Le mariage de Josephte Précourt/09

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IX. — LA SOIRÉE DANSANTE DES PRÉCOURT


LORSQUE Michel des Rivières-Authier pénétra chez les Précourt, neuf heures sonnaient. Il arrivait vraiment en retard. L’orchestre préludait et il vit, en montant l’escalier qui conduisait au premier étage, que les couples des danseurs se mettaient en place pour un quadrille. On le conduisit à la chambre affectée aux jeunes gens. Lentement, Michel enleva son pardessus, mit ses gants blancs, et allait sortir de la pièce, sans avoir jeter le moindre coup d’œil sur la glace qui lui renvoyait son image, lorsque son patron et ami, Amable Berthelot, entra précipitamment.

— Michel, enfin ! Je me tenais dans un petit salon, vis-à-vis de l’escalier, et vous ai vu passer, mélancolique, taciturne, le front barré de plis ; que sais-je encore…

— Je vous en prie, cher patron…

— Patron ?… Allons donc, nous sommes ce soir sur un terrain qui fait de nous des égaux. Venez que je vous présente à quelques amis.

— J’avais l’intention de me glisser près d’une porte et d’y demeurer en ma qualité d’inconnu…

— Oui, mais je suis là pour empêcher cet abus. Vous dansez très bien, paraît-il.

— Une nouvelle indiscrétion de Mlle Paulet ?

— Vous avez deviné.

— Et vous, M. Berthelot, vous ne suivez guère les conseils que vous me donnez ?

— Bah ! Mes trente-trois ans sont trop visibles pour les débutantes.

— Même pour la jolie Hélène Bédard ?

— Chut ! Ne tournez pas le fer dans la plaie. Cette enfant adorable et très entourée m’a joué le vilain tour de ne me garder que le troisième quadrille. Je ne valse pas, voyez-vous. Puis, je suis arrivé, comme vous, un peu en retard. J’en suis châtié avec justice.

— Si vous m’épargniez les présentations ? Je me sens peu disposé…

— Je ne veux rien entendre. Le brillant Charles Laberge, et ce mondain spirituel qu’est Louis Letourneux, le chroniqueur de l’Album de la Revue canadienne, nous amuseront… George-Étienne Cartier est là aussi… Que de retardataires, n’est-ce pas ? Madame Précourt, tout à l’heure, nous fera de gros yeux.

— Vous êtes toujours trop aimable pour moi. Je vous suis.

Les dernières mesures du quadrille s’achevaient, lorsque Michel descendit au salon, en compagnie de M. Berthelot et de Louis Letourneux qui lui plaisait déjà beaucoup. Sous son apparente souplesse d’homme du monde, Michel devinait qu’un cœur généreux, uni à un ferme bon sens donnait à cette personnalité un attrait irrésistible. La surprise heureuse de Mathilde Précourt en apercevant Michel, sauva ses compagnons de tout reproche sur leur arrivée tardive.

— Bonsoir, Michel, s’exclama la maîtresse de maison, aussi affable que belle. Je commençais à désespérer… Allons ! allons ! messieurs les retardataires, il faut tous que vous expiiez ces minutes perdues… Les jolies filles ne manquent pas dans ce salon… Faites l’assaut de leurs carnets. Et dépêchez-vous !

— Ils sont archi-remplis ces carnets, chère Madame, répliqua en riant Amable Berthelot. J’en sais quelque chose, allez.

— Alors, M. Berthelot, ayez des égards pour les jeunes filles moins convoitées, ce soir. Il y en a peu, mais il y en a.

— À vos ordres, Majesté ! Mais si l’on me fait une scène de jalousie pour cet empressement dont vous m’intimez l’ordre…

— Madame Bédard, qui est à ma droite, vous défendra…

— Madame Précourt, je n’ai nommé personne, je vous assure, répondit encore en riant, Amable Berthelot.

— Je puis m’être trompée, en effet. Mais je le regretterais pour vous. Et voyez, cette chère amie, Madame Louis-Hippolyte La Fontaine, qui me tient aussi compagnie, vous regarde toute triste… Elle croyait comme moi à votre bon goût qui se fixait enfin…

— Vous me taquinez en vain, Madame. Je suis de très bonne humeur, ce soir… Allons, je vous quitte afin de mieux vous obéir.

Durant cet entretien, que Michel écoutait en souriant, appuyé au dossier de Madame Précourt, les danseurs passaient et repassaient devant lui. Mais Josephte n’apparaissait dans aucun de ces groupes. Tout à coup, une voix, tout près, prononça gaiement son nom. Michel se retourna et reconnut Hélène Paulet. Il devait forcément aller la saluer. Il prit congé de Madame Précourt.

— Ne t’engage pas pour la prochaine danse, lui souffla la bonne Mathilde et ne me perds pas de vue. Si mon éventail s’agite dans ta direction, accours auprès de moi. C’est compris ?

— Votre volonté est la mienne, princesse, souffla-t-il, lui aussi.

— Bien, mon petit Michel. Va auprès d’Hélène Paulet. N’oublie pas d’inviter sa charmante petite sœur. C’est une des plus jolies danseuses de mon salon, ce soir.

Hélène Paulet s’empara en riant et en badinant du carnet vide de Michel et y inscrivit son nom quatre fois. Puis, elle le lui tendit ainsi que son propre carnet afin qu’il répondît à ses politesses. Michel s’exécuta de bonne grâce après avoir constaté, que la danse dont l’orchestre attaquait les premières mesures n’était pas comprise parmi les quatre engagements que venait de réclamer avec sa drôlerie gracieuse, une des héritières Paulet. Hélène Paulet était vraiment en beauté ce soir-là, dans une robe de gaze rouge avec une rose de même couleur placée avec goût dans sa chevelure noire.

— Avez-vous vu, Blanchette, M. Authier ? demanda la jeune fille. Elle était ici, il y a un instant. Ah !… je la vois, là-bas, à gauche, près de la porte du fond. Jules est là aussi. Et Josephte, naturellement. Je me demande si mon frère s’arrachera d’auprès de ce lis… Quel bon goût possède Josephte ! Voyez comme ce blanc vaporeux, appelait vraiment ces quelques roses blanches. Elles donnent une vie alanguie, mais réelle à son costume aérien. Mais vous me quittez déjà ?

— Votre danseur s’approche… Voyez !

— Alors, à la prochaine polka.

— Je me souviendrai.

Le jeune homme s’inclina ; puis, libéré, il chercha des yeux un endroit qui lui permettrait de s’emplir les yeux sans qu’on le vît, de la vision de Josephte, de Josephte si belle, dans sa blancheur et sa fraîcheur éblouissantes. Ses cheveux dorés mettaient, je ne sais quelle lumière chaude autour de son front. Ses yeux étaient baissés, et un peu de rougeur se substituait peu à peu à sa pâleur… Que lui disait donc Jules Paulet « qui ne pouvait s’arracher d’auprès d’elle » ? Comme venait de le déclarer sa sœur Hélène. Michel fronça les sourcils. Heureusement, Blanche Paulet ne se tenait pas très loin ; elle devait entendre quelque chose de ces confidences… d’amoureux, il n’y avait pas à dire.

Michel tressaillit soudain. Il voyait s’approcher du groupe deux personnes : Mme Olivier Précourt et un jeune et joli danseur, qui vint s’incliner devant Josephte. À cet instant, Mme Précourt leva son éventail deux fois… Oui, c’était bien lui, Michel, qu’elle appelait. Elle avait dû le suivre des yeux tout à l’heure, afin de connaître son lieu de retraite. Quelle bonté lui témoignait de nouveau sa princesse ? Il répondit en hâte à son appel. Le cœur lui battait un peu. Quel accueil lui réservait Josephte ?

— Josephte, nous avons un danseur inespéré à notre soirée… Vois qui s’approche…

Josephte leva les yeux et aperçut Michel qui se dirigeait vers elle. Les quelques couleurs qui avaient monté à ses joues disparurent aussitôt. Jules Paulet paraissait mécontent de cette intrusion.

Il se pencha vers Josephte.

— Vous êtes engagée pour cette danse avec le jeune homme qui causa avec ma sœur, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Si son peu d’empressement à vous enlever était puni… Donnez-moi cette nouvelle danse.

— Non, non, Jules. Ce serait la cinquième. Vous n’êtes pas raisonnable.

— Oh ! la raison quand je vous vois… Votre beauté m’affole.

— Jules !

— Au bal, les compliments sincères doivent-ils être bannis ?

— Chut !… Et puis, ce jeune homme n’ose pas sans doute se substituer à vous… Éloignez-vous, Jules, de grâce.

— Dès que ma sœur aura été rejointe par son danseur. Pas avant. Ne me disputez pas ces instants que je vous consacre. Ils sont toujours trop courts.

Madame Précourt intervint avec sa grâce victorieuse.

— Josephte, dit-elle, il faut danser avec Michel. Notre petite Blanchette attend en vain son danseur. Il remplit un message à ma demande. Ton devoir d’hôtesse t’invite d’ailleurs à cette combinaison. Je ne crois pas que cela puisse déplaire à aucun de vous. Du moins, il me semble. Jules, voulez-vous me ramener à ma place, et vous occuper un peu des dames qui m’entourent ? Votre courtoisie si parfaite ne refusera pas de leur venir en aide. Un peu de vin ferait du bien à ce groupe d’aimables douairières.

Tous s’inclinèrent devant cette volonté aussi souriante que ferme. Peut-être un observateur aurait-il saisi, au passage, une contraction autour des lèvres minces de Jules Paulet ; ou encore, un tressaillement douloureux chez Josephte ; Michel, le regard un peu sombre se mit à danser avec Josephte dont les yeux le fuyaient. Une valse à deux temps se poursuivait au rythme d’une musique entraînante.


— Vous n’êtes plus souffrante au moins ? Votre pâleur m’inquiète…
— Je ne suis pas souffrante.

Michel et Josephte firent deux tours sans échanger la moindre parole. Leur émoi était réciproque. Leur réunion s’opérait enfin. Mais soudain Michel sentit que la jeune fille ralentissait le pas. Il cessa de danser pour la conduire hors des couples qui tournoyaient joyeusement.

— Vous êtes fatiguée, Josephte ? Quel dommage ! Vous dansez bien. Mon Maître Allarius apprécierait votre grâce… Mais où voulez-vous que je vous conduise ?… Je regrette de ne pas connaître les coins paisibles…

— Michel, montons au petit salon du premier étage, dit Josephte, sans lever les yeux sur son compagnon.

— Vous n’êtes plus souffrante au moins ? Votre pâleur m’inquiète…

— Je ne suis pas souffrante.

— Vous ne prendriez pas quelque chose de réconfortant ?

— Non, merci.

Tous deux montèrent lentement ; Michel se sentait à la fois heureux et malheureux. Sa petite Josephte lui appartenait pour quelques minutes, au moins ; mais, par contre, quelle attitude énigmatique était la sienne ! Quelle réaction ce cœur de jeune fille subissait ! Quelle réaction en ce moment ? Souhaite-t-il le retour de Jules Paulet ? Ou bien, se trouvait-il ennuyé de l’incident qui ramenait auprès de lui, un humble compagnon d’enfance ?

Arrivés près du petit salon, Josephte s’arrêta. Michel l’imita. Aussi bien, deux voix d’hommes s’y élevaient et très hautes. Michel vit Josephte tressaillir et s’appuyer au mur, car son nom venait d’être prononcé. Deux chaises étaient rangées tout près. Michel les poussa doucement et invita la jeune fille à s’asseoir. Elle obéit toujours sans le regarder, toute à la conversation qu’elle entendait sans l’avoir désirée. Michel, forcément, écoutait lui aussi ce bavardage de mondains impitoyables. Mais… voici que l’on prononçait aussi son nom…

— Écoutez ce que je vous prédis, disait l’une des deux voix, la belle aristocratique Josephte rejettera bien vite cet ami d’enfance à la situation obscure… L’audacieux Jules Paulet sera victorieux. Il est si riche, d’ailleurs.

— Mais je ne vous ai pas contredit que je sache. J’ai simplement noté devant vous, ce petit incident d’une danse imposée à Josephte, incident réglé, si elle ne l’a fait naître, par notre aimable hôtesse, Madame Précourt.

— Aussi, qu’est-il venu faire ici ce clerc inconnu, pauvre comme un rat d’église, répète-t-on partout ?

— Il est beau, il danse à ravir, il…

— Oh ! assez. La vie n’est pas un bal continu.

— Non, mais on contracte au bal des engagements qui durent toute la vie.

— En tout cas, ce jeune homme, qui n’est pas de notre monde, ne manque guère d’audace. Il profite de tout. Danser avec une jeune fille aussi raffinée que la petite Précourt, et ne montrer qu’un air contraint, sombre, dégoûté…

— Il est intimidé, bouleversé, parbleu !

— En tout cas, je ne m’explique pas le geste des dames Précourt. Adresser une invitation à ce pseudo-Américain, qui se donne des airs de prince, mais qui est né, j’en suis sûr, sous quelque feuille de chou… ah ! ah ! ah !

— Qui sait si on l’a invité ?

Un gémissement de Josephte se fit entendre. Michel, qui se raidissait et blêmissait de plus en plus sous les paroles insultantes qu’il entendait, se pencha vers la jeune fille.

— Qu’avez-vous, Josephte ? Les vérités que nous entendons ne vous affectent pas, j’espère ?

— Michel, éloignons-nous…

— Pourquoi ? Il faut bien que j’apprenne ce que la renommée montréalaise me réserve en fait de tendres paroles… Mais vous semblez effrayée ? Redoutez-vous quelque geste malencontreux du petit inconnu ?

— Mon Dieu ! Michel, par pitié… Je veux redescendre au salon.

— Oui, car Jules Paulet doit s’inquiéter. Venez.

Mais à cet instant où le regard de Michel, qui étincelait, se fixait durement sur la pauvre Josephte qui sentait les larmes la gagner, les jeunes gens médisants sortirent de la pièce, en riant et en chancelant un peu. Ils passèrent auprès de Michel et de Josephte sans les voir.

— Michel, je veux rentrer dans le petit salon, maintenant qu’il est vide… Et seule.

— Très bien, Josephte. Il ne me reste qu’à vous demander pardon de vous mettre dans cet état de gêne et de tristesse… J’ai dû obéir à Mme Précourt, tout à l’heure… Vous le comprenez ?

— Je ne le comprends que trop.

— C’est tout ce que vous trouvez à me dire, Josephte ? Pas un mot qui m’expliquerait votre attitude…

— Moi ? Moi, je vous expliquerais mon attitude, s’exclama Josephte, en se redressant, un peu indignée et la voix tremblante. Comme c’est injuste.

— Voyons, Josephte…

— Je n’en puis plus… Je n’en puis plus… Je veux rester seule.

— Adieu, Josephte, puisqu’il en est ainsi… Je ne vous imposerai plus ma présence, ici. Soyez-en sûre. Mais… quelle misère !… Vous, vous, Josephte me recevoir ainsi…

— Michel… pardon, en effet. Je n’ai pas le droit de traiter ainsi un de nos invités.

— Si cet invité était de votre monde, non, sans doute. Moi, n’est-ce pas ? Moi, est-ce que je compte ?

— Michel, Michel, je souffre…

— Je vais vous envoyer votre amoureux, M. Paulet, il vous rendra votre calme de tout à l’heure…

— Je défends qu’on appelle qui que ce soit… Je veux être seule, bien seule…

— Je vous obéis.

Et Michel, en s’inclinant très bas, quitta Josephte sur le seuil du petit salon. Il venait de faire quelques pas dans le corridor, lorsqu’un sanglot de la jeune fille parvint à ses oreilles. Il se raidit en soupirant. Puis, se remémorant à la fois la conversation dédaigneuse des deux mondains, et l’attitude froide, incompréhensible à certains points de vue de Josephte, il s’enfuit vers la chambre où se trouvaient ses vêtements, puis, avec précaution, quitta ensuite la maison. Bah ! qu’importait au fond son manque de politesse. On en sourirait avec ironie dans ces milieux de haute bourgeoisie. « Comment s’attendre, irait-on en le répétant, à une courtoisie parfaite de la part de ce clerc, à la naissance obscure ? »

Michel avait habilement ménagé sa fuite, car il venait à peine de disparaître lorsque Madame Précourt monta vivement l’escalier qu’il venait de descendre. Elle aperçut Josephte dans le petit salon, assise seule, et se tamponnant les yeux. Elle entra aussitôt.

— Qu’est-ce qui se passe, ma petite Josephte ? Où est Michel ?

— J’ai souhaité être seule.

— Le pauvre enfant a dû être désappointé. Pourquoi as-tu agi ainsi ?

— Cousine, je n’en pouvais plus… Sais-tu que Michel ne me tutoie plus… J’en ai éprouvé un serrement au cœur bien pénible…

— Écoute, Josephte, je t’approuve, certes, de vouloir traiter de nouveau en égal notre cher Michel ; mais lui, vois-tu, il se bute là-dessus, il ne se juge pas ton égal. Il veut s’effacer discrètement… Pourquoi cherches-tu d’autres raisons à sa réserve… Peu à peu, vos relations s’amélioreront. Sois patiente.

— Je suis une sentimentale, cousine, n’est-ce pas ?

— J’en ai peur.

— Et puis, tu ne sais pas, cousine…

— Allons, trêve de réticences. Qu’y a-t-il encore ?

— Deux de nos invités, qui m’ont semblé légèrement pris de vin, ont tenu, sans nous voir, Michel et moi, une de ces conversations des plus pénibles à entendre.

— De quoi parlaient-ils ?

— De Jules Paulet, de Michel et de moi.

— Eh bien ?

— On s’est moqué cruellement, cousine, tu entends, cruellement, des origines très humbles de Michel. On a même insinué qu’il se serait introduit ici sans invitation. Ah ! cela t’affecte, toi aussi ?

— Plus que je ne le saurais dire. Et quels sont ces jeunes gens à l’esprit mesquin ?

— Je dois te les nommer ?

— Certes. Ils seront à jamais rayés de nos listes d’invités. Les gens que nous recevons se valent les uns et les autres et devraient agir conformément à cette pensée.

— Nous reparlerons de cela demain, veux tu ?

— Je vais attendre, mais ma décision est formelle à l’égard de ces jeunes messieurs.

— Mais je l’espère bien. Ils ne le méritent que trop.

— Quel incident regrettable ! Tous mes soins, mes ressources d’esprit mises durement à contribution s’anéantissent en face de telles insultes… Et Michel les a subies dans ma maison et en ta compagnie… Josephte, tes yeux s’emplissent de larmes… il ne faut pas … ma chérie… Tes danseurs vont s’en étonner…

— Oui, Jules Paulet, comme vient de me le lancer comme en un défi, mon pauvre Michel.

— Tu ne lui as pas expliqué tout de suite…

— Oh ! toi aussi, tu parles des explications ! que je devrais donner à Michel… Moi ! moi Qu’ai-je fait ? N’est-ce pas lui qui avait à se justifier de combien de choses ?..

— Allons, ne te cabre pas ainsi. Tu lui aurais expliqué, ai-je voulu dire, ce qui en était vraiment de tes relations avec Jules. Et lui, en t’entendant, se serait peut-être décidé de son côté, à parler…

— Non, cousine, jamais je n’en viendrai à la moindre concession.

— Comme tu l’aimes, petite, pour t’entêter ainsi !

— Oui, c’est l’immense concession que je lui accorde… mais il faut qu’il l’ignore. Il a sa fierté. J’ai la mienne.

— Pauvres enfants ! Ne jouez pas trop avec le bonheur, au moins. Ah ! voici Jules Paulet… Josephte pince un peu tes joues… Tu es trop pâle.

— On voit que j’ai pleuré ?

— Non, heureusement. Mais as-tu vraiment pleuré ? Ta petite âme ombrageuse t’en empêche, d’habitude.

— Cousine !

— Ma chère petite Josephte, mon affection me donne le droit de parler librement… Entrez, entrez, Jules, Josephte est ici.