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Le nouvel art d’aimer/03

La bibliothèque libre.
Presses universitaires de France (p. 58-105).
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ÉPOUX


La tragédie d’être jeunes.

Vous mon cher et toi mon amie, vous sentez le vide de la jeunesse qui ne s’est encore vouée à personne, qui craint de mal s’orienter. Vous avez éprouvé ce qu’avait ressenti l’exquis poète que fut Jules Verne quand il écrivit à sa mère : « Maman, j’ai besoin d’être heureux. »

C’est l’heure de tout mettre sur une tête chère ; mais placez-vous d’abord en face de l’honneur d’être deux, c’est-à-dire de devenir la force du pays et par un sacrement.


Les disciplines du bonheur.
D’abord connaissez vos assises.

Il le faut pour garder l’ardeur à vivre si propre à notre race, pour la garder sous le fardeau de la suite des guerres. Il le faut aussi pour garder la France, car « sans elle le monde serait seul » a dit d’Annunzio superbement.

Or en France « tout le monde parle de ses droits, personne ne parle de ses devoirs » (Alfred Mortier). Et il ajoute : « L’intérêt général n’est pas la somme de nos intérêts particuliers, c’est la somme de nos sacrifices individuels[1]. »

Ne craignons pas de prononcer le devoir. On le croit évident puisqu’on le fait. Mais l’enfant lui ne l’a pas entendu. C’est d’oublier de redire l’évidence que périssent les peuples avancés[2].

Quelles sont nos assises. Il faut que votre fils les trouve ici quand vers la quatorzième année, il lira ce livre en cachette : « Respectons l’enfant » dit Juvénal. Le respecter c’est lui ouvrir les yeux. Combien se sont perdus pour ne pas avoir entendu à temps formuler en quelques mots bien frappants le devoir.

Quant aux adultes on remet dans ses rails une âme dévoyée, avec un mot qui panse, qui éclaire. On le doit à la France et sans tarder.

Envahissez époux heureux, rebâtissez par un peu de chaleur les âmes sinistrées.

Donc avec le sentiment du devoir en nous, sous notre toit et alentour, quelles sont nos assises ? D’abord Dieu, je l’ai dit, une étoile, une foi, le dieu qui nous mène et qui nous constitue, c’est-à-dire la forme, l’antenne du divin qu’il élance vers nous et qui fait de nous un organe de Dieu.

Puis la nation, la France, la plus belle de toutes qui veut, ayant souffert, concentrer en chacun de nous le maximum de son essence pour garder son élan vital. On ne le peut jamais mieux qu’en aimant. Ayons confiance en nos frères de peine. Mieux vaut être trompé dix fois que de douter partout.

Mettons notre courage aux travaux de la paix dans la marche à l’assaut de toute perfection, je dis dans tous les sens. Et dépassons la dose. Eh oui, remettons-en. Jouons, mes amis, à qui en fera trop et par coquetterie ! Cela pour n’avoir pas des âmes de défaite et pour reprendre le chemin de l’ascension que notre histoire et nos génies nous avaient méritée ; pour tirer enfin le pays de l’inconscience et de l’irréflexion qui désormais sont devenues des crimes.

Chacun n’a plus qu’à être un saint en route vers la perfection par le don de soi-même à son pays ou à savoir qu’il aide à dépecer le domaine des pères. Mais ne l’oublions pas les saints seuls sont joyeux — moine triste, triste moine, disait saint Benoît — et les jouisseurs d’hier avaient des âmes de catastrophe.

Bref que chacun soit assez ; exemplaire pour être ancêtre afin que l’humanité s’en honore. À nous de le prouver par un travail fanatique et dévoué, même s’il est payé car nous renchérirons par quelque zèle en plus, afin d’offrir à la collectivité tel effort pris sur notre peau.

Matons nos morbidesses, notre délicatesse, notre goût de plaisir. Donnons-nous où la race a le plus souvent besoin de nous. Relevons tous les dieux qui souffrent. Prouvons que la France-nation ne fut jamais blette ou moisie, elle la transparente, loyale comme l’enfant, aux limpidités de diamant, mais calomniée de convoitises et hier mal servie par des chefs déficients.

Sans guerre, par nos gravités accrues, faisons respecter nos drapeaux. Faisons-les si beaux qu’on pâlisse en les voyant.

Oui qu’on pâlisse de l’honneur qui se relève sans le sang, par lui-même.

Accordons-nous. Différer c’est haïr, c’est se souvenir des partis imbéciles. Nous ne nous sauverons que par l’union. Les Français ne s’aiment pas assez.

Je mets comme cadeau dans la corbeille des époux le grand devoir d’amener les Français à s’entr’aimer tous comme ils le méritent. L’égoïste qui avait cru se garder pour soi ne savait même pas s’aimer. Il vit, il meurt sans amis comme un chien. Une belle nature ne se dilate qu’en se donnant.

« La force ne fonde rien », dit Napoléon. Je dis : c’est la grandeur qui dure. Et pas de grandeur hors de la protection des faibles et des vaincus.


La grandeur, aujourd’hui
c’est le don aux nôtres, à ceux qui appellent au secours dans ce pays et à ceux qui n’appellent pas. Et pas de vergogne ; savoir qu’appeler c’est aimer, que courir à l’appel c’est mieux.
Et ne pas dire, ne plus dire
jamais : « Attendre », ni « à chaque jour suffit sa peine », ne pas choisir l’instant surtout ! Mais sauver l’essentiel à la minute où Dieu nous le désigne. Il faut pouvoir entre deux portes régler l’éternité.


La minute sacrée
des résolutions hautes ne peut jamais qu’être volée au travail, aux fâcheux, aux déchiqueteurs de nos jours, à nos rongeurs en somme.

Volons-la régulièrement toujours.

C’est dans la minute sacrée, dans la décision de grandeur, de don suprême, celle qui mord ton intérêt au salut de n’importe qui, que ton regard est si beau, jeune homme, jeune femme, que l’amour se lève et vient à ta rencontre.

Mariage pauvre en délices
celui qui ne se demande que la joie.

Soufflez l’enthousiasme et tout vous viendra par surcroît[3].

Car il y a plus à se demander que le bonheur pour que vive l’amour. Par la suite, et j’en ai fait l’expérience, quand l’homme ou quand la femme est frappé par un acte de noblesse de l’autre, quand l’autre est grand, soit-ce en ses petits procédés, c’est là qu’il nous attache pour toujours.

En amour, comme pour la terre, ce n’est pas la conquête, c’est la grandeur qui dure.



Et ne crois pas que cette tâche
effraye la femme fière et douce, la Française : c’est depuis le fond des âges qu’elle t’attend pour tout donner, c’est-à-dire cela qu’on ne pensait pas à lui demander :
l’absolu c’est-à-dire le don total
celui qui, dans tous les sens, donne et sauve parce qu’il pose enfin sur la pierre angulaire où la race, où la femme et l’enfant bâtiront leur église.

On oppressa la femme, la vraie, la nôtre, la toute-femme tant qu’on ne lui demanda pas cela.



Donc à l’eau le « je m’en

fichisme » du bonhomme indifférent à la communauté qui dit : « J’ai tiré mes pattes de la bagarre ; ne m’en demandez pas davantage. » Et pas non plus de tyrannie d’État pesant sur notre vie sentimentale. Que l’amour ne soit affaire d’État, mais affaire morale et surtout élément de culture sensible et spirituelle.

Le garçonnisme à deux.

Si l’égoïsme à un, chacun tirant de son côté, détruit tout espoir d’union, l’égoïsme à deux est doublement criminel, écœurant, crapuleux. Il est doublement assassin s’il écarte les autres et ne veut pas d’enfants ; ou par l’appétit de jouissance excluant les soucis d’en haut.

Ce qui rend heureux n’est pas le bonheur individuel car ce n’est pas le but des nobles vies. C’est le don de soi dans la profonde intimité de la personne. L’amour où l’on respire' est celui où tout donnés l’un à l’autre, la femme et l’homme, voués par ailleurs à la race jusqu’aux limites de l’effort, nous promettent et nous rendent simplement notre France.


Ne sabotons pas l’œuvre de chair
par une obéissance abjecte.

Écoute l’homme, toi femme quand tu le vois sagace, dirigeant et maître de la paire, jamais quand il en est l’esclave.

Voici un cas de l’égoïsme à deux doublement vil : Mme D… vers la quarantaine se desséchait de n’avoir pas d’enfants. Le mari n’a pas voulu lui en donner, jaloux de l’attention des instants de sa femme.

Elle devient la dame au petit chien, ce personnage ridicule. Quand le mari mourra, elle sera la misérable sans un cœur et sans un appui.

Vieillir sans trois enfants au moins, c’est l’infortune, l’abandon, c’est la damnation même.

Ah que je la méprise ! Alors en vingt ans de vie commune, elle n’a pu, étant aimée jusqu’à l’abus, entamer son mari dans ses restrictions laides ? Quelle bassesse de ne pas user de son empire pour arracher l’homme à son égoïsme au nom d’un égoïsme supérieur, celui de voir vivre la chair de leur amour en un enfant, émanation de leur tendresse ? La femme, dans un tel cas, doit aller jusqu’à lui dire : « Si tu me refuses l’enfant je m’en irai. » S’il résiste elle doit simuler un départ, réduire l’entêté ou le mettre aux abois par la privation.

Que j’ai honte de l’amoureuse aimée qui ne fait pas sortir au bon moment, l’homme de ses restrictions d’avare !

Si j’étais le dieu des caresses, je mettrais au ban de toute volupté celle qui le laisse cousu de ses résolutions.

Et réponds-lui donc à temps, mon amie, quand il refuse à toi et à la race la durée par l’enfant :

« Tu te crois aimé ? Tu te trompes, tu ne m’as jamais eue. » Une virginité subsiste en la femme qui n’a pas eu d’enfant. L’homme n’aura pas eu la femme qui ne s’est pas tendue vers lui jusqu’à en exiger l’enfant.


Toi ma sœur, tu ne dois
obéissance à l’homme que s’il n’abaisse pas la paire. S’il déroge, ramène-le au plus bel idéal du mariage que tu peux concevoir et augmenter.

Stagner ne nous est plus permis. Il faut monter ou mourir. Aide ton homme à remonter, sinon à quoi te servirait ta séduction, héritage des héros et des mères ?

La molle inspiratrice ne peut plus nous suffire. Ce qu’il nous faut, c’est la femme, c’est la beauté solide et déterminatrice d’hommes.


Et précisons.

Par ses malheurs qui le dépassent[4], « l’homme est le saint des saints », écrit Gorki. Mais l’homme est saint surtout par le bonheur qu’il apporte en puissance pour peu qu’il sache s’en servir.

C’est ce que je lui montre ici : car c’est l’art le plus négligé du monde. On a cultivé le plaisir qui est aux antipodes du bonheur et qui le tue.

Et que nos abuseurs d’hier à l’égoïsme ensoleillé, qui ne songeaient qu’à varier la jouissance, n’aillent pas appeler sacrifice le don de soi (conception de grenouille).

Sacrifice commun ou sacrifice au cher mari malade, à la compagne éprouvée, au métier séparant, au cas où la joie enfin trouverait un obstacle et devrait se réfugier dans l’ivresse du cœur — il n’y a d’exaltant que cette offrande à l’aimé. Loin que le sacrifice accable il nous réalise et nous rassure de fond en comble. Il nous repose de l’espoir. Quand on se donne entier, on sait pourquoi l’on vit. On ne s’essouffle plus. On arrive. Le destin est touché, on respire à sa cime, largement. Surtout il nous moralise. Moraliser c’est rendre heureux, c’est se donner de cœur partout pour voir une âme s’ouvrir — tâche de créateur — et se donner c’est s’aviver pour les tâches hardies.

On peut être heureux constamment car on peut toujours quelque chose pour quelqu’un.

C’est se donner seul qui nous embrase et nous comble.

Mais il faut appliquer son esprit à l’amour ; l’ère folle n’a pas voulu le faire.

À l’âge de contrition d’y venir.


Résumons pour les jeunes :
L’individu trouve sa dignité dans le couple
Le couple dans la famille passée, les parents d’abord
et future, les enfants
La famille dans la patrie.

Mais l’individu n’est moral, il ne respire à fond, je l’ai dit, que soulevé par un pouvoir spirituel qui le dépasse, qui l’entraîne et qu’il a mis en route par l’amour.

À vous, belles Françaises et chers
Français, de fomenter l’amour.


Tu es fort si tu aimes.

Mais on ne l’est pas sans avoir le sentiment de porter ses chers êtres sur son dos et vers le meilleur sort possible et le plus d’êtres possibles. Étendons la famille.

Il faut en faire un arbre plantureux dont chacun porte avec orgueil toutes les branches.



Le choix.

Celui ou celle qui dit « non » à tout ce que tu proposes, il t’est contraire. C’est le satan de ta nature. Le « non » est le mot de Satan. Ne l’emmène pas pour la vie. Au reste, il n’est bon à personne. Emmène celui qui te croit en tout. Croire c’est accueillir, c’est vivre. C’est aimer.

N’oubliez pas jeunes gens
que nul homme n’a su découvrir l’amoureuse adorable que fut cette fille de Dieu la poétesse Marie Noël. On épousa sa sœur plus belle. Regardez mieux. Sans médire de la beauté, on peut assurer que ce n’est pas elle au contraire, qui porte en soi une promesse de bonheur. C’est l’art de celle qui est toujours prête à s’élancer pour donner, c’est pourquoi la plus sainte est la plus femme, étant la plus sensible, car tu préfères, je pense, l’amoureuse à l’idole ?
Il faut que l’homme d’amour,
ce trésor, cette chance unique d’une vie féminine, sache être la récompense des plus belles natures.

N’oublie pas que tu
auras besoin d’elle pour tout, pour aimer, pour souffrir, pour travailler, pour monter dans la société, pour être heureux, pour être malade, pour pleurer tes parents, pour mourir. Prends celle à qui tu

rendrais et demanderais ces services avec transport. Prends celle qui te laisse heureux, qui t’électrise pour le bien.


Une fille fière est-elle tombée
une seule fois par mégarde ? Relève-la ; élève son enfant. Tu ne peux pas te passer d’elle ? Épouse-la si la chute n’a rien avili dans son cœur. Si elle est restée respectueuse de ses parents, de la famille et de la chère France, bref si elle a gardé de la race et si en toi elle voit le sauveur et l’homme de sa vie, à condition de sa fraîcheur de cœur, tu peux partir, jeune homme, au bras de celle-là, mais veille-la de près.


M. le Maire te l’a dit :
Elle te doit encore une certaine obéissance et tu lui dois la protection. Alors à toi de ne lui demander que ce qui vous honore et vous délecte.

Alors déjà, en te sentant le jeune père de ta femme, ton cœur en toi bondira de bonheur, de santé comme un bel animal.

Veillons aux caractères.

Les goûts sont importants. Chacun peut gagner tour à tour l’autre aux siens par la séduction. Mais l’un des caractères est-il oppressif, désolant, le bonheur est fortement compromis.

À la tâche, Monsieur, Madame. Les époux sont là pour se ramasser l’un l’autre, pour se rattraper au bord du précipice. Rien n’est fini pour qui sait bien aimer et courageusement, c’est-à-dire qui ne craint pas l’ouvrage ni le mot dur, salubre.

Dis au potentat mâle ou femelle : « Mon ami, mon amie, je te voue ma jeunesse », ou « mon âge de force », ou « mes dernières forces » si vous n’êtes pas jeunes. « Que t’ai-je fait pour me parler ainsi ? Change, ou tu tueras l’amour, et dans ce cas, je m’en irai. »

N’en faites rien. Il faut rester et vaincre de stupeur. Mais dites-le sincèrement, comme vous le sentez, — dites-le définitivement — pour effrayer son démon, son humeur.

Il faut parfois jouer son amour, le jouer dans les deux sens, pour le garder en mains quand le poulain est dur de bouche.


Et cela dit, ne traîne pas dans le grief.

Sitôt que tu le vois inquiété de te perdre, refais-lui ton visage charmé qui aime son remords.


D’abord le bon repas
devenu un combat. J’ai assez travaillé des bras pour savoir comme est sacré le repas de l’ouvrier de la tête, des jambes et des mains que nous sommes tous devenus.

Exactitude. L’homme est un animal d’abord. Quand sonne midi 30, affamé par des travaux divers, c’est trop lui demander que de le faire attendre.

— « Mes travaux aussi, dit la femme, sont divers et contradictoires. Les courses, la difficulté, l’attente sur la neige pour se procurer les vivres retarde tout. Patience. »

Certes, et la pourvoyeuse en ce temps doit être vénérée.

Cependant, Madame, comme il faut que tout tienne et le mari d’abord, tirez-vous-en, c’est votre sacerdoce. Et servez l’homme à l’heure ; cela même si je demande l’impossible. Laquelle de nous aujourd’hui ne le résout à chaque pas ? Elle sait si bien, la Française comme l’homme, que chez nous l’impossible est le seul plaisant des possibles pour l’être de race et de belle venue.

Au réveil, posez-vous le défi de parvenir à tout et vous y parviendrez.

— J’ai promené l’enfant, dit l’épouse en retard.

— Rentrez plus tôt.

La vraie femme fait tout en même temps ou ce n’est pas un chef.



Ne troublez pas,
maîtresses de maison, le rare, le précieux tête-à-tête au repas, ni son silence chargé des acquêts du jour, ou peut-être d’un aveu ravissant. Ne troublez pas cela, ne le déroutez pas pour conter les carottes et les saucisses qui vous ont échappé. Plus vous avez de mal à trouver la pitance moins il faut en parler. C’est assez lui donner. Mesure. Et laissons au repos son prix.
Honorons la parole.

Croyez-moi, sous-entendez les carottes.

Il ne faut pas qu’on dise qu’en mariage le terme bas domine. Il ne faut plus de terme bas surtout depuis qu’il est stoïque.

Toi, mon ami,
si tu veux aider la misère féminine, que rien de féminin ne te soit étranger.

Toi, mon amie, pénètre davantage dans les aspirations, dans les souhaits du compagnon, chacun est perdu dans son île. Aimer c’est se mettre à sa place quand il ou elle souffre et ne pas donner tort à sa souffrance.


Informe-toi. Sois curieux.

Confesse-la. Nous aimons tant que tu nous envahisses de cœur !

Si tu vois son petit visage se fermer, tu l’as froissée par quelque mot nerveux. Je répète confesse-la. L’indifférence au front de taureau est le premier des outrages entre époux. Si tu ne fouilles pas l’autre jusqu’à l’os et jusqu’à le vider de son chagrin, chacun va s’en faire un grief par le mutisme. Parlez et pansez-vous mutuellement, vous serez soulagés. L’indifférence est plus dure à porter que la haine et nous ferme à toute compréhension. Les bons époux ne s’en veulent que de froideur.

Chaleur partout. Faites du feu et repartez guéris.


Ton mari ou ta femme
t’a-t-il agacé par un tic ? N’y pense pas. Cherche ce qu’il a fait de bien, de crâne. Et il a toujours beaucoup fait. Ne porte tes yeux que là ou tu aurais gâté le don de Dieu et dégradé l’union.

Ses beaux actes seuls valent l’attention. Eux seuls méritent la mémoire et seuls ils nous enseignent. Quand tu auras assis l’amour à ton foyer et le sentiment du bonheur chez toi — cet amour qui t’élève au-dessus de toi-même — alors tu pourras tout lui dire, même de réprimer son tic.

Mais veille à vos commencements et bride la nervosité. La belle humeur est la moitié du bonheur.


Et quand vous aurez mis au monde l’amour,
il s’agira de l’élever comme un enfant, de le continuer, de le mener à son summun, à son apothéose.


L’illusion
est une plante fragile, mais tenace. Elle casse et elle repousse. Il s’agit de renaître tout neuf à chaque jour pour lui trouver un goût, une saveur nouveaux. La jeunesse n’est pas l’âge de l’illusion, car étant encore veuve (vide) et déserte, elle ne renouvelle pas l’espoir plus que le reste. Je viens lui étoffer la vie comme à la deuxième, à la troisième jeunesse.

Dans un amour vécu sans en sauter, on reprend chaque jour des illusions qui sont la découverte des réalités douces. On en retrouve en pénétrant dans les couches du réel savoureux. La vie n’est plate, sans grain sous le doigt, elle n’est courante, sans accent, que pour les gâcheurs qui n’échangent que des débuts et que des apparences faute d’insister et par pauvreté d’esprit.

Les peuples heureux, dit-on, n’ont pas d’histoire. Il faut montrer celle des gens heureux et demander comment ils font.

Pour que le lien ne claque pas sous les saccades, les horions de l’adaptation, il faut tracer la conscience amoureuse que les peuples ont laissée au hasard.

Pour empêcher le mariage de grincer, de craquer, je viens retoucher le système. Je suis l’ajusteur d’amour.


Jacques et Simone.

— Simone t’a dit des paroles sèches, claquantes ?

Jacques : « Oui, c’est intolérable. »

Moi : « Oh non, timidité cabrée peut-être, ou fierté mal placée, ou cette ironie qui est une fausse pudeur. Je te l’ai dit : par servilisme d’éternelle vaincue arrivé à l’outrance, au nom d’une mode sauvage, elles n’osent plus t’être douces et cela par erreur. Approche-toi. Apprends la patience d’aimer.

L’amour ne naît chez elles, il n’éclôt que sous le souffle chaud de la douceur de l’homme. Les choses douces attirent les choses douces.

Jacques piqué : « Ne prenez pas la peine de dire l’évidence. »

Moi : « Si, puisqu’on n’oublie qu’elle… Ne brusquez rien. Attendez-vous l’un et l’autre, mais aux bras l’un de l’autre. Si là vous vous cherchez encore et vous interrogez suaves et détendus, le Saint-Esprit de l’amour vous viendra. Il assouplira ta belle pouliche. »

Toi, Simone, vierge sévère, épouse aujourd’hui raide et déplorable, mets du liant, t’aurait dit Rodin et je dis : « mets de l’huile dans tes gonds. Laisse-toi fondre. La souplesse est la vie et surtout c’est la femme ».

Je vous dessine la politesse de joie, celle qui ne met pas le charme en fuite, Simone, et celle qui, Jacques, à force d’égards intimes, épanouit l’amoureuse.

Et médite, Simone, ce mot
de Montherlant :

« Je ne peux plus aimer qu’en Espagne car là on me sourit encore. »

Et médite ce remords définitif qui
crucifie la veuve enfin dessillée que je suis par la mort du compagnon chéri, mais maladroitement comme nous faisons toutes et inspirée enfin sitôt qu’il est trop tard.

Plus de repos ! Au lieu de soigner ses joies quand j’avais mon mari, j’ai dorloté mes peines ! Mon sourire irradiait son cher visage. Et je n’ai pas assez souri !

Crime des crimes.


À la mort de l’aimé,
de l’aimée,

qui seule enseigne tout l’amour, ce que nous nommions notre personnalité pendant la vie aveugle des heureux, nous apparaît dans la douleur comme une prétention.

Saisissez-vous, jeunes, de la leçon pour faire mieux que nous, à qui hélas ! on ne l’a pas donnée.

Remettez à sa place la personnalité de vos trente ans pour encenser le don, lui seul maître du monde.

Toi, femme, n’oublie pas
d’amuser le bonheur, ni toi Jacques. Ne négligez pas les caresses de mots, qui font les autres exquises et les petits noms chauds, ridicules et charmants. La gaieté sauve tout.

Ce n’est pas l’amour
qui peut tout sur ton mari, Simone. Ce n’est pas ton amour à l’état brut. Oh non ! C’est ton intention de grâce, c’est ton invention de douceur perpétuelle.

À toi de le secourir contre la fatigue, contre l’humeur, la nervosité de la lutte, de la vie difficile — et que toi seule — don divin, peux lui rendre légère en paraissant.

Affaire d’attitude, mais d’attitude captivante.

C’est parce que Fersen
et Marie-Antoinette ont su se rester exquis dans la tourmente que l’histoire du cœur les sauva de l’oubli.


Reprendre conscience
quelques instants par jour les gestes abattus, vous faire justice de paroles, vous être délicieux sciemment, sérieusement, et pour noter les progrès de l’amour, faire son examen d’amour, ne serait-ce qu’un instant vers le soir. Tout est là.


Aie pitié, Simone,
de ses vertus sévères qu’il ne peut voir fructifier dans le temps présent. Aime ses talents, et ses maladresses davantage s’il s’efforce pour toi.

Aime ses pauvretés. Si elles ne t’attendrissent pas, c’est que tu n’aimes pas encore. Aie pitié de ses petits plaisirs, même étrangers à toi, quand ils ne menacent pas l’union.

Aimer, c’est tout cela, Madame.

C’est à retourner à l’homme, car disait Alfred Mortier : « Il n’y a pas deux sexes. »

En effet les doux corps eux s’entendraient toujours, mais souvent les esprits sont inconciliables.

Marions les esprits.


Tu crois tenir ton homme,
attention, Yvonne, ton mari est cultivé et tes yeux manquent de mystère. Et quand il t’aura lue, que voudrais-tu qu’il fît ? Sa femme c’est son livre et s’il l’a lu du premier coup, il y pensera moins. Augmente-toi, lis les penseurs, les saints, les grands poètes, et leurs poèmes mineurs qui te nuanceront. Ainsi ton regard, mon enfant, sera moins court. Lis les portraits de natures insignes, de figures uniques. Il est grand celui qui ne ressemble qu’à lui. Qui a su différer en beau te fortifie.

La monotonie est contraire à l’amour. Prends garde.


Tu sais tout,
naturellement, jeune mariée, puisque tu n’as que vingt-six ans ! Plus tard, Yvonne, trop tard, tu entreverras tout ce qui put te manquer aujourd’hui pour garder ton mari en plein élan. Supprime ce délai. Je veux tout mettre en tes mains dès ce soir. Étant aimée, ce qui te rend à tort sûre de toi, pleine de toi, tu réponds sur toutes choses à ton mari du tac au tac. Un peu plus de méditation à deux dans un demi-silence où tu t’informerais de son « soi » plus profond comme du tien, lui donnerait de toi une impression plus forte. Étudiez-vous ; il n’est pas de plus belle étude. Garde une magie, un secret, jeune femme, quelque repli dans le mystère. Ne vis pas toute en premier plan.

Ne t’apporte pas toute d’un seul coup sur un plat.

L’amour c’est interrogation d’abord puisqu’il doit alimenter l’esprit. Avant qu’il ait parlé, tu sais ce que tu vas répondre à ton mari. Ce n’est pas ce qu’il veut savoir de toi, mais ce que tu aurais trouvé par lui. Juge du recueillement qu’il y faut.

Nourrissez donc l’amour et l’esprit
par la lecture et le conseil du saint de la famille, de l’amitié ou de vos maîtres. Marc-Aurèle bénissait les siens après des ans. Nous en avons toujours. Le tout est de les croire pour nous en sustenter, donc de les écouter, mais comme on prie. Sinon ils ne peuvent rien pour nous. La moitié de l’amour c’est le respect et le respect pour tous, car le respect pour d’autres nous instruit pour l’aimé. La vie avait tout préparé, mais nous ne voulons pas nous en servir.


Compassion pour la femme.

Elles travaillent aujourd’hui trois fois plus que nos mères qui étaient bien vaillantes. En 1923 Tilgher, jeune philosophe de Rome a noté à Paris un souci tragique de travail sur les visages. Elles matent en elles une fatigue qui doubla depuis 1923. Bref le Paris féminin est stoïque. Attendris-toi sur elle, jeune mari, et tu l’assoupliras. Parle à la jeune folle qu’il te faut « ramener par de bonnes paroles » quand l’impatience de la fatigue l’égare.

Fais ton devoir d’effusion, mon ami, et des tâches mêmes de l’accablée qu’un mot d’amour soulèverait, tu lui feras un collier de baisers. Et puis aide-la avant de sortir, tu lui rendras des forces pour la joie.

Cultivons la parole.

La caresse a laissé parfois moins de rayonnement entre vous deux que l’action de grâces. Être heureux, c’est se dire ce qui va bien en amour. Être malheureux, c’est se taire ou grogner à deux, c’est se dire ce qui va mal. La caresse est bénigne auprès de la parole. Les doux corps, ces enfants, s’accorderaient toujours. Un mot sec est inguérissable. Et pourquoi ruminer à deux la déception ? Se retrouver est une fête. De quel droit l’empoisonner ?


Le loisir.

Tout dépend de lui. Est-il gardé jalousement par les époux pour être goûté à deux dans son ampleur ? Tout est sauvé. Si l’un va à son match, elle au concert ou dans le monde avec une amie, l’union ne se fera jamais. Au concert Élise a monté. Robert au match est descendu. Où donc se rencontreraient-ils si leurs jeux ne sont pas les mêmes ?


Les Français
sont les mieux faits pour l’amour eux intenses, allègres et plaisants par-dessus leur courage. Ils seront faits pour l’amour sitôt qu’ils l’auront entrepris comme la grande affaire. Ce n’est pas commencé. On prend la femme qui vous tombe sous le cœur. On aime par sursauts et l’amour veut qu’on le feuillette en ordre.

Décidons-nous à insister. Entrons dans la riche pâte des joies, la nature est copieuse à qui s’y donne et pénétrons dans la crème des jours, dans la moelle des chances. On s’aimait au hasard de l’humeur et des nerfs. Scrutons-nous… Fondons le foyer sur l’amour studieux, non sur l’amour par crises et par déflagration.

Assez de tes Pensées sur les femmes, bouquets de calomnies galantes, de turpitudes bien troussées, taquins et pleins d’esprit, c’est-à-dire d’injure. Ça ! pour celle qui te jette à la vie, à la lumière et qui t’ensevelit avec piété, quel goût !


Pour t’égaler enfin
et t’acquitter, mon frère (les maris français sont choyés juqu’au scandale), n’oublie pas de confesser à la face du monde — il sera temps, ingrat ! — ton culte pour la femme de ce sol.


Divorces d’impatience.

Il t’a froissée. Tu veux partir, Germaine ? À 19 ans ? Parle à ta mère attrayante, si femme, qui est aimée et le sera jusqu’à son dernier jour. Ne parle pas pour raconter. Dis-lui : « Comment faire ? Comment vivre dans un tel cas ? » Je n’ai pas connu de bonheur bien mené sans qu’une jeune aînée, pleine d’adresse douce et de ménagements, ait inspiré heureusement les amoureux.

Des époux de 20 ans se quittent par colère, qui se seraient adorés l’année suivante. Le principe ! Rester et s’éclairer.

C’est pourquoi le mariage qui a pour lui le temps est bien le seul terrain où l’on ait quelque raison d’entreprendre l’amour.


L’amour, création constante.

S’il est commencé, il n’est jamais fini, mais à la condition de ne pas l’interrompre, d’y veiller sans cesse et d’en faire le chef-d’œuvre. Il faut arriver à l’ivresse de lui crier un jour quand on voit fleurir l’un avec les fleurs de l’autre, quand on l’a fait plus libre de ses instincts d’en bas au profit de ses libertés d’en haut, et d’une liberté qui nous ressemble, il faut arriver à lui faire crier : « Que le rêve était pauvre et l’illusion piteuse avant toi, mon amour, ma constante féerie ! »

Quand donc a-t-on fini de se chérir ? Exactement jamais dès que c’est commencé et pris solidement en main.


Qu’il nous défende,

c’est très noble. Mais il ne sera tout à fait français et digne de nos pères que lorsque à notre bras et pour nous honorer, il le quittera et défendra dans la rue n’importe quelle femme que bouscule ou insulte un ignoble.

L’homme est le magnanime ou il n’est pas.

Et quant à nous, femme, attention de ne jamais mettre par notre inconséquence, un honnête compagnon en position d’avoir à nous défendre.


Quant à vous, femme heureuse,

soutenue, mariée, n’oubliez pas d’inspirer au mari de défendre vos sœurs seules ou veuves, sinon vous frappez sur vos mères, et votre lignée vous rejette.

Ne fête pas mon ami
sa beauté seulement où elle est pour peu de chose — il serait plus juste d’en remercier sa mère — mais son attention pour toi, pour tes travaux, pour les bonnes idées qu’elle te donne pour ton art ou dans ton métier, pour ce plat régalant qu’elle t’a préparé, pour ces inventions qui ne ressemblent qu’à elle, ces petits conforts qu’elle a complotés pour toi ; le livre ouvert à la belle parole qu’elle veut ce soir partager avec toi, pour tout ce qui fait, bienheureux ! que tu n’es plus seul.


C’est la qualité d’âme
d’une femme qui fait qu’on n’est plus seul avec elle. Ce n’est pas sa personne.

La médiocre ne pénètre pas. Elle glisse et ne console pas, car elle te nivelle à tous et cela c’est l’insulte.

Et réciproquement. Ingénie-toi mon frère. Fais en tout primer la noblesse humaine et la beauté de vie si tu veux vivre à pleines ailes.


La Française.

Elle refuse de peser, ce que l’étranger prit pour la légèreté. Elle a par élégance des allures d’oiseau mais c’est une puissance — grise — hélas. Sous chaque toit, il est une héroïne ou une sainte sinon la maison n’aurait pas tenu.

Aime la vigueur féminine, c’est un trop-plein d’amour. Nulle femme ne peut la force qu’elle émet à toute heure pour le bien de chacun. Il faut donc la soigner d’amour après l’effort, la gratifier, la réparer, la dorloter de doux secours. Il faut mêler de femme en elle l’héroïne, c’est-à-dire entamer son abandon puisque nul n’aime les fortes. Il n’y a pas de force féminine qui ne soit montée d’une torture.

« Aide les forts », dit Nietzsche. Au compagnon, je dis : « Aide les fortes si tu veux entrevoir un jour toute la femme. Les femmes secondaires n’en sont que des fragments.

« Aide les fortes. Elles le sont si peu ! »

Elles qui t’aideront à faire la cité forte sont de pauvres petites comme les autres si tu ne vois pas leur effort. Si tu le vois, si tu l’aimes et les en gratifies, elles sont autant de jeunes Samothrace qui portent le vent de l’honneur, du salut dans leurs voiles et qui te sauveront de tout.


Séparation ?

Aux meilleurs temps de l’amour — et ils doivent être toujours meilleurs — ne crains pas trop la séparation et plus elle vous coûte. Si l’on s’est bien étreint, c’est-à-dire corps et âme, absents on s’atteint mieux par la lettre, plus au centre de l’être, sans l’obstacle des coussins de la chair. La possession évolue dans l’absence.


Partager le travail des bras.

Dans la plus belle famille que j’ai vue, trois garçons d’un haut rang spirituel travaillent ferme ainsi que leurs parents. Une heure avant les études, les jeunes gens frottent ou cirent le plancher. La mère va faire l’assaut pour les vivres avant le jour. La jeune bru soigne, allaite son bébé, assure le reste du ménage et la cuisine. Le soir, les trois garçons avec la jeune femme lavent la vaisselle des six personnes en riant et plaisantant afin que sous ce toit, nul ne soit une bête de somme !

Car la santé de chacun les protège tous.


Élevons nos enfants
en gentilshommes de l’esprit, de la ferme, ou de l’industrie et à la fois en ouvriers pour exprimer les faces noble et adroite de la race ailée et réaliste.

Nous n’y aurons rien ajouté. Mais si nous ne cultivions pas en eux ces deux facultés, nous les aurions trahis. Le monde est aux intelligents qui sauront travailler des bras.


PROCÉDÉS

La familiarité.

Elle tue tout. Elle ennuie et vulgarise l’union en nivelant les êtres par en bas. Elle n’est qu’un mensonge car entre deux époux tout est particulier, même exceptionnel par l’alliance chimique des natures.

Restons jaloux de nos signes singuliers. Plus vous allez, grandissez en respect pour le retrait du conjoint, sa solitude enfin où l’homme pense et se recompose. Cette piété c’est la noblesse de l’épouse. La pauvre sotte qui veut qu’il soit « tout à elle » demande simplement qu’il soit peu. Elle prive son couple de tout progrès, de toute évolution, même d’avancement.

Et de même ce délicieux jaloux
qui veut ôter à sa femme ses amis hommes, camarades d’art, d’études, de sport ou de métier, qui

veut qu’elle ne prenne jour et air que sur lui, interdisant ces causeries où chacun enrichit l’autre de ses lumières, s’augmente et se corrige par l’opinion des autres — bornons la réunion à neuf amis comme les Grecs — ce mari la prive des clartés, des concours par où elle aurait pu élever sa famille. Mais n’y admettez pas de jeux et rien que l’entretien à tous.

L’épouse passionnée raffole de son jaloux quand il n’abuse pas. Mais arrêtez-vous l’un et l’autre sur cette pente. Ne vous limitez pas. Étendez votre action par la pensée d’abord, par la considération et par le plus d’amis possible[5]. L’accaparement d’âme n’a jamais rien donné.

Dans l’intimité, ne troublez pas un silence riche. Ne troublez, pour le guérir, qu’un silence douloureux.


Et faites-vous un bon visage.

On n’est béni à la maison que pour sa joie. Il n’y a qu’un grief entre époux : un visage maussade et cela seul est sans pardon.

Tout mariage qui manque à être délicieux est celui où ils ne surveillent pas les ruines que fait dans l’autre une face acariâtre.


L’art d’éviter la mésintelligence.
Jamais de despotisme.

Tout le monde a raison. J’entends que chacun seul connaît ses raisons d’agir ainsi qu’il le fait. L’époux a d’autres fatalités que l’épouse. Il s’agit pour l’autre d’en connaître et d’en suivre la marche.

L’amour étant une création continue qui commence après l’union des corps, il s’agit donc bien d’écouter l’autre, de s’en instruire avec douceur, car pressé ou glacé, l’époux ou l’épouse se fermerait à jamais. Nul despotisme et fraternité douce.

Et te souvenir ô raisonneur fatigant, que

« C’est ton effusion seule qui persuade
Ceux-là que ta logique eût écartés de toi. »
Alfred Mortier[6].


Quand un malheur arrive…

Madame est partie n’en pouvant plus. Son mari despote la chérissait. Apprenant ses raisons, il lui écrit : « Mais sapristi pourquoi ne m’avoir pas dit tout cela ? » Sa réponse : « Tu décrétais. Tu ne me laissais pas placer un mot. » Civilité.

Et réciproquement le mari délicat et doux ne peut endurer la femme tracassière, celle qui vit en premier plan, ne voit que les microbes, ne craint que la poussière et oublie l’essentiel : la paix, la sainte paix, l’allégresse au travail que nous devons avant tout au compagnon.


Que le mari se garde

d’être le tatillon, de trop regarder aux détails de l’intérieur. Laisse-lui son domaine. Comme tu as horreur, mon ami, de lui voir porter la culotte, garde-toi de porter la jupe.

Toi le plus fort gouverne ton humeur.

Le peintre V… était excellent comme on dit ; mais dehors avec les étrangers. Au logis, il criait sans cesse et sa femme portait tout.

Elle avait pu l’entendre crier vingt ans : elle était douce, patiente, mais la santé baissant, elle n’en pouvait plus. Il lui avait ôté le goût de vivre avec ses explosions.

Un soir en rentrant, il cria. Rien de plus qu’hier, rien de moins. Il faisait payer à la pauvre bougresse ses déboires d’artiste.

Elle passa dans la cuisine et s’égorgea. Depuis il se frappe la poitrine. Elle avait pu l’entendre crier vingt ans, pas vingt et un. Elle n’en avait plus la force.

Mais cette femme est morte
par bêtise, par faiblesse de vaincue, timidité congénitale. Si au lieu de faire un bourreau de son mari en l’endurant, elle s’était dressée à temps, aux premiers jours du mariage où il cria, si elle avait dit : « Tais-toi ou je m’en vais », ou même ce soir si elle avait dit : « Tais-toi ou je me tue » il était bon, il se serait calmé et elle lui aurait rendu un grand service. Elle l’avait laissé devenir le maniaque du cri. Apprenons la parole répressive[7].

Nos hommes restent peu ou prou nos nourrissons. Peu d’entre eux sont vivables sans être modelés ; mais nous le leur devons et les passives ne méritent pas de vivre[8].

« Il n’est bon bec que de Paris », a dit Villon. Servez-vous-en, Mesdames. L’inertie vous vole votre pain blanc qui est partout à condition de le pétrir.


LE TRAITEMENT DES FEMMES


Et réprime ton ignorance de la femme. Protège la tienne si tu veux devenir la colonne d’appui d’une belle famille.

Quelle famille aurait pu fonder Carlyle ? Tu en jugeras quand je t’aurai dit à grands traits sa terrible erreur conjugale. Voici un raccourci de son ménage d’après Wizewa et les auteurs contemporains de Carlyle, même par James Anthony Froude, l’historien son disciple préféré. Je résume :

Mme Carlyle avait fait un mariage d’ambition. Elle était bonne, belle, vaillante, intelligente, d’une classe supérieure à lui, fils de paysans. Généreuse elle l’aida toujours à maintenir en lui l’inspiration par la musique et la parole. Mais au lieu d’en faire une compagne, il fit d’elle qui avait une faible santé, sa servante de ferme et cette jolie créature, d’essence précieuse pour un artiste, fut faite ainsi domestique chez soi aux plus rudes travaux : traire les vaches, cuire le pain à la sinistre ferme d’Écosse, au climat humide et malsain.

À la vérité, il ne l’a pas rendue malheureuse parce qu’il était, dit Arvède Barine un homme de génie ; mais parce que paysan avant d’être homme de génie, il lui demandait beaucoup trop. Mentalité de l’époux terrien. Chose plus grave : il ne lui donnait rien de lui. Mme Carlyle écrit alors dans son Journal : « Je suis la plus malheureuse des femmes. Pauvre petite que je suis, dit-elle une autre fois. Je me sens à demi enterrée dans un état intermédiaire entre la vie et la mort. »

Ce Journal est accablant pour Carlyle.

« Elle ne l’a jamais aimé », dit un commentateur. Paroles d’homme. Comment aimerait-on un pareil sanglier ? À mon sens elle fut à lui par admiration pour l’artiste, puisque même si mal traitée, elle soigna toujours en lui sa valeur tandis qu’il ne lui a pas fait sa part. Elle fut donc une immolée, détruite dans sa faible santé par des travaux au-dessus de ses forces, infligés par celui qui avait mission de la protéger.

C’est pourquoi les commentateurs superficiels la trouvèrent maussade (!). C’est ainsi que l’on juge les victimes. Fine comme elle était et portée à se dévouer, respectant comme elle fit le génie de Carlyle, elle s’y fut certes attachée s’il avait été bon ou seulement normal. Mais il ne fut que « grognements, » écrit-elle à John Sterling. Elle mourut donc la première. Il avait tout gâché. Et le remords écrasa l’écrivain qui sortit soudain de l’inconscience par les larmes.

Écoutons-le déclarer à la mort de sa femme : « Sa vie auprès de moi ne fut qu’un long stoïcisme sans joie. Elle toujours bonne et aimable se lève mourante pour me jouer les chansons écossaises », le cahier de Thomson, Carlyle entrevoit ce qu’il n’avait pas su voir : « Hélas, dit-il en la perdant, J’ai été aveugle, j’aurais dû voir comme était brillant mon soleil ! » Il avait des œillères. Il travaillait c’est tout et ne croyait pas devoir autre chose à personne. Erreur sinistre de quelques laborieux qui perdent leur trésor en ne le soignant pas. Ce remords lacérant, atroce était celui d’un criminel hanté par son forfait.

« Tout à coup, écrit-il, s’abattit sur moi comme un éclair descendant du ciel, la terrible révélation que j’avais sacrifié la santé et le bonheur de ma femme » et que, dans son égoïsme, il avait oublié ses obligations les plus sacrées envers elle.

Le remords lui fut une véritable agonie.

Il avait compris, mais trop tard et mourut désespéré.

Il fut un simple goret par rapport à elle qui, mourante se leva pour l’inspirer, le charmer de musique. Il avait travaillé, mais il n’avait pas fait vivre la douce femme dont il était chargé. C’est la condamnation humaine de Carlyle comme des maris pleins d’eux seuls, et nullement, ô confusion des critiques, une fatalité du génie.

Quel mari fin et sensible ne fera son profit de cette horrible histoire ?

Épanouis ta femme, elle ton

beau chef de maison qui soutient tout. Fais-la ta souveraine, ta régente amoureuse pour que tes fils la croient. Fais bloc avec ta femme et la famille vivra.


Toi, mon amie, quand il rentre
débarrasse ton front des petits drames du ménage. Jamais tu ne sauras ce que porte au dehors, dans un jour de Paris, de déboires et de luttes un père de famille. Prends-en ta part et ne pèse que sur le côté qui s’éclaire, que tu peux éclairer. S’il peina sans succès ne l’accable jamais. Console.

Fais qu’il brûle le pavé, qu’il se hâte toujours comme un adolescent en approchant de son foyer. Vive l’épouse qui lui fit cette allure. Le foyer c’est chaleur d’abord.

« Vous le gâtez trop »,
dit le médecin à la femme dévouée du cher mari malade. Vous tomberez à la peine et sans vous que deviendra-t-il ?

La femme : « Ah qu’il soit donc gâté jusqu’à la honte, qu’il s’étale sur mon temps, sur ma vie, en pacha bien-aimé, le cher être qui m’a fait vivre le bonheur ! » Voilà l’épouse de chez nous quand le mari a su l’annexer toute.


Pourquoi il y a des Xantippe.

Parce que celle de Socrate, plus sensible peut-être que la masse passive des épouses, n’endurait pas le sort abject fait en Grèce à la femme du foyer.

Ce put être parce qu’elle avait plus d’ardeur, plus de race ou même plus de cœur. Vous allez juger de l’infâme procédé que dictèrent à Socrate les mœurs du temps, contre l’épouse alarmée, désolée et cela sans que lui, habitué, en sentît même l’horreur intempestive.

Athènes était implacable pour la femme du Gynécée. Elle réservait ses grâces, son luxe, sa culture à la courtisane. L’homme après avoir fécondé sa femme (tâche d’État) n’avait qu’une idée fixe : courir chez la fille à la mode. La police réglementait même les sorties de la femme de foyer et les étoffes dont elle pouvait user.

C’est Platon qui parle :

« Xantippe au dernier jour de Socrate entra en tumulte : « Ô Socrate, s’écria-t-elle, est-ce donc maintenant que tes amis te parlent pour la dernière fois « et que tu vas leur parler ! » Paroles de désespoir, de deuil, d’affection pure et que de Monzie, comme les autres, voit avec malveillance pour rester dans la ligne de ses Veuves abusives et surtout par soumission à la calomnie historique contre Xantippe.

« Que pensez-vous que fit Socrate pour consoler, pour apaiser la malheureuse ? Voyez le procédé et étonnez-vous après cela qu’il y ait des Xantippe quand on les traite ainsi :

« Socrate dit à Criton :

« Qu’on reconduise cette femme à la maison. » Les valets de Criton emmenèrent de force' Xantippe qui vociférait et se frappait. »

Mettons-nous à sa place : bousculée, saisie par des valets et par ordre de son mari qui va mourir et qui pouvait d’un mot consolant, la calmer, la renvoyer apaisée, quel traitement d’ignominie ! Triste méconnue, impuissante dont on couvre la voix, l’adieu déchirant à l’instant suprême, quand il eût été si simple pour Socrate de la laisser écouter avec ses disciples le dernier entretien de sa vie !

Ne pouvait-il faire comme fit Platon pour Axiotée et Lasthénie ? Ces femmes de bonne famille et de haute intelligence bravant les règlements revêtaient des vêtements d’hommes pour venir les soirs, mêlées aux étudiants, écouter les leçons de Platon, beau comme Antinoüs, en blanc, dans les jardins de l’Académie. N’était-ce pas plus noble de laisser faire, de ne pas voir peut-être ces belles délinquantes ?

Je le demande : sous une telle indignation de tels sévices, et comme ultime traitement, quelle épouse avilie et bafouée comme le fut Xantippe — et en public — quelle excellente épouse n’aurait pas éclaté en protestations véhémentes ?

Je n’ai jamais vu de Xantippe chez les maris aux procédés affectueux et plaisants. On prend les mouches avec du lait, dit-on.



Il y a pourtant des mégères.

Certes il faut le savoir. Il faut dire à nos fils comme j’y viendrai au chapitre des parents : « Épouse celle qui fut bonne et tendre avec ses parents d’abord, puis secourable à ses frères, à ses sœurs. Ne t’inquiète pas tant de ses cheveux ou de sa taille que de savoir ceci : sur trois jeunes filles assises et qui bavardent, est-elle celle qui se lève et s’élance au secours d’un estropié qui passe, d’un enfant qu’on renverse, ou de sa grand’mère, car les vieux étant les plus ingrats à soigner puisqu’ils sont les plus malheureux, sa patience est à toute épreuve. Et si la jeune fille y reste douce, voici mon cher, ta fiancée :

« Elle a ce don d’entrailles : la pitié.

« C’est la femme, la vraie, n’épouse pas la fille sèche, brève, sans étoffe sentimentale. »


Le mari restant le chef de la paire
a besoin de se partager la direction avec sa femme. Il veut trouver aussi un chef en elle. Où prendre ces facultés de conduire ? S’élever d’abord en esprit en lui parlant à table de ce qui le délivre et non de ce qui le harcèle.

Et puis le décharger : assumer seule le robinet cassé, la clef qui n’ouvre plus la porte. Ne pas rapporter les embêtements. Respectez le pauvre repas des laborieux. Parlez-lui de son ami qui sort d’ici, qui croyait le trouver, qui a loué ses initiatives. Dites au cher mari que le tour de cou qu’il vous apporta hier vous a sauvée de l’angine ce matin sous la bise devant les fournisseurs. Dites ce qui lui fait du bien. Ne soyez pas sensationniste comme ceux qui ne vivent et pétillent qu’en apportant des nouvelles atroces.

S’il a un ennemi, un collègue pénible dans le service, dites, Madame, ce que vous savez si bien, dites ceci qui seul importe : « Puisque nous nous retrouverons le soir, tu sais bien, mon amour, qu’on ne peut rien nous faire. »

Et surtout s’il le peut,

emmenez-le plus loin que vous et lui. S’il a le soir son violon d’Ingres, son deuxième métier, s’il écrit ou s’il étudie et s’il aime la conversation d’idées, parlez-lui du livre qu’il vous pria de lire. Entrez dans le détail. Dites-lui par où vous éclaira telle image que vous avez relevée. Si l’œuvre était stérile demandez-lui que lire et vous, Monsieur, conseillez-lui, pour s’affermir, les moralistes, les sages, les héros, les grands oseurs sacrés, fondateurs d’ordres, les créateurs de tout genre, tout sauf les amuseurs et les voluptuosistes, comme dit Baudelaire, et je dis : ces limaces qui nous engluent dans leur paresse.

Si Elle ou Lui apporte à l’autre un livre qu’il admire, que l’autre lise ce livre le jour même. N’attendez pas ou vous interrompez l’évolution du couple. Parlez-lui-en ce soir. Attendre quoi, puisqu’on n’est sûr que de mourir ? Attendre c’est un mot de condamné.

J’ai vu deux mariages craquer parce que les fiancés avaient apporté un beau livre à leur fiancée pour la juger par ses appréciations ; et que les dindes avaient fait autre chose (!) pendant deux ou trois jours avant de se jeter sur le volume comme sur le moyen d’accord.

Elles préféraient ne compter que sur leurs yeux. Les deux hommes se retirèrent et firent bien.

Bref si vous le méritez, cherchez
de hauts plaisirs. Ils vous abriteront contre les soucis, les tracas et ce sont eux qui vous feront vivre.


Le mariage d’esprit.

— « Mais si je lis, dit-elle et si j’admire, ne vais-je pas m’y perdre moi-même et mon identité et ne plus savoir où je suis ? Si tu veux que je sois aussi le chef de notre alliance, dis-moi mon maître, mon ami, comment me retrouver et maintenir mon « soi » dans mes admirations ? »

Lui : « C’est simple. Prends la phrase que tu admires le plus de l’auteur qui t’exalte, cherche par où tu en diffères, par où ta nature échappe à ce mot, et si tu trouves — en partant de lui — à lui désobéir normalement et en beauté, cela sans excentricité, sans sortir de la nature, en découvrant même une de ses lois, eh bien ma chère, tu auras simplement enrichi la pensée, tu auras ajouté ton caillou à l’esprit humain. Partons de haut, partons de ce qui nous transporte et nous élève et par là trouvons mieux par nos humbles différences de nature ; nous aurons rempli notre tâche. Illuminons de beauté le devoir, nous l’aurons prolongé comme une poésie en l’adaptant à notre couple. »

Et jugez, chers ménages, combien s’aimeront les époux qui l’un par l’autre ensemble et la main dans la main s’avanceront vers les clartés.

Ainsi ils s’aideront à vaincre les libertés d’en bas (habitudes et somnolences mortelles), au grand profit des libertés d’en haut pour la marche à la perfection, c’est-à-dire à l’éveil total.


Le devoir, terre inconnue.

Il est illimité car chacun de nos dons l’étend. C’est une terre à découvrir chaque jour, ce qui rend la vie fascinante. Sachons en percevoir l’étendue sous les brouillards de la coutume.

Le couple seul peut déchiffrer le devoir en son ensemble, car il y faut l’homme, l’abstracteur et la femme qui est la vie, l’organisante. C’est pourquoi j’avais demandé en 1911 la République du Couple[9]. Couplons d’abord l’esprit humain car la sagesse à un seul sexe, la sagesse célibataire ne tient pas compte de la vie.

Et que la sagesse des nations demeure enfin celle du couple, non celle de l’individu.

Bref mariez-vous d’esprit comme de cœur.


Pour se marier de cœur,
il faut de l’invention dans l’entr’aide elle-même. Il faut la fécondité, la générosité dans cette imagination du secours que nous pouvons porter à l’autre. Cultivons l’esprit de finesse qui distingue cette race. Il faut le renouvellement constant du zèle adroit dans la bonté pour éviter le pavé de l’ours. Donc avivez vos facultés, époux. On n’est jamais assez artiste pour l’amour. Le cœur de l’homme et de la femme, ce cœur mêlé, c’est Dieu.
Mais il s’agit de le mêler
sans dol pour l’un des deux, c’est là qu’il faut tout l’art et tout l’esprit du monde puisque malgré le zèle on peut y échouer si l’on ne s’instruit pas.
Ne crains pas l’ouvrage, couple

heureux, car plus on s’en occupe et plus on s’aime ; c’est même le seul moyen d’arriver à être cette belle proie qu’est la passion totale dont le poète arabe a écrit :

« Dis à celui que l’amour a vaincu :
« Tu as accompli ton devoir. » Ebn El Farid[10].

Quand le feu a bien pris entre vous deux il ne s’éteindra plus. Votre vieillesse même transposera l’ardeur (plus on va plus on est riche de vie) et vous vivrez la flamme aux yeux[11].

Les rabat-joie qui disent qu’après deux ans l’attrait fléchit sont de pauvres cancres en tendresse qui, à force de balourdises, ont mis deux ans à défaire l’amour.


Trompeur volé.

Quand vous saurez vous soutenir mutuellement en toute circonstance, quand vous aurez appris à parler l’amour et le plaisir plutôt que le grief, c’est-à-dire à rendre possible ce chef-d’œuvre, une famille heureuse, s’il t’arrive, mon ami, de tout galvauder par une surprise, par une bévue des sens en prenant une oseuse, une passante, que je te plains et même si l’aventure est sans suites ! Tu es sensible ; des mois tu mâcheras le dégoût de toi-même et l’amertume en t’éveillant aux côtés de la femme de ta vie. Et jamais plus tu ne monteras quatre à quatre pour serrer plus tôt ton amour contre toi. Tu auras tout empoisonné.

Chez toi garde-toi de parler. Redouble de soins, d’attention pour ta femme. Essaye d’oublier le mal que tu lui fis en toi. Par plus d’égards et de zèle pour elle, lave-toi. Ne désespère pas si tu n’es plus heureux. Les morts même après un temps nous font leur regret moins cuisant et ta jeunesse un jour te reviendra.

Mais si tu gardes ta complice, tu es perdu. Ton ménage est à l’eau. Il n’est plus de famille. Tout est flétri, vieilli. Ton allégresse est morte. Tu as souillé ton Nirvana d’où te venaient cent sources de fraîcheur. Pis, tu l’as ennuyé. Tu ne t’y plairas plus. Que je te plains !

Si tu l’apprends, mon
amie, toi sa femme, surtout ne divorce pas ; c’est la fin de tout pour toi et le déclassement commence si tu ne sais plus vivre sans appui. Car les hommes t’offriront tout sauf l’appui.

Une femme a-t-elle épousé un pleutre ? Il s’arrange pour ne pas payer la pension alimentaire à quoi les tribunaux l’ont condamné, elle se voit arracher son enfant même quand elle en a la garde si le père prétend ne pas pouvoir entretenir son fils ailleurs que chez sa maîtresse épousée qui, elle, élève l’enfant dans l’horreur de sa mère ; bref tu entres dans un réseau d’atrocités dont une femme ne sort plus.


Quant à toi, belle épouse trompée,
plus désirable que la gueuse qui a défait un ménage avec enfant, silence. Je demande beaucoup et cependant je le maintiens. Silence et patience. Tout plutôt que la scène. La sagesse, Madame, la voici :
Il n’est rien arrivé.

Surtout ne fais pas la vie dure au franc-fileur.

La mauvaise grâce n’apporte que rupture.

L’arme des épouses trompées existe.

Il n’en est qu’une irrésistible : le reprendre au filet des plaisirs, des bonheurs quotidiens. Faire la scène qui te démange, c’est le perdre à jamais. Brusqué par toi il ira vivre avec elle. Ton arme, tu la sais : lui faire un accueil dé délices quand il rentre. Le concours de séduction est rouvert. Il s’agit de vaincre la farceuse, de la vaincre de haute lutte.

Là, Madame, le destin, quand il est mauvais, c’est votre paresse.


Et quand tu l’auras repris
fine mouche, dis-lui négligemment, afin qu’il n’y revienne pas, que tu prends en dégoût, et précise, « en dégoût de peau », l’homme qui touche à de la femme. Et grave, après la rosserie sincère, ajoute cette vérité : « On se doit de ne toucher qu’à l’amour. »


L’adultère, Mathilde.

Et si, malheur plus grand, Mathilde, vous avez été entraînée à tromper le cher mari, songez que si vous ne rompez pas tout de suite avec l’autre, ou si vous partez avec lui, non seulement vous n’aurez plus d’abri où poser votre tête, car l’autre n’est pas, il n’est jamais l’ami de votre vie ; mais le prêtre vous refuse l’hostie, vous êtes hors de votre foi. Vos enfants mourront de manquer de vos soins et vous ne pourrez pas les assister. Pensez à votre fille, méditez ce tableau :

Mme de L… la déserteuse était partie avec un homme. Le père eut la garde de ses enfants, trois malheureux sans mère désormais aux mains d’une gouvernante.

J’ai revu dix ans après Mme de L… à l’enterrement de sa fille, une beauté de douze ans. La mère faisait peine à voir. Depuis longtemps, elle était abandonnée. Épave à la charité du mari qui n’envoyait que le pain bien sec. Mettez-vous à sa place. Elle se fût traînée aux pieds du père qu’il l’aurait repoussée comme une chienne… car il était aimé ailleurs. On vous prend, Mathilde, aussitôt ce que vous ne gardez pas jalousement.

Trop tard.

Méditez donc vos frasques avant de les commettre. Songez : Oui, mais dans dix ans, que dira ma fille ? Où sera mon mari ? Aux mains de qui ? Que deviendra cette œuvre d’art que nous avions faite de notre amour et de notre maison ?

Et mesurez ce mot : J’ai défait la maison.

Une maison de plus dans les deux sens de la lignée, de la demeure est vouée à la culbute.

Cependant si vous comprenez,

si vous rentrez sans bruit dans la maison tranquille, après avoir chassé l’intrus, pas de confession indécente au mari sous le prétexte que vous aimez la franchise. De quel droit renverser le calme du malheureux, son labeur, sa santé pour faire un bel effet de sincérité romanesque, sans compter la jactance de montrer que l’on est aimée ailleurs, comme si l’aveu scélérat pouvait jamais expier la fraude ! Vous avez perdu le droit à la franchise depuis qu’elle peut tuer celui que vous avez juré d’assister en tout. Assez de confessions moelleuses et gredines ont hanté de sales visions les honnêtes maris. Rentrez cela, Mathilde, et laissez vivre l’homme qui vous a tout donné.

Bouche cousue, ou les mères vous renieront.

N’allez pas vicier de vous l’atmosphère. Propreté, Madame, toujours.

À vous de vous punir

à votre guise pour ne pas trop vous mépriser. Tirez sur vous une tâche de plus, qui déleste le compagnon. Offrez-lui de l’aider dans son travail de courses, de copie. Diminuez sa charge, en vous privant de toilettes, tout en restant agréable à ses yeux. Vous êtes fine et je compte sur vous pour le combler en raison du tort affreux que vous lui avez fait.

Et puis aimez. On répare d’amour plus que de repentir.


Et si l’amant m’a donné un fils ?

me dit Mathilde avec des yeux tragiques.

Ma réponse. — Eh bien vous le prendrez. Payez-le de votre fatigue. Imposez-vous de ne jamais coûter un sou au cher mari pour ce franc-tireur-là[12]. Vous payerez ce fils sur vous en vous privant de ce qu’il coûtera. Et vous renchérirez si vous êtes fière.

Mathilde alarmée faussement :

— « Mais je volerai toujours à mon mari cet amour usurpé qu’il ne doit qu’à ses fils. Laissez-moi tenter tout pour le lui épargner. »

Moi. — Un mot de plus et mon dégoût se lève. Tu as créé ; fais vivre. Paye et souffre, Mathilde, autant qu’il le faudra[13]. Et ne compte pas sur moi pour te plaindre. Au reste l’amour que donne et suggère un brave homme n’est jamais usurpé… Je n’entendrai rien de sentimenteux.

Réparerais-tu le sort de ton mari en te faisant crever quelque organe essentiel pour avorter comme fit Mme S… — qui en mourut — afin de ne pas apporter au mari un enfant de la fourbe ?

— « Mais je l’aurais aimé ce malheureux ! », criait le bon mari en la voyant mourir. N’était-il pas de toi ?

Mathilde : « Il disait cela dans la mort de sa femme. Dans la vie il l’eût accablée d’injures. »

— Certes. Je ne dis pas qu’il existe un remède radical ni la rémission plénière de la faute. Je dis le moindre mal que vous puissiez commettre, par les conséquences de votre écart. Le mal irrémissible étant survenu : la tache, je dis ce qui fera le moins de tort et de souillure au mari donc à la famille, et je répète, au cher mari, votre unique ami et seul bien.

Ne voyez ici que le seul moyen d’atténuer l’irréparable et de garder vos forces pour vos enfants.

Votre bonheur est atteint ? Certes.

Vous l’avez bien voulu. Il vous reste à vivre en stoïque ; mais en stoïque, attention, sans raideur, en stoïque suave ; et à payer continûment, surtout sans confident, ma chère et sans vous prélasser comme jadis dans le cœur de l’amour. Soyez la vigie constante de vous-même. On ne peut tout avoir. Vous avez voulu tâter du brasier. Eh bien grillez maintenant, vous dirait la fourmi de La Fontaine.

Le pur bonheur, son goût d’eau fraîche, ses yeux en fleurs ne vont qu’à la fidélité.

Supprimez-vous. Flambez au profit des vôtres, vous vous rachèterez. Et votre mari reverra en vous ce regard de petite fille — aujourd’hui plein d’alarmes — car vos enfants vous le rendront.


Si tu l’apprends, toi, mari juste
et doux, mets une pierre sur le tombeau que cela creuse en toi. C’est toujours ta compagne qui t’a donné la joie, sa fraîcheur, tes enfants. Jésus a absous l’adultère. Pardonne.


Égards pour la douleur.

Toi, Monique, jeune épouse comblée, quand tu passes avec ton mari à portée de la petite veuve, poignardée de souffrance, apaise ton regard grisé par ton mari. Laisse voir à la jeune veuve l’amour car son pays est là, mais pas la frénésie.

Éteignez vos regards en approchant de la jeunesse qui flambe sur son bûcher, décemment en silence.


Laisse-lui l’influence,
cher mari. C’est la couronne de l’épouse. Vos enfants éblouis l’écouteront mieux. L’influence est la récompense de l’amour.

Si chez elle ou chez lui, le monstre, la légèreté s’entête, si elle n’écoute pas à temps la voix du plus sûr ou lui, de la plus sûre, il n’y a plus qu’à pâtir et à s’époumoner. Que j’ai vu de nobles femmes perdre l’espoir d’arracher l’homme à un penchant fatal devant l’impénétrabilité du chef : il ne les écoutait pas.

Laisse-lui l’influence.


Les poètes de la Bible ont pensé
à glorifier la grande épouse de ce mot :
Son mari s’est levé pour la louanger.

Toi, jeune femme, pense aussi à être celle qui s’est levée pour louanger son mari. Il aime tant notre suffrage ! Nous ne le formulons jamais assez.

— De quoi, dit l’innocente, le louerai-je le plus ? Moi. — « Mais de t’avoir dit ce matin : « Avec toi, j’aime ce que je fais, ce que nous ferons l’un de l’autre. » Il était beau, tranquille, ses vingt-cinq ans étaient graves. Il te riait l’instant d’après dans le visage comme un enfant petit. Tandis que ses camarades claquent l’argent des parents à faire le singe, il fait lui l’homme, le père. Votre enfant est venu à l’heure. Comme il est votre passion, on a toujours assez d’argent pour sa passion. Quand on demande à ton mari s’il veut d’autres petits, il répond : « Mais de quel droit appauvrirais-je mon poème ? Nous sommes curieux, nous voulons voir, ma femme et moi ce que l’amour nous veut. Nous sommes gourmands, nous voulons tout. Nous attendons. Nous sommes prêts, soumis à ce que veut l’amour. »

Fête ici ton mari, Monique. Et nous,
remercions-le. Le mariage jeune est la force du matin.


Nous les assistants de la dernière heure,
obéissons modestes à celui de nous qui va mourir.

Ne faisons pas la belle âme en écartant le prêtre pour ne pas donner au mourant conscience de sa fin.

Ne refusons pas le papier, la plume à l’agonisant qui veut assurer notre sort : nous le torturerions.

Dociles, nous le fatiguons moins qu’en voulant faire mieux. Lui seul sait.

Respect.

Disons-lui seulement, ah tôt,
plus tôt : « Je te dois tout et le reste et moi-même, tout ce que j’ai pu devenir puisque je t’aime. Je suis ton reliquaire et je ne rayonnerai plus que toi. »

Osons les éblouir du bien

qu’ils nous ont fait.
On est toujours assez
fort pour la joie.
  1. Marginales.
  2. La Chine vit peut-être encore parce que ses veilleurs de nuit répètent chaque soir : « Aimez vos père et mère. Obéissez-leur, respectez les vieillards. Instruisez vos enfants, pas d’injustices, etc. »
  3. Voir comme complément de ce livre : Les Commandements de la femme par Aurel.
  4. « Dieu a manqué de mesure, dit Alfred Mortier. Nous ne sommes pas à la taille de nos malheurs. » (Les Marginales, 1935.)
  5. L’homme sans un ami ne mérite pas de vivre, dit l’ancien.
  6. Le Voyage. Extrait du Souffleur de bulles.
  7. Voir l’exemple complet dans L’Art de joie par Aurel.
  8. Il faut à la femme une combativité forcenée pour sauver seulement la vie.
  9. Le Couple, par Aurel (1911). Réédité en 1935. Éditeur : Figuière, dépôt chez Aurel, 20, rue du Printemps, Paris.
  10. Moallakat. Traduction Pierre Louys.
  11. Pour exprimer l’amour intuable, j’ai pris cette expression pour titre d’un essai, en 1936.
  12. Mot de Jeanne Mami.
  13. C’est pour la fustiger qu’ici je la tutoie, pour la remettre sur ses pieds.