Le nouveau Paris/42

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Paris : Louis-Michaud (p. 146-148).

LE COMITÉ CENTRAL DE L’ÉVÊCHÉ



Si l’on pouvait douter un instant de la part active que les étrangers ont eue dans nos affaires, en soudoyant plusieurs chefs des jacobins, et en poussant les autres aux crimes, il ne faudrait que jeter les yeux sur le Comité central de l’Évêché qui se trouve formé tout à coup comme par enchantement, qui se dit investi des pouvoirs illimités de toutes les sections de Paris, qui déclare cette ville en insurrection, et arrête que les barrières seront fermées.

La plupart des membres qui composaient ce Comité, n’étaient pas Français : on y remarquait ce Gusman, Espagnol dont j’ai tiré tant d’aveux lors de ma captivité, et qui s’intéressait à mon sort au point qu’il voulait me sauver, en me séparant de mes collègues, ce que je refusais constamment.

Le Suisse Pache[1], le Belge Dubuisson, le Neufchâtellois Marat, l’ex-capucin Chabot, beau-frère de deux Autrichiens, voilà ceux qui nommèrent Henriot commandant provisoire de la force armée, et qui donnèrent quarante sols par jour aux sans-culottes qui resteraient sous les armes. Ils peuplaient aussi les tribunes de leurs insolents agents. Ils déchaînèrent l’anarchie qui allait les dévorer, et ce qu’il y a de plus incroyable, c’est qu’en frappant ces coups, en dissolvant la réunion conventionnelle, ils voulaient que cette dissolution eût l’air de venir de la Convention elle-même.

Le tocsin était dans la main de ce comité. Barrère le flatta de ses vils mensonges ; Robespierre le regardait comme son piédestal, et nous, hommes probes et éclairés, nous avions beau dire à la Convention et à la Montagne : c’est à vos têtes qu’on en veut ; ne voyez-vous pas le féroce Henriot, il reflète les complots du cabinet britannique, il tient à la main la mèche allumée, qui va embraser le canon qui fait face au palais national. Hérault de Séchelles est un traître, un perfide qui s’entend avec lui. Les jacobins aveuglés par la haine et la férocité de leur caractère aimèrent mieux le despotisme de Henriot, le chapeau sur la tête et l’insolence sur le front, que les vertus de Vergniaud, de Gensonné, de Barbaroux, de Brissot ; et le servile instrument des cruautés de Robespierre, Couthon, fit de tous les Montagnards, les complaisants satellites d’un Henriot qui criait que le peuple souverain était debout. Ce fut donc la Montagne qui approuva la conduite de la Commune et qui, humiliée elle-même par la plus insolente audace, sanctionna la violence de quelques obscurs démagogues, et prépara ce déluge de maux dont la France va être inondée.

Où était donc cette vertu républicaine, qui semblait ne consister qu’à égorger ses collègues républicains, à créer les mots de fédéralisme et de fédéralistes, à les faire répéter par les tricoteuses, sœurs des furies de guillotine, à propager ces expressions magiques et sanguinaires, dont les scélérats qui s’en servaient, n’étaient pas les dupes ; ils auraient poussé sous la hache de la tyrannie décemvirale jusqu’au dernier député prisonnier. Et qu’on ne dise point que la journée du 9 Thermidor a sauvé ces députés républicains, Les 73 députés qui seuls avaient fait leur devoir et protesté contre l’anarchie, languirent encore dans les prisons pendant près de quatre mois. Et les Parisiens qui haïssaient tout ce qui tenait à la République, n’osèrent les délivrer ; il fallut que la Convention entière, placée sous le joug de la honte et de l’infamie, les rappelât dans son sein, pour ainsi dire malgré elle.

Ton poignard, ô Tallien ! tu le réservais à ton bourreau, mais tu n’as pas su t’en armer pour les vrais républicains ; tu as sauvé ta tête, et tu n’en voulais point sauver d’autres. Que t’importait après cela les députés probes qui gémissaient dans les cachots ?

Après cette indifférence coupable, où le parti républicain fut constamment attaqué ou menacé, qu’on ne s’étonne plus des journées de Prairial, de Germinal, de Vendémiaire ; elles n’auraient point eu lieu, si le parti, victorieux le 10 août, eût obéi à ce que lui commandaient également la justice et l’amour de la République ; mais le froid et dur égoïsme assimila les représentants hors du glaive, à ces lâches qui, sauvés d’un péril commun, abandonnent leurs proches, parce qu’il leur en coûterait un léger effort, pour terrasser quelques brigands.

Tallien ! tu te levas ainsi qu’un grabataire poltron se lève enfin quand le feu prend à la paillasse de son lit ; tu représentas en comédien dans la tragédie qui finit le règne de Robespierre, mais tu n’en fus pas l’auteur ; et la tyrannie décemvirale, les Montagnards tentèrent même alors de la renouer. Voilà la vérité.

  1. C’est à Pache que l’on doit l’inscription républicaine : Liberté, Égalité, Fraternité.