Le chant de la paix/III

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Joseph Labarre
(p. 11-14).

CHAPITRE III

LA NAISSANCE DE L’AMOUR


Jean avait maintenant l’occasion de revoir souvent Rita dont la bonté et l’intelligence avaient conquis toute estime. Or, comme l’amour est un tyran qui s’attaque à tous les cœurs, le cœur de Rita tout comme celui de Jean fut séduit et retenu prisonnier dans un filet doré.

Une crainte instinctive s’empara alors de la jeune fille lorsqu’elle s’aperçut qu’elle était devenue amoureuse bien qu’elle eût tant cherché à combattre ce sentiment. Aussi, quand le jeune homme lui fit son premier aveu, de plus en plus inquiète devant tant de bonheur inespéré, elle crut bon de ne pas cacher plus longtemps ses sentiments et ce fut alors d’une voix vibrante d’émotion, qu’elle lui dit :

— « Jean, pardonnez-moi, mais il me semble que je suis si Indigne du bonheur que vous m’offrez, qu’instinctivement je ne peux m’empêcher d’en éprouver une certaine crainte… Si vos paroles ne sont pas l’expression sincère de votre cœur vous faites bien mal de me les exprimer ; par ce moyen vous risquez d’augmenter le trouble de mon âme, en y allumant des illusions qui ne manqueraient pas, en s’éteignant plus tard, de briser à jamais ma vie… Vous n’avez pas oublié, sans doute, qu’orpheline, sans beauté ni fortune, une grande distance nous sépare l’un de l’autre, sachant de plus que les préjugés du monde sont impitoyables en ces circonstances. N’ai-je pas raison d’avoir peur qu’un jour vous regrettiez amèrement de vous être laissé tromper par votre propre cœur… Jean, je vous le répète, ce bonheur est trop grand pour moi, j’en ai peur, avant qu’il ne soit trop tard, cherchons à réagir tous deux contre le destin menaçant ».

— « Rassurez-vous, je vous en prie, Rita… Vraiment vos craintes sont tout à fait exagérées. Que vous importe le monde. N’aurons-nous pas toujours notre amour pour nous en défendre. Ne doutez plus, je vous en supplie, et croyez à ma sincérité, si l’amour que vous m’avez inspiré a trouvé écho dans votre cœur, vous n’avez pas le droit, par des craintes plutôt imaginaires, de repousser le bonheur que je vous offre… Votre amour, sachez-le, j’en ai besoin plus que jamais pour rendre moins cruels, les quelques jours qu’il me faudra sans doute passer loin de vous, une dépêche urgente me force à m’absenter pour un temps indéterminé, mais qui, j’espère, sera très court. Dites-moi si je puis espérer ?… Votre silence me fait tant souffrir…

— Hélas ! Jean, le secret que je croyais être obligée de garder toujours au fond de mon cœur, je vois qu’il faut en ce moment vous le dévoiler… Oui, je vous aime… Si J’ai cherché à vous cacher mon amour, c’est qu’il m’apparaissait sans espoir. Maintenant, quoi qu’il arrive je sens que mon cœur vous appartiendra toujours, l’amour a été plus fort que ma volonté, il m’a forcée à vous révéler cet intime secret…

— Vous ne sauriez croire combien vos paroles me comblent de joie… Soyez confiante dans l’avenir, je saurai vous rendre heureuse, dussé-je pour cela broyer mon propre cœur. Si mon devoir me force à m’éloigner de vous, soyez assurée que mon cœur et ma pensée seront avec vous continuellement… À bientôt, ma chère Rita, lui dit-il, et, fou de bonheur et d’espoir, Jean Desgrives, précipitamment s’en alla.

Après le départ de Jean, Rita se hâta de rentrer au château. Bouleversée par les événements heureux qui lui arrivaient, il lui sembla qu’un peu de repos lui serait salutaire. Lorsqu’elle fut dans ses appartements, elle réfléchit longuement à tout ce qui s’était passé, puis complètement rassurée par l’attitude franche et sincère que Jean lui avait montrée, elle se prit à espérer. Pour la première fois, elle ne chercha pas à combattre les sentiments de son cœur, et s’abandonna tout entière à la grisante rêverie de son premier amour… Des pas qui semblaient s’approcher, l’arrachèrent à sa douce méditation, et toute surprise, elle vit bientôt la porte s’ouvrir, pour livrer passage à la châtelaine qui, toute émue, lui dit en s’avançant :

— « Ma chère Rita, pardonne-moi si je viens troubler ta solitude d’une manière aussi brusque, mais vraiment je n’ai pu résister à l’envie de te faire partager notre bonheur. Je viens justement de recevoir une dépêche nous annonçant le retour de Lucia qui sera ici ce soir même. Ma sœur étant complètement rétablie et comprenant sans doute notre anxiété de revoir notre chère enfant, nous expédie elle-même l’heureuse nouvelle. Malgré qu’elles vont me paraître bien longues les heures qu’il me faudra encore attendre, je suis quand même toute heureuse en songeant que ce soir je reverrai enfin ma fille chérie… »

— « Je comprends très bien votre bonheur et votre anxiété, madame ; il serait même difficile pour mol d’exprimer toute la joie que me cause son retour. Je dois vous dire également, que les heures d’attente me paraîtront interminables ».

— Je sais, mon enfant… Je n’ignore rien de l’amitié réciproque qui vous anime, c’est justement pourquoi je me suis hâtée de venir à l’instant te communiquer l’heureuse nouvelle.

— Je vous en remercie, madame… Je ne sais maintenant que faire pour vous prouver ma reconnaissance… Je suis persuadée que jamais je ne pourrai acquitter ma dette… elles sont innombrables, les bontés que vous m’avez prodiguées.

— Je t’en prie, ma chère enfant, ne parle pas ainsi ; de plus, je veux que désormais tu considères Lucia comme ta propre sœur. Je sens dans mon cœur que vous êtes mes deux enfants chéries.

Après l’avoir embrassée affectueusement, elle quitta l’appartement, laissant la jeune fille, à son tour, presque folle de bonheur et d’espoir.