Le oui et le non des femmes/01

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Calman Lévy (p. 1-14).
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LE OUI ET LE NON
DES FEMMES


I

CAROLINE AU BARON DE LANNAY

En vérité, je ne m’ennuie pas trop, mon cher oncle ; vous vous êtes trompé en me supposant la plus malheureuse des campagnardes ; non, les jours n’ont pas plus d’heures qu’à Paris ; il me semble même parfois que le temps passe plus vite ici que dans la rue de Varennes ; après cela, vous le savez, je suis si changeante, que, dans deux jours, je vous tiendrai peut-être un tout autre langage.

Quand je suis arrivée à notre nouvelle habitation il faisait presque nuit ; aussi mes premières impressions ont été un peu tristes. On ne m’attendait que le lendemain et rien n’était prêt encore pour me recevoir. Vos régisseurs avaient des mines consternées qui me donnaient bien envie de rire, malgré la perspective d’un méchant souper et d’un mauvais lit.

Cependant tout s’est passé beaucoup mieux que je ne l’imaginais, et, ma gaieté aidant, j’ai remis promptement ces braves gens à leur aise.

Vers dix heures, madame Pichel, la femme du régisseur, m’a conduit dans une grande chambre tendue de damas bleu foncé ; je me suis blottie dans un grand lit si élevé, qu’il m’a fallu une chaise pour y atteindre ; je me suis endormie riant de tout mon cœur de ma singulière installation et souhaitant ardemment de voir surgir des coins de cette mystérieuse chambre les fantômes dont m’avait parlé madame Pichel pour égayer mon souper.

Le lendemain matin, à mon réveil, tout m’a paru gai et riant ; un beau rayon de soleil se jouait dans mes rideaux bleus, et, de mon lit, j’apercevais par ma fenêtre le plus charmant paysage du monde.

Rassurez-vous, mon cher oncle, je sais que vous avez en horreur les descriptions ; aussi je vous fais grâce de tous les détails champêtres qui ont enthousiasmé votre petite poëte, comme il vous plaît de m’appeler. Je me bornerai à vous dire que j’ai couru à la fenêtre en jetant un cri de joie, que j’ai éprouvé un bonheur indicible à sentir cet air si frais, si pur, et à voir ce beau parc qui semblait tout en fête pour me souhaiter la bienvenue.

L’éternelle madame Pichel m’a bientôt tirée de mon extase ; elle venait me demander si j’avais bien passé la nuit et si j’étais contente de ma nouvelle demeure. J’ai répondu que j’étais ravie ; puis je l’ai congédiée bien vite, tant j’avais hâte de courir dans le parc et dans les bois comme une vraie pensionnaire en vacances.

Quel bonheur, cher oncle ! moi qui depuis si longtemps n’avais pas quitté Paris, moi qui suis folle de la campagne, je pouvais enfin m’en donner à cœur joie ! Aussi je courais à perdre haleine, j’allais à l’aventure, arrachant à pleines mains, sur mon passage, les bourgeons et les petites feuilles vertes, m’étonnant de ne pas voir les fleurs éclore sous mes pas, cherchant les violettes dans les fraisiers, me sentant d’irrésistibles envies d’embrasser tous ces beaux arbres, qui me semblaient autant d’amis charmés de me faire fête.

Arrivée sur la pelouse j’aperçois deux jolies chèvres blanches qui broutaient en liberté ; vite je remplis ma robe de feuilles tendres et de jeunes pousses, et me voilà à genoux devant mes nouvelles amies, qui n’avaient nullement peur et qui me regardaient de leur œil doux et étonné.

En cet instant, j’entendis, non loin de moi, éclater une voix mâle et sonore qui chantait la romance de Mozart : Metà di voi quà vadano. Peut-être ce chant ne m’aurait-il fait qu’un très-médiocre plaisir dans un salon de Paris ; mais, au fin fond de la Bourgogne, au milieu de cette nature poétique et charmante, cette mélodie si simple me causa une impression de plaisir et d’attendrissement inexprimable.

En arrivant au détour du sentier, le chanteur m’aperçut ; il s’interrompit tout à coup et parut d’abord assez interdit.

C’était un jeune homme de vingt-deux à vingt-cinq ans, pas très-grand, presque blond ; il portait un costume de campagne fort simple, à ma vue, il ôta sa casquette de velours noir.

La coquetterie me revint aussitôt et je me sentis contrariée du désordre de ma toilette, dérangée par ma folle course de tout à l’heure. Lui, au contraire, s’approcha de moi avec aisance et me dit en s’inclinant :

Mon Dieu, madame, lorsque je me suis permis de chanter, je me croyais bien seul ; je vous demande mille pardons de mon étourderie.

Je lui répondis naïvement, mais non pourtant sans rougir un peu, que sa voix m’avait fait le plus grand plaisir.

Il s’inclina en souriant et, changeant brusquement de conversation, il me demanda si ces deux chèvres blanches m’appartenaient.

— Oui, monsieur, lui répondis-je en souriant à mon tour.

La conversation en restait là ; l’inconnu me regardait avec une admiration très-embarrassante pour moi, et qui le devint bientôt pour lui-même lorsqu’il s’aperçut de l’effet qu’elle produisait. Voulant mettre fin à ce double malaise, je le saluai, et j’allais poursuivre mon chemin lorsque le jeune homme me dit vivement :

— Encore un mot, je vous prie, madame !

Puis, comme prenant une résolution subite, il ajouta :

— Madame ou mademoiselle, j’ai une grâce toute particulière à vous demander. Vous pouvez me rendre le plus heureux des hommes.

Pour le coup, je restai si stupéfaite, que je ne trouvai pas un mot à répondre.

— Vous devez être aussi bonne que vous êtes belle et charmante, continua-t-il sans paraître remarquer mon trouble, et ce jour doit être pour moi un jour de bonheur, puisque c’est aujourd’hui que le printemps vous a mise sur mon chemin. Je ne sais pas qui vous êtes, je ne vous reverrai peut-être plus ; il faut donc que vous consentiez à m’accorder la faveur que j’espère de vous.

— Vraiment, monsieur, lui dis-je en reprenant mon sang-froid, je ne devrais pas vous écouter ; mais je suis, malgré moi, curieuse de savoir jusqu’où peut aller l’originalité d’un homme qui, me voyant pour la première fois, et sans m’être présenté, me parle comme vous venez de le faire.

— Eh bien, madame, dit-il un peu embarrassé par le ton hautain que j’avais pris, voilà le fait ; je laisse votre justice et votre cœur juge de ce qu’il faut faire pour moi. De braves gens du pays qui m’ont quelques obligations et qui, à cause de cela même, se croient le droit de me poursuivre de leur reconnaissance, veulent absolument que je sois parrain de leur dernier né, un gros garçon blanc et rose. J’ai horreur de ces sortes de cérémonie ; mais, touché par les prières, par les larmes même du fermier et de sa femme, j’ai consenti, comme Georges Brown dans la Dame Blanche, à devenir le parrain de l’enfant.

— Mais, monsieur, interrompis-je avec humeur je ne vois pas en quoi…

— Un peu de patience, madame, continua le jeune homme ; permettez-moi d’achever de vous instruire sur ce qui me concerne, afin que vous compreniez mieux la faveur que j’ose réclamer de vous.

« J’ai donc consenti à être le parrain de l’enfant, à la condition toutefois qu’on lui trouverait une marraine de mon goût, une marraine parée, comme dans les contes de fées, de toutes les grâces, de tous les dons ; une marraine introuvable enfin !

« On m’a présenté toutes les jeunes filles du pays ; au grand désespoir de mes braves fermiers, je les ai toutes refusées. Quelque chose que je ne puis définir, un pressentiment que je ne m’expliquais pas me disait d’attendre encore… Tout à l’heure, lorsque je vous ai aperçue agenouillée devant vos chèvres, paraissant m’écouter, m’écoutant peut-être, vous m’apparûtes charmante, fraîche comme cette belle matinée de printemps, poétique autant que la nature qui vous entoure ; à l’instant même, quelque chose me dit de m’adresser à vous. Je vous en prie, madame, ne me refusez pas ! achevez mon conte de fées ; venez doter mon pauvre petit protégé de toutes vos vertus et de toutes vos grâces ; ne vous envolez pas encore dans votre char de feu, et, après m’avoir permis d’entrevoir l’idéal que je cherchais, ne le faites pas pour jamais disparaître à mes yeux.

— Mais, monsieur, lui dis-je sans pouvoir m’empêcher de sourire de sa singulière proposition, tout ceci n’a pas le sens commun ! Je ne sais qui vous êtes ; d’ailleurs, vous le dirai-je, je n’ai pas plus l’envie d’être marraine que vous n’avez le désir d’être parrain.

— Ainsi, madame, vous auriez la cruauté de me refuser ?

— Oui, monsieur, lui répondis-je sans sourire cette fois, je refuse ; et je ne vous pardonne même la singularité de votre proposition qu’à la condition que vous m’expliquerez comment je vous trouve dans mon parc à cette heure…

— Quoi, madame, dit l’inconnu avec étonnement, vous seriez madame la comtesse de Sohant ?

— Oui, monsieur… Et pourrais-je, à mon tour, savoir à qui j’ai l’honneur de parler depuis un quart d’heure ?

L’inconnu parut hésiter, puis me dit avec embarras :

— Mon Dieu, madame, permettez-moi de ne pas me nommer encore et de ne pas vous expliquer en ce moment comment et pourquoi je me trouve chez vous ; y consentez-vous ?

— À votre aise, monsieur, lui dis-je froidement.

Et, lui faisant une légère inclination de tête, je m’éloignai sans plus le regarder.

Ici, je m’arrête cher oncle, j’espère que j’ai bien amené mon commencement de roman et que vous voilà intéressé au plus haut degré. Je vous vois d’ici vous écrier : « Un jeune homme qui chante et parle conte de fée en pleine campagne, dans un pays perdu, et ma nièce que j’ai laissée partir seule ! »

Hélas ! mon cher oncle, ne froncez pas les sourcils et ne vous donnez pas une nouvelle attaque de goutte à mon sujet ; rassurez-vous : mon pauvre roman a fini aussi vite qu’il avait commencé ; j’ai eu à peine le temps de le bâtir. Mon inconnu est tout bonnement M. Lucien Pichel, le neveu de vos régisseurs, une espèce de fou et d’original, à ce que dit son oncle.

Je n’ai plus revu ce jeune homme depuis notre rencontre ; mais je vous avoue, cher oncle, que je suis fort humiliée d’avoir écouté pendant si longtemps les discours impertinents de ce Monsieur. Je comprends maintenant l’incognito qu’il désirait garder vis-à-vis de moi ; lorsqu’il a su mon nom, il a été effrayé de son audace.

Cela m’apprendra à causer avec le premier venu parce qu’il chante du Mozart !

Maintenant, cher oncle, quand donc viendrez-vous me rejoindre ? Vous savez que je ne puis pas vivre heureuse sans vous faire enrager et sans vous entendre me donner au diable cent fois par jour. Ô bon et cher oncle, qui me tenez lieu de tout ! Je m’ennuie déjà bien fort de ne pas vous avoir embrassé depuis trois jours. Comment donc faites-vous pour avoir le courage de vous passer de votre Caroline ? Qui donc vous soigne, bon Dieu ! et qui donc vous aime quand je ne suis pas là ?

Caroline de Sohant
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