Le nouveau Paris/40

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Paris : Louis-Michaud (p. 141-143).

ANNIVERSAIRE DU 21 JANVIER



Cet anniversaire est fondé sur une loi grandement politique ; cet anniversaire est devenu une fête républicaine et immortelle.

Mieux vaut goujat debout, qu’empereur enterré.

Ce vers a un très grand sens. Fontenelle disait : Je suis l’ami des imprimés, mais je fais la guerre aux manuscrits. Ainsi quand l’ouvrage est fait, quand la statue est fondue, quand la hache est tombée, ce n’est plus ce qui est fait qu’on doit censurer ; le passé n’est plus à nous : il ne faut plus voir alors que le présent et l’avenir.

En politique surtout, le jour d’hier est un cadavre. Il résulte de cet anniversaire que ce n’est point un homme qu’on a mis à mort, mais bien un gouvernement ; il tuait s’il n’était tué.

Tout fonctionnaire public prête ce jour-là le serment individuel de haine à la royauté. Je l’ai prêté ; et s’il n’eût pas été dans mon cœur, il n’aurait point passé sur mes lèvres.

Le 21 janvier 1796, an IV, la fête qui devait être célébrée en commémoration de la juste punition du tyran, a commencé par des décharges d’artillerie ; et dès huit heures, des tambours et des trompettes apprenaient aux plus paresseux que le devoir et la fête les appelaient au champ-de-Mars.

À midi toutes les autorités constituées de Paris étaient rassemblées autour d’une grande statue assise comme celle de la liberté, mais qui, par ses formes et ses attributs, nous a paru plutôt représenter Hercule ou la force.

Le Directoire présidait en grand costume. On a chanté les airs patriotiques de la Marseillaise, de Ça ira, de Veillons au salut de l’empire, le Chant du départ, etc. ; à deux heures le serment a été prononcé au bruit d’une nombreuse décharge, et répété par une foule de républicains saisis d’enthousiasme, et prêts à verser leur sang pour défendre leur ouvrage.

Il y avait longtemps que nous n’avions eu de fête républicaine : celle-ci a été célébrée avec pompe, accueillie avec transport, et terminée sans malheurs, malgré les tristes pressentiments des uns, et les éclatantes prophéties des autres.

Que penser de cette fête ? qu’elle est dans l’ordre politique ; il fallait éviter l’exemple des Anglais.

On peut se reconcilier avec les gens, mais ce n’est pas quand on leur a coupé le cou. Tous les rois de la terre ont senti sur leurs nuques le coup de Guillotine qui a séparé la tête de Louis XVI de son corps ; ils seront donc éternellement les ennemis de la République Française. Ils dissimuleront longtemps, ils feront des traités : toujours est-il vrai qu’ils chercheront à venger leur cause dans celle du roi décapité. C’est parce que le temps ne peut effacer ce terrible exemple, qu’ils chercheront à frapper la nation qui a osé le donner à l’univers. La grande nation doit donc braver tous les rois ensemble, quand ils auront l’insolence de nous demander compte du sang d’un parjure ; elle doit célébrer l’anniversaire du 21 janvier, et menacer de réduire en poudre les trônes voisins, plutôt que de donner le plus léger témoignage de crainte ou de repentir.

J’ai fait ce qui était en moi pour sauver le dernier roi du supplice et de la mort ; il n’est plus ; ses cendres sont insensibles : s’il le faut, je danserai politiquement sur ses cendres.

S’il a fallu beaucoup de courage à certains députés pour ne pas voter la mort, il en fallut encore davantage en faveur du sursis ; et c’est ce que j’ai fait encore. Je me souviens que l’on répondait à notre voix par des menaces et des hurlements. Oui, il est impossible de peindre l’agitation délirante de cette séance aussi longue que convulsive. Les membres qui osaient témoigner le désir de retarder la mort du roi, étaient accablés d’invectives. Les députés de la Gironde déployèrent la plus grande fermeté dans cette pénible lutte. Thuriot et Barrère parlèrent, comme s’ils eussent tremblé que Louis n’échappât aux bourreaux.

Ainsi un trône de huit cents années fut ensanglanté et renversé. Mais ce qu’il y a eu de plus étonnant ce fut certes sa durée.

C’est à l’histoire à dire pourquoi la majeure partie des têtes couronnées, lors du procès du roi, n’a pas opposé un obstacle à sa mort, et surtout à dire combien il est présumable qu’une d’elles pourrait y avoir participé par des voies indirectes : et ces cours hypocrites, elles affectent de couvrir des couleurs les plus odieuses une fête que la sûreté et la dignité d’un grand peuple commandent aujourd’hui impérativement.