Le oui et le non des femmes/03

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Calman Lévy (p. 24-28).
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III


— Alors, dit la mère Pichel, qui avait persévéré dans son histoire de voleurs, le brigand fut condamné aux galères à perpétuité pour dix ans, et ce fut bien fait. Madame la comtesse n’a plus besoin de moi ?

— Si, ma bonne Jeanne, restez.

— C’est que, fit la femme du régisseur avec embarras, si madame le permettait, je ferais monter la femme de chambre ; madame m’a permis d’aller au salut, et si ça ne contrariait pas madame…

— Au salut ? à l’église ? demanda la comtesse.

— Dame, oui, répondit la vieille Jeanne ; moitié par habitude, moitié par dévotion, j’y vais chaque soir ; ça fait plaisir à notre curé, le cher homme, et ça ne fait de mal à personne.

— Attendez, s’écria Caroline en couvrant sa tête d’une capeline de soie, attendez, je vais avec vous.

La comtesse Caroline avait ses heures de croyance.

Toute femme qui va aimer croit en Dieu.

La femme qui aime le bénit.

La femme oubliée le prie.

La femme trompée l’insulte.

La femme qui n’aime plus l’oublie.

Donc, la comtesse était dans une de ses heures de ferveur ; mais, si elle avait eu une amie, elle n’eût pas été à l’église.

Suivie de la vieille Jeanne, elle alla s’agenouiller près des femmes du village. Comme elles, sur le pavé, l’égalité devant le chagrin, elle pria avec âpreté.

Lorsqu’elle releva la tête, l’église était presque vide, elle jeta autour d’elle un regard empreint de quiétude ; mais elle tressaillit soudain : à la lueur d’une lampe, elle venait d’apercevoir la tête expressive de Lucien.

Le jeune homme, pareil à une statue, était immobile, abîmé dans un recueillement étrange ; ses yeux, pleins de larmes, semblaient regarder sans voir une image de sainte Cécile, la patronne du pays.

— Partons ! dit brusquement la comtesse.

En revenant au château, elle interrogea la mère Pichel.

— Que faisait votre neveu à l’église ?

— Seigneur mon Dieu, y était-il, madame la comtesse ?

— Derrière le pilier.

— Seigneur mon Dieu !

— Pourquoi ces cris, bonne Jeanne ?

— Hélas ! madame, c’est que le pauvre garçon ne va guère à l’église que lorsqu’il est triste.

— C’est beaucoup d’honneur pour le bon Dieu.

— Ah ! madame, ne riez pas de lui : il est bien malheureux !

— Pourquoi ?

— Qui pourrait le savoir ? Il ne le sait pas lui-même. Quand il est arrivé, il était triste comme un bonnet de nuit. Bon ! quelques jours après, il était gai comme un bouvreuil. Bien ! maintenant, le voilà redevenu sombre comme un jour de pluie.

La femme de chambre attendait sa maîtresse ; force fut à Caroline de cesser l’entretien. Elle rêva un peu et se coucha, en recommandant de bien fermer les portes. Toutes les heures de la nuit sonnèrent lentement ; les rideaux de mousseline du lit de la comtesse s’agitaient par intervalles inégaux. Madame de Sohant ne dormait pas. Lorsque quatre heures sonnèrent, elle poussa un cri amer qui avait la prétention d’être un franc éclat de rire, et murmura d’une voix sourde :

— Par exemple, voilà qui est trop fort ! serais-je jalouse de sainte Cécile ? Il ne me manquerait plus que cela.