Le dernier des Trencavels, Tome 1/Livre premier

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Traduction par Henri Reboul.
Tenon (Tome 1p. 1-40).

LE DERNIER
DES TRENCAVELS
LIVRE PREMIER.(1)

L’Excommunication(2).


Aymar est mon nom. Je suis né dans les champs de Pézènes que l’Hérault arrose de ses eaux limpides(3).

Aliénor d’Alignan fut ma mère. Mon père Raimbaud que l’amour retint pendant quelques années à la cour de Montpellier, tenait en fief, du comte de Foix et du vicomte de Béziers, les seigneuries de Montaillou et d’Arnave, situées dans la région moyenne des Pyrénées.

J’ai été, je suis l’ami et le compagnon d’armes d’un prince persécuté dès son enfance, mais qui fut heureux par l’amour et l’amitié.

Ayant traversé avec lui une longue carrière de travaux perdus et d’espérances trompées, nous goûtons maintenant ensemble dans l’asyle des muses les charmes d’un honorable délassement.

Muses qui avez bercé ma jeunesse et semé de fleurs les sentiers scabreux où elle fut engagée, j’ai déposé mes armes dans votre temple, non pour chercher un repos ignoble, mais pour me livrer sans réserve à vos saintes inspirations.

Je veux recommencer sous vos auspices, et porté sur vos ailes vagabondes, le pèlerinage d’une vie aventureuse. Inspirez-moi, guidez-moi dans cette course rétrograde où vont errer mes souvenirs. Faites-moi revoir, et colorez de vos teintes magiques ces plaines où j’ai reçu le jour, ces montagnes qui ont été le théâtre des jeux de mon enfance, ces combats, ces amours et ce mélange de fraudes et de misères humaines dont je fus le témoin,

D’autres raconteront froidement et avec méthode les évènemens de cette fatale époque où les malheurs des princes égalèrent les souffrances des peuples. Moi, faible et léger trouveur, je ne puis qu’essayer des chants variés, inégaux, entrecoupés, et suivre les caprices de la Muse qui m’entraîne avec elle dans le labyrinthe des affaires humaines, vers les contemplations du passé et de l’avenir.

Avant la prise de Carcassonne par l’armée des croisés du pays français, le vicomte Raymond-Roger Trencavel, qui y demeura victime de la trahison d’un légat, avait confié à mon père son enfant unique à peine âgé de trois ans(4). J’achevais ma neuvième(5) année quand nous fumes réunis dans l’asyle pyrénéen où s’écoulèrent les temps de mon enfance.

J’ai appris de mon père quelles furent les causes de cette horrible guerre qui vint fondre sur l’Occitanie, pendant qu’elle prospérait et s’embellissait, gouvernée par des magistrats de son choix, et soumise à ses seigneurs héréditaires vassaux de Philippe deuxième ou Dieudonné, alors roi des Français(6).

Lorsque le St.-Siège fut occupé par Innocent III, il y avait déjà plus de 50 ans que l’Occitanie et la Provence étaient parsemées de novateurs que l’église romaine poursuivait de ses menaces et de ses condamnations.

On les appelait Vaudois, pauvres de Lyon, Albigeois ; quelques-uns les traitaient d’Ariens et de Manichéens ; eux se donnaient les noms de Cathares ou Purifiés et de Bons-Hommes,

Plusieurs d’entre eux avaient entendu les disciples d’Arnaud de Brescia et de Pierre de Bruys dont l’église romaine avait fait des martyrs(7).

Ces hommes de mœurs évangéliques avaient un grand avantage sur les prélats, les chanoines, et les moines dont ils décriaient le luxe et l’impudicité. Les églises romaines devenaient désertes ; les dons des fidèles se portaient ailleurs, et les biens consacrés à la charité n’étaient plus confiés qu’à des hommes reconnus charitables.

Dans cet état de détresse, les prélats d’Occitanie appelèrent à leur secours les prédications des moines étrangers et les anathèmes de Rome.

Ces anathèmes étaient devenus des arrêts de mort, La persécution éleva bientôt un mur d’airain entre les bourreaux et les victimes, et la haine des hommes amena la dissidence dans les dogmes(8).

L’Occitanie était le principal théâtre de ces controverses, où l’orgueil des ministres romains était presque toujours humilié et réduit au silence par des orateurs qui vivaient avec la simplicité des apôtres, et savaient mourir comme eux(9).

Innocent III mit d’abord en œuvre les moyens employés par ses prédécesseurs. Les légats et les missionnaires qu’il envoya furent choisis la plupart dans l’ordre de Citeaux ; il étendit leurs pouvoirs et leur enjoignit de menacer de l’anathème tous les hommes puissans qui se refuseraient à seconder leurs mesures(10).

Les premières missions furent sans succès. L’évêque d’Osma, l’un des légats, revint mourir en Espagne fatigué et épuisé ; un autre nommé Raoul, et abbé de Citeaux, alla rendre le dernier soupir dans le cloître de Franquevaux ; un troisième, plus aventureux et simple moine de Citeaux, qui ne craignit point d’irriter par ses menaces le comte de Toulouse et ses chevaliers, fut assassiné par l’un d’eux en passant le Rhône, auprès de St.-Gilles(11).

Ce fut alors que les évêques de Toulouse et de Comminges se rendirent en toute hâte à Rome, et cherchèrent à convaincre le pape qu’il ne fallait plus compter sur l’effet des prédications ni sur de vaines menaces d’anathème ; que l’hérésie ne pouvait plus être extirpée par le moyen des hommes du pays, qui tous y participaient plus ou moins, grands ou petits, nobles ou vilains, les uns par fanatisme, les autres par indifférence.

L’animosité de ces évêques était surtout dirigée contre ce comte de Toulouse qu’ils traitaient d’assassin, et qui était en même temps duc de Narbonne, marquis de Provence et l’un des plus puissans seigneurs du pays français(12).

Ce prince, appelé Raymond VI, eut aussi recours au St.-Siège ; deux évêques, ses amis, furent députés au pape pour lui représenter que la conduite des seigneurs de l’Occitanie était irréprochable, et que celle des légats et des prélats ne tendait pas à moins qu’à bouleverser le pays, en dépossédant les propriétaires et réduisant les peuples au désespoir. Raymond se plaignait spécialement des procédés malveillans du légat Arnaud abbé de Citeaux, et en demandait un autre plus équitable.

Innocent III, juge de ce différent, avait été fait pape à l’âge de 37 ans, quoiqu’il ne fût encore que diacre. L’église n’avait eu jusqu’alors aucun pontife plus absolu, plus habile et plus heureux dans ses entreprises(13). Ses mœurs étaient pures : la sincérité de sa foi étendait son ambition en la justifiant ; aussi prudent qu’entreprenant, il ne chercha jamais à conquérir par la violence ce qu’il pouvait obtenir de la négociation et de la ruse ; toujours prêt à frapper, il savait attendre le moment de frapper à coup sûr, et retenait d’une main ceux qu’il poussait de l’autre dans la carrière de l’usurpation.

Innocent crut devoir user de dissimulation envers le comte de Toulouse ; il feignit de souscrire à sa demande d’un nouveau légat, et choisit à cet effet un Italien, notaire apostolique, nommé Milon ; mais il fut enjoint à celui-ci de se diriger secrètement d’après les conseils de l’abbé de Citeaux, et de s’entendre avec lui sur les moyens de préparer le piège où Raymond devait être enveloppé et désarmé(14).

Au nouveau légat fut adjoint un chanoine génois nommé Thédise. Les envoyés du St.-Siège portèrent au comte de Toulouse des paroles de paix, et lui proposèrent de terminer tous les différens par la puissante entremise du roi des Français. Raymond goûta cet expédient : « Car, disait-il, tous nos seigneurs et chevaliers sont irrités au plus haut degré contre les prélats, et l’intervention d’un prince laïque sera plus facilement agréée ».

« Il ne faut pas, » lui répondit Milon, que dans aucun cas leur obstination vous retienne, ou plutôt vous entraîne avec eux dans la voie de perdition.

« Votre intérêt comme prince, et votre devoir comme chrétien, conduisent au même but ; car vous ne pouvez ni ne devez perdre de vue que la cause de l’église est la cause du dieu des armées ».

Milon, avant de quitter le comte, chercha à se concilier, et, au besoin, à séduire quelques-uns des vassaux, chevaliers ou magistrats toulousains ; mais il ne trouva autour de ce prince que des hommes fidèles et indignés contre la tyrannie du clergé. Un seul lui parut abordable à raison du zèle extraordinaire qu’il professait pour la cause de l’église ; mais celui-ci était en même temps le plus probe et le plus dévoué des serviteurs de Raymond, qui lui avait donné en mariage sa fille naturelle Guillemette(15).

Hugues d’Alfar, ce gendre de Raymond, était navarrois. Ses liaisons avec l’évêque d’Osma avaient exalté en lui la pieuse sympathie qu’il éprouvait dès l’enfance pour les ministres du St.-Siège.

Avant d’avoir obtenu la main de Guillemette, en récompense des services rendus au comte Raymond, Hugues avait voué son épée à la défense de la foi. Tout hérétique était pour lui juif ou sarrasin ; et dans son horreur pour la controverse, il traitait de chiens tous ceux qui osaient disputer sur quelque point de doctrine avec les théologiens de l’église romaine.

On racontait que se trouvant à Tudela, lors d’une conférence où le roi Sanche voulut entendre les plaidoieries contradictoires des juifs et des clercs, Hugues demanda audience, et jura, foi de chevalier, de réduire au silence le plus habile orateur de la cause Israélite. Un rabbin s’étant présenté : « Maître, » lui dit Hugues, « croyez-vous que la Vierge Marie qui enfanta Jésus-Christ, l’ait enfanté vierge, et soit mère de Dieu ? « À Dieu ne plaise, » dit le juif, « que je puisse croire pareille chose. » Aussitôt le chevalier, le saisissant d’une main vigoureuse, le frappa avec violence d’un bâton qu’il avait à la main, et le laissa étendu sur le carreau ; les juifs éperdus se hâtèrent de relever leur docteur à-demi mort, et l’emportèrent hors de l’assemblée.

Le roi Sanche interpella le chevalier et lui reprocha sa folie. « La vôtre est bien plus grande, » répondit Alfar, « d’avoir ainsi assemblé et souffert une pareille conférence(16). »

Tel était le gendre et l’ami de Raymond dont il blâmait souvent les ménagemens à l’égard des novateurs. Le beau-père tolérait, sans les partager, des doctrines que son gendre avait en horreur.

Ce chevalier orthodoxe et la pieuse Éléonore d’Aragon, femme du comte de Toulouse, furent les seuls instrumens que le légat put mettre en jeu pour détacher ce prince de la cause des dissidens et priver ceux-ci de sa puissante coopération(17).

Laissant dans le midi le chanoine Thédise, il s’achemina vers le nord, et fut joint à Auxerre par l’abbé de Citeaux, qui, depuis son retour en Bourgogne, n’avait cessé de stimuler le zèle des prélats et la cupidité des barons contre les seigneurs de l’Occitanie(18).

Les deux légats, après avoir de nouveau délibéré avec les archevêques et évêques du pays français, obtinrent une audience du roi Philippe, et le sollicitèrent d’envoyer sous le commandement de son fils, ou de conduire lui-même une armée pour exterminer les hérétiques obstinés. Philippe, qui avait alors d’autres guerres à soutenir, consentit seulement à fournir quinze mille hommes.

Mais les légats, encouragés par le succès des prédications et par la disposition où ils voyaient les esprits, n’hésitèrent plus à publier une croisade contre les hérétiques du midi, requérant les princes, les barons, les chevaliers, et leurs hommes d’armes, de s’acquitter envers l’église du service féodal de quarante journées. Ils offrirent aux croisés, avec la rémission de leurs péchés, les indulgences les plus étendues.

La plupart des guerriers du nord étaient d’ailleurs séduits par cette perspective des villes opulentes du midi mises au pillage, et des riches domaines d’Occitanie ravis à des maîtres maudits, pour être distribués aux défenseurs de la foi, sous la garantie du roi suzerain et du souverain pontife.

On se rappelait l’immense butin qu’avaient fait les Normands à la fin du siècle onzième, quand ils se partagèrent l’Angleterre avec l’appui du St-Siège. Tous les aventuriers des bords de la Seine se préparèrent à quitter leurs masures pour venir s’installer dans les châteaux et les manoirs d’un pays plus favorisé des dons de la nature.

Le succès de cet appel aux armes surpassa toutes les espérances. Plus de cent mille hommes furent enrôlés sous la bannière de la croix.

Les légats, voulant donner un nouveau caractère de sainteté à cette entreprise, firent placer le signe de la rédemption sur la casaque des croisés, non aux épaules comme c’était l’usage dans les croisades d’outre-mer, mais sur la poitrine : « Afin, » disaient-ils, « que le zèle qui fermentait au-dedans apparût au-dehors(19). »

Le pape Innocent leva alors le masque, et fulmina contre le comte de Toulouse une bulle d’excommunication où il lui reprochait hautement d’avoir fait assassiner le légat Pierre de Castelnau ; et, le déclarant pour ce fait déchu de ses titres et domaines, les donnait et garantissait, sous la réserve des droits royaux, à quiconque voudrait et saurait s’en emparer.

Raymond fut frappé de cet anathème comme d’un coup de foudre. La surprise et la douleur le rendirent immobile.

Il n’en fut pas de même parmi les siens.

Leur agitation fut extrême ; un cri d’indignation se fit entendre des bords du Rhône à ceux de la Garonne. Tous firent appel aux armes, et chacun se sentait encouragé par la réciprocité et l’unanimité des résolutions.

Jamais la ville de Toulouse n’avait vu un aussi grand concours d’hommes de toutes les conditions, venant offrir leurs bras et leurs biens au prince dans la personne duquel tous se sentaient attaqués.

Le comte de Foix et le vicomte de Béziers ne furent pas les derniers à se présenter, eux qui dans le midi de la France étaient, après Raymond de Toulouse, les plus riches et les plus puissans.

Le premier, déjà mûri par les épreuves de la vie, avait acquis un grand renom dans la croisade d’outre-mer où il avait accompagné le roi Philippe ; l’autre, à peine âgé de 23 ans, était le neveu de Raymond, et avait néanmoins déjà guerroyé contre lui, avec l’aide du comté de Foix, au sujet de quelques domaines.

Dans ce péril commun, tous les petits sujets de querelle furent mis à l’écart. On ne vit plus qu’un ennemi à combattre, un fléau à conjurer.

Le palais de Raymond, appelé le château narbonnais, était situé sur la rive droite de la Garonne quand elle entre dans Toulouse. Ce prince y convoqua en parlement ses barons, ses chevaliers, et les bourgeois de la ville représentés par leurs capitouls. Il y fit l’exposé des préparatifs de la croisade, des prétentions des légats, et ne chercha point à dissimuler les dangers dont le pays était menacé par l’invasion d’une armée innombrable.

Le découragement et l’irrésolution se déguisaient faiblement dans son discours qui excita dans l’auditoire plus d’impatience que de frayeur.

Le comte de Foix prit la parole, et rassemblée devint silencieuse.

« Noble comte, » dit-il, « et vous, barons, chevaliers et bourgeois, loin de moi la pensée de vous décourager, ni de vous abuser sur le mal qui nous attend. Tout grand qu’est ce mal, il ne me paraît point insurmontable.

« Le pays français va vomir sur nous des hordes toujours avides du bien d’autrui, et nous sommes livrés en proie à ces ravisseurs par la charité du pape et de ses prélats.

« Il ne s’agit plus maintenant de plaider notre cause devant des juges iniques. C’est au jugement de Dieu qu’il faut nous remettre, et traduire nos juges eux-mêmes. Notre courage et nos armes leur prouveront que nous sommes de bons chrétiens.

« Il n’y a guères plus de cent ans que les aventuriers et les hobéraux de la Normandie se concertèrent avec les prêtres romains pour envahir et se partager l’Angleterre, et ils y parvinrent. Faut-il qu’un tel brigandage se renouvelle à chaque siècle ? Faut-il, parce que nos campagnes sont fertiles, et nos villes florissantes, qu’elles nous soient arrachées par des hommes barbares, ignorans, vivant, sous un ciel chargé de vapeurs et n’ayant pour boisson que la liqueur de l’orge fermenté ?

« Peuples de l’Occitanie, on veut faire de vous ce que les Normands ont fait des Anglais. Que le malheur de ce peuple nous instruise ; imitons son courage qui fut grand ; mais soyons plus heureux en évitant ses fautes.

« Leur roi Hastings en commit une bien grande en livrant hâtivement bataille aux envahisseurs. Hastings fut vaincu et tué. Tout fut perdu, en un jour. Cette nuée de croisés et de bourdonniers(20) qui vient fondre sur nous compte sur un semblable dénouement ; elle est enrôlée pour la quarantaine, et ce temps lui paraît suffisant pour se rendre maîtresse du pays après un seul jour de combat. Le lendemain de ce jour, ces hommes rapaces se flattent de venir s’asseoir dans nos foyers, d’y déposer leurs cuirasses, de s’y faire servir par nos femmes et nos filles, consumant nos provisions et s’enivrant de nos vins. Ne laissons point cet avantage à nos ennemis de livrer notre destinée tout entière au hasard d’une bataille. S’ils marchent réunis, il faudra bien qu’ils éprouvent en quelques semaines toutes les horreurs de la famine ; s’ils s’éparpillent dans le pays, qu’ils trouvent partout, au lieu d’alimens, la vengeance et la mort.

« Tenons-nous enfermés dans nos châteaux avec nos femmes, nos enfans, nos provisions de guerre et de bouche. Que les barbares ne puissent faire un pas sans être arrêtés par un siège. Laissons-les heurter nos murailles avec leurs fronts de fer, et tombons sur eux lorsqu’ils seront déjà épuisés par les fatigues et par la faim.

« N’ayons en campagne que des troupes légères qui harcèlent leurs flancs, interceptent leurs convois, se rencontrent partout, et trouvent partout un refuge en cas de poursuite.

« Quelques châteaux seront pris, quelques villes peut-être seront forcées et saccagées ; mais la patrie sera sauvée : elle devra son salut à des martyrs ; la justice divine récompensera leur dévouement, et ils seront vengés par l’extermination de leurs bourreaux dont les ossemens engraisseront la terre qu’ils auront convoitée. »

Aussitôt que le comte de Foix eut cessé de parler, un murmure approbateur se fit entendre dans l’assemblée. « Honneur et gloire » s’écria le vicomte de Béziers, « à notre maître dans l’art des combats. Je reconnais la haute sagesse du plan qu’il nous propose, bien qu’il semble retenir et comprimer l’élan d’indignation et de vengeance dont nous sommes tous animés.

« Les peuples à qui je commande, mes châteaux, mes villes, se trouvent situés en première ligne. C’est à nous qu’il appartient de supporter le premier choc de cette inondation de barbares. Je jure à Dieu, au comte, notre chef, et à vous, mes dignes compagnons, que moi et les miens nous donnerons l’exemple d’une défense opiniâtre ; nous serons vos libérateurs ou les premiers dans l’ordre des martyrs. »

Raymond fut vivement ému en entendant ces paroles d’un neveu qu’il aimait. Son cœur battit avec violence ; on crut voir en lui se rallumer cet instinct belliqueux qui avait animé ses jeunes années. Il dit à son frère Baudouin et à son gendre Hugues d’Alfar : « Allons, puisqu’on nous force à tirer l’épée, rejetons le fourreau loin de nous ; rassemblons nos hommes d’armes, munissons nos châteaux, appelons tous nos fidèles à la défense commune, et que chacun se fasse soldat puisque chacun est menacé dans ce qu’il a de plus cher. Pour moi, je prends Dieu à témoin de la sincérité de ma foi, et du regret déchirant que j’éprouve en prenant les armes contre les prélats de la sainte église romaine, que je ne cesserai jamais de considérer comme notre mère commune. »

Alfar en proie à mille pensées contradictoires gardait un morne silence. « Dieu est juste, » s’écria Baudouin ; « il est aussi bien le juge des prélats que des princes. Dieu refuserait son secours à des fauteurs de l’hérésie ; mais il protégera la cause des hommes innocens et sincères. Il ne voudra point que ses preux et loyaux chevaliers deviennent la proie de l’imposture et de la trahison. « Hélas ! à quelques années de là, ce Baudouin devait trahir son frère et son pays.

L’assemblée était à peine dissoute, qu’on vint annoncer au comte de Toulouse l’arrivée d’un messager du légat Milon. Ce messager introduit en sa présence lui notifia une déclaration par laquelle il était sommé de comparaître, au premier jour du mois de juillet, devant un tribunal ecclésiastique convoqué à Valence en Dauphiné.

Le légat l’informait qu’il y serait admis à se justifier des griefs et imputations qui avaient porté le pape à l’excommunier.

« Me justifier ! » s’écria le comte, « et qu’ai-je négligé jusqu’à ce jour pour repousser les indignes reproches d’hérésie et d’assassinat dont on a voulu charger ma conscience ? N’ai-je pas maudit et défié au nom du Dieu de vérité quiconque oserait soutenir que j’ai forfait aux doctrines de l’église et suscité les meurtriers du légat ? Que veut-on de moi maintenant, si ce n’est de me séparer de mon peuple, et de me mettre hors d’état de résister à cette injuste condamnation ? »

« Je ne puis me résoudre, » lui dit Hugues d’Alfar, « à supposer tant de perfidie dans une assemblée de prêtres chrétiens. Si la manifestation de votre innocence peut sauver le pays, cet avantage sera bien préférable à celui d’une victoire achetée par le sang. On n’est pas bien résolu à vous poursuivre, puisqu’on consent à vous entendre ; et quant au projet de vous retenir contre la foi promise, serait-il possible que tant de seigneurs et barons illustres consentissent à cette violation de la loi de Dieu et de celles de la chevalerie ? J’ose encore espérer que justifiés à Valence, nous pourrons rentrer dans nos murs, porteurs de paroles de paix et d’accommodement. Si cet espoir est déçu, nous aurons été du moins les premiers à faire face à l’ennemi ; et parmi les victimes d’une guerre injuste, nous aurons pris rang même avant le magnanime vicomte de Béziers. »

Raymond se sentit soulagé en voyant poindre cette lueur d’espérance, et ne tarda point à se complaire dans les conseils de son gendre ; il fit dès le lendemain connaître sa résolution d’acquiescer à l’ordre du légat. Ce projet fut généralement désapprouvé ; mais il ne découragea point des hommes exaltés par le sentiment d’un péril commun. Chacun se retira pour aller se préparer à soutenir la guerre, en suivant le plan défensif qu’avait proposé le comte de Foix. Raymond lui-même ne négligea point de suivre ces dispositions. Il ordonna dans tous ses domaines une levée générale des hommes capables de combattre, fit distribuer des armes à tous, adressa ses instructions aux commandans de ses villes et châtellenies. Il laissa à son frère le soin de diriger les mouvemens des troupes, en lui prescrivant de se conformer aux avis du comte de Foix.

Puis il s’achemina tristement vers le Dauphiné avec Hugues d’Alfar et un autre chevalier. Il ne s’en trouva pas un troisième qui consentît à partager l’humiliation de cette démarche.

Le jeune Trencavel accompagna son oncle jusqu’aux bords de l’Hérault, et, chemin faisant, il fit de vains efforts pour le dissuader d’aller plus loin. « Si nous ne pouvons, » disaient Raymond et Alfar, « avoir pour nous les prêtres de Rome, nous les mettrons du moins en demeure envers Dieu qui est notre maître et le leur, et nous serons en droit d’invoquer contre eux sa justice, quand nous aurons fait éclater notre innocence. « Vous allez, » leur répondait Trencavel, « échanger votre bonne foi contre les œuvres de la perfidie et du mensonge. Vous verrez de quelle monnaie(21) ces hypocrites payeront cette folle confiance. »

Le comte et ses chevaliers se séparèrent de Trencavel au château de Pézènes, dans la délicieuse vallée de l’Hérault. Le vicomte y était venu joindre sa femme, Agnès de Montpellier, dame de ce pays qu’elle aimait et où elle était aimée.

Trencavel ne voulait point laisser son épouse et la mère de son enfant dans un lieu qui se trouvait sur le chemin des croisés ; mais la prudente Agnès mettait moins de confiance dans les exploits de son mari, que dans la protection de son père, dont la neutralité paraissait assurée.

Raymond au lieu de traverser le Rhône à Beaucaire(22), se rendit directement au passage de Saint-Savournin, où on se préparait à construire un pont magnifique auprès de la miraculeuse chapelle du Saint-Esprit.

Les offrandes faites par les passagers et les navigateurs à cette chapelle, asile des naufragés, étaient jugées suffisantes pour payer les dépenses de ce grand édifice, dont un ange était venu du ciel tout exprès pour choisir le site et tracer le plan(23).

Le mois de juin n’était pas terminé, quand le comte de Toulouse, entré dans les murs de Valence, fit prévenir le légat de son arrivée. Il ne vit point sans quelque surprise le légat lui-même se rendre auprès de lui et demander un entretien particulier.

« Je puis, » lui dit Milon d’un ton mielleux et bienveillant, « vous épargner le désagrément d’une audience solennelle où vous auriez à comparaître comme accusé et suppliant. Le Saint-Père m’a transmis de nouvelles instructions. L’enquête qui s’est continuée sur les causes et les circonstances du meurtre du légat, Pierre de Castelnau, ne vous est point absolument défavorable.

Elle peut bien suggérer quelques soupçons, mais elle n’a produit aucune preuve positive à votre charge, Je me trouve donc autorisé à prononcer votre absolution sur ce point, mais je ne dois pas vous dissimuler que cette absolution sera conditionnelle,

« Il faut, avant toutes choses, que vous abandonniez la cause des hérétiques qui encombrent vos domaines, et que vous aidiez avec bonne foi et activité à seconder l’exécution des censures prononcées par l’église pour l’extirpation de l’erreur,

« II ne suffit plus d’alléguer votre orthodoxie et votre fidélité aux dogmes de l’église. Il est constant qu’ayant commencé, il y a quinze ans, à gouverner les peuples soumis à votre domination, les progrès de l’hérésie ont été toujours croissant et que les ministres de l’église, presque entièrement dépouillés de leurs droits et honneurs, se sont trouvés réduits à implorer l’assistance du St.-Siège.

« Je ne puis nier, » dit le comte, « que les prédications des cathares ou bonshommes, albigeois ou aragonais(24), n’ayent séduit beaucoup de nos sujets ; mais ce n’est ni à moi ni aux seigneurs mes vassaux qu’il faut s’en prendre. Ces prêcheurs sont pauvres et parlent à des pauvres ; ils déclament contre le luxe et les déportemens des clercs riches et mondains ; eux-mêmes vivent dans la pénitence et mènent une vie exemplaire : voilà tout le secret de leurs succès. L’aigreur et les mauvais traitemens ont écarté de plus en plus ces hommes de la croyance professée par leurs persécuteurs ; et c’est par haine et passion qu’ils sont tombés dans des erreurs damnables touchant le dogme. Si vos décrets de censure ne portaient que sur les fanatiques propagateurs de fausses doctrines, on pourrait avec quelques ménagemens les mettre à exécution, et obtenir la fin qu’on se propose ; mais cette exécution prompte, pleine et entière, équivaudrait à l’extermination du pays ; chose que les seigneurs et moi ne pouvons vouloir, et que nous ne pourrions faire quand même nous le voudrions. » « Et c’est là précisément, » répondit le légat, « ce qui a déterminé le Saint-Père à chercher ailleurs les moyens d’exécution qui ne peuvent se trouver chez vous ; car il faut nécessairement que justice soit faite et que le ciel triomphe de l’enfer.

« Le ciel s’est maintenant expliqué et la voix du pasteur des peuples a fait lever plus de cent mille bras pour la défense du bercail. L’armée de Rome est en mouvement ; vous n’avez plus que le choix de marcher avec elle ou contre elle, suivant cette parole de l’Écriture : Qui n’est pas avec moi est contre moi. »

« Quoi ! » s’écria le comte, « vous pourriez exiger que je fasse la guerre à mes hommes, que je traite en révoltés ceux qui me sont dévoués, et que je concoure à les priver de leurs biens et de la vie ? »

« En prenant la croix avec nous, » reprit le légat d’un ton radouci, « votre épée, comme celle du saint archange, ne se teindra jamais que du sang des suppôts de l’enfer ; mais si vos peuples égarés peuvent mériter encore de votre part un reste de tendresse et de pitié, vous aurez bien plus de moyens et d’occasions d’amoindrir leurs peines en vous faisant notre allié qu’en vous perdant avec eux. Ils pourront par votre intercession obtenir de vos compagnons d’armes et de nous-même, des concessions et des pardons que rendraient impossibles votre obstination dans le mal, et votre inimitié déclarée. »

« Eh bien, » dit le comte, « cette considération me décide, et je prendrai la croix, puisque ce parti m’offre quelque probabilité de pouvoir subvenir aux malheurs de mon peuple ; mais je vous le déclare, seigneur légat, si mes instances et mes efforts ne peuvent parvenir à préserver les miens de leur ruine et destruction, je saurai m’ensevelir avec eux sous les débris de leurs murailles, plutôt que de leur survivre. »

« Ces conseils de désespoir, » répondit le légat, « sont injurieux à l’église votre mère, qui dirige les bras des guerriers de la foi, non pour détruire, mais pour édifier ; car le Seigneur a dit : Je ne veux point la mort de l’impie, mais qu’il se convertisse et qu’il vive(25). »

« Je vous proteste, » reprit le comte, « que dans les voies de la conversion et du salut nul ne marchera plus avant et avec plus de bonne foi que le comte de Toulouse ; et je suis prêt à recevoir la croix de vos mains au nom du souverain pontife. »

« Je n’attendais pas moins, » dit alors le légat, « d’un fils de l’église, plus égaré que coupable ; mais il faut, avant de revêtir ce signe des élus de Dieu, vous réconcilier avec votre mère, et recevoir l’absolution de vos fautes avec autant de solennité qu’il en a été mis à votre excommunication.

« Cette absolution doit être prononcée en présence de votre peuple et dans une de vos villes ; nous choisissons à cet effet celle de St.-Gilles, où nous vous ajournons au douzième jour de juillet, et où se trouveront réunis à nous les prélats de l’Occitanie. »

L’idée de cette solennité fesait éprouver à Raymond un serrement de cœur qu’il eut peine à dissimuler ; mais il affecta d’en paraître satisfait, parce qu’il y voyait une sorte de garantie contre le renouvellement des accusations multipliées dont il était depuis long-temps l’objet.

« Maintenant, » reprit le légat, « il nous reste à régler à l’amiable les garanties de droit qui assureront au Saint-Père et aux seigneurs croisés la fidèle exécution de vos engagemens. J’exige avec regret ces garanties, parce que ma confiance en vous est pleine et entière ; mais dans les affaires publiques ce que la raison d’État conseille ne doit point être négligé. »

« Que pouvez-vous requérir de plus, » répondit Raymond, « que de me voir réuni à l’armée de l’église contre mes propres sujets et faisant un appel à mes hommes d’armes dont je crains bien, à vous dire le vrai, d’être mal obéi. »

« Aussi, » répliqua le légat, « n’ai-je pas l’intention de vous demander ce qui pourrait se trouver impossible à obtenir.

« Si je vous proposais de remettre en nos mains vos châteaux des pays toulousain et albigeois, qui sont la plupart occupés par les hérétiques, vous m’allégueriez avec raison qu’il y aurait, pour les céder, nécessité de les conquérir : mais il n’en est pas de même de vos châteaux et domaines de Provence ; et c’est de ceux-là qu’il convient que vous mettiez l’église en possession provisoire, à titre de gage et de nantissement(26).

« J’aurai soin de pourvoir à ce que ces objets ne dépérissent point en nos mains, ni ne tombent en des mains étrangères. Ils vous seront restitués, quand le but de la croisade aura été accompli.

« Alors chaque chose reviendra à son ancien possesseur qui aura bien mérité de l’église.

« Si la Ste .-Église, » dit Raymond, « s’empare dès ce moment de mes terres de Provence, et m’oblige de faire la guerre à ceux de mes sujets qui occupent mes domaines d’Occitanie, je ne vois point ce qui me restera pour mon entretien, et pour rendre les services qui me sont demandés. »

« Nous entendons bien, » répondit le légat, « vous dispenser de toute levée d’hommes et de toute dépense qui serait au-dessus de vos moyens actuels. Apprenez à connaître par cette déplorable situation quelle est la puissance des jugemens de Dieu sur ceux qui désertent ses voies. Mais fussiez-vous le seul des seigneurs et barons de l’Occitanie à vous ranger sous les bannières de l’église, vous recouvrerez tout ce qui aura été retenu et peut-être bien au-delà, puisqu’il est malheureusement à craindre que plusieurs de vos voisins se rendent indignes du pardon de l’église en persévérant dans leur coupable révolte. »

Raymond garda quelque temps le silence. Il se sentait accablé en considérant l’impossibilité de résister à cette inondation de croisés. Et cependant il regrettait amèrement de ne plus être au milieu de ses chevaliers et de ses bourgeois dévoués à la mort.

Il éprouvait surtout ce regret, depuis qu’il se voyait enlacé dans les piéges du légat, et que tout moyen d’échapper était perdu pour lui à moins qu’il ne dissimulât son ressentiment.

Raymond se vit ainsi réduire à accepter les seules conditions qui pouvaient le préserver d’une odieuse captivité, et à se faire une ressource de sa condescendance.

Il consentit donc à remettre entre les mains des préposés du St.-Siège les sept châteaux qu’il possédait sur les bords du Rhône, et à délier de leur serment de fidélité les nobles et les consuls de ses villes d’Avignon, Nîmes et St.-Gilles, dans le cas où lui, leur seigneur, viendrait à manquer aux conditions de sa réconciliation avec l’église.

Cette négociation étant terminée, Milon fit partir le chanoine Thédise son collègue, pour aller prendre possession des châteaux du Rhône.

Quelques jours après, lui-même se rendît à St.-Gilles. Raymond et ses deux chevaliers y vinrent escortés par une garde d’honneur, qui veillait non moins à empêcher leur fuite qu’à les préserver de toute insulte.

Une tente fut dressée au portail de l’église de St.-Gilles. Des toiles recouvraient une estrade au haut de laquelle fut placé le St.-Sacrement de l’autel. Ses degrés couverts de tapis du Levant servaient de sièges à vingt archevêques ou évêques et au légat qui les présidait.

Raymond y fut introduit, séparé de ses chevaliers, et accompagné de quatre moines qui l’avaient préalablement dépouillé de tous ses vêtemens. Quelques évêques baissèrent les yeux ; celui de Toulouse, Foulques, le plus fougueux ennemi de ce prince, le contempla avec un sourire amer(27).

« Vénérables frères, » dit le légat, « le comte de Toulouse ici présent s’est déclaré repentant et contrit des fautes et griefs qui lui sont reprochés, et s’est justifié du crime de meurtre qui a motivé le décret d’excommunication dont il est atteint.

« Avant d’être absous et relevé dudit anathème, en vertu de la pleine puissance et autorité qui nous est confiée par le St.-Siège, il est admis à prononcer devant vous le serment d’obéissance et de fidélité, sans l’observation duquel notre absolution serait nulle et comme non avenue. » Raymond fut conduit devant une table où plusieurs reliques étaient déposées sur un grand livre ouvert. Il y posa sa main droite et prononça la formule qui lui était prescrite, conçue en ces termes.

« Moi Raymond, sixième du nom, duc de Narbonne, comte de Toulouse et marquis de Provence, ayant la main posée sur les saintes reliques, le corps de Notre Seigneur J.-C., et le bois de la vraie croix, je jure de faire droit et d’obéir aux injonctions et commandemens du Saint-Père et de son légat Milon, notaire apostolique, sur tous les points qui ont trop justement motivé mon excommunication, et qui consistent, en ce que j’ai résisté aux réquisitions et manqué aux promesses d’expulser les hérétiques de mes domaines, accueilli et favorisé ces ennemis de l’église, pris à ma solde des routiers et des maynades, violé les franchises des jours de fêtes, dénié la justice à ceux qui l’ont requise, confié à des juifs des fonctions administratives, retenu injustement les domaines du monastère de St.-Guillem, castellanisé des églises et les avoir gardées en cet état(28), établi induement des péages et guidages nouveaux, attiré sur moi les soupçons de complicité avec les assassins du légat Pierre de Castelnau en les recevant et les accueillant, fait prisonniers l’évêque de Vaison et ses chanoines, démoli leurs maisons, et porté mes mains sur leurs personnes sacrées ; et, pour garantie de la promesse solennelle que je fais en votre présence de donner pleine et entière satisfaction sur tous les points ci-dessus énoncés, j’ai consenti à livrer et ai livré entre les mains des agens de l’église romaine les sept châteaux que je possède sur les bords du Rhône, me soumettant, en cas de violation de mes promesses, à la perte de ces châteaux et de mes droits sur le comté de Melgueil, les villes de St.-Gilles, Nîmes et Avignon ; déliant sous cette condition mes sujets, préposés et consuls de ces villes et domaines, de leur serment de fidélité, et transportant ledit serment à notre mère la Sainte-Église dont j’implore le pardon. »

Aussitôt que le comte de Toulouse eut achevé de prononcer cette formule de serment, le légat descendit de son siège, ôta son étole, la passa au cou du pénitent en guise de collier ; et marchant sur ses pas, le fit entrer dans l’église en entonnant le psaume miserere met Deus.

Le légat tenait d’une main le bout de l’étole, et de l’autre une poignée de verges dont il frappait les épaules de Raymond(29).

C’était grand pitié de voir ce prince alors âgé de 53 ans, et le plus grand seigneur de France après le roi, marcher nu de la tête aux pieds sur le pavé de son église de St.-Gilles, flagellé par un prêtre venu d’Italie. Une foule avide de ce spectacle était accourue de tous les environs. Les hommes et les femmes qui remplissaient la nef pressaient leurs rangs, pour livrer passage au pénitent et à son cortège.

Le comte, en circulant dans les intervalles qui s’ouvraient devant lui, se trouva conduit à l’entrée d’une chapelle basse et voûtée, et occupée par les curieux. Dans cette chapelle était la tombe de Pierre de Castelnau, surmontée de quelques pierres taillées en forme de monument. À l’approche du cortège, on entendit sortir des joints de ces pierres un long gémissement auquel succéda le cri d’une voix sépulcrale prononçant distinctement le mot Assassin.

La patience et l’obéissance de Raymond furent vaincues par cet incident. Il s’élança dans la chapelle, y entraîna son conducteur ; et, reprenant le ton du maître, il ordonna à tous ceux qui s’y trouvaient d’en sortir, « Qui que tu sois », s’écria-t-il alors, « homme ou démon, qui oses m’accuser d’assassinat, tu mens, et je te défie à la face du Dieu des chrétiens de répéter ton imposture ». Un silence profond succéda à cette interpellation.

Le peuple, qui d’abord avait paru seulement stupéfait, se sentit ému, et quelques murmures se firent entendre. Ces signes d’indignation n’échappèrent point à la sagacité du légat, qui se hâta de mettre fin à la cérémonie, et ramena promptement le comte à l’assemblée des prélats, où la formule de son absolution fut solennellement prononcée. Les moines qui l’avaient assisté dans cet acte de pénitence, lui rendirent ses habits et l’aidèrent à s’en revêtir. Dès qu’il eut reparu dans l’assemblée des prélats, le légat l’embrassa et attacha lui-même sur sa poitrine le signe de l’alliance chrétienne, en lui disant : « Fils de l’église, vous êtes rendu à votre mère ; soyez fidèle à suivre les voies qui vous sont et seront enseignées par elle. »

Raymond se retira dans son palais, où avaient été retenus ses chevaliers. Il se jeta dans leurs bras sans pouvoir prononcer un seul mot, et sans qu’aucune larme vînt mouiller ses yeux. Le lendemain, à son réveil, sa tête se trouva toute couverte de cheveux blancs.



NOTES
DU LIVRE PREMIER.
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(1) L’objet de ces notes est de donner à l’écrit que je traduis un caractère plus historique, en fixant les dates des évènemens, en rectifiant les faits embellis ou dénaturés par le trouveur, en indiquant ceux qui ont servi de base à ses récits et dont la teneur tend à prouver qu’il ne s’est pas écarté de la vraisemblance dans ses fictions. Le choix du héros convenait mieux à un romancier qu’à un historien. Une vie obscure et presque dénuée d’évènemens était propre à servir de cadre aux faits véritables ou supposés qui pouvaient le mieux faire ressortir les mœurs, les opinions et l’esprit du treizième siècle.
Il est évident que l’auteur a voulu éviter le reproche de n’avoir songé qu’à une intrigue d’amour, au milieu d’une guerre civile, ordonnée par des papes et prêchée par des moines. On voit aussi qu’il n’a pas voulu réserver son pinceau à une seule contrée, mais embrasser dans une esquisse rapide la plupart des nations du midi de l’Europe. Peut-être lui reprochera-t-on d’avoir trop souvent parlé en historien dans un écrit consacré aux fictions ; mais il y a tant de mensonges obligés dans les annales les plus authentiques, qu’on doit savoir gré à l’écrivain qui, en peignant les hommes, ne travestit ni le vice ni la vertu, et qui donne à ses fables ces couleurs vraies et naturelles, dont les écrits historiques sont si souvent dépourvus.
Tout bien considéré, il vaut mieux mettre de l’histoire dans le roman, que du roman dans l’histoire.

(2) Ceci rappelle le début d’un historien grec : « Je suis Denis, fils d’Alexandre, de la ville d’Halicarnasse. » Le nom de ce troubadour et celui de son père ne se trouvent ni dans le recueil de Nostradamus (Poètes provençaux), ni dans celui de Crescimbeni (Giunta alle vite dé poeti provenzali), ni dans aucune chronique du moyen âge. Le silence des écrivains n’est pas le seul motif qui doive faire considérer cet ouvrage comme pseudonyme.

(3) C’est sans doute par euphonie que le trouveur a conservé ce nom à l’ancienne Piscenæ, aujourd’hui Pézenas. Cette petite ville est appelée dans les actes du moyen âge Castrum de Pedenacio. Quoique écartée de la voie romaine qui était tracée sur l’autre rive de l’Hérault, sa situation agréable en avait fait un lieu de passage. Ce fut là que Simon de Montfort alla recevoir sa femme Alix de Montmorency, qui lui amenait un renfort de soldats. Loin de laisser ce domaine à l’épouse de Trencavel, comme l’a supposé notre auteur, Montfort l’obligea à renoncer aux droits qu’elle y avait par l’assignation de son douaire. Il en fit une donation authentique à un marchand de Cahors, nommé Raimond de Salvagnac, qui était son banquier ou son usurier, termes alors synonymes.

Preuves de l’Hist. de Langued., t. 3, p. 229.

Il n’y a point dans la France méridionale de territoire plus riche et plus agréable que celui de la vallée de l’Hérault, dont cette petite ville occupe le point central. Le troubadour ermite qui a parcouru récemment cette contrée lui applique ces vers du Tasse :

La terra molle e lieta e dilettosa
Simili a se gli abitator produce.

Erm. en province, t. 3.

On assure que la gaité des habitans n’est plus aussi vive depuis environ quarante ans, mais leur mollesse est restée la même. Il y a aux sources de la Peyne, à trois lieues de Pézenas, dans un sol montagneux, aride et peu abordable, un village appelé Pézène, où Astruc a cru reconnaître l’ancienne Piscenæ mentionnée par Pline ; mais cette opinion choque toutes les règles de la critique.

(4) Raymond Trencavel II, fils Unique, de Raymond Roger, vicomte de Carcassonne et de Béziers n’était âgé que de deux ans à la mort de son père (1209). Il fut élevé chez le comte de Foix, son proche parent, recouvra ses états en 1224, par la retraite d’Amauri de Montfort, et les perdit en 1226 après la prise d’Avignon par le roi de France Louis VIII.

Il essaya en vain de se faire absoudre pendant le court intervalle de sa restauration, et fut de nouveau excommunié en 1227 au concile de Narbonne.

La tentative qu’il fit en 1240 pour rentrer à Carcassonne ne lui réussit point. Il signa en 1247 une renonciation authentique à tous ses droits en faveur du roi Louis IX, qui lui accorda une rente de 600 livres (équivalent d’environ 25,000).

Trencavel suivit ensuite ce roi en terre sainte ; il laissa deux fils qui prirent le surnom de Béziers. Depuis on ne trouve plus aucune trace de cette famille, la plus puissante de la France méridionale après celle des comtes de Toulouse.

Voy. l’Hist. du Langued. de dom Vaissette,
et l’Art de vérifier les dates.

(5) La naissance de l’auteur de ce roman se trouve ainsi fixée à l’an 1200. Celle de Trencavel est anticipée d’un an, car il naquit en 1207.

(6) Ce même prince fut ensuite appelé Philippe-Auguste. Il est désigné dans l’historien toulousain de la croisade par le nom de Philip Diou Dounat, rey de Fransa.

Hist. de Langued., § 3. Preuves, p. 3.

(7) Arnaud de Brescia fut brûlé en 1145, Pierre de Bruys en 1147.

(8) Voici de quelle manière s’exprime le judicieux bénédictin dom Vaissette : À la fin du douzième siècle, l’un et l’autre clergé était tombé dans un grand relâchement ; la vie licencieuse des ecclésiastiques servit de prétexte aux sectaires pour les décrier, et comme ces derniers affectaient un air de piété et de réforme, ils séduisirent plus aisément les peuples.

Hist. de Langued., t. 3, p. 524.

Au concile de Lombers tenu en 1163, dit le même écrivain, l’évêque de Lodève interrogea les bons hommes et les déclara hérétiques. Ceux-ci se tournant vers le peuple : « Écoutez, » dirent-ils, « gens de bien, notre profession de foi. » Ils parlèrent ensuite sur les articles contestés comme les catholiques ; mais l’évêque leur ayant proposé de confirmer leur croyance par un serment, ils refusèrent de jurer en s’étayant sur les textes de l’évangile. L’évêque les condamna de nouveau à cause de cette interprétation.

Id. ibid. p. 3.

Ce récit prouve manifestement qu’on n’avait dans l’origine aucune hérésie dogmatique à reprocher aux dissidens ; car on ne peut donner ce nom à leur doctrine sur le serment.

Pendant les premiers siècles de l’Église chrétienne, d’innombrables hérésies naquirent des passions de la controverse et de la rivalité des ministres du culte. Quand le St.-Siège eut atteint cette autorité souveraine qui rendit le clergé si puissant, les querelles de dogme ne servirent plus que de prétexte et furent presque accidentelles ; la question politique ou hiérarchique devint fondamentale ; le véritable motif des hérésies nouvelles fut d’attaquer le principe de la discipline romaine, et les abus d’un pouvoir toujours insatiable, quoique déjà excessif. Avant le milieu du douzième siècle (vers 1136), Pierre de Bruys, Henri, son disciple, et en même temps Arnaud de Bresse, disciple d’Abélard, firent entendre les premiers des plaintes et des réclamations qui furent étouffées par le feu des bûchers, et auxquelles il a fallu un travail de trois siècles pour acquérir cette force qui a fini par affranchir les contrées du nord de l’Europe de la suprématie des papes.

(9) Il y avait, dit Guillaume de Puylaurent, (de Podio Laurentii), des hérétiques Ariens, des Manichéens et des Vaudois, ou Pauvres de Lyon ; mais ceux-ci étaient les plus éloquens. Les chapelains, ajoute ce prêtre, étaient tombés dans un tel discrédit, qu’au lieu de dire proverbialement : J’aimerais mieux être juif, on disait : J’aimerais mieux être chapelain que de faire une telle action ! Les clercs laissaient croître les cheveux pour cacher leur tonsure ; les chevaliers qui la plupart percevaient les dîmes des églises, ne destinaient plus leurs enfans à la prêtrise, et la faisaient conférer aux enfans de leurs inférieurs.

Guill. de Puyl. Prolog.

(10) On peut juger des instructions données à ces légats par celles prescrites précédemment.
Nous mandons, disait le pape Innocent III, aux princes, comtes et barons, d’assister puissamment nos légats ; en sorte qu’aussitôt que frère Raynier aura prononcé contre les hérétiques l’excommunication, les seigneurs confisquent leurs biens, les bannissent du pays, et les punissent plus sévèrement s’ils osent y demeurer ; et nous avons donné à frère Raynier le pouvoir d’y contraindre les seigneurs par l’excommunication et l’interdit sur leurs terres.

Perrin, Hist.  des Vaudois, I.2, ch. 3.

(11) Raymond a constamment nié qu’il eût pris aucune part à ce meurtre, et ce qui le justifie à cet égard est le refus que firent les légats ses ennemis de l’admettre à prouver son innocence. Quant à Pierre de Castelnau, on ne manqua pas de lui attribuer des miracles. Innocent III a eu la bonne foi naïve de dire à ce sujet que le saint martyr en eût fait sans aucun doute, si l’incrédulité des gens du pays n’y avait mis obstacle.

Fleury, Hist. ecclés. 1207, I. 76, § 36.

(12) Une épitaphe de ce prince en langue vulgaire dit qu’il n’y avait aucune puissance sur la terre capable de le déposséder, si ce n’était l’Église :

Non hya home sur terra per tan senhor que tous
Qu’en getten de ma terra se la gleysa non fous.

Catel. Hist. des comtes de Toulouse, p. 319.

Il possédait 1.° le duché de Narbonne, ce qui lui donnait une autorité supérieure sur toute la province ecclésiastique ; 2.° le domaine direct des comtés de Narbonne, Nîmes, Uzès, Béziers, Agde et Lodève ; 3.° le comté de Toulouse et toute sa province ecclésiastique ; 4.° les comtés d’Albigeois, Querci, et Rouergue en Aquitaine, outre l’autorité suzeraine sur plusieurs autres pays de cette province et de la Gascogne ; 5.° le Vivarais dans celle de Vienne ; enfin, 6.° au-delà du Rhône, le marquisat de Provence, qui relevait de l’Empire. Un auteur de son siècle dit que Raymond tenait en fief du roi Philippe-Auguste son cousin autant de villes qu’il y a de jours en l’an.

V. Hist. de Langued. l. 23, p. 324.

(13) Innocent III fut un des plus fourbes et des plus habiles monarques qui aient occupé le trône pontifical. Aucun de ses prédécesseurs, aucun de ses successeurs n’a porté aussi haut la puissance du glaive spirituel. Il anathématisa les premiers souverains de l’Europe et s’en fit obéir. Il ôta la couronne au roi d’Angleterre, et en lui rendant son domaine, s’en réserva la souveraineté. Il déposséda un grand nombre de seigneurs et retarda de trois siècles la révolution qui déjà menaçait les prérogatives du clergé romain. Le sénat et le peuple turbulent de sa capitale qui, peu d’années après sa mort, insultèrent son successeur, furent toujours maintenus dans l’obéissance par ce maître impérieux. Le domaine du St.-Siège fut étendu par lui des bords de la mer Toscane à ceux du golfe Adriatique. Le principe de sa politique fut de ne jamais employer la force qu’après avoir épuisé les moyens de la ruse. Il soutint les mêmes prétentions que Grégoire VII avec la même hauteur et bien plus de succès. Plus tard, le cours des années et l’ivresse de ses victoires semblent avoir disposé son caractère à l’impatience et à l’aigreur : l’invasion du fils de Philippe-Auguste en Angleterre le jeta dans un accès de fureur qui lui coûta la vie.

Voyez l’Hist. ecclés. de Fleury, année 1216.

(14) Raymond se méfiant de l’abbé de Citeaux, le pape Innocent III envoya un autre légat nommé Milon, en lui enjoignant secrètement de ne rien faire sans l’ordre de l’abbé. « Vous ne serez, » dit-il, « que son organe, attendu que le comte de Toulouse le tient pour suspect et qu’il ne se méfie pas de vous. »
Après la mort de Milon les mêmes instructions furent données à Thédise ; et à ce sujet Innocent III écrivait à l’abbé de Citeaux : « Nous lui avons ordonné de ne rien faire que ce que vous lui prescrirez, et d’être l’instrument dont vous vous servirez, en sorte qu’il sera comme l’hameçon que vous emploierez pour prendre le poisson dans l’eau, auquel il est nécessaire, par un prudent artifice, de cacher le fer qu’il a en horreur, afin qu’à l’exemple de l’apôtre qui dit : étant homme rusé, je vous ai surpris par la ruse, vous préveniez la tromperie par ce stratagème. »

Hist de Langued. t. 3, p. 189.

(15) Hugues d’Alfar, gentilhomme navarrois, épousa Guillemette, fille naturelle du comte de Toulouse. On le vit en 1218 sénéchal d’Agenois, et défendre contre Simon de Montfort le château de Pernes. Il avait enrôlé 400 routiers.

Hist. de Langued. t. 3, p. 228 et 325.

(16) Cette anecdote appartient à l’histoire du treizième siècle, mais non à celle de ses premières années. Elle est racontée dans les mémoires de Joinville avec une admirable naïveté par St.-Louis lui-même, comme étant arrivée à l’abbaye de Clugni.

(17) Innocent III écrivait à son légat : « Vous ne vous en prendrez pas d’abord au comte de Toulouse ; mais le laissant pour un temps, et suivant l’art d’une sage dissimulation, vous commencerez par faire la guerre aux autres hérétiques, de crainte que, s’ils étaient tous réunis, il fût plus difficile de les vaincre… Puis, si ce prince persévère, il sera plus facile à attaquer quand il sera seul.

Innocent III, épist. 252, I. XI.
Art de vérifier les dates. Art. Raymond VI.

(18) Le mot Occitanie était déjà usité avant le treizième siècle ; il est employé dans les actes d’Innocent III, comme synonyme de Languedoc ou Lingua doc, dénomination du pays en langue vulgaire ou romane.

(19) Ut quod calet intus pateat extra.

Guill. le Breton. Voyez Catel, Hist. des comtes de Toul., p. 244.

On a porté jusqu’à 500,000 hommes l’armée de ces croisés ; d’autres ont réduit ce nombre à 300,000. Pierre de Vaux-Cernay, contemporain, évalue seulement à 50,000 hommes les troupes qui assiégèrent Carcassonne. On y voyait des Flamands, des Normands, des Aquitains, et des Bourguignons, conduits par les archevêques de Reims, de Sens, de Rouen ; les évêques de Nevers, de Bayonne, de Lisieux, de Chartres, etc.
Les seigneurs séculiers étaient : Eudes, duc de Bourgogne ; Hervé, comte de Nevers ; le comte de St.-Paul ; Simon de Montfort, comte de Leycestre, etc. Les croisés, arrivés à Lyon, élurent pour leur généralissime Arnaud, abbé de Citeaux, et légat.

Voyez l’Hist. de Langued., t. 31. 21.

(20) Burdinarii, hommes à bourdon.

Voyez Catel, Hist. des comtes, p. 244.

(21) Suivant l’historien de la guerre des Albigeois, ce fut le roi d’Aragon qui, reprochant à Raymond sa condescendance envers les légats, lui dit en langue vulgaire : pla bous an pagat. Il vous ont payé en bonne monnaie.

(22) Plusieurs historiens et géographes ont cru que le pont de Beaucaire à Tarascon était celui indiqué dans l’itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, sous le nom de pons œrarius. Danville a prouvé que ce dernier était construit sur un canal détourné du Rhône à l’étang d’Escamandre, entre Nîmes et Arles.

Voyez Notice de la Gaule, p. 524.

(23) Ce fait miraculeux est consigné dans une bulle du pape Nicolas V, en 1438. Le pont du St.-Esprit ne fut réellement commencé qu’en 1265, et fut achevé en 1309.

Hist. de Langued., t.3, p. 505.

(24) On lit dans les prescriptions du légat au comte de Toulouse : Item prœcipio ut aragonenses, ruptarios, cotarellos, basculones, maynadas vel quocumque alio nomine censeantur de tota terra tua et posse tuo prorsus expellas.

Catel, Hist. des comtes de Toulouse, p. 246.

(25) Nolo mortem impii, sed ut convertatur et vivat. Psalm.

(26) Ces châteaux étaient ceux d’Oppède, Montferrand, Baumes, Mornas, Roquemaure, Foulques et Fanjaux.

Hist. de Langued., t. 3, p. 161.

(27) Foulques était fils d’un marchand de Gênes, établi à Marseille, qui mourut riche. Le jeune homme fut poète, homme de cour et amoureux. Adélaïde de Roque-Martine, femme de Barral, vicomte de Marseille, rejeta ses hommages ; ce qui le détermina à quitter Marseille pour Montpellier. Eudoxie Commènes, femme de Guillaume, agréa ses services et ses chansons ; il se dégoûta du monde, selon le langage des historiens du temps, et prit l’habit de Citeaux, avec un de ses fils : sa femme se fit religieuse du même ordre. Foulques devint en peu de temps abbé du monastère de Florège, appelé aussi Toronet, et fut choisi en 1205 pour remplacer à l’évêché de Toulouse Raymond de Rabastens, qui déplaisait au St.-Siège.
Sa vie épiscopale est un tissu d’actes de cruauté, de fanatisme et de perfidie envers son prince et son peuple. Il fut contraint de supporter à Rome, en plein concile, le reproche d’avoir fait livrer au pillage la ville de Toulouse, et causé la mort de plus de dix mille habitans : ce reproche lui fut adressé non-seulement par le comte de Foix, mais aussi par des ecclésiastiques, membres du concile.
Foulques est de tous les prêtres de cette époque celui qui a eu le plus de part à l’établissement de l’Inquisition. Cette institution reçut ses règles et ses formes définitives au concile de Toulouse en 1229 ; elle ne fut pas l’ouvrage d’un homme, mais naquit de l’esprit du temps. Avant le concile de Toulouse, Foulques avait désiré sa retraite, et l’avait demandée au pape, qui la lui refusa. Il mourut en 1231 et fut enterré au monastère de Grandselve. Il ne laissa son évêché, dit Guillaume de Puylaurent, qu’après l’avoir en quelque sorte ressuscité et bien pourvu de dîmes prises sur les laïques, pour garantir une existence honorable à ses successeurs, lui qui n’avait pas de quoi vivre, et ne trouva pas plus de cent sous toulousains à sa disposition, lorsqu’il prit possession du siège de Toulouse.

Guill. de Puylaur., c. 41.
Ses confrères l’ont qualifié de bienheureux. Notre troubadour n’en fait pas un homme de bien ; mais il est peint par l’histoire sous des formes bien plus odieuses.

(28) C’est-à-dire en avait fait des forteresses ; ce qui est exprimé par le mot incastellare. La formule du serment de Raymond nous a été conservée dans l’Histoire des comtes de Toulouse, par Catel.

(29) Dans la description du cérémonial de cette absolution, l’historien des Vaudois a eu la pudeur de laisser un caleçon à l’illustre pénitent. Le moine de Vaux-Cernay le représente nu de la tête aux pieds. Ce moine était témoin oculaire, et cette guerre impie lui valut l’évêché de Carcassonne. Aucun auteur ne fait mention de l’épisode qui, selon le trouveur, interrompit la cérémonie.
P. S. En la présente année 1833, l’exemple d’une pareille supercherie a été renouvelé en Espagne, par un moine de l’Escurial qui a fait entendre les regrets et les gémissemens du défunt roi Ferdinand, sous les voûtes de la sépulture Royale.

Note de l’éditeur.


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