Le chant de la paix/II

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Joseph Labarre
(p. 5-11).

CHAPITRE II

CINQ ANS PLUS TARD


Cinq ans ont passé depuis cet événement. L’enfant recueillie mourante sur la route, maintenant est devenue une jeune fille ravissante, possédant toutes les qualités du cœur et de l’esprit, faisant la Joie et l’orgueil de ceux qui l’ont accueillie, puisque nous retrouvons également en elle une artiste incomparable possédant une voix enchanteresse.

Un jour qu’elle se promenait comme d’habitude en chantant, sous les épais feuillages, dans le jardin du château, quelle ne fut pas sa surprise de voir tomber à ses pieds un magnifique bouquet de fleurs ; le saisissant aussitôt, sa surprise fut encore plus grande, lorsqu’elle vit, attachée à ce bouquet, une petite carte sur laquelle étaient tracés, d’une écriture fine et serrée, mais lisible, ces mots :

— « Mademoiselle, je n’ai jamais pu entrevoir votre personne, ni votre figure que je devine aussi jolie que votre voix, pourtant chaque jour en passant, comme un malfaiteur, je me cache et vous écoute. Votre voix a conquis mon cœur. Recevez mes humbles et respectueux hommages que j’aurais préféré vous transmettre de vive voix. Mon devoir de soldat m’interdit, ce matin, un arrêt plus prolongé. Il ne tient qu’à vous de faire avec moi plus ample connaissance. Veuillez me pardonner, d’avoir employé un moyen si peu poli pour vous faire connaître ce que je suis peut-être fou d’espérer. Soyez persuadée que je n’agis en cette circonstance, que sous l’impulsion de mon cœur dans lequel vous êtes placée en haute estime Je saurai que vous me pardonnez si demain, j’entends comme d’habitude votre jolie voix. Devant l’incarnation de l’art, en admirateur, Je m’incline plein de respect. »

Se remettant bien vite de sa surprise, elle rit de bon cœur, car Rita n’était pas de celles que de tels hommages auraient pu affoler. D’ailleurs elle se plaisait dans la solitude ; que lui importaient ces appréciations ? Son esprit éclairé ne savait-il pas, que souvent le monde trompeur parait s’extasier devant des talents, n’éprouvant, pourtant au fond de son cœur que de l’indifférence. Elle avait vu au contact de la douleur la vie sous son vrai jour, et possédait, par un don naturel, le vrai tempérament d’une artiste. Sans plus s’occuper ce petit Incident romanesque, Rita continua, silencieuse, sa promenade quotidienne, puis se sentant un peu lasse, elle quitta les allées ombrageuses du jardin pour entrer au château. Au même instant la baronne venait à sa rencontre, tenant dans sa main une lettre.

— « Rita, lui dit-elle, il me faut partir, une vieille tante malade me réclame, étant libre de mon temps. Il me semble qu’il serait cruel de ma part de ne pas me rendre à son appel ».

— Évidemment, reprit Rita, je ne puis qu’approuver votre sage décision, malgré toute la peine qu’elle me cause. Vous n'ignorez pas évidemment quel vide immense causera au château votre départ.

— J’al bien songé à tout cela, si je me suis décidée de partir ce soir, c’est que je compte sur ton dévouement. Je n’ignore pas non plus, ma chérie, combien est grande l’affection que te portent mon père et ma mère ; il te sera possible, j’en suis sûre, de combler le vide que causera mon absence, en veillant sur eux comme d’habitude, leur procurant l’affection, les soins que requiert leur âge avancé.

— Je suis très honorée, madame, de la confiance que vous voulez bien me témoigner ; je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir, pour accomplir fidèlement, ce devoir. Je ne négligerai rien pour leur prouver ma reconnaissance, je vous dois tant de bonheur…

— Tu n’as pas à te préoccuper de cela. Dieu nous a récompensés largement d’avoir accompli notre devoir… Pour ton bonheur comme pour le notre, chasse de ton esprit tous ces souvenus pour ne vivre que du présent. Considère désormais ce passé, comme mort à tout jamais puisque tu as trouve eu nous une famille qui t’aime et qui ne veut plus égalaient se souvenir que tu as injustement souffert, c’est là, crois-moi bien, la seule reconnaissance qu’elle exige de toi… L’embrassant affectueusement, la baronne la quitta afin d’aller compléter les derniers préparatifs de son départ précipité. Tout ce qui s’était passé ce jour-là continua à faire oublier à Rita l’homme au billet mystérieux. Le lendemain lorsqu’elle descendit au jardin, ce billet qu’elle avait laissé tomber par mégarde, le lui rappela. À peine l’eut-elle ramassé, qu’elle crut entendre dans le lointain, la galopade d’un cheval sur la route durcie. Prêtant plus attentivement l’oreille, elle fut bientôt la certitude qu’elle ne s’était pas trompée. Le bruit en s’approchant devenait de plus en plus distinct.

— Si je cherchais, se dit-elle, à voir cet homme, rien de plus facile pour moi, je n’à qu’à monter dans la vieille tour prés du mur du jardin, là, dissimulée sous les feuilles grimpantes, je pourrais, à loisir, voir sans être remarquée, cet inconnu.

Sans plus d’hésitation, elle s’engagea dans le vieil escalier de pierre que le temps avait recouvert de mousse et atteignit bientôt le sommet de la tour. Quelle ne fut pas sa surprise d’apercevoir un magnifique coursier, un bel officier qui s’apprêtait a descendre. Sa physionomie exprimait la bonté, son regard doux et franc rendait sa figure des plus sympathique. Déçu sans doute de ne pas entendre la voix de la jeune fille comme d’habitude, il sembla changer subitement de décision, sans attendre davantage. Commandant son rapide coursier, il disparut aussitôt dans un tourbillon de poussière sur la route boisée qui longeait les terres du château de la Roche-Brune.

Après qu’il eut disparu Rita resta quelques instants songeuse. Se retrouvant de nouveau parmi ses fleurs elle chercha dans la lecture une distraction qu’elle ne pouvait trouver. Sans cesse son esprit se reportait vers lui. Son cœur se brisait à la pensée qu’elle ne devait plus le revoir malgré toute la sympathie qu’il lui avait inspirée. Orpheline, sans beauté, ni fortune, son esprit éclairé voyait l’inutilité de pousser plus loin l’aventure. Après avoir réfléchi profondément, elle résolut de ne plus chanter à l’heure où devait passer l’étranger, espérant que par son silence elle l’éloignerait pour toujours. Mais là encore, Rita se trompait, l’officier ne sachant à quoi attribuer le mutisme de la chanteuse, croyant l’avoir froissée par ses manières d’agir résolut un jour d’aller au château lui présenter ses excuses. La domestique chargée de recevoir les visiteurs ne lui cacha nullement la surprise que lui causait sa présence au château. Dominant avec peine le trouble qui l’envahissait, celui-ci réussit pourtant à balbutier :

— « Excusez-moi, madame, l’art m’attire irrésistiblement. Sachant qu’habite ici une artiste incomparable, je me suis permis, au risque même d’être impoli, de venir troubler la solitude apparente de votre château ».

Rassurée par l’air distingué de ce visiteur, la domestique changea subitement d’attitude et lui dit :

— « Il se peut, monsieur, que ce château ait une apparence un peu austère, mais soyez assuré que ceux qui l’habitent accueillent toujours avec courtoisie les visiteurs qui s’y présentent.

— « Pour cela, je vous l’affirme, madame, que vos paroles ne font que confirmer mes pressentiments, j’en suis fort heureux. Il me sera de cette manière plus facile de confesser ma faute et d’en obtenir le pardon, si c’est possible.

— La signification de vos paroles m’échappe entièrement, vous semblez ignorer, je crois, que je ne suis dans ce château qu’une domestique.

— En ce cas, madame, je m’explique votre incompréhension et votre surprise ; rassurez-vous pourtant, la faute que je veux confesser n’est pas un crime, mais plutôt un léger incident dont je suis la cause et qui semble avoir déplu à la grande artiste qui se trouve dans ce château. Je voudrais lui donner l’explication de l’aventure qui est sans doute pour elle un mystère. Dites-moi, vous qui connaissez parfaitement son caractère, si je puis espérer d’elle une courte entrevue.

— Soyez sans crainte, je serais fort surprise que Rita, qui possède un si bon cœur, vous refuse l’entrevue que vous sollicitez. Vous allez pouvoir vous en convaincre vous-même, la voilà justement qui se dirige de notre côté…

En effet, Rita qui croyait que c’était le facteur qui apportait des lettres, s’avança vers eux, loin de se douter de la surprise qui l’attendait. Lorsqu’elle fut assez près pour reconnaître son erreur et en même temps les traits du bel officier, elle dut faire un grand effort pour maîtriser son émotion et répondre avec calme au salut du jeune homme qui lui disait en s’avançant :

— Pardonnez-moi, mademoiselle, mais je viens d’apprendre à l’instant même, que vous êtes celle dont la voix a si souvent ému mon cœur. Pour être bien compris, il me faut également vous avouer, que je fus souvent, sans que vous vous en doutiez, votre auditeur secret, j’ai donc pu à loisir admirer la beauté de votre voix pour laquelle j’ai même commis une indiscrétion qui doit vous avoir déplu, puisque je suis privé du bonheur de vous entendre comme par le passé. Je suis donc venu vous présenter mes excuses pour la manière dont j’ai agi en cette circonstance. Je vous prie de croire à mon plus sincère repentir ».

— Monsieur, reprit Rita qui se sentait touché par tant de courtoisie, soyez assuré que je n’ai pas songé un instant à m’offenser pour ces compliments généreux qui me sont parvenus si étrangement. Je dois vous dire qu’après avoir reçu votre mystérieux message, d’autres événements douloureux sont survenus et m’ont empêchée de penser à toute autre chose. Le lendemain, je me souvins de l’incident, lorsque je retrouvai votre billet que, par mégarde, j’avais laissé tomber le jour précédent. Alors j’entendis la galopade d’un cheval sur la route… Tiens, me dis-je voilà sans doute le cavalier au billet mystérieux, si j’essayais de le connaître. Aussitôt je gravis l’escalier de la vieille tour du jardin, et là sans être vue, je pus vous voir… Je ne saurais vous-dire tout ce qui se passa à ce moment dans mon cerveau, mais sachez qu’en relisant de nouveau votre billet, je m’aperçus que votre esprit m’avait jugée bien au delà de la réalité… Mon cœur se prit de crainte à la pensée que j’allais décevoir votre douce illusion en poussant plus loin l’aventure. Voilà pourquoi je résolus de garder le silence, espérant que le temps effacerait de votre mémoire l’opinion que vous aviez conçue de moi sans que votre cœur en souffrit. Mais puisque j’ai fait erreur, je me soumets de bonne grâce aux desseins de la Providence qui sait mieux que nous arranger toutes choses : Soyez assuré je vous le répète, que je n’ai rien trouvé de blessant dans votre manière d’agir. Comme preuve, je suis très heureuse de vous offrir mon amitié. De plus, je suis certaine, que votre présence au château sera très bien accueillie du marquis et de la marquise de la Roche-Brune qui en ce moment se dirigent vers nous. Comme j’éprouverais un très grand plaisir à vous les faire connaître serait-ce indiscret de vous demander qui dois-je présenter ?

— Merci, mademoiselle, pour le grand honneur que vous voulez bien me faire. Ne parlez pas, je vous en prie, d’indiscrétion, vous ne sauriez croire, combien je suis confus de ne pas m’être fait connaître plus tôt et il lui présenta sa carte… Quelle fut la surprise de Rita en lisant : Jean Desgrives, premier officier des armées françaises.

Après la présentation d’usage, le jeune homme fut tout étonné de la courtoisie du châtelain et de la châtelaine, et ce fut presque à regret qu’il vit arriver le moment du départ. De leur côté, le marquis et la marquise, tout comme Rita, apprécièrent hautement la distinction du jeune homme, et sur leurs instances, il dut promettre de revenir au château. Voilà comment, le hasard ou plutôt la Providence venait de faire naître une amitié qui devait faire le bonheur de Jean Desgrives en lui ouvrant toute grande les portes du château, d’apparence solitaire, de la Roche-Brune.