Le mystère des Mille-Îles/Partie IV, Chapitre 8

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Éditions Édouard Garand (p. 47-48).

— VIII —


Les envoyés de Jarvis Dunn s’étaient-ils doutés, en entendant le bruit du moteur, de ce qui se passait ? Ou bien, par une curieuse coïncidence, s’apprêtaient-ils, au moment même du départ de l’avion, à partir eux-mêmes en expédition ?

Toujours est-il que, lorsque l’hydroplane eût doublé la pointe de l’île, Renée, qui fouillait l’horizon avec sa jumelle, aperçut, dans une baie d’une île voisine, un yacht dans lequel montaient plusieurs hommes.

Sans pouvoir reconnaître aucune de ces figures, à cause de la distance, elle supposa avec raison qu’il s’agissait de ses ennemis.

Si tel était le cas, leur intention était évidente. Ils se proposaient d’aller barrer le chemin de l’hydroplane, dont le tapage les avait fait accourir sur le rivage.

Par conséquent, il n’y avait pas à espérer de passer près de leur île avant qu’ils eussent pu mettre leur yacht en mouvement, puisqu’ils étaient prêts à partir.

De fait, quelques instants plus tard, le bruit du moteur de l’embarcation s’ajoutait aux pétarades de l’avion.

Le danger était grand et la bataille, inévitable. Renée tenait Hughes au courant, car le jeune homme devait surveiller avec soin le fonctionnement de sa machine qui n’était pas en parfait état.

La jumelle d’une main, le transmetteur téléphonique de l’autre, la jeune femme avait réellement l’air d’un commandant de navire de guerre, qui, du haut de sa tourelle, surveille les mouvements de l’ennemi et envoie ses ordres aux artilleurs perdus dans les flancs du monstre d’acier.

Quand il eut appris que le yacht se mettait en marche, Hughes ne modifia pas la direction de l’hydroplane, qui devait passer à quelques centaines de verges de l’adversaire.

Le yacht était puissant et, tout de suite, il acquit une vitesse considérable. Renée remarqua qu’il manœuvrait de façon à se trouver directement sur le passage de l’avion.

À une allure vertigineuse, les deux véhicules se dirigeaient l’un vers l’autre. La chasse impitoyable commençait ; c’était le début du duel définitif.

Avec une angoisse fébrile, Renée notait les progrès du yacht et en faisait part à Hughes par des paroles précipitées. Sa nervosité devint telle, qu’elle s’écria bientôt.

— Hughes ! Ils s’approchent toujours !… Ils vont nous rejoindre !… Changez de direction !… Allez n’importe où !… Sauvons nous !…

Mais l’aviateur ne répondait pas plus que s’il n’avait rien entendu et il maintenait l’hydroplane dans la même direction, toujours.

Le yacht approchait… Il n’était plus qu’à une dizaine de verges… Renée vit un de ses occupants se lever, armé d’une carabine. Elle poussa un cri affolé…

À ce moment, lui parvinrent ces ordres brefs de Hughes :

— Couchez-vous dans la carlingue… N’observez plus : je vois moi-même.

En même temps, l’aviateur donnait un brusque coup de barre, qui fit dévier l’hydravion dans une direction opposée.

Un coup de feu se fit entendre, le premier de la bataille qui s’engageait. Mais il se perdit dans l’eau, parce que le mouvement de l’avion avait déplacé l’objectif.

La position respective des adversaires se trouvait toute changée. Au lieu de se diriger vers l’avant de l’hydroplane, le yacht passait à l’arrière. Il tourna abruptement, pour se maintenir à la hauteur.

De nouveau, un homme épaula sa carabine.

Hughes, qui ne perdait plus un seul mouvement de l’adversaire, eut recours au même stratagème que précédemment et reprit sa direction initiale.

Le deuxième coup de feu se perdit comme le premier.

Désemparé, l’adversaire hésita quelques instants avant d’adopter une nouvelle tactique : il croyait que le plan d’Hughes était d’aller en zigzags et de se dérober sans cesse. Il s’agirait donc de lui faire entreprendre de fausses manœuvres, par des fautes : on en viendrait à bout.

Mais l’intention de l’aviateur était tout autre. Ayant obtenu le résultat qu’il cherchait, c’est-à-dire dérouter l’ennemi et l’empêcher de réussir sa manœuvre qui consistait à vouloir barrer le passage, il entendait maintenant ne pas changer de route. Comme il l’avait dit à Renée avant de partir, il se sauverait en se dirigeant vers le plus proche village par le chemin le plus court et en forçant la vitesse.

Il mit à profit l’hésitation des hommes de Jarvis pour gagner un peu de distance.

Puis, il accepta la bataille, car il ne voulait à aucun prix modifier sa direction.

Le yacht avait repris la poursuite. Des coups de feu éclatèrent et des balles ricochèrent dans l’eau, tout près de l’avion.

Hughes, trop pressé par l’attaque, se décida à riposter. Tourné vers les assaillants, il tira, à intervalles réguliers toutes les balles de l’une de ses armes.

Cn cri se fit entendre. Sans doute, l’un des coups avait-il porté.

Surpris par cette vive riposte, les poursuivants eurent un autre instant d’hésitation, ce qui donna un répit nécessaire à Hughes et lui permit de recharger son revolver.