Le chant de la paix/I

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Joseph Labarre
(p. 2-4).

CHAPITRE 1er

AU CHÂTEAU DE LA ROCHE-BRUNE


Des allées somptueuses qu’ombrageaient des arbres gigantesques, des fleurs de toutes les nuances s’étalaient dans le jardin merveilleux que l’on surnommait pour cela : « Le paradis des fleurs ».

On apercevait, au travers de ces feuillages, le magnifique château de la Roche-Brune, qui abritait deux nobles châtelains ainsi que leur fille unique, la Baronne de Castel. Cette dernière, jeune veuve d’une beauté ravissante, avait, malgré sa jeunesse, déjà beaucoup souffert ; mais, aussi bonne que jolie, elle avait pu sans faiblir, gravir son douloureux calvaire en puisant dans son amour, la force de supporter son mari, injustement jaloux, rendu encore plus insupportable par la maladie. Peu à peu, le temps puis l’affection d’un père et d’une mère, avaient cicatrisé la blessure faite à son cœur. Là dans ce château, au milieu des fleurs qu’elle adorait, elle semblait avoir complètement oublié l’amertume de ce triste passé. Un jour, qu’elle se promenait dans les allées de ce jardin, son attention fut attirée par les cris d’une fillette que l’on semblait maltraiter. Il lui était impossible de savoir où se passait le drame, car une haute muraille entourait le Jardin du château. Profondément inquiète, sans plus d’hésitation, elle sortit du jardin pour se diriger vers l’endroit d’où semblaient venir les plaintes. Un spectacle douloureux s’offrit à ses yeux. Une fillette couverte de haillons, la figure ensanglantée, gisait sur le sol ; la pauvre enfant était évanouie. La baronne avait dès l’instant, deviné par l’attitude menaçante des enfants qui l’entouraient, ce qui avait pu se passer, et justement indignée elle leur dit :

— Malheureux enfants sans pitié, que vous a donc fait cette pauvre petite pour que vous la maltraitiez ainsi ? Ne savez-vous pas que c’est mal d’agir de la sorte ?…

— Mais, s’écria l’un d’eux !… vous ignorez sans doute madame, que c’est une mendiante, une voleuse. Vraiment, personne ne peut avoir pitié d’une aussi monstrueuse laideur : approchez-vous de plus près, et lorsque vous aurez jugé par vous-même, vous vous apercevrez que nous paraissons plus blâmables que nous le sommes en réalité.

— Oh ! Dieu, quelle horreur, se dit la baronne, jamais je n’aurais cru qu’il pouvait y avoir, dans d’aussi jeunes cœurs, autant de méchanceté. Sans plus écouter ces discours qui n’avaient rien de noble, elle prit dans ses bras l’enfant inanimé, franchit la porte du jardin qu’elle referma, puis disparut dans les ailées ombragées du château.

L’acte charitable de la grande dame éveilla le remords dans l’âme des jeunes et misérables agresseurs qui reprirent en toute hâte la route qui les conduisait à leur village.

Rentrée au château, la baronne déposa l’enfant sur un lit, et là, avec une tendresse toute maternelle, elle pansa les blessures de la pauvre petite qui ne tarda pas à reprendre ses sens. Voyant cette belle dame qui la regardait avec pitié et tendresse elle se crut le jouet d’un rêve, mais fut vite rappelée à la réalité par la douleur que lut faisaient ressentir les nombreuses blessures qu’on lui avait si méchamment infligées quand elle voulut fuir sur la route.

Voyant le regard Interrogateur de la fillette se poser de nouveau sur elle, la baronne comprit dès l’instant ce qui se passait dans son esprit, s’en approchant, très doucement, elle lui dit :

— Ne crains rien, ma petite, tout danger a disparu pour toi ; tu es ici au château de la Roche-Brune, et sous ma protection aucun mal ne te sera fait crois-moi bien

À ces mots, l’enfant sentit une grande joie l’envahir, dans un élan de son cœur reconnaissant, elle s’écria :

— Merci madame, jamais je n’oublierai vos bontés ; je retrouve en vous le cœur de ma mère et je suis sûre que c’est elle, qui du haut des cieux vous a guidée vers moi, soyez assuré que Dieu ne laissera pas votre charité sans récompense.

L’esprit ouvert de l’enfant surprit la baronne. Ce fut avec un intérêt croissant, qu’elle écouta sa lamentable histoire. Orpheline, seule au monde et d’une constitution délicate, qui lui donnait l’apparence d’un enfant très Jeune malgré ses quinze ans accomplis, il lui avait, fallu après la mort de sa mère quitter son village natal, pour chercher asile chez une parente riche qui demeurait aux environ du Paris, mais la fatalité voulut qu’au lieu de trouver là un foyer accueillant, elle ne trouva au gîte espéré que la plus affreuse déception. En effet, la mort avait déjà depuis quelque temps emporté cette protectrice et ses héritiers avec hâte avaient en plus liquidé tous ses biens et par conséquent vendu la propriété où elle se rendait à des nouveaux riches, qui furent sans pitié pour sa détresse.

N’ayant plus d’argent pour retourner à son village il lui fallut malgré sa répugnance demander l’aumône. Après avoir longuement marché, à bout de force elle allait cueillir quelques fruits dans un champ situé aux environs du château de la Roche-Brune, quand des enfants l’aperçurent et la poursuivirent en lui lançant des pierres, dont l’une l’avait si cruellement atteint. Mais enfin Dieu juste et bon avait eu pitié de sa misère et plaça sur sa route la baronne de Castel, cette femme de cœur et d’esprit qui devait la sauver de la misère et lui offrir la douceur d’un foyer nouveau.