Le livre des petits enfants/30

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Anonyme
Le livre des petits enfantsJohn Wiley (p. 152-169).


L’ENFANT DU PAYS DES BASSOUTOS.


Mes chers amis, au midi de l’Afrique, il y a des peuples qui ne connaissent ni Dieu ni son Fils Jésus-Christ. Ils adorent des idoles, qu’ils appellent leurs dieux, qui ont bien des oreilles, une bouche et des yeux, mais qui n’entendent pas, ne voient pas et ne parlent pas. Les Missionnaires, qui sont des hommes pieux et instruits, vont visiter ces pauvres gens, et leur apprennent qu’il y a au ciel un Père qui aime ses enfants et un Sauveur qui prie pour eux. Le Seigneur touche leur cœur, et ils se convertissent, c’est-à-dire qu’ils renoncent à leurs idoles et qu’ils abandonnent leurs péchés, parce qu’ils savent que Dieu, dans sa bonté, a envoyé son Fils sur la terre pour recevoir la punition que leurs fautes méritaient ; et ils savent qu’ils ne pourraient être sauvés, s’ils continuaient à vivre dans le mal.

On raconte que dans la vallée de Matlapas, au pays des Bassoutos, habitants du midi de l’Afrique, il y avait un jeune enfant, que nous appellerons Moïse, parce qu’il reçut ce nom quand il crut à l’Évangile. Il était fort aimé de ses parents, qui prirent grand soin de lui. Son Père était riche ; cela veut dire dans le pays qu’il avait des vaches, un troupeau de chèvres, et un beau champ qui était près de sa hutte ou cabane ; car vous saurez que chez les Bassoutos il n’y a pas de belles maisons comme à Lyon.

Moïse commençait à grandir ; il avait huit ans, et son Père lui remit un javelot léger, c’est-à-dire une lance en bois, et un chapeau de jonc. Il devait être Berger ; il allait garder les vaches et les chèvres, dont le lait l’avait nourri. Ce cher enfant en était tout joyeux ; mais, vous le savez, mes amis, au milieu de la joie on est quelquefois bien près de pleurer, et les malheurs arrivent au moment où l’on s’y attend le moins.

Il y a huit ans, que les peuples ennemis des Bassoutos se répandirent dans la vallée de Matlapas. Ils brûlèrent les champs de blé, s’emparèrent des troupeaux et de tout ce qui appartenait aux habitants. On vit dans l’air s’élever des nuages de fumée qui annoncèrent que l’ennemi avait mis le feu aux maisons de tous ceux qu’il avait fait mourir. Le Père de Moïse fut tué, et le pauvre enfant resta seul avec sa Mère, qui s’appelait Coni. Pourtant leur cabane ne fut pas détruite. Ils allèrent s’y établir de nouveau ; mais ils n’y retrouvèrent aucune provision. La mère de Moïse coupa un bâton pointu à la haie qui entourait sa hutte, et elle envoya son fils déterrer des racines. Elle fit des gerbes de millet ; elle en écrasa le grain entre deux pierres ; puis elle pétrit un pain, qui les nourrit pendant plusieurs jours. Cette pauvre femme n’avait qu’une peau de mouton pour se couvrir. La mauvaise nourriture et le chagrin la rendirent malade ; bientôt elle ne put plus sortir de son lit, et Moïse ne comprenait pas pourquoi elle n’allait plus avec lui s’asseoir au soleil.

Un jour il entendit que sa Mère l’appelait d’une voix bien faible… « Mon enfant, lui dit-elle, va-t’en : tu trouveras quelqu’un qui aura pitié de toi ; suis le petit chemin qui traverse la vallée… Pour moi, je sens que je vais mourir, et tu resteras sans mère… — Quoi ! vous quitter ! s’écria Moïse tout effrayé. Ne me parlez pas comme cela, vous me ferez pleurer ; » et le pauvre petit, dans son chagrin, se cachait sous la peau de mouton qui couvrait sa bonne Mère ; mais il ne s’était pas aperçu qu’après lui avoir parlé, elle avait cessé de vivre.

Deux jours se passèrent ainsi sans qu’il s’en doutât : il la croyait endormie, et il n’osait la réveiller. Une femme qui vint à passer, lui apprit que sa Mère était morte. Il ne savait pas ce que ce mot voulait dire ; mais il le comprit, quand il vit qu’elle était froide et sans mouvement. Il en eut un grand chagrin, et suivait des yeux la personne qui venait de lui parler et qui le laissait sans secours…

Le lendemain il se rappela le conseil de sa Mère, et suivit le sentier qu’elle lui avait indiqué. Il arriva près d’un champ cultivé par un homme qui le regarda avec bonté. Il s’assit à terre sans rien dire. Cet homme, appelé Bugnane, alla vers lui et comprit que c’était un enfant seul et abandonné. Il le prit par la main, et le mena près d’un ruisseau. Là, il lava ses pieds et ses mains couverts de boue et d’ordure.

Moïse, qui commençait à souffrir de la faim, poussait de grands cris. Bugnane appela ses enfants, leur recommanda de veiller sur le petit étranger, et alla lui chercher de la nourriture. Il revint bientôt après, apportant un pain de millet et un vase rempli de lait ; mais Moïse ne pouvait plus ouvrir la bouche. On lui fit pourtant avaler quelques gouttes de lait, et encore poussa-t-il un grand cri en avalant la première gorgée. C’est ce qui arrive à ceux qui ont eu le malheur de passer deux jours sans manger.

Remerciez Dieu, mes chers enfants, de ne pas avoir souffert de la faim comme Moïse ; car on ressent de grandes douleurs. On donna de tendres soins à l’enfant, et il ne tarda pas à se remettre ; puis il fut bientôt assez fort pour se rendre utile à la famille. Il se regardait comme un fils de la maison, et il aimait le bon Bugnane comme son père.

Malheureusement, les ennemis vinrent de nouveau dans le pays. Ils s’y établirent, le ravagèrent, y firent de grands dégâts, et y causèrent la famine. On craignait de voir arriver les Cannibales. Ce sont des peuples sauvages qui mangent leurs semblables, et se nourrissent de chair humaine. Il y a des Cannibales dans le midi de l’Afrique ; de temps en temps ils se répandent dans le pays, et l’on apprend que des hommes ont été dévorés par eux. Espérons que les Missionaires iront un jour les visiter, et leur feront connaître leur énorme péché.

Déjà on parlait de quelques voisins que ces peuples cruels avaient mangés à leur repas, comme nous mangeons du bœuf ou du mouton. Bugnane songea alors à quitter sa hutte avec sa famille, et le petit Moïse les suivit ; mais ce brave homme craignit que ce cher enfant ne fût victime des Cannibales, car il était encore bien jeune, et n’aurait pu se sauver comme les autres. Il lui ordonna donc de ne pas aller plus loin. Le petit orphelin voulait absolument le suivre. Il lui disait : « N’êtes-vous pas mon Père ? » et il pleurait amèrement ; mais Bugnane craignait de ne pouvoir le défendre contre l’ennemi, qui s’approchait ; il l’engagea donc de nouveau à se séparer de lui, pour aller se mettre au service de quelque chef puissant du pays.

L’enfant résista encore, mais il comprit qu’il fallait obéir et se décida, en pleurant, à quitter celui qui avait été pour lui un second père. Bugnane, apercevant quelques hommes qui venaient de tuer un bœuf leur donna son collier de cuivre pour un morceau de viande, qu’il attacha sur l’épaule de Moïse, et celui-ci s’éloigna tout triste et tout affligé.

Le pauvre petit s’assit sur le bord du chemin, et il pleurait tant, qu’il ne put pas voir la route que Bugnane prenait avec sa famille. Bientôt après, une troupe de Cannibales, cachée dans le bois, poursuivit le pauvre père et ses enfants : et le lendemain on vit sur le terrain des ossements qui prouvaient que le malheureux Bugnane et sa famille avaient été dévorés par les hommes cruels dont je vous ai parlé.

Vous voyez, mes chers enfants, qu’en séparant Moïse de son bienfaiteur, Dieu lui avait sauvé la vie ; mais qu’allait-il devenir ? Il craignait les Cannibales ; car il ne savait pas encore qu’il y a un Dieu qui prend soin des enfants abandonnés.

Pour éviter une mort affreuse, il s’enfuit dans les montagnes, et se réfugia dans une grotte qui se trouvait placée au soleil levant ; et là, il passa près d’un an, ne se nourrissant que de racines et de fruits sauvages ; et quand la pluie l’empêchait d’aller chercher sa nourriture, vous comprenez qu’il souffrait de la faim comme il en avait déjà souffert.

Au bout de quelques mois, son manteau de peau de mouton était tout usé, et le petit solitaire, sans feu, sans couverture, et dans une grotte couverte de neige, était bien malheureux ! de plus il entendait les hurlements effrayants des tigres et des lions, qui troublaient son sommeil pendant la nuit. Tant de malheurs, tant de souffrances détruisirent la santé de ce pauvre enfant, et il se décida à retourner dans la vallée de Matlapas, lors même qu’il y trouverait les ennemis qui avaient détruit les huttes des habitants, et qui avaient ravagé leurs champs.

Quand les Missionnaires arrivèrent dans le pays des Bassoutos, il y a huit ans, ils trouvèrent Moïse au milieu des enfants de son âge, et comme eux il était très mauvais et très ignorant ; il se mettait à genoux devant les idoles : il rendait le mal pour le mal, et commettait toute sorte de péchés.

Savez-vous pourquoi, mes amis ? C’est parce qu’il ne connaissait pas le Seigneur. Mais quand les Missionnaires lui apprirent que nous avons dans le ciel un Père qui nous aime, qui prend soin de nous, et qui a envoyé son Fils sur la terre, afin que les pauvres pécheurs fussent pardonnés et réconciliés avec Dieu, la joie du jeune sauvage fut grande.

« C’est donc ce bon Père, dit-il, qui a veillé sur moi ; c’est lui qui m’a conduit dans la cabane de Bugnane, c’est lui qui m’a empêché de le suivre et d’être dévoré par les Cannibales ; c’est lui encore qui m’a gardé contre les hyènes et les tigres dans la caverne où je me suis réfugié. Qu’ai-je fait pour être tant aimé de lui ? Rien du tout ! et j’ai été sauvé comme un épi qui serait resté seul au milieu d’un champ que la grêle aurait détruit. Si je vis, ma vie est un miracle ; je vis, parce que Dieu a dit : Moïse vivra… — Et pourtant je l’ai offensé si souvent ! Dès ce moment je veux être à lui ; je veux l’aimer et vivre pour lui. »

Quelque temps après, cet aimable enfant fut baptisé par le Missionnaire Casalis ; ce fut une belle cérémonie. Représentez-vous, mes amis, le jeune Moïse placé au milieu de plus de mille sauvages ; son visage exprimait la joie, et ses yeux étaient fixés vers le ciel. Il s’écria :

« Quel amour le Seigneur a eu pour moi ! et combien je suis heureux maintenant d’être au nombre des Chrétiens, et de reconnaître Jésus pour mon modèle, mon Sauveur et mon Dieu ! J’étais malheureux et tourmenté, aujourd’hui j’ai la paix et je suis plein de bonheur. Que le Seigneur en soit mille fois béni ! »

Et voilà, mes chers enfants, ce qui arrive à un grand nombre de ces pauvres habitants de l’Afrique ! Priez pour eux, afin que ceux qui adorent les faux dieux, et qui vivent dans l’ignorance et dans le mal, soient instruits par les bons Missionnaires, et convertis à l’Évangile comme le petit Moïse, dont je viens de vous raconter l’histoire.