Le nouveau Paris/28

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Paris : Louis-Michaud (p. 107-109).

SAINT-FIRMIN



Maison religieuse où furent massacrés impitoyablement presque tous les prêtres qui y étaient détenus. Henriot, qui avait fait ses premières armes dans les massacres de Septembre, ne quitta cette maison que quand il n’y eut plus de meurtres à commettre. Quand il en sortit, il était à demi-nu, couvert de sang et le fer à la main. J’ai connu un de ces malheureux prêtres qui, se trouvant dans les privés, s’y tint caché ; et interpellé de descendre, il dut sa vie à ces mots : Je vais à vous, citoyens ; je me dépêche. Cette résignation naïve le fit oublier.[1]

Ainsi dans cette muette cité, il y eut plus d’un foyer de boucherie humaine. Tous les sens frémissent d’horreur ; et cependant ce système de barbarie, ce projet d’égorgement dans les prisons a duré longtemps ; et des hurleurs de liberté ont reproduit les mêmes plans, et ne se sont jamais démentis.

Ah ! si Charlotte Corday avait su tirer son poignard au sein même de la Convention et non au domicile de Marat, la postérité lui décernerait une palme plus belle encore, et plus verdoyante. Quand cette femme extraordinaire fut conduite au supplice, sa marche fut un triomphe. Tous les hommes sensés ou sensibles se représentaient, d’un côté, cet énergumène qui ne jetait jamais que le cri d’une bête féroce, immolé pour ses crimes, et, de l’autre, cette héroïne victorieuse, tranquille sans affectation, et donnant sa vie avec joie : satisfaite du grand exemple, elle semblait pressentir les éloges de la muse de l’histoire.


ALLÉGORIE ALLEMANDE À LA MÉMOIRE DE CHARLOTTE CORDAY

Le buste du monstre étalé, placé, promené partout, devait bientôt tomber : celui de Charlotte Corday, déjà érigé dans tous les cœurs républicains, placé avec honneur au-dessus de la table où j’écris, sera environné de tous les rayons de la gloire que dispense sur le globe l’ami de l’humanité.

Ceux qui embaumèrent le cœur de Marat, qui le déposèrent dans une urne sépulcrale, qui l’exposèrent à la vénération de ses fidèles, qui le comparèrent à un Dieu, se réjouirent intérieurement de sa mort ; ils s’en réjouirent, parce qu’elle devint le prétexte pour noircir davantage les vrais amis de la liberté, et les massacrer avec plus de facilité. L’apothéose d’un Marat ! cela est-il croyable ? surtout après le 9 Thermidor ? C’est bien là la preuve que les sanguinocrates se succèdent les uns aux autres, et qu’après s’être égorgés entre eux, ils ont soif du sang qui ne leur ressemble pas, tout comme de celui qui leur ressemble.

  1. Voyez chapitre : Massacres de Septembre.