Le massacre au Fort George/Chapitre II

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Collectif
Texte établi par James McPherson LeMoineJ. N. Duquet & Cie (p. 9-12).

II


[ Extrait du Canadien du 24 août. ]


Monsieur le Rédacteur,


Votre feuille du 22 du courant contient l’extrait d’un discours prononcé récemment par le général McClellan, sur le balcon de l’hôtel du fort William Henry, au lac George, et vos lecteurs ont remarqué avec plaisir, que la Tribune de Chicago, et le Messager Franco-Américain, avaient élevé la voix pour venger le mérite outragé dans la personne du général Montcalm. Et pourtant, pour qui connaît les sources historiques où puisent les écrivains de la grande république lorsqu’il s’agit des regrettables scènes qui, le 10 août 1757, ensanglantèrent les environs du fort George, rien d’étonnant dans l’accusation du général unioniste. Tout récemment encore, un touriste américain, d’un rang élevé, voyant sur la table de l’aumônier des Ursulines, à Québec, le crâne du héros de Carillon, s’écria : “Possibly a great general, but after his conduct at fort George, certainly an inhuman monster.” En vain l’aumônier d’alléguer forces textes de nos historiens pour le détromper sur les événements du fort George :

— « Il ne lisait point le français. »

En vain lui opposa-t-il l’autorité de Bancroft qui, dans ses récentes éditions, s’appuyant des documents puisés à Paris dans les archives de la marine et ailleurs, a rendu justice à Montcalm ; le yankee ne voulait pas en démordre : on eut dit qu’il s’agissait du siège de Petersburg ou de Richmond. Il tenait à ses préjugés comme à quelque chose de sacré : que dirai-je, un héritage de famille transmis pieusement de père en fils.

S’il est une page dans les Maple Leaves qui m’a été douce à tracer, c’est celle où j’ai entrepris de réhabiliter auprès de la population britannique, la mémoire de l’illustre Louis Joseph de Gozon, marquis de Montcalm. Je ne me dissimulais pas que la tâche que je m’imposais était rude, ingrate peut-être ; car en changeant d’idiome je voyagerais en terre étrangère, n’ayant plus autour de moi les amis, — dirai-je les nombreux amis, — qui constamment m’encouragèrent, qui oncques ne m’ont fait défaut dans mes entreprises littéraires.

Mais si un public indulgent n’était pas là, j’avais pour me soutenir les conseils de plusieurs hommes éclairés, qui voyaient dans mon projet une nouvelle occasion pour le Canadien-Français de se manifester auprès de ses co-nationaux : l’un me fesait tenir, mémoires de familles, lettres et documents rares ; un autre, vénérable historien, me transmettait la superbe lettre écrite par le missionnaire abénaquis, témoin oculaire de la sanglante tragédie qui se passait, il y a de cela plus d’un siècle, sur les rives pittoresques du lac George ; c’est cette lettre même que j’ai traduite et que j’ai, entre autres pièces, soumise au public anglais, accoutumé à ne voir le massacre du Fort George que par les yeux de Fennimore Cooper, Moore, Carver et autres.

J’ai de plus en plus acquis la conviction que le plus beau livre français toute nationale que soit sa portée, ne parvient presque jamais à son adresse ; lorsque l’on veut dissiper les préjugés de nos frères d’origine saxonne, il faut leur parler un langage qu’ils entendent : c’est ce que j’ai fait. Si je me permets ces remarques, c’est pour donner une explication que l’on m’a paru désirer. On a demandé : pourquoi l’auteur des Oiseaux du Canada s’ingère-t-il d’écrire dans deux langues ? La réponse : la voici. Les Maple Leaves n’auraient pas leur raison d’être, écrites en français. Ne serait-ce pas en effet un peu présomptueux de ma part, si je prétendais peindre à neuf et avec succès en français les mœurs, les légendes canadiennes après MM. Chauveau, Taché, Casgrain, Lajoie, Lacombe et autres ; et qui se pressera de compiler en cette langue l’histoire du Canada, en présence des travaux de MM. Garneau, Ferland, Bibaud et autres ?

Voilà les parterres émaillés, mais inconnus du public anglais, où j’ai cueilli pour lui les fleurs les plus odoriférantes de ma modeste offrande : les Maple Leaves.

J’ai dit que les préjugés les plus injustes existaient ches les Américains, relativement à la mémoire du général Montcalm : voyons maintenant sur quoi ils se fondent. Laissant de côté Fennimore Cooper, Moore et autres, examinons le compte-rendu du massacre du fort George, par un témoin oculaire : le capitaine Jonathan Carver.

J. M. L.