Le parfait bouvier/04

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anonyme
Imprimerie de Louis Perrault (p. 95-104).

DU VERRAT, DE LA TRUIE ET DU COCHON.

Le cochon est le plus fécond de tous les bestiaux et celui dont on tire le plus d’utilité pour les alimens. On le trouve dans tous les pays ; il est sale et gourmand, il mange de tout, n’est presque jamais rassasié, et il vole la mangeaille des autres.

On appelle verrat un cochon qui n’est point châtré ; la truie est sa femelle : on doit choisir le verrat plus carré que long, court et ramassé, ayant la tête grosse, le groin court et camus, les oreilles grandes et pendantes, les yeux petits et ardens, le cou grand et gras.

La castration peut avoir lieu à tout âge pour cet animal ; mais plus tôt elle est faite, moins elle peut devenir dangereuse. Il faut choisir un moment où la température soit douce ; les chaleurs vives et les froids rigoureux rendraient également la plaie d’une guérison difficile.

Un bon verrat suffit à dix truies ; on ne le fait souer que quand il a un an ; et quand il en a quatre ou cinq, il n’est plus bon à cet usage. Une bonne truie a le corsage long et le ventre ample et large : elle est féconde depuis un an jusqu’à six ou sept, et cochonne deux fois l’année ; elle porte quatre mois, et fait dans le cinquième ses petits, qui sont toujours en fort grand nombre, de dix ou douze au moins.

Les toits ou lieux où l’on met les porcs doivent être bien pavés, afin que les cochons ne fouissent point la terre de leurs étables, et que l’ordure et le mauvais air n’y séjournent point : et pour qu’il n’en dégradent point les murs, on doit les garnir de bonnes planches.

Les cochons, quoique sales, et ne cherchant que l’ordure ou la fange pour s’y vautrer, demandent à être dans leurs étables avec beaucoup de propreté : cela les engraisse presqu’autant que la nourriture. Plus ils sont entretenus proprement, plus ils deviennent gras et forts.

On les mène paître depuis le commencement d’octobre, deux fois par jour, le matin après que la rosée est dissipée, jusqu’à dix heures, et depuis deux heures après midi jusqu’au soir. Depuis le mois d’octobre jusqu’aux neiges, on les laisse paître pendant tout le jour, quand il fait beau.

En quelque temps que ce soit, surtout pendant les chaleurs, il ne faut jamais leur laisser endurer la soif, elle leur cause une petite toux sèche qui les amaigrit tout d’un coup, et leur donne la fièvre. Rien ne les désaltère mieux que le petit-lait, et n’arrête mieux les mauvaises suites que pourrait avoir une soif trop ardente.

Ces animaux ne sont point délicats ; lavures d’écuelles ; égouttures de fromages, fruits, légumes, pommes de terre avariées, tout leur convient.

MALADIES DES COCHONS.

Outre les remèdes préservatifs qui sont communs à tous les animaux, et qu’on ne peut trop avertir d’employer au besoin, on peut encore infuser dans de l’eau, pendant quinze ou vingt heures, de la graine ou des racines de concombres sauvages bien pilées, et faire boire cette eau tiède aux cochons, de temps en temps : cela les préserve des maladies contagieuses.

On juge qu’un porc est malade, quand il penche l’oreille, qu’il est plus paresseux et plus pesant que de coutume, ou qu’il est dégoûté : quelquefois aussi, il arrive, quoique malade, qu’il ne donne aucun de ces signes ; quand on le voit diminuer peu à peu, il faut lui arracher, à contre poil, une poignée de soies sur le dos ; si la racine en paraît nette et blanche, c’est bon signe ; mais si l’on y voit quelques marques sanglantes ou noirâtres, le cochon est malade.

FIÈVRE.

On juge qüe le cochon a la fièvre, quand on le voit baisser la tête, la porter de travers, courir dans les champs, ensuite s’arrêter tout court, et tomber étourdi. Il faut prendre garde de quel côté il penche la tête, pour le saigner à l’oreille opposée, et ne lui donner à manger que des choses qui puissent le rafraîchir. On saigne aussi les cochons à une veine qu’ils ont au-dessous de la queue, à deux doigts des fesses ; et pour ne point manquer cette veine, on en bat l’endroit avec une petite baguette de sarment ou coudrier, afin de la faire enfler. Quand on a tiré assez de sang, on y fait une ligature avec de l’osier ou de la grosse ficelle ; on tient le cochon enfermé pandant deux ou trois jours, jusqu’à ce que la fièvre soit guérie, et on le nourrit avec de l’eau tiède mêlée de deux livres de farine d’orge.

LÈPRE OU LADRERIE.

Quand cette maladie commence, elle rend le porc pesant et endormi, ensuite sa langue, qu’on lui fait tirer avec un bâton, son palais et sa gorge se chargent de petites pustules noirâtres ; les taches gagnent la tête, le cou et tout le corps ; le cochon se porte à peine sur ses pieds de derrière, et la racine de sa soie est toute sanglante ; c’est à ces signes que les langayeurs de porcs qui les visitent, reconnaissent qu’ils sont ladres. Cette maladie est difficile à guérir ; tout ce qu’on peut y faire, c’est de mettre le porc ladre dans un toit à part, de le nettoyer tous les matins soigneusement, et de lui donner toujours une bonne et fraîche litière ; ensuite on le saigne sous la queue ; on le baigne souvent en eau claire, et on le laisse long-temps se promener. Il ne faut point lui épargner l’eau ni la mangeaîlle, et sa nourriture doit être du marc de vin mêlé avec du son et de l’eau.

La ladrerie ne se connaît pas toujours à la langue, car souvent il n’y a que peu ou point de grains, et cependant, quand on vient à ouvrir le cochon et à le mettre en pièces, on en trouve toute la chair chargée : en ce cas, comme elle est malsaine, elle doit être jetée à la voirie ; mais si la chair est seulement parsemée de quelques grains, le sel la corrige, en la laissant quarante jours en salaison.

AVIVES.

Il est reconnu que les avives des porcs sont sujettes à s’apostumer. Un porc qui a mal aux avives, ne mange presque point, fait le haut dos et tremble. Il faut lui coucher l’oreille le long de la ganache, entre le cou et la tête, et où tombera la pointe de l’oreille, là sera l’avive de chaque côté : il la faut ouvrir, en descendant, de près de deux pouces et demi de long, avec le bistouri ; après quoi gratter avec la pointe d’un couteau dans l’ouverture. On en fera ainsi sortir du gravier, et même du pus, s’il y a plusieurs jours qu’il soit pris.

Remède. — Mettez dans la plaie du sel menu et de la graisse de porc une fois par jour, et cela pendant trois ou quatre jours seulement.

INDIGESTION, VOMISSEMENT,
Dégoût et Mal de Rate.

La gourmandise des cochons les rend sujets au vomissement : souvent les mauvaises herbes leur cause le dégoût ; le vomissement leur vient de réplétion, et l’indigestion est causée par la crudité de leur nourriture.

Pour guérir le simple vomissement, ratissez de l’ivraie, mêlez-en les ratissures avec du sel bien séché et de la farine de fèves ; donnez le tout au cochon avant qu’il aille aux champs.

Pour guérir l’indigestion ou le dégoût, tenez le cochon enfermé dans son toit, afin de lui faire faire diète pendant vingt-quatre heures ; ensuite donnez-lui beaucoup d’eau tiède dans laquelle vous aurez laissé infuser, pendant vingt heures, de la graine ou des racines de concombres sauvages bien pilées, que vous lui donnez de temps en temps.

Trop de fruits mangés pendant de grandes chaleurs, lui causent le mal de rate : on le guérit en lui faisant boire de l’eau où l’on aura laissé tremper du bois de romarin, qui a la vertu de dissiper les crudités et les enflures intérieures.

ÉCHAUFFEMENT.

Cette maladie, qui est commune parmi les cochons dans les années de sécheresse, se manifeste d’abord par deux boutons blancs, comme des pois, entre les dents de la mâchoire de dessous. Dès qu’on les aperçoit, il faut les couper avec des ciseaux, et faire en sorte qu’ils saignent, il leur faut couper ensuite la fève des deux côtés : cela fait, on prend un petit bâton long d’un pied, auquel on attache un petit linge au bout avec du fil ; on trempe ensuite ce linge dans de l’eau et du sel, et on en frotte plusieurs fois les boutons ; on jette ensuite de l’eau dans la gueule du cochon, et on la lui abaisse chaque fois qu’on lui en a jeté, dans la crainte qu’il n’en avale ; après lui avoir ainsi lavé la gueule plusieurs fois, on peut lui donner à manger.

On a observé que le cochon attaqué de cette maladie, ne mange plus ; si on négligeait trop long-temps à faire ce remède, il pourrait arriver que le venin renfermé dans les boutons, rentrât dans la masse du sang, ce qui rendrait le remède inutile.

ENFLURE.

Dans la saison des fruits, les cochons en mangent souvent de pourris, et en si grande quantité, qu’ils en deviennent enflés ; cette enflure deviendrait dangereuse, si on n’y remédiait. Dans ce cas, on fait une décoction de choux rouges, qu’on leur donne à boire, ou bien on mêle de ces choux dans leur nourriture, ou on les nourrit simplement de feuilles de mûrier bouillies dans de l’eau ; ce qui dissipe l’enflure en peu de temps.

CATARRHE, ET ENFLURE
des glandes du cou.

Pour guérir les cochons du catarrhe, saignez-les sous la langue, et frottez le mal de sel broyé et de pure farine de froment.

Employez le même remède quand vous verrez qu’un cochon a les glandes du cou enflées, ou le cou plein de tumeurs, qui ne viennent que d’une abondance d’humeurs grossières qui n’ont point de mouvement. On peut encore faire saigner le cochon aux épaules, et lui frotter tout le cou et le groin de sel et de farine, ou bien lui faire avaler avec une corne, six onces de garum.

GALE.

On frotte rudement à contre-poil avec de l’eau de lessive, ensuite on fait baigner le cochon dans de l’eau claire. Il y a des personnes qui frottent la gale avec du tabac infusé dans de l’eau tiède, ou avec de l’urine et un peu de fleur de soufre. On peut encore se servir du remède qu’on emploie pour le catarrhe.

Plaies des Porcs en général.

Les plaies des porcs se pansent toujours avec du sel, comme pour une morsure de chien ou de loup : il faut force sel pour arrêter le venin, avec graisse de porc, blanc de poireau, ou quelques simples, telles que le lierre terrestre ou la bardane, toujours pilées avec du sel ; ainsi, il suffit pour le pansement de toutes leurs plaies, de sel menu et de graisse de porc ; s’il n’y a point de pus dans la plaie, on la couvre de tarc chaud, dans lequel on met du sel.

PESTE.

On jette à la voirie les cochons qui en sont attaqués, n’y ayant point de remède : mais on les en préserve en leur faisant boire de temps en temps de l’eau dans laquelle’on a fait tremper pendant un jour des racines d’afrodille.

LÉTHARGIE.

On connaît cette maladie, quand les cochons qu’on mène paître, tombent au milieu des champs, et s’endorment au soleil.

Pour guérir cette maladie qui leur fait perdre l'appétit et les fait maigrir en peu de jours, il faut les tenir enfermés sans boire ni manger pendant vingt-quatre heures, le lendemain, s’ils sont altérés, on leur donne de l'eau dans laquelle on fait tremper des racines de concombres sauvages broyées. Après qu’ils ont bu, il leur prend un vomissement qui les guérit ; ensuite on les nourrit de pois chiches ou de fèves arrosées de saumure ; puis on leur fait boire, afin de les désaltérer, de l'eau chaude, dans laquelle on mêle ordinairement deux poignées de son.

GOURME.

La gourme n’est autre chose que des apostumes qui viennent aux cuisses et aux jambes des porcs, lorsqu’ils sont jeunes ; on les ouvre avec le bistouri, lorsqu’ils sont mûrs, pour en faire sortir le pus, on met dedans du sel et de la graisse de porc.

COUPS ET MEURTRISSURES.

Un porc peut recevoir un coup violent qui rompe quelques vaisseaux ; ce qui occasionne un fort gonflement dans la partie lésée. Il peut aussi être mordu par un chien ou un loup ; si le sang ne s’épanche point au-dehors, il en résulte une enflure douloureuse, ainsi que des nerfs blessés.

Remède. Ayez un quarteron de graisse de porc.

3 onces de savon coupé menu,
1 quarteron de tarc, et une petite mesure d’eau-de-vie.

Faites bouillir le tout ensemble, et graissez-en chaud l’animal, une fois le jour, jusqu’à parfaite guérison.

SERREMENT DES DENTS.

Les alvéoles des mâchoires des cochons se gonflent quelquefois ; ce qui les empêche de manger.

Remède. — Donnez-leur, indépendamment de leur nourriture, soir et matin, deux poignées de pois crus.

SOIES.

L’on connaît qu’un porc a les soies, par une touffe de poils qui paraît au-dehors du cou, vis-à-vis du gosier, ce qui l’empêche de manger, parce qu’il y a une autre petite touffe de poils dans les chairs jusqu’au gosier, ce qui forme au-dehors et au-dedans un petit rond comme une fistule.

Il faut, avec une aiguille enfilée de double fil, le passer deux fois, c’est-à-dire, faire un arrière-point sur le rond où est la touffe de poils, pour soulever ensuite doucement, par le moyen de ce fil, et couper tout autour avec le bistouri, en prenant garde de couper la touffe de poils qui est au-dedans, que l’on grattera peu à peu tout autour en descendant pour l’avoir en entier : après quoi mettez dans la plaie du sel menu et de la graisse de porc une fois par jour, pendant deux ou trois jours seulement.


FIN.