu’ici personne n’a pu savoir ce qu’il voulait en réalité, à moins qu’il n’ait voulu détruire la ville ouverte de Kang-hoa, aussi innocente que l’amiral du meurtre des missionnaires. En somme et humainement parlant, il fit trop ou trop peu. Son indécision et ses hésitations, qu’il est permis d’imputer à l’absence d’instructions précises de la part du gouvernement français, ne firent que nuire à la cause qu’il croyait servir. Sans doute il est facile de comprendre que, dans des temps de persécutions sanglantes, quand des chrétientés entières sont noyées dans le sang, les pauvres victimes ne reculent pas devant l’appel à l’intervention d’une force armée en leur faveur. En cas de succès, la liberté religieuse est assurée aux nouveaux convertis, rarement cependant avec des garanties suffisantes ; du moins les missionnaires peuvent se livrer avec moins d’entraves à leur ministère apostolique, néanmoins, même dans cette hypothèse, les avantages de l’immixtion d’une puissance étrangère sont bien problématiques, parce qu’elle fortifie chez les païens la fausse opinion qu’ils se font sur le rôle des missions, en regardant les missionnaires simplement comme des explorateurs chargés de préparer les voies à leur nation, et les chrétiens convertis comme de mauvais citoyens, hostiles à l’indépendance de leur patrie. D’autre part, les relations commerciales, qui sont habituellement la conséquence d’une intervention armée, mettent les nouveaux convertis en relation avec d’autres Européens. Or la grande force des missionnaires repose sur la beauté de la doctrine qu’ils enseignent et sur la conformité de leur vie avec cette doctrine, sur leur désintéressement, leurs vertus poussées jusqu’à l’héroïsme. Mais quand le commerce amène dans le pays d’autres étrangers qui ne sont chrétiens que de nom, dont les mœurs sont parfois suspectes, qui ne respectent ni la religion ni ses ministres ; quand l’or de certaines sociétés vient apprendre aux néophytes que des confessions dissidentes disputent le terrain à la vérité, ces âmes simples sont troublées et leur foi commence à chanceler.

Ces réflexions ne sont pas ici un hors d’œuvre, car elles vont aider à comprendre la période moderne de l’histoire de Corée, en même temps qu’à leur tour elles seront éclairées par les faits précis que nous allons relater. Tout en montrant les progrès incessants de la foi sur cette terre arrosée du sang de tant de martyrs, nous dirons aussi la lutte soutenue ici sous une forme nouvelle par l’Église Catholique. N’est-ce pas, en effet, en tout lieu et en tout temps la destinée de l’Église Catholique d’être sur cette terre en guerre continuelle avec Satan qui, lui, de son côté emploie tour à tour tous les moyens pour entraver l’action divine dans les âmes.


VAINES TENTATIVES DES MISSIONNAIRES POUR RENTRER EN CORÉE. Leur séjour en Chine. — Le Séminaire de Paris en apprenant le martyre de deux Évêques et de sept missionnaires, n’eut qu’une hâte, celle de remplacer au plus tôt les vaillants qui avaient succombé dans l’arène. Trois nouveaux missionnaires furent désignés pour aller prendre leur place, c’étaient les PP. Blanc, Richard et Martineau, qui, partis de Paris en 1867, allèrent rejoindre en Chine les missionnaires survivants. Ceux-ci, les PP. Féron, Calais et Ridel, loin de se décourager, s’efforçaient déjà de trouver le moyen d’entrer en Corée. En attendant l’heure propice, le Père Ridel se livre à Shanghai à des travaux de linguistique, fait l’éducation coréenne de ses nouveaux confrères et se rend au Japon dans l’espoir d’y rencontrer des Coréens naufragés, avec qui il espérait forcer l’entrée de la Corée, mais c’étaient des gens de Quelpaert qui ignoraient complètement les graves événements de Séoul. La prudence ne permit pas au missionnaire de se confier à eux. Le Père Calais, de son côté, s’installe en 1867 en Mandchourie, recevant de Mgr. Verrolles une généreuse hospitalité et essayant déjà une première fois, mais en vain, de rentrer dans sa pauvre Corée. Il est rejoint en 1868 par deux nouveaux missionnaires arrivés de France l’année précédente, les PP. Richard et Martineau, tandis qu’en Juin, le P. Ridel essaie de Tchefou d’entrer en Corée en compagnie du P. Blanc ; mais la tentative reste infructueuse, ils ne peuvent même pas se mettre en route et gagnent la Mandchourie. De son côté, le P. Féron fait, la même année, au mois de mai, sur les côtes Ouest de Corée, et en Juin, du côté de la baie de Posiette, deux tentatives restées sans succès. De retour à Chefou, le Père Féron dut prendre le chemin de France, où, après un séjour d’un an environ, il se fit agréger à la mission de Pondichéry. Son départ mit la direction du Vicariat entre les mains du Père Ridel. À la fin de l’année 1868, nous trouvons réunis en Mandchourie, les PP. Ridel, Calais, Blanc, Richard et Martineau : le P. Ridel, en effet, avait pris soin de convoquer tous ses confrères à une réunion générale, afin de rechercher avec eux quelles mesures il conviendrait de prendre pour l’avenir de la mission. Sans retard, il s’était dirigé vers Tcha-kou, petit village de la Mandchourie que les missionnaires ont baptisé du nom de Notre-Dame des Neiges. C’est là, sur les frontières de la mission, qu’ils attendront désormais l’heure et l’occasion favorables de remplacer les martyrs et de reprendre leurs travaux interrompus. C’est dans cet humble village, encaissé entre deux montagnes, dont les sommets s’élèvent à pic vers le ciel, au milieu des neiges, sur le bord du Sa-heu, glacé par une température de 22 degrés et plus au-dessous de zéro, que se tinrent les assises du second synode de l’Église de Corée. Les séances de la petite assemblée manquèrent d’éclat mais non d’importance. Les règles d’administration que M. Ridel avait déjà rédigées furent examinées en détail et approuvées. On rechercha ensuite les différents moyens d’arriver le plus vite possible au secours des chrétiens, et l’on décida que, dès le printemps, deux missionnaires se présenteraient sur les côtes de la Corée, sous la conduite du chrétien François Kim. Celui-ci débarquera seul et ira aux informations. Si les nouvelles sont bonnes, si elles offrent toutes les garanties exigées par le Conseil, les Pères pourront descendre à leur tour. Le 8 Décembre ils signent un contrat de communauté qu’ils font approuver par Mgr. Verrolles et qui dura jusqu’en 1874. Entre divers travaux de linguistique, les missionnaires continuent à se livrer à l’étude non seulement de la langue coréenne, grâce à quelques chrétiens coréens qu’ils ont avec eux, mais ils apprennent aussi la langue chinoise, ce qui leur permet de s’occuper des chrétiens chinois de N-D. des Neiges, où ils sont installés, voire incidemment d’autres chrétientés. C’est ainsi que nous les voyons non seulement à Tchakou, mais aussi parfois à Yang-mou-lin-tse, qu’ils appellent les Saules ; fréquemment l’un ou l’autre se rend à Yangkoan, la Passe aux Cerfs, ou à Saint Hubert, où habite Mgr. Verrolles.


§ II. — ÉPISCOPATS DE Mgr. RIDEL ET DE Mgr. BLANC.
TRAITÉ DE LA CORÉE AVEC LES PUISSANCES ÉTRANGÈRES.
(1870-1890)


Mgr. RIDEL 6ème VICAIRE APOSTOLIQUE DE CORÉE.MM. Calais et Martineau s’étaient vus avec bonheur choisis pour la périlleuse tentative que le Synode coréen avait décidé. Tandis que ceux-ci se préparaient à cette expédition apostolique, le P. Ridel gagna Chefou. Le 24 Avril 1869 il se trouvait à Shanghai pour y régler plusieurs affaires de la mission, quand il apprend que M. Calais n’avait pu acheter, ni louer de barque pour gagner la Corée. Il retourne à N-D. des Neiges, mais c’est pour y apprendre une douloureuse nouvelle. M. Calais, malade et découragé, venait de s’embarquer pour la France. Que faire ? Fallait-il abandonner la partie ? M. Ridel, loin de reculer, n’hésite pas et quelques jours plus tard, en compagnie du Père Blanc, se confie à la grâce de Dieu et s’embarque pour tenter l’aventure. Mais les deux apôtres ne purent qu’approcher des côtes coréennes et, sans pouvoir s’aboucher avec les chrétiens, durent reprendre le chemin de la Mandchourie. C’est là que, le 18 Juillet, le P. Ridel apprit sa nomination de Vicaire Apostolique. Au commencement de l’année 1870, pour obéir à l’invitation du Souverain Pontife, le nouvel Évêque se mit en route pour prendre part au Concile du Vatican. C’est à Rome qu’il est sacré, le 5 Juin, par le Cardinal de Bonnechose, en présence de nombreux évêques.


L’EXPÉDITION AMÉRICAINE DE 1871.NOUVELLES TENTATIVES DES MISSIONNAIRES POUR ENTRER EN CORÉE. — 1871 ramène Mgr. Ridel en Mandchourie. Les missionnaires purent un moment espérer voir la Corée s’ouvrir aux étrangers. En effet, les années précédentes divers navires des États-Unis, échoués sur les côtes coréennes, ayant été brûlés et leurs équipages massacrés, une petite flottille américaine vint se porter près de l’île de Kang-hoa, afin de négocier un traité pour la protection des naufragés. Or il arriva que le 1er Juin, alors que deux canonnières faisaient des sondages entre l’île et le continent, les coréens ouvrirent le feu sans avertissement. Les canonnières répondirent, et firent taire les forts. L’Amiral Rodgers attendit d’abord des excuses, pensant que c’était une erreur d’officier subalterne. Les excuses ne vinrent pas. Le 10 Juin, il s’empara des forts de l’île de Kang-hoa. On entra en pourparlers, mais rien n’aboutit. Le seul moyen d’imposer un traité eût été sans doute d’aller plus avant dans l’intérieur du pays et de s’emparer de la capitale. N’ayant pas les forces suffisantes, il dut se retirer et tout en resta là. Plusieurs années durant, évêque et missionnaires cherchèrent de nouveau à forcer la dangereuse barrière qui défendait la Corée. Dans une de ces courses, faite avec le P. Blanc en 1875, ils essuyèrent une tempête telle qu’ils purent se croire à leur dernière heure. Ils firent alors un vœu à la Vierge de Lourdes, et purent, sinon aborder en Corée, du moins regagner la Chine. On peut remarquer dans l’une des chapelles de la basilique de Lourdes, un ex-voto en marbre qui rappelle la protection accordée par Marie à l’Évêque et au missionnaire. Enfin, en 1876, la tentative fut plus heureuse, Mgr. Ridel, s’étant mis en route avec les PP. Blanc et Deguette, (ce dernier nouvellement arrivé de France), avait réussi à atteindre en mer le lieu du rendez-vous avec les guides coréens venus à leur rencontre, mais ceux-ci ne voulurent conduire en Corée que les deux missionnaires, prétendant que, pour le moment, la présence de Mgr. Ridel serait plus utile en Chine pour l’église coréenne. L’évêque céda à leurs instances et reprit encore une fois le chemin de la Mandchourie, tandis que ses deux prêtres parvenaient heureusement à mettre les pieds sur le sol coréen et gagnaient en grand secret la Capitale.


Mgr. RIDEL ENTRE à son tour EN CORÉE. Son ARRESTATION et sa LIBÉRATION.Mgr. Ridel n’eut qu’une hâte, celle d’aller rejoindre ses deux missionnaires ; aussi en automne 1877, il prend avec lui les PP. Doucet et Robert arrivés de France en Mandchourie au printemps précédent, et après dix-huit jours de fatigues et de dangers, il aborde heureusement sur la terre coréenne et va s’installer à Séoul. Au Père Robert, il confie le soin de commencer un séminaire ; les autres sont chargés de continuer à relever les ruines accumulées par la persécution et par la longue absence de tout prêtre. Pour lui, il se propose de préparer des livres d’instruction religieuse. Hélas ! au mois de Janvier 1878, un chrétien chargé d’aller en Chine porter les lettres des missionnaires et de l’évêque, fut arrêté. Mis à la torture, il révéla la présence des prêtres, et le 18 Janvier Mgr. Ridel fut appréhendé et jeté en prison. Des satellites furent envoyés dans toutes les directions pour se saisir des missionnaires, mais ils ne purent les découvrir. D’ailleurs bien perplexe était le gouvernement coréen. Il sentait que les temps étaient changés. Déjà en Février 1876, mais à son corps défendant, il avait dû signer à Kanghoa un traité avec les Japonais. Aussi la question se posait pour lui de savoir s’il fallait user des mêmes sévérités qu’autrefois en ce qui regarde les étrangers. Anxieux de savoir ce qu’il fallait faire de l’évêque, il hésitait, lorsqu’en Juin vint de Pékin l’ordre impérial de reconduire en Chine le Prélat. Cet heureux résultat était dû à l’intervention du ministre de France auprès du Tsong-li-yamen. Mgr. Ridel venait à peine de quitter Séoul, reconduit avec honneur jusqu’à la frontière, que le Japon, lui aussi, venait demander sa liberté. Décidément les temps étaient changés ! Et c’étaient des gouvernements païens eux-mêmes qui intervenaient cette fois pour protéger les missionnaires. Malheureusement les chrétiens qui avaient été arrêtés avec l’évêque, ne bénéficièrent pas de ces interventions, et presque tous moururent en prison. Parmi les chrétiens qui donnèrent à cette époque leur vie pour Jésus-Christ, il faut signaler en particulier Tchoi Jean, le vieux maître de maison de Mgr. Ridel. Arrêté avec le Prélat, il mourut de misère en prison, le 14 Juillet. Ce bon serviteur avait fait depuis 1866 plusieurs voyages en Chine, et avait préparé activement la rentrée des missionnaires. Calligraphe habile, c’est lui qui écrivit les caractères coréens, qui servirent de modèles pour la fonte des types mobiles lors de l’impression à Yokohama de la grammaire et du dictionnaire coréen-français, dont il va être question un peu plus bas. Entre ses voyages en Chine, il présidait à la résurrection de l’Église coréenne, encourageant les uns, conseillant les autres, écrivant régulièrement à l’évêque alors en résidence à Tchakou, comme nous l’avons vu, donnant les renseignements les plus circonstanciés sur la pauvre Mission en ruine. Lors de sa mort, un fait curieux se produisit, qui est à relater, étant donné les témoins qui le racontent. Le P. Blanc était alors provicaire. C’était le matin, il venait de se lever, et était en train de mettre ses bas, quand, levant les yeux, il aperçut Tchoi Jean dans un coin de la chambre. Tout impressionné par cette vision, alors qu’il le savait malade en prison, le Père instinctivement ferme les yeux : quand il les rouvrit, il n’y avait plus personne dans la chambre. De suite, la pensée lui vint que le courageux chrétien était mort, et il célébra la messe à son intention. De fait quelque temps après, on apprenait la nouvelle de sa mort. Ce fait est raconté par Mgr. Mutel, lui-même, qui, bien des fois, l’a entendu de la bouche de Mgr. Blanc.


GRAMMAIRE ET DICTIONNAIRE CORÉEN. — Nous avons vu que l’exil forcé des missionnaires en Chine pendant 10 ans avait eu au moins pour résultat de leur permettre, entre deux courses en mer ou aux frontières, de se livrer à un travail sérieux de la langue coréenne. Ils avaient eu avec eux à Shanghai et à Tchakou plusieurs coréens qui leur rendirent de grands services sous ce rapport. Il faut citer surtout Kim François, Tchoi Jean et Kouen Thaddée. Il était temps de publier ces travaux. Le Père Coste qui, dès 1876, avait quitté le service des procures pour se mettre à la disposition de la mission de Corée, avait été chargé par Mgr. Ridel, en 1877, de s’occuper de l’impression d’une grammaire et d’un dictionnaire coréen-français, et dans ce but, était allé s’installer au Japon, à Yokohama. Grâce à son habileté et à son inlassable dévouement, la grammaire put paraître en 1880 et le dictionnaire en 1881, c’étaient les premiers ouvrages européens parus sur la langue coréenne.


ARRESTATION de deux Missionnaires. — L’arrestation de Mgr. Ridel en 1879 avait arrêté pour un temps les travaux des missionnaires, qui avaient dû rechercher dans les montagnes un abri sûr. En automne toutefois, ils s’étaient remis au travail, et le P. Blanc, qui depuis 1876 tenait les pouvoirs de provicaire, avait pris la direction de la Mission. L’hiver s’était passé sans incidents notables, lorsque le 15 mai 1879, le P. Deguette et 14 chrétiens furent tout à coup arrêtés dans le district de Kong-tjyou, grâce à la traîtrise d’un faux frère, et conduits à Séoul. Cette fois, le roi, en apprenant cette arrestation, parut irrité. On lui mettait sur les bras une fâcheuse affaire, où ne manqueraient pas d’intervenir le Japon, la Chine et les autres puissances. C’est ce qui arriva en effet. Le Ministre de France à Pékin, averti de l’arrestation du missionnaire, avait fait d’actives démarches et le 7 Novembre, sur l’ordre de la Chine, le P. Deguette quittait Séoul, reconduit à la frontière du Nord, comme l’année précédente Mgr. Ridel. Trois missionnaires seulement restaient en Corée. Il leur fallait des aides ; ils ne tardèrent pas à arriver. Au printemps 1880, MM. Mutel et Liouville, (le premier en Mandchourie depuis 1877, et le second depuis 1878,) essayèrent une expédition qui échoua, mais en automne, ils se mirent de nouveau en route et réussirent à débarquer le 12 Novembre dans la province du Hoang-hai-to, et s’installèrent à Tjyang-yen. Au mois de Janvier 1881, Mgr. Mutel gagne Paik-tchyen, ville plus rapprochée de Séoul, où il doit se rencontrer avec le P. Robert. Il était encore dans cette région au printemps, lorsqu’une alerte vint l’obliger à gagner Séoul pour s’y cacher. En effet, au mois de Mars, des allées et venues fréquentes autour de la maison où se trouvait le P. Liouville, avaient fait naître des soupçons dans l’esprit des satellites. Ils ne tardèrent pas à l’arrêter. Seulement ils avaient fait la chose sans mandat, et le gouverneur de la province, qu’on était allé prévenir, craignant sans doute une nouvelle affaire désagréable, fit donner l’ordre de rendre la liberté au prisonnier. La chose était nouvelle, et l’étonnement fut grand partout. Les missionnaires avaient enfin, semble-t-il, remporté la victoire, et conquis le sol coréen.

On savait désormais qu’ils étaient en Corée, et on les laissait tranquilles, mais c’est à partir de l’année suivante seulement (1882) que la liberté de pénétrer en Corée s’affirma cette fois d’une manière plus officielle, comme nous allons le voir plus loin.


DERNIER ÉDIT ROYAL
CONTRE LA RELIGION CATHOLIQUE (12 Juin 1881)

Tandis que le gouvernement et le peuple semblaient incliner vers la tolérance et manifestaient même le désir d’établir des relations avec les peuples occidentaux, les lettrés et plusieurs mandarins faisaient de leur côté tous leurs efforts pour continuer cette politique aveugle et égoïste, qui avait tenu depuis toujours le peuple coréen à l’écart des autres nations. Au cours de l’été, les lettrés des huit provinces présentèrent force requêtes contre les Japonais et contre les chrétiens. Le roi, peu porté aux moyens violents, ne voulut pas entrer dans leurs vues. Ceux-ci recommencèrent. À la fin, le gouvernement ennuyé fit prendre les principaux meneurs, un par province, et les envoya en exil ; bien plus, l’un d’entre eux, s’étant montré plus récalcitrant, et ayant même osé accuser le roi et la reine d’être chrétiens, pour sa peine, on lui cassa les dents, et la nuit suivante, il fut condamné à mort.


Mandarin Coréen en costume ordinaire

Toutefois, et c’est bien la manière orientale, pour donner une petite satisfaction aux plus irrités d’entre les lettrés, et aussi leur imposer silence, le roi fit paraître un édit, le 12 Juin 1881, dans lequel, après avoir outragé notre Sainte Religion, et avoué l’impuissance de ses prédécesseurs à l’anéantir, il indiqua, comme seul moyen de la faire disparaître, de s’appliquer de plus en plus à suivre la doctrine de Confucius, et « l’erreur, dit-il, tombera d’elle-même. » En même temps, il défendait au préfet de police d’inquiéter les chrétiens. En vérité les temps étaient changés.


Le Roi de Corée et le Prince royal


LES TRAITÉS ENTRE LA CORÉE ET LES PUISSANCES ÉTRANGÈRES. — L’expédition française de 1866, et l’expédition américaine de 1871, n’avaient pas réussi à ouvrir la Corée. Le Japon commença, nous l’avons vu, à lui imposer, en Février 1876, le traité de Kang-hoa, et de ce fait les Japonais s’introduisirent peu à peu dans le pays, à Séoul surtout.

En 1882, le 22 Mai, ce fut le tour des États-Unis de signer un traité avec la Corée. Sur ce, l’Angleterre et l’Allemagne entamaient des négociations, imitées en cela par la France et les autres puissances, les années suivantes. Mais ces négociations n’étaient pas du goût de bien des coréens : c’était, en particulier, la faillite de la politique du fameux Tai-ouen-koun. Celui-ci, furieux, essaya d’une révolution contre le roi et les Japonais. (Juillet 1882) Mal lui en prit ; le Japon le prit de haut, et voulut s’en venger. Les coréens, pour échapper aux horreurs d’une guerre, ne purent que faire de plates excuses et ils signèrent un nouveau traité bien dur pour leur orgueil. Désormais les troupes japonaises auraient droit de résider à Séoul. Cette clause du traité surtout mit les Chinois en fureur. Ils ne pardonnèrent pas au régent de n’avoir pas réussi dans sa tentative, et un beau jour d’automne, ils attirent le Régent dans leur camp et l’emmènent en Chine à Paoting-fou, où il subit un exil de plusieurs années, avant qu’il lui fût permis de revenir en Corée. Les païens eux-mêmes n’ont pas manqué de voir en tous ces événements une punition du ciel, qui vengeait le sang de milliers d’innocents tombés jadis sous les coups du bourreau sur l’ordre de ce fameux Tai-ouen-koun.

L’ouverture de la Corée par les traités fut le signal de l’entrée du Protestantisme dans la Péninsule coréenne. Jusqu’alors, les ministres de l’erreur ne s’étaient pas risqués à pénétrer dans le Royaume Ermite, et pour cause. Ils ne tardèrent pas à rattraper le temps perdu. Le P. Pourthié avait vu juste en 1866 en redoutant cette concurrence. Elle va se montrer bientôt puissante, et le tableau publié à la fin de cette étude montrera les résultats obtenus ici en 40 ans par les Protestants.


Mgr. BLANC, 7ème VICAIRE APOSTOLIQUE DE CORÉE. — En l’année 1882, le Père Blanc, qui déjà était provicaire, fut nommé Évêque-Coadjuteur de Mgr. Ridel. Celui-ci, en effet, ne pouvait de son lieu d’exil gouverner directement l’Église de Corée. De plus, brisé par les travaux apostoliques, malade, frappé en 1881 d’une première attaque d’apoplexie, il avait dû gagner la France où il ne tarda pas à mourir en 1884. De ce fait, Mgr. Blanc lui succédait de plein droit. Le nouveau Vicaire Apostolique donna d’abord tous ses soins à l’œuvre si importante du Clergé indigène. Déjà, vingt élèves avaient pu être envoyés en cachette au Collège Général de Pinang. Mais, voulant donner à cette œuvre un plus grand développement, l’évêque fonda dans son Vicariat un petit séminaire où pourraient être préparés d’autres élèves. Le 21 Septembre 1887, Mgr. Blanc promulgua le Directoire de la Mission, sorte de coutumier composé surtout des notes laissées par Mgr. Ridel, augmenté d’un extrait du Synode du Sutchuen. Mgr. Ridel, depuis son retour du Concile du Vatican, avait toujours rêvé de pouvoir consacrer solennellement la Corée au Sacré-Cœur de Jésus. Ce que le vaillant prélat n’avait pu faire, son successeur s’empressa de l’accomplir, et le 8 Juin 1888, le Vicariat Apostolique de Corée fut consacré au Divin Cœur de Jésus. Déjà depuis deux ans, la France avait signé un traité avec le gouvernement coréen, désormais tous les espoirs étaient permis. Cette même année 1888, les Sœurs de Saint Paul de Chartres firent leur entrée à Séoul. Ces vaillantes religieuses purent aussitôt fonder une maison à la capitale, et prendre la direction de l’orphelinat installé depuis plusieurs années déjà par les missionnaires. Ceux-ci, de leur côté, profitant du traité, peuvent enfin abandonner les vêtements de deuil coréen qui jusqu’alors les avaient dérobés à la vue des indiscrets, et se montrer peu à peu partout en habit ecclésiastique. L’imprimerie de la mission, que le Père Coste, après un séjour de deux ans à Yokohama, avait établie à Nagasaki depuis plusieurs années, fut transférée à Séoul et put continuer un travail sérieux et fécond en résultats. Il s’agissait maintenant de construire des églises, car la vie des catacombes était finie pour les chrétiens coréens. À Séoul un emplacement superbe, dominant la ville avait pu être acheté, non sans peine. Le gouvernement coréen essaya bien de s’opposer à cette installation, mais après de longs pourparlers, les droits de l’évêque furent reconnus et le 2 Février 1890, Mgr. Blanc put célébrer en l’honneur de la Sainte Vierge une messe solennelle d’actions de grâce pour la remercier de l’heureuse issue de cette affaire. Hélas ! il n’eut pas longtemps à jouir des heureux résultats de ses travaux. Quelques jours plus tard, il tombait malade et le 21 du même mois, il s’éteignait au milieu de ses missionnaires.


§ III. — Mgr. MUTEL, Vicaire Apostolique de Corée.
(1890) LA MOISSON.
ÉTAT DE L’ÉGLISE DE CORÉE EN 1890.


Le nombre des Catholiques, à la mort de Mgr. Blanc, était de 17 577 et le nombre des missionnaires de 22. Aucun prêtre indigène n’avait encore été ordonné, mais une quarantaine de séminaristes se préparaient au sacerdoce, soit à Pinang, soit en Corée. Aucune église n’avait pu encore être construite. Mais elles ne vont pas tarder à s’élever et à prêcher aux païens le nom du Seigneur du Ciel. On comptait alors 319 chrétientés. Chaque année une moyenne d’un millier d’adultes païens recevaient le baptême : aussi ne tarderons-nous pas à voir l’Église de Corée grandir et s’embellir. Malheureusement à côté de la vérité, l’erreur peut s’introduire désormais, et c’est le nouvel obstacle que vont rencontrer les missionnaires, en attendant que les Japonais viennent par leur civilisation matérialiste en créer encore un nouveau.


Mgr. MUTEL, 8ème VICAIRE APOSTOLIQUE DE CORÉE. — Le successeur de Mgr. Blanc fut le P. Mutel qui, dès l’année 1885, avait été rappelé à Paris comme Délégué des Missions du Japon, de Corée et de Mandchourie ; il fut sacré par le Cardinal Richard, de sainte mémoire, dans l’église du Séminaire des Missions Étrangères de Paris, le 21 Septembre 1890, jour anniversaire de la mort glorieuse de Mgr. Imbert et des Pères Maubant et Chastan. Mgr. Blanc avait pris pour devise : « Albæ ad messem. » Le nouveau Pontife reçoit du vénérable Père Delpech une devise qui devait être comme la prophétie du long pontificat qui, grâce à Dieu, dure encore : « Florete, flores Martyrum, » lit-on sur son blason. En vérité, elles ont fleuri, ces fleurs ! Les pages suivantes vont le redire en partie du moins, car il serait trop long de raconter dans cette simple brochure tout ce que furent les années qui vont suivre.

Séditions de 1891. Guerre SINO-JAPONAISE de 1894.

Mgr. Mutel arrive en Corée dans les premiers jours de l’année 1891. À cette époque la péninsule est troublée par des séditions. Une secte, fondée une trentaine d’années auparavant sous le nom de Tonghak ou religion de l’Est, ne rêvait pour le moment qu’une chose ; chasser les étrangers du pays. De là, en 1891 et années suivantes, des troubles dans les diverses provinces. Les Chinois et les Japonais voulurent se mêler des affaires coréennes et bientôt la guerre éclata entre le Japon et la Chine.

Les chrétiens par milliers eurent beaucoup à souffrir en divers lieux, et durent chercher leur salut dans la fuite. La situation des missionnaires du Sud-Ouest surtout devint bientôt intolérable. Le 24 Juillet, Mgr. Mutel reçut d’eux la dépêche suivante : « Missionnaires et chrétiens nous allons tous mourir. » Il leur fut répondu, ou de fuir ou de venir se réfugier à Séoul. Le P. Jozeau, le plus menacé de tous, se mit en route pour la capitale. Le 29 Juillet, il rencontrait près de Kong-tjyou l’avant-garde de l’armée chinoise que les Japonais avaient battue. Le général le fit arrêter et exécuter par ses soldats. Les deux missionnaires du Tjyen-la-to, les PP. Baudounet et Villemot purent s’échapper à temps, mais ils coururent pendant six semaines les plus grands dangers. Un bateau de guerre français, « L’Inconstant, » fut envoyé à leur secours, mais quand les prêtres avertis purent arriver à la côte, la date du rendez-vous était passée depuis quelques jours et le bateau était reparti dans une autre direction. Les deux missionnaires néanmoins réussirent à gagner Séoul, où ils arrivèrent exténués de fatigue, ayant fait une partie de la route en barque, et 40 lieues à pied. Par prudence tous les autres missionnaires de l’intérieur furent rappelés eux aussi à la Capitale pour un certain temps.

TRAVAUX DES MISSIONNAIRES ET PROGRÈS DE L’ÉVANGÉLISATION.

1o SÉOUL. — Malgré ces séditions, malgré la guerre et les troubles qui s’en suivirent, malgré les événements qui en furent la conséquence, les Missionnaires purent néanmoins travailler efficacement dans le champ du Seigneur, jadis ravagé. À Ryongsan, près de Séoul, un séminaire avait été construit en 1891, non loin du lieu des supplices, où autrefois missionnaires et chrétiens avaient confessé Jésus-Christ. Dans les faubourgs de Séoul, à Yak-hyen, une première église en briques fut édifiée par le P. Doucet, sur les plans du P. Coste, et solennellement bénite en 1893. La Princesse Min, mère du Roi, épouse du fameux Tai-ouen-koun (Régent du royaume) et catéchumène depuis le temps de la persécution, fut baptisée en secret à Séoul par Mgr. Mutel et reçut le nom de Marie.


Séminaire de Ryongsan, près Séoul

Bientôt l’Église Cathédrale, commencée par le P. Coste et finie par le P. Poisnel, s’éleva sur l’endroit tant disputé jadis par le gouvernement coréen et put être solennellement consacrée en 1898, au milieu de milliers de chrétiens accourus de tous côtés, en présence aussi des ministres coréens et des représentants des Puissances étrangères. La même année mourut le Régent ainsi que son épouse, la Princesse Marie. Ce célèbre persécuteur de la religion catholique était depuis longtemps déjà troublé, et pris de remords, au souvenir de ses anciennes tueries. Il est même certain qu’il fit offrir, par l’entremise des bonzes, des sacrifices aux âmes des chrétiens mis à mort depuis 1866, « afin, dit-on, de consoler ces pauvres âmes du regret qu’elles ont dû éprouver de quitter ainsi la vie. » C’était déclarer publiquement que les chrétiens étaient innocents, qu’on ne pouvait leur reprocher aucun crime.


Cathédrale de Séoul


Tombeau du régent et de la princesse Min Marie
(Ce tombeau était situé à une demi-lieue de Séoul. Depuis quelques années, les restes du prince et de la princesse ont été transportés ailleurs.)


2o DANS LES PROVINCES. — Tout est en train de s’organiser désormais, on profite des demi-libertés concédées si parcimonieusement par les traités. Mgr. Mutel, prêchant d’exemple, et infatigable dans ses courses apostoliques, parcourt annuellement une partie ou l’autre de son immense vicariat. Il n’y avait pas alors de chemin de fer, pas de routes, rien que des pistes muletières, étroites et peu ou point entretenues. Les voyages étaient longs, peu rapides, il fallait dix ou quinze jours à cheval pour gagner certains districts éloignés. Peu importe, le vaillant Vicaire Apostolique voit en détail, non seulement les résidences de ses prêtres, mais toutes les stations chrétiennes sans en omettre une seule, se montrant ainsi à tous les chrétiens, heureux de pouvoir enfin recevoir leur Évêque en grande pompe et au grand jour, sans avoir comme jadis à se cacher des païens. Encore une fois l’Église triomphait et le Christ régnait en Corée. Les postes de missionnaires commencent à se fonder et à se multiplier. Avant 1890 aucune résidence fixe n’existait à l’intérieur du pays. Les missionnaires stationnaient ici ou là, évitant les villes, se cachant surtout dans de profondes vallées, habitées seulement par des catholiques. Insensiblement le régime de liberté s’accentuant, ils purent sortir de l’ombre eux aussi. C’est ainsi, que pour ne parler que des centres les plus importants, Chemoulpo se fonda en 1890. En cette même année le Père Robert s’implante, mais non sans peine, dans la ville importante de Tai-kou. En effet, il avait été un beau jour chassé de cette ville par la populace, mais y avait été ramené ensuite de Séoul solennellement, escorté d’une garde d’honneur et ce par ordre du Gouvernement central. En 1890 aussi le P. Jozeau fixe sa résidence à Fousan, et en 1891, le P. Baudonnet s’établit à Tjyen-tjyou, tandis que dans le Nord, à Hpyeng-yang, où le P. Poisnel avait déjà séjourné un an en 1884-1885, le P. Legendre s’installe définitivement en 1895, et y est remplacé par le P. Le Merre en 1898. Peu à peu, ici ou là, mais timidement d’abord pour ne pas éveiller la susceptibilité des autorités provinciales, toujours très défiantes malgré tout, des chapelles de style coréen surgissent du sol. Je dis timidement, car le séjour des missionnaires à l’intérieur du pays n’est pas permis par les traités, si on prend ceux-ci à la lettre. En effet, sauf les villes de Séoul et Yanghoatjin, et les ports de Chemoulpo, Wonsan et Fousan avec une zone de dix lis autour de ces localités, où l’achat de terrains et la construction d’édifices étaient permis aux étrangers, en même temps que leur était concédé le libre exercice de leur religion, il n’était permis à personne de se fixer à demeure dans l’intérieur du pays. Pour voyager dans toutes les parties du territoire coréen, il fallait être muni de passeport et encore n’y pouvait-on « ouvrir des magasins, ni créer des établissements commerciaux permanents. » C’est sous le seul couvert de ces clauses de plus en plus toutefois libéralement interprétées que les missionnaires purent peu à peu se montrer au grand jour dans tout le pays. Comme on peut le voir, on était encore loin de la liberté religieuse absolue. Aussi les résidences possédées en province par les missionnaires étaient-elles mises toutes sous le nom d’un catholique coréen. Il fallut 1904 et l’arrivée des Japonais pour que l’on puisse se hasarder à construire des églises de style européen en dehors de la capitale et des ports ouverts. Et ce ne fut qu’en 1910, lors de l’annexion de la Corée au Japon, que la liberté religieuse fut proclamée d’une façon officielle par toute la péninsule. Malgré ces incertitudes des traités, non seulement les résidences se fondent, non seulement les districts se multiplient surtout dans le Tchyoung-tchyeng-to, le Kang-ouen-to, et Kyeng-keui-to ; mais aussi, grâce d’un côté à l’arrivée de plus nombreux ouvriers apostoliques, grâce aussi aux prêtres coréens qu’à partir de 1896 commence à fournir le séminaire de Ryongsan, le champ d’action s’élargit et la bonne nouvelle est portée dans des régions jusqu’alors inabordées.


À Katteungri, près de Syou-ouen, Résidence d’un missionnaire
(Maison coréenne.)


3oKANTO (en territoire chinois). — Nous voyons dès lors le P. Bret, installé à Wonsan en 1894, prendre contact de là avec une région située aux confins Nord-Est de la Corée, sur les bords du Touman, région dite du Kanto, (Chientao) et que les Chinois et Coréens se disputent depuis longtemps. Un jour de 1896, un païen de cette région, poussé par un secret désir de connaître ce qu’était la religion catholique dont il venait d’entendre parler, entreprend de faire le voyage de Séoul, afin de s’éclairer. Arrivé à Ouensan (Wonsan), il y rencontre des chrétiens, un missionnaire. On le reçoit, on l’instruit. Deux mois après, il est baptisé et peut retourner dans son pays, où il va annoncer à son tour la bonne nouvelle. Un an après, plus de cent catéchumènes étaient prêts au baptême dans cette lointaine région. Le P. Bret ne veut pas laisser passer si bonne occasion et se met en expédition en automne 1897, car c’est une véritable expédition, que ce voyage de treize cents lis, rien que pour aller de Wonsan au Touman. Néanmoins, sauf une fois durant la guerre russo-japonaise, le P. Bret la renouvelle chaque année, jusqu’en 1908, année de sa mort. À cette époque, on compte au Kanto plusieurs milliers de catholiques, et aujourd’hui ils sont près de dix mille. En 1909, deux résidences de missionnaires furent fondées dans cette région, et les premiers titulaires furent le P. Curlier, à Ryong-tjyeng-tchon, et le P. Larribeau à Sam-ouen-pong. L’année suivante, le P. Tchoi Pierre, prêtre coréen, y fut aussi envoyé pour fonder la résidence de Tjyo-yang-ha.


4oQUELPAERT. (Massacres de chrétiens) — Si nous passons maintenant au Sud de la Corée, nous y trouvons une grande île, que les géographes européens appellent Quelpaert et que les Coréens nomment Tjyei-tjyou. C’est le P. Peynet, en 1899, puis le P. Lacrouts en 1900, qui se dévouent pour aller prêcher l’évangile à ces insulaires. Les catéchumènes furent bientôt nombreux. Au printemps 1901, on comptait déjà 242 baptêmes et 700 catéchumènes. Ceci ne pouvait durer, et le démon s’en vengea d’autant plus qu’il régnait en maître dans cette île particulièrement superstitieuse. Les sorciers, en effet, voyant leurs clients passer à la religion catholique, répandirent sur elle les calomnies et mensonges habituels. D’autre part un collecteur d’impôts, venu de Séoul, lever de nouveaux impôts, avait attiré sur lui la colère du peuple. Sentant naître un mouvement insurrectionnel, le très prudent percepteur se hâta de regagner le continent. Le peuple excité se tourna alors contre les chrétiens. On les pourchassa, ils se réunirent à la ville de Tjyei-tjyou près des missionnaires, les PP. Lacrouts et Mousset. La ville fut cernée par l’émeute. Il fallut se défendre, mais les mandarins pactisèrent bientôt avec l’ennemi, firent ouvrir les portes de la ville et le massacre des chrétiens commença. Cinq à six cents furent ainsi mis à mort. Les deux missionnaires, réfugiés au mandarinat, étaient loin d’être en sécurité, quand le trente et un Mai deux navires français, la « Surprise » et « l’Alouette », envoyés par l’Amiral Pottier, vinrent leur apporter secours et délivrance.


Grand’place de Quelpaert, où eut lieu le massacre de 1901
(Le grand bâtiment délabré qu’on aperçoit au centre est la « Maison Commune » de la ville de Tjyeitjyou)


5oHPYENG-AN-TO et HOANG-HAI-TO. — Enfin si nous jetons les yeux sur le Nord-Ouest de la Mission, nous y trouvons de nouveaux progrès dans le Hpyeng-an-to et le Hoang-hai-to. Dans cette dernière province toutefois le résultat final fut loin de correspondre aux espérances du début. L’année 1897 et les suivantes avaient dans cette région donné de nombreux baptêmes. Le mouvement vers la religion catholique paraissait superbe. Malheureusement, il y eut parmi ces nombreuses conversions un tel mélange d’éléments humains et de vues de foi, que les missionnaires eux-mêmes eurent peine à distinguer de suite l’ivraie au milieu du bon grain. Toujours est-il que des circonstances assez complexes dans leurs causes vinrent bientôt changer le cours heureux des choses et jeter le trouble dans ces chrétientés naissantes. Ce furent tout à la fois l’imprudence de certains néophytes, faisant montre d’un prosélytisme intempestif, l’entrée de certains éléments malsains parmi les fidèles, une action sourde et un mauvais vouloir mal déguisé de l’autorité coréenne à l’égard de la religion catholique, la haine des païens, des démêlés entre catholiques et protestants, démêlés auxquels se mêlèrent ensuite les pasteurs américains eux-mêmes, qui trouvaient depuis longtemps bien dure la concurrence à eux faite par notre propagande. Des catholiques furent arrêtés, battus, emprisonnés. Les catéchistes et les chrétiens influents furent recherchés. Des villages entiers furent dispersés et leurs biens pillés. C’était une vraie persécution, car on offrait liberté et sauf-conduit à ceux qui voulaient apostasier. Le résultat fut que quatre missionnaires sur huit durent céder momentanément à l’orage et quitter la province, car c’était aussi à eux qu’on en voulait. (1903) Un moment on put tout craindre, vu la tournure que prenaient les événements. Puis le calme se fit peu à peu. Mais que de défections eurent à constater les ouvriers apostoliques, lorsqu’ils purent retourner à leur poste ! Quoiqu’il en soit de cet insuccès relatif, que nous signalons dans cette province du Hoang-hai-to, malgré aussi les révoltes fréquentes de rebelles qui s’attaquaient aussi bien aux étrangers, malgré les complots ourdis ici ou là dans d’autres régions contre les néophytes, malgré les voies de fait, les violences, dont chaque année un missionnaire ou un autre est la victime, et nonobstant le temps perdu en démarches pour obtenir justice et réparations, on peut dire que la poignée d’apôtres qui se partageaient alors le sol coréen a fait du bon travail. Dans toutes les provinces, l’Église catholique gagne peu à peu du terrain, les catéchumènes sont plus nombreux à cette époque, et de vieux chrétiens, qui s’étaient encore tenus cachés et éloignés de la religion soit par peur, soit par un mariage conclu contre les règles de l’Église, reviennent chaque année au bercail. C’est vraiment l’époque de la grande moisson. Aussi alors qu’en 1876, on compte à peine 10 000 fidèles, l’année 1900 compte déjà 24 000 chrétiens, et l’exercice 1910-1911 se clôt avec le chiffre de 77 000.


LA GUERRE RUSSO-JAPONAISE. Le PROTECTORAT JAPONAIS en CORÉE. — Après la victoire des Japonais sur la Chine, en 1894, la vassalité de la Corée envers la Chine avait pris fin, ébranlée qu’elle était déjà depuis les traités conclus avec les Puissances Étrangères. En Octobre 1895, la reine Min est assassinée. Elle avait eu le grand tort de s’opposer à la politique japonaise. Le roi de Corée, espérant sans doute échapper à l’emprise du Japon victorieux, avait cherché refuge en 1896 à la légation de Russie, où il resta de longs mois. En Octobre de cette même année, il crut affermir son pouvoir et l’indépendance de son royaume en se proclamant Empereur de Taihan, (le Grand Han, nom nouveau donné à la Corée en souvenir des anciennes tribus des Sinhan, Pyenhan et Mahan) Mais ce nouvel empire ne devait être qu’éphémère. Petit pays, situé entre 2 empires puissants, voisins et rivaux, il était destiné à devenir la proie de l’un ou de l’autre. En effet, la rivalité née jadis entre japonais et chinois et qui avait été la cause de la guerre de 1894, ne tarda pas à poindre cette fois et pour les mêmes causes entre Russes et Japonais. Tout le monde a suivi et connaît les péripéties de cette lutte et son issue. Les Russes vaincus dans la campagne de Mandchourie, ont néanmoins remporté un succès diplomatique à Portsmouth, en réussissant à ne payer aucune indemnité de guerre, mais ce fut la malheureuse Corée qui en supporta les conséquences. N’était-elle pas d’ailleurs l’enjeu de cette guerre ? Ainsi perdit-elle son indépendance. C’était fatal. Les Russes auraient été victorieux, qu’elle eût passé sous leur domination. Ceux-ci ne s’en cachaient pas du reste. Le protectorat japonais fut donc proclamé en Corée le 18 Novembre 1905. Et puis en 1907, comme l’empereur Coréen en tutelle ne se montrait pas assez souple aux directions japonaises, on lui imposa l’abdication. Son fils le remplaça sur le trône, mais ce ne fut pas pour longtemps. En 1910, en effet, l’empire coréen était annexé purement et simplement au Japon et l’empereur relégué au fond de son palais, fut rangé ainsi que sa famille parmi les princes de la famille impériale du Japon, avec les titres de roi pour lui et de princes pour ses proches parents.

Mais que devenait la Mission catholique durant ces années de guerre et de troubles ? Grâce à Dieu, les catholiques n’eurent pas plus à souffrir que leurs compatriotes païens, et les missionnaires purent continuer leurs travaux dans un calme relatif et sans être inquiétés personnellement. Avec l’entrée définitive des Japonais, entrée consacrée par le traité de Portsmouth, c’était un changement radical dans la situation politique de la péninsule. Ceci ne fut pas sans créer durant plusieurs années des troubles assez graves en plusieurs provinces, un certain malaise partout. Chacun, selon ses préférences, ou ses espérances, se crut mission de conduire le pays. Quantité d’associations diverses surgirent de tous côtés. Les membres des unes, sous le titre de conservateurs, soldats de la justice, etc. étaient pour le maintien de l’ancien état de choses ; d’où lutte ouverte contre les Japonais durant plusieurs années. Les membres des autres sociétés, sous le titre de progressistes, néo-Bouddhistes, Éducationistes, Doctrinaires du Ciel luttaient au contraire pour amener le pays à des réformes radicales soit dans l’administration, soit dans les méthodes d’éducation, ou imposer leurs rêveries comme religion nationale, seule capable de sauver le pays. À noter aussi durant cette période l’acharnement de la propagande protestante, avec des ressources illimitées et l’emploi de tous les moyens possibles pour la faire réussir. Tantôt les pasteurs anglais ou américains vantaient les bonnes relations de leur pays avec le Japon, ce qui leur permettait de faire espérer à leurs adeptes la bienveillance du Protectorat. Tantôt, au contraire, ils continuaient à se servir d’un leit-motiv déjà employé avant la guerre et qu’ils employèrent longtemps encore dans la suite : « Faites vous protestants, si vous ne voulez pas devenir Japonais. Vous trouverez l’Amérique derrière vous ». Tantôt, là surtout où il y avait des catholiques, ils lançaient contre l’Église des accusations cent fois réfutées ailleurs. N’allaient-ils pas jusqu’à faire croire qu’en Amérique la religion catholique est chose inconnue et qu’il n’y a que des protestants, que d’ailleurs le catholicisme a fait son temps et qu’il a cessé partout d’avoir quelque valeur.


FONDATION À SÉOUL D’UN MONASTÈRE BÉNÉDICTIN. (1909) — Ce serait le lieu ici de parler de la fondation à Séoul du Monastère St. Benoît par les Moines Bénédictins de Ste. Odile de Bavière, puisque c’est durant cette période que ces missionnaires sont arrivés en Corée, mais dans le but de mieux grouper les œuvres de chaque congrégation travaillant au salut du peuple coréen, nous renvoyons le lecteur au §. III de la IVe partie. (Vicariat Apostolique de Wonsan.)


La procession du St. Sacrement
au monastère St. Benoit à Séoul, le jour de la Fête-Dieu